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La Forte en T'Aime, roman © Christian Jodon; déposé à la S.G.D.L.
2e éd. relue, réécrite partiellement - Réécriture totale du code xHTML( Plus de détails…)↓ ) 

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Entrée en Matière…
Convention de Lecture
Enfin les autres animaux vivent honnêtement avec leurs semblables;
nous les voyons se réunir et combattre contre des espèces différentes; les féroces lions ne se font pas la guerre entre eux ; la dent des serpents ne menace pas les serpents ; les monstres même de la mer et les poissons ne sont cruels que pour des espèces différentes. Mais certes c'est de l'homme que l'homme reçoit le plus de maux."
Pline l'Ancien
 (em-1↓ ) 
Cet essai décrit un avatar, amusante métamorphose, divertissante péripétie de la bêtise, de la méchanceté, de la suffisante sottise, la vaine agressivité humaine. Toutes choses du monde étant les mieux partagées...
Ergo, n'y aurait-il pas d'exceptionnelle coïncidence à ce que certains lecteurs s'y retrouvassent, s'y crussent peints ou se flattassent d'y figurer sous les traits d'un déplorable, d'un repoussant personnage pourtant imaginaire… Qu'ils désespèrent. La médiocrité étant compagne de la jalousie, de la médisance, de la malfaisance, montrer cette banalité eût été sans intérêt. Donc, si méchant, si bête, si cupide… Si abominable, aussi affreux… Si dégoûtant, si déplorable, si imbuvable, indigne, infect… Si odieux, repoussant, répugnant, épouvantable… Si sottement agressif… En un mot si con qu'il soit, nul ne peut prétendre se reconnaître ici.  (em-2↓ ) 
Toute ressemblance avec des faits s'étant produits serait, par contre, probablement réelle: z'avez qu'à lire les faits divers…

Mille z'excuse (em-4↓ )  pour les noms: difficile d'éviter les Dupont, les Durand, les Martin... Si quelqu'un était incommodé par une telle occurrence, qu'il écrive. Le traitement de texte permet, en quelques secondes, par le "cherche/remplace", d'arranger un changement. Pour les noms de géographie, la redondance des noms de lieu est telle qu'on ne saurait se plaindre d'une ressemblance. Pour la chronologie, on est prié de ne pas chercher à s'y retrouver: elle sera purement fantaisiste, comme dans le rêve.
Pardon, comme dans le cauchemar…

lui seul entre les animaux a été donné le deuil, à lui le luxe, et le luxe sous mille formes et sur chaque partie de son corps; a lui l'ambition, à lui l'avarice, à lui un désir immense de vivre, à lui la superstition, à lui le soin de la sépulture, et le souci même de ce qui sera après lui. Aucun n'a une vie plus fragile, aucun des passions plus effrénées pour toute chose, aucun des peurs plus effarées, aucun de plus violentes fureurs."

Pline l'Ancien

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section em:   ( Sauter les notes de section em )
em-1.-↑ Pline l'Ancien
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pline_l'Ancien
Il est né en 23 après J.-C. à Novum Comum (l'actuelle Côme) et mort en 79 à Stabies (Stabia en latin), près de Pompéi, lors de l'éruption du Vésuve.
Extrait: " Le 24 août 79, lors de l'éruption du Vésuve qui ensevelit Pompéi et Herculanum, il se trouve à Misène. Voulant observer le phénomène au plus près et désirant porter secours à quelques uns de ses amis en difficulté sur les plages de la Baie de Naples, il part avec ses galères, traversant la baie jusqu'à Stabies (aujourd'hui Castellammare di Stabia) où il meurt, probablement étouffé, à 56 ans.
L'éruption a été décrite par son neveu Pline le Jeune dont le nom est retenu en volcanologie ancienne : « éruption plinienne ».
Le récit de ses dernières heures est relaté dans une intéressante lettre que Pline le Jeune adresse, 27 ans après les faits, à Tacite (Epp., VI, 16). Il envoie aussi, à un autre correspondant, un exposé sur les écrits et le mode de vie de son oncle (III, 5):
« Il commençait à travailler bien avant l'aube... Il ne lisait rien sans en faire de résumé ; il disait même qu'il n'existait aucun livre, si mauvais soit-il, qui ne contienne quelque valeur. Au pays, seule l'heure du bain l'exemptait d'étudier. En voyage, lorsqu'il était déchargé d'autres obligations, il se consacrait uniquement à l'étude. En bref, il considérait comme perdu le temps qui n'était pas consacré à l'étude. »
Le seul fruit de son inlassable labeur qui persiste de nos jours est sa Naturalis Historia qui fut utilisée comme référence pendant de nombreux siècles par d'innombrables élèves. " De Wikipedia.

em-2.-↑ Mille excuses ! J'espère que vous aurez souri de cette entrée... roborative. J'ai voulu dire, dans un style audible par les oreilles les plus délicates, qu'ayant à décrire des personnages, comme tout plumitif qui se respecte, j'ai pillé à tous les rateliers le meilleur des fleurs de rhétorique... dans la mesure de mes moyens. Tenez, prenons Élisée Fleurie, il est évident qu'il va hériter de tous les Scapins, de tous les Papes des Escargots  (em-3↓ ) , de tous les Archimèdes le Clochard de la création... Mais il est bien vrai que j'ai eu à observer, sous ma binoculaire, des "vrais" bonshommes dont la somme fait Élisée, ce bouffon universel, ce "fou du roi" que sa condition autorise à dire tout haut ce que tous les autres n'osent penser que tout bas... Vous lui ressembleriez ? Réfléchissez ! Prudence : il y a toujours un moment où il vous déplaira... Enfin ! comme disait pépé Horace*: « Pictoribus atque poetis Quidlibet audendi semper fuit aequa potestas. » Soit, hors ce charabia dont je trave que dal: « Les poètes, dira-t-on, n'ont-ils pas toujours eu, comme les peintres, le privilège de tout oser? » Bon ! Je promets de faire des efforts pour m'autocensurer: la Liberté, c'est sacré: il ne faut donc pas la ravaler à la vilenie de Licence !
- * Horace: Horace (en latin Quintus Horatius Flaccus) est un poète latin né à Venouse dans le sud de l'Italie, le 8 décembre 65 av. J.-C. et mort à Tivoli le 27 novembre 8 av. J.-C.
— - Horace dans Wikipedia
— Sur l'expression "…que dal", voyez ce site

em-3.-↑ Ô mon Henri ! Ô toi qui nous a quittés pour toujours hélas ! Comme je l'avais aimé ton "Pape des Escargots" ! Comme j'avais adoré sa diatribe contre l'autoroute A6 ! Sais-tu, une nuit, j'ai dormi à Pont d'Ouche, dans la petite maison que Jean Grenier, notre oncle, avait achetée pour pêcher la truite, près du joli méandre du ruisseau d'Ouche ... Sais-tu, sa maison de cheminot où il aimait tant se réfugier, se ressourcer, maintenant, elle est... sous le viaduc de l'A6 ! Le Paradis est en Enfer !
  Ô combien j'ai aimé divaguer dans cette montagne de Bourgogne que tu aimais tant parcourir, de pré en buisson, et je suis allé à la "Peuriote", cette maison ruinée que tu avais reconstruite, me recueillir sur ta tombe... Va ! Tu n'as pas écrit pour rien ! Mon Élisée à moi, même sans ton talent à toi, il va prendre le flambeau de "La Gazette". Il va crier sa révolte contre la pseudo-civilisation d'Hiroshima, et aussi contre la société des parachutes en or... Il va crier son amour ("ton amour") de la "civilisation lente". Et demain, d'autres, dans de meilleures mains, prendront à leur tour ton génial flambeau et lui feront un Marathon olympique. Adieu, Père Vincenot que nous aimions tant ! Tu es toujours là, pour ceux qui t'aiment.
- Henri Vincenot - Wikipédia
- Une analyse du "Pape des Escargots"
- Une autre analyse du "Pape des Escargots"
- Une troisième analyse du "Pape des Escargots"

em-4.-↑ "Mille z'excuse": Figure de rhétorique découverte par un ancien poupon de CE 1 : "l'illusion syntaxique". Tournure orthographique qui laisse entendre à l'œil qu'y'en aurait pas autant que ça laissait voir à l'oreille…

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La Forte en T'Aime

2.- Histoire de Nathalia

©C.Jodon

Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.


Écolière Algébrique


La Cavée de Crèvecœur.
" La goutte d'eau, laquelle tombant assiduellement, creuse et cave les plus dures pierres" (Camus du Belley; Diversités, t. I, f° 143)


Un homme marchait sous la pluie. Ou peut-être était-ce un crachin, juste une broue qui tournait au grésil et à la pluie verglaçante. Par moment.
Il avait quitté Les Brandes par le chemin des Vignes car depuis des années, on n'empruntait plus la cavée de Crèvecœur envahie par les ronces et les épines noires. Les vieux du village utilisaient ce terme en souvenir d'une jeunesse où ils avaient dévalé le chemin creux au retour des travaux des champs. Au fur et à mesure des déboisements de la pente et des haies du plateau, l'eau de ruissellement cavait toujours davantage la tranchée, abritant hases et sauterelles du soleil et du vent. L'homme s'engagea dans le cavin en se faufilant dans une trace de chasseur.


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La Chasse à "l'Écologiste"..

"Salut les souffloculs!" lança Pousse-Cailloux en claquant la porte du bistrot du Diascorn. Par derrière, ils l'appelaient le "Dix-Cors" à cause de Soubrette, sa jeune femme. Des saluts vagues, peu enthousiastes, lui répondirent. On commençait d'être blasé du quolibet, parfois décliné en "baise-culs".
Ça remontait au récent mercredi des Cendres, lendemain d'un Mardi Gras épique où les jeunes du village, après avoir quêté des kilos de munitions chez les matrones du coin, avaient déclenché au collège de Villeneuve et dans les cars du ramassage scolaire une homérique bataille de farine dont le personnel de service se souvenait encore les mois suivants. Ni le proviseur, ni Rosenschwein, le dirlot adjoint (il était conseiller municipal) n'avaient réagi; seul Le Pédé avait embrayé en cinquième vitesse, agonissant d'injures la fine fleur des fils-à-papa de la bourgeoisie locale. Le sang lui avait tourné de voir ces charmants bambins, dont certains sortaient du catéchisme tout frétillants: « Donne-nous, Seigneur, un coeur nouveau… Mets en nous, Seigneur, un esprit nouveau… » et qui gaspillaient une tonne d'un aliment que certains, sac à l'épaule, auraient bénévolement acheminé vers les trois millions de bébés affamés mourant de faim chaque année. Les bébés au ventre hypertrophié incapables de se faire porter par de pauvres petites guiboles grosses comme des fils de fer... Alors le prof avait pris son coup de sang contre les jeux prétendument innocents de ces fils de famille surnourris qui trouvaient si normal, le lendemain matin, de nager dans la farine que les agents de surface, en grève, n'avaient pas balayée. Il avait même osé les traiter de "baise-culs et de souffloculs"(1-1↓ ), ce qui avait paru tant inadmissible aux populations bien-pensantes qu'aussitôt, le président de l'association de parents d'élèves, lequel se vantait d'avoir trinqué avec le recteur M. et baffré avec l'inspecteur d'académie, était intervenu en haut lieu. Efficace, le blâme était arrivé sous huit jours et l'on riait encore, dans les chaumières et sur le zinc, de la gifle reçue par Le Pédé… Les mots rigolos étaient restés, tout chargés de connotation triomphale.

Soubrette trottait entre les tables, légère et court vêtue, car c'était une journée de bonnes affaires, une de ces journées qui remplissent le tiroir-caisse pour tout le trimestre. Elle avait une cambrure superbe et plus d'une main eût aimé s'y égarer; d'autant que le Dix-Cors, exultant d'entendre cliqueter la monnaie, n'avait guère envie de chasser la clientèle.

La chasse! C'était le grand jour. L'objet de la réunion. La fête au brocard. Cette année, l'indice kilométrique était bon et, sans en faire une réunion du Drap d'Or, le gueuleton au préfet et au président départemental de la chasse, bien achalandé grâce au budget de Trefontaines - privilège des maires: les petits-fours! - Booseweld avait gagné un bracelet à chevreuil. Juste retour des choses: dans son bois du Fer à Cheval, les broutis des chevrettes dans les semis naturels de merisiers avaient ravagé tous les scions, cisaillés net à soixante centimètres du sol. Quant aux écolos qui avaient racheté, en raclant leur livrets de caisse d'épargne, le bois de la Garenne, l'abroutissement des tendrons de sycomores en avait définitivement stoppé les espoirs. Les frottis et grattis étaient nombreux et lors de sa course du week-end, Booseweld avait fait jaillir de sa reposée une femelle - le miroir en cœur ne laissait aucun doute - non suivie qui pourrait faire l'affaire d'une battue. Certes, il n'aurait pas dû pénétrer le bois des écolos mais comme c'était lui qui avait eu la sage initiative de proposer qu'il devienne la réserve de chasse, fusil cassé ou à la bretelle, on pouvait supporter qu'il le traversât.

Soubrette courait de table en table et le Dix-Cors faisait quelquefois, sans rien dire, les gros yeux car on entendait claquer une main sur une main qui s'égare...

Tous ce monde-là se détestait franchement, sainement, comme partout, comme toujours, entre voisins bien obligés de vivre ensemble, de supporter les menus empiètements de bornage, les cueillettes de morilles dans les bosquets réservés, les clôtures non-refermées, la pièce de terre soufflée pour trois sous à la vente aux chandelles; et surtout, les histoires de femmes! Dès que l'un d'eux avait quitté la salle d'estaminet, un autre lui cassait sur le dos une volée de bois vert. « Le Pisse-Goudron? Cette semaine il m'a fauché un orme mort que le vent a fait tomber sur son terrain; un stère de bois sec... ». On se haïssait mais ce jour-là, dans une grande fête de réconciliation, on scellait, autour de la mise à mort d'un daguet, une trêve. C'était le jour de la chasse à "l'Écologiste". Ainsi Booseweld désignait-il le chevreuil à qui, en fin de battue, il passerait le bracelet.
— Pourquoi, "chasse à l'Écologiste"? questionnait Pisse-Goudron qui débarquait.
— C'est tout comme, lâchait Booseweld; ça mange que d'la salade, c'est froussard comme une femelle et ça porte des cornes !

Puis il interpellait Soubrette pour qu'elle leur serve "sa" tournée. Une affaire qui tourne. Une journée comme ça, ça ratisse des voix! Encore fallait-il organiser l'opération, désigner l'équipe de rabattage, la munir de brassards, casquettes et gilets fluos - Pousse-Cailloux était inséparable de Pisse-Goudron - leur rappeler l'interdiction des radiotéléphones, du tir des ongulés à proximité du dépôt de sel ou des affouragements, de pénétrer dans le refuge écologiste en spécifiant que les chiens, eux, ne pouvaient être incriminés de n'avoir pas su lire les écriteaux - la République ayant dédaigné de leur procurer l'enseignement laïc, gratuit et obligatoire - et devenaient, de ce fait, excusables de pousser les ongulés de la réserve de chasse... vers les chasseurs; que les tireurs à la lunette n'étaient autorisés à tuer que jusqu'à trois cents mètres; et cætera... Le maire de Trefontaines, président de son ACCA locale, jubilait: il était le stratège du jour et ç'allait péter la flamme!

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Dans la cavée de Crèvecœur, l'homme solitaire montait lentement, sous les frimas et soufflant un peu car le lieu justifiait son nom. Dans sa poche, l'objet battait lourdement la cuisse. De longues fulgurations d'angoisse le déchiraient par instant, quand il revivait les évènements passés. Il les connaissait, ces angoisses, depuis les bombardements de la seconde guerre mondiale sous lesquels, enfant, presqu'un bébé, il avait senti le monde s'écrouler autour de lui. Mais cette fois, l'enfant était mort; il n'y avait plus de jaillissement de la cave, plus de survie possible. Il était mort, l'enfant! Son enfant... Et par moment, c'était la tête du cheval, une tête de cheval aux yeux exorbités qu'il croyait voir dans la cavée... Image de la terreur et de l'anxiété... Il sortit une fiasque de Cognac de sa poche et but une longue gorgée.

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Soubrette trottait vaillamment d'un table à l'autre, servant à perdre haleine. Comme elle repassait au comptoir, le Dix-Cors lui faisait une réflexion sur les mains baladeuses; et elle, qui dans son for intérieur ne méprisait pas ces hommages masculins répondait: « Les femmes aiment bien faire marcher les hommes; et eux, ces cons, ils en profitent pour courir. Va, c'est tes affaires qui courent!».
On n'en était pas aux quatre-vingts chasseurs et il fallait bien se réserver pour les agapes dionysiaques de fin de battue et pour l'hommage des amourettes... Déjà les quads et les quatre-quatre pétaradaient sur la chaussée.

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Dans la cavée, l'homme peinait dans la brouillasse. De temps en temps, il se blottissait sur le flanc abrité du chemin creux, pelotonné comme le chevrillard dans sa reposée. Maintenant, c'était des images de son enfance qui lui revenaient, qu'il avait crû à jamais enfouies. Le cheval, les yeux révulsés! C'était Bichette, la jument de Manu, le cousin charretier! Il frappait, hurlait, jurait d'une façon abominable et frappait encore; la bête était terrifiée, ses yeux s'exorbitaient. L'énorme masse de muscle du percheron ne suffisait pas à arracher de l'ornière du cavin le tombereau surchargé de fumure. L'enfant était horrifié par le spectacle de cette monstrueuse brutalité: il assistait pour la première fois à une scène de torture. Dans une tempête de coups et de jurons, la bête avait eu un sursaut d'énergie, arrachant le fardeau à la fange, justifiant, du même coup, l'abjecte inhumanité de son tortionnaire.


Ensuite, il y avait eu la scène de l'abreuvoir. Aux siècles passés, la cavalerie exigeait des communes qu'elles construisent, dans chaque halte, un bassin d'abreuvoir pour les chevaux de selle ou de trait de l'armée; et toutes bêtes de ferme en profitaient. Chaque soir, les garçons d'écurie menaient les vaches, puis les chevaux, à l'abreuvoir de la Thève à Montgrésin. Lequel était aménagé juste en amont de la vanne de décharge du canal déversoir de sécurité, au bord de la chaussée de la RN324a, là où elle tourne à angle droit pour contourner le moulin. C'était une large grève pavée descendant en pente douce vers le centre de la rivière. Ce jour-là, l'orage avait gonflé le cours d'eau. Bichette avait glissé des quatre fers sur le pavé mouillé et elle était là, en train de se noyer, hennissant de détresse, incapable de sortir du lit surcreusé par l'orage, les yeux révulsés. Le village regardait, consterné, la fatale agonie de l'énorme bête que tout le dévouement des valets de ferme, qui avaient risqué leur vie pour la hâler, ne pouvait empêcher. Ce jour-là, l'enfant avait eu, pour la première fois, la vision horrible de la mort.

Ensuite, il y avait eu Graben, le Suisse.


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Histoire de Graben, le Suisse qui avait gagné son rocher mais perdu sa montagne.

A cette époque-là, les propiétaires de moulin avaient la charge de l'entretien des berges du canal d'amenée d'eau à la roue à aubes. Le meunier avait pu posséder, jadis, un bon métier; assez riche pour rémunérer des hommes de peine pourvoyant à l'entretien des biefs et ouvrages hydrauliques.

Depuis les lois de 1790 et 91, la Révolution avait défini que l'eau n'appartenait plus à nul seigneur ni personne, mais qu'elle était d'usage commun. C'est donc le préfet qui fixait le niveau maximal de la retenue du moulin et la dimension des ouvrages régulateurs. La surélévation ne devait pas gêner le moulin supérieur, ni endommager les rives d'amont. Pour maintenir le niveau légal, chaque moulin avait un repère de pierre, de fer, ou de fonte qu'un déversoir interdisait automatiquement de dépasser. Le meunier avait obligation de curer et faucarder le canal d'amenée: son "bief" de dérivation.

Le problème du moulin de Montgrésin, c'est que la faible pente de la vallée n'aurait pas permis d'obtenir une chute d'eau efficace sans les travaux immenses des serfs qui en des temps reculés avaient recreusé le lit de la Thève sur le flanc nord du vallon. Ainsi la rivière semble-t-elle couler à flanc de coteau, comme une rivière naturellement surimposée, dominant les prairies profondes où le cours d'eau naturel, un filet d'eau modeste, un ruisselet, serpente en fond du thalweg.

Pas une affaire pour l'acheteur du moulin désaffecté qui ne rapportait plus un centime: il payait, avec la bâtisse croulante dont une cheminée menaçait la vie des occupants, son propre "mythe de Sisyphe". C'est qu'il achetait du même coup l'obligation d'entretenir berges et envasement d'un bief remontant sur deux kilomètres jusqu'au manoir de Pontarmé. Et lorsqu'après des mois d'effort il parvenait aux douves du châtelet, tout était à refaire en repartant du moulin.

Dans la cavée de Crèvecœur, l'homme solitaire songeait à Graben, à son air désespéré d'homme des cimes, jadis libre de courir ses montagnes de Suisse dans les forêts embaumées qu'il avait changées pour l'obligation de rouler, en haut de la pente d'un nouveau Tartare, un caillou qui chaque matin était retombé. L'homme solitaire se revoyait enfant, courant prés et bois, découvrant au matin Graben, rigide au pied d'une cépée de bouleaux, la bouteille de rhum vide à son côté, dans la main le pistolet... Et dans la tempe, cet horrible trou sanglant qui figeait d'épouvante le garçonnet. Ce jour-là, il avait su que la vie d'un homme peut devenir si triste et désespérante qu'il choisisse de se suicider. Toute sa vie, le destin de Graben l'avait rempli d'une répulsion intense et glacée.

Mais aujourd'hui, son tour était venu.

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L'allégresse triomphante de l'hallali…
Vogüé, "Morts", 1899, p.105
L'assaut fut mené par deux corps d'armée. Les fantassins se mirent en embuscade à partir des quatre-quatre sur la lisière du Fer à Cheval. On avait contruit suffisamment de miradors pour voir arriver de loin. Quant aux voltigeurs, ils contournaient, avec leurs quads très mobiles qu'ils n'abandonnaient qu'au dernier moment, le bois Goujon et la réserve de chasse, se divisant en deux groupes de rabatteurs, l'un par l'orient, l'autre au ponant.

L'émulation était grande pour qu'au débucher, on soit le premier à tirer le daguet. Booseweld l'achèverait au couteau de chasse et prélèverait les amourettes qu'en exclusivité Soubrette cuisinerait à l'heureux tireur; lequel l'embrasserait pour la remercier, jouissant du regard furibard du Dix-Cors, tout bouffi de n'en pouvoir mais... Car dans cette dionysiaque, place au vainqueur!

L'homme solitaire, resté tapi dans le haut de la cavée, comprenait aux glapissement des chiens courants qu'ils avaient pénétré le refuge de chasse et que déjà, un gibier était lancé. Aux abois turbulents des limiers il sentit que la proie aurait du mal à se forlonger et que tant pourrait-elle ruser qu'elle serait très tôt acculée au front des miradors et des tireurs postés. Les années précédentes, il avait, ce jour-là, occupé le bois-refuge, dissuadant les batteurs et procurant une chance au brocard; mais cette fois-ci, il était lessivé. Jour après jour, instant par instant, eux, goutte d'eau chinoise, lui, pierre dure, ils l'avaient cavé...

Il vida la fiasque, gravit la dernière pente et s'affala au pied d'un vieux poirier. Il se revit encore, conduisant un bambin tendre et frêle comme un papillon de mai, et qui voulait chercher à la sablière les dents de requin qu'il appelait naïvement "des clous": c'était fini! Pour toujours! A jamais il ne reverrait son enfant: il était mort... Il sortit le 7,65 de sa poche, l'arma, décliqua la sûreté, et pointa sur sa tempe. Un coup de feu formidable ébranla l'air glacé.

Alors tout devint noir…


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Épilogue.

" Dans les sociétés primitives, la chasse a un caractère invariablement rituel. (...) Pour comprendre l'impulsion qui a pu lancer les hommes à la poursuite des animaux les plus volumineux et les plus redoutables, pour que se crée le type d'organisation que les chasses préhistoriques nécessitaient, il faut et il suffit d'admettre que la chasse, elle aussi, est d'abord une activité sacrificielle. Le gibier est perçu comme un remplaçant de la victime originaire, monstrueuse et sacrée. C'est à la poursuite d'une victime réconciliatrice que les hommes se lancent dans la chasse. Le caractère rituel de la chasse rend aussitôt concevable une activité aux techniques complexes et qui réclament la coordination de nombreux individus. De nos jours encore, la nature religieuse de la chasse, la distribution rituelle des rôles, le caractère sacrificiel de la victime suggèrent cette origine."

 Renée Girard: "Des choses cachées depuis la fondation du monde", p.81.



Chevreuil qui court

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© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 2:   ( Sauter les notes de section 2 )
1-1.-↑ Au Moyen-Âge et jusqu'à une époque récente, la fête chrétienne des Cendres qui a lieu le mercredi, lendemain du Mardi Gras, était marquée par un rituel collectif censé devoir effacer les excès scandaleux du carnaval, à la veille d'un carême éprouvant et purificateur de quarante jours. Les Cendres évoquent l'épisode biblique où Adam, ayant cueilli le fruit de l'arbre défendu - l'arbre de la connaissance - fut maudit par Dieu qui le condamna à mourir et finir en "poussière". Ainsi le prêtre catholique fait-il au front des pénitents, ce jour-là, une onction de cendres. Lors de festivités publiques, au jour des Cendres, des participants vêtus de chemises et bonnets de nuit, alignés par centaines à la queue leu leu, soufflaient cendre ou farine sous la chemise du précédent. Parfois l'un d'eux sortait de la file pour donner un coup de soufflet sous les jupons d'une fille ou dans le giron d'une badaude. En rythme, ensemble, en chantant.

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La Cavée


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Ô ville qui écrase mes paysages tant aimés…
Diatribe d'Élisée contre la ville qui tue !
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.


Ô mes bois, mes haies, mes champs bien ratissés;
Ô mes blés qui ondulent au vent;
Ô mon vent dominant porteur d'embruns oxygénés tout droit de l'océan;
Ô le parfum du chèvrefeuille enlaçant coudrier;
Ô le ruisseau où je rafraîchis mes pieds;
Ô les chemins où j'ai marché;
Ô mes chemins qu'on m'a volés;
Ô mes chemins qu'on enchie de bê-êton;

Ô mes chemins qu'on enfèque de lotissements informes;
Ô mes chemins de Liberté;
Ô ma JoLiberté violée

Ô vile ville de l'homme improvisée;
Ô vile ville hasardeuse faite des opportunités des spéculateurs fonciers;
Ô vile ville construite de bric, de débris, de brique et de broc de l'ingénieuse pauvreté;
Ô vile ville construite dans l'urgence des pères pressés de jeter un toit de paille sur leurs nouveaux-nés;
Ô vile ville de l'égoïsme, de l'individualisme et de la méchanceté;
Ô vile ville de l'hétéroclicité

Ô cité informe et bruyante;
Ô cité puante;
Cité tuante;
Ô criminogène
Cité cancérigène, cité oncogène;

Je te hais!…


Ainsi déclamait Élisée, planté tout droit sur un caillou de grès de la colline des Brûlis du Hautmoncel. Il y dominait La Villeneuve qu'il invectivait... C'était un village du Moyen-Âge encore, au début du vingtième siècle. Construit en croix, à l'intersection des deux voies naturelles des hommes, la route Nord-Sud et sa transversale Est-Ouest; au cœur de la croix était l'église. Un adorable clocher roman octogonal aux belles voussures arrondies, rassurantes, aux cloches bien tintantes et appelantes… Entre les bras de la croix ne s'étendait que la verdure des bois et prés.

Désormais, tous les prés venus du Moyen-Âge,
Toutes les friches, les herbages...
Toutes les haies, tous les boqueteaux, toutes les remises à gibier...
Tout avait disparu, écrasé sous les lotissements hasardeux,
Au petit bonheur des paysans qui font leur beurre,
Au grand hasard des spéculateurs qui font leur lard...

«Leur lard sans l'art» grommelait Élisée. Et il restait là, figé de colère, planté sur le plus gros rognon d'un chaos de grès, sorte de Victor Hugo ridicule et impuissant, juché vainement sur sa falaise et maudissant une légion de "Poléon-le-Petit" qui s'étaient engraissés outre nécessité sur un héritage patrimonial en une génération dilapidé.

Jean-Loup l'avait suivi dans sa "promenade de santé" comme le chemineau l'avait invité, qui portait sac au dos pour sa bouteille de Beaujolais, son casse-croûte et la carte au vingt-cinq millième de l'Institut Géographique National. « J'y trouve toujours de nouveaux ch'mins » disait Élisée. Et maintenant, médusé par cette éloquence, le pédago restait interdit par la fureur et le lyrisme des invectives.

Alors Jean-Loup se prit au jeu. Il tenta d'imaginer ce qu'avait été La Villeneuve des débuts du siècle, qu'il n'avait pas connue -  au contraire du poète des Brûlis  - et dont il n'avait pu évaluer les bouleversements faute de recul. Il imagina les fortunes facilement réalisées par les affairistes sur le dos des pères de famille contraints de loger leurs poupons. Alors il partagea la colère du chemineau. Lequel cependant, bien calé au bas de son caillou, déjà se lézardant, comme consolé d'un rayon de soleil, sortait du sac la bouteille déjà très entamée...


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
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Korda

Alberto Díaz Gutiérrez, ou Alberto Korda (14 septembre 1928 - 25 mai 2001)

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Pour l'Honneur du Rouge…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Jean-Loup guettait le retour d’Elisée. La pause de midi était achevée. Les véhicules oranges qui avaient amenés à la soupe les “Cons-des-Chaussées” - comme disait l’anarchiste - étaient retournés gagner la prime au kilomètre de béton.


L’instit savait ce que le cycliste allait faire en ville: prendre livraison d’un cubitainer de Beaujolais biologique qu’il ne pouvait se faire livrer, faute d’avoir un domicile digne de ce nom. L’équipée serait longue et au retour ça devrait chauffer.

Les arrêts seraient fréquents si bien que le Chevalier du Tastevin allait devoir repasser devant le troquet à l’heure du retour des chantiers. Ça promettait, vu la chaleur ambiante, quelque nouvelle algarade. L’instit était retourné à ses affaires et n’y pensait plus depuis longtemps quand il entendit une clameur montant du trottoir de l’estaminet.

Élisée achevait de grimper la côte du village, suant, soufflant, défiguré, la trogne bourguignonne et le nez fleuri; mais, encore qu’exténué, ayant dissimulé le précieux colis sous un veston roulé, rassemblant toute sa morgue, il se redressait sur les pédales comme un coq sur son fumier, offrant son camail à l’admiration de la basse-cour. Et ce qui provoquait l’hilarité de la canaille, c’est que ledit plastron exhibait, sur fond de ti-shirt rouge comme la Révolution, une superbe effigie du Che.

Ayant dû traverser le marché de La Villeneuve pour gagner la station du chemin de fer, Elisée avait craqué pour la célèbre photo de Korda (3-1↓ )  et s’était fendu d’un billet pour agrémenter sa garde-robe printanière.

Les quolibets fusaient dru, la fine équipe ayant trimé tout l’après-midi au grand soleil s’en donnait à coeur joie:
- Eh, v’là un pédé stalinien !
- Vise le look du coco troglodyte !
Et en veux-tu, en voilà...

Il était difficile de devenir plus écarlate que n’était le vélocipédiste mais la moutarde lui montait au blase et ça frisait l’apoplexie. Ils s’ingéniaient à l’humilier mais lui, courageux et patient, faisait face et rassemblait son éloquence aux fins d’éduquer ce sous-prolétariat hilare.

Diatribe d’Elisée contre les Cocus de la Terre qui voulaient
railler les Cocos.


«Tas de cons ! »
Déjà cette prémisse, vigoureuse et indiscutable, ramenait un peu de calme dans les rangs.
« Tas d’blaireaux ! »

Une petite pause pour consolider leur concentration. Et ce que d’autres n’auraient pu leur dire, le privilège d’avoir chicané jadis dans la même cour de récré le rendait supportable.

« Vous avez cessé d’être des prolétaires caricaturaux pour devenir des caricatures de petits bourgeois !... Créatures de Télé-B... Enfant de choeur de Télé-Bêton, Télé-Bêtise !... Sous-produits de propagande hollywoodienne !... Marionnettes de CIA !... Perroquets perclus de psittacisme anti-stalinien  (3-2↓ ) !… Ramassis de perruches à l’acmé de la psittacose libérale  (3-3↓ ) !…»

Encore une petite pause pour laisser aux neurones assoupis par la montée d’aldéhyde le temps d’assimiler les métaphores (3-4↓ ) , catachrèses (3-5↓ )  et autres vérités de La Palice (3-6↓ ) . Jean-Loup qui observait par-dessus le mur du jardin se demandait si c’était pour reprendre son souffle; mais non. C’était un instinct du discours qu’il avait chipé d'Hitler, du Grand Charles ou de Démosthène: «Digère ça, connard ! Maintenant, v'là l'plat d'résistance !»...

« C’est aux cocos que vous devez vot’second salaire: la Sécu ! C’est à des milliers de communistes courageux qui se sont fait tabasser sur le pavé des manifestations face aux CRSSS que vous devez les congés payés ! Et les 48 heures! Et les 40 heures, et les 39 heures, et les 35 heures... Bref, vot’liberté. Mais maintenant que vous êtes devenus des sybarites (3-7↓ )  d’électroménager, dans vos maisons de maçons, et que vous êtes tenus en laisse par les traites à rembourser aux Grandes Compagnies, vous avez une crise d’amnésie ! Vous oubliez que si vous êtes là au lieu de biner les champs de kartoffels de la choucroute nazie au fond des marais d’Ukraine, c’est grâce au sacrifice de six millions de soldats de l’Armée Rouge; c’est grâce aux vingt-six millions de martyrs de l'opération "Barbarossa", depuis Léningrad jusqu'à Stalingrad ! Les cocos qui ont brisé les hitlériens ! Et qui les ont reconduits à la case-départ, la queue entre les jambes ! Jusqu’au terrier du Rat...»

« Tout ça pour qu’aujourd’hui vous soyez là, à vous piquer la ruche entre cons de votre acabit à la terrasse d’un boui-boui (3-8↓ ) . Alors, pour vous exonérer de votre obligation de reconnaissance envers les cocos, vous vous gargarisez entre intégristes des versets des journaleux achetés, des comptines des journaleux vendus aux médias capitalistes. Haro sur Staline ! Haro sur les cocos ! Ça dispense de dire merci !»

Imitant le perroquet: « Staline: caca! Staline: caca! Staline: caca! »

« Mais rappelez-vous. Ce que les cocos vous ont gagné à vous les gogos, les crocos pourraient bien vous le reprendre ! Ils sont à l’affût, les crocos, la gueule grande ouverte ! Déjà six millions de pauvres ! Autant de gogos retournés dare-dare au prolétariat ! Deux siècles pour en sortir ! Deux ans pour y retourner ! L’ouvrier “un-usage”, l’esclave “jetable”, c’est vous. Quand les cocos n'seront plus là !»

L’assistance était-elle lassée par une journée passée à s’appuyer laborieusement sur la pelle ? Les prolos apostrophés étaient mornes. Se sentaient-ils offensés parce qu’après tout, ils avaient la dignité de sacrifier une partie de leur force de travail à la société; et ça méritait considération? Ruminaient-ils collectivement le meurtre ? C’est Tartuflette - dont les copains racontaient, dans son dos, comment il dénonçait les Juifs à la veille de la Libération, qui avait entrepris de scander: “ Communistes, assassins !” Et la fine équipe reprenait en choeur... Même, dans son coin, le Gros Pisse-Goudron, le cantonnier du village, sortant de son habituel cantonnement à la faveur des premiers effluves (3-9↓ )  de l’alcool, lançait à la cantonade: “ Assassins, assassins !”, oubliant qu’il avait inscrit son nom sur la liste de soutien au Parti lors des dernières cantonales...

Homo homini lupus !

Raide sur sa selle comme un piquet, le regard furibard perdu sur un Coubre immense en train de sombrer, barbudo comme jamais, Elisée Fleurie battait en retraite. ..

Et pourtant, qu'il était beau, le Che, sur fond de Révolution !


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
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Notes section 3:   ( Sauter les notes de section 3 )
3-1.-↑ Alberto Korda (Wikipédia): Alberto Díaz Gutiérrez, plus connu sous le nom d' Alberto Korda (14 septembre 1928 - 25 mai 2001) était un photographe cubain, célèbre pour son cliché mondialement connu de Che Guevara. C'est à Paris qu'il est décédé récemment. Voulez le mieux connaître? Lisez ça; ça vaut la peine: pas un sou pour la photo la plus vendue dans le monde; et quand il touche un dédommagement, c'est à la Sécu Sociale cubaine qu'il le donne... Chapeau Alberto !
Alberto Korda (Wikipédia)
3-2.-↑ psittacisme: subst. masc.: Fait de répéter quelque chose comme un perroquet en raisonnant sans comprendre le sens des mots que l'on utilise; en partic., récitation mécanique de mots, de phrases, de notions dont le sens n'a pas été compris ou a été mal assimilé.psittacisme: subst. masc.: Fait de répéter quelque chose comme un perroquet en raisonnant sans comprendre le sens des mots que l'on utilise; en partic., récitation mécanique de mots, de phrases, de notions dont le sens n'a pas été compris ou a été mal assimilé.
Votre Dictionnaire de Français: "Lexilogos"
- Autre: "Pièges et Difficultés de la Langue Française"; Jean Girodet; Bordas
3-3.-↑ acmé: nm: période où une maladie atteint son paroxysme.x
3-4.-↑ métaphore : allégorie, analogie, catachrèse, comparaison, expression, figure, image, symbole, trope. La métaphore est le transport à une chose d'un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à l'espèce, ou de l'espèce au genre, ou de l'espèce à l'espèce ou d'après le rapport d'analogie. Seule la métaphore d'après le rapport d'analogie correspond à ce que l'on entend usuellement par métaphore.
3-5.-↑ catachrèse: Rhét. Procédé qui étend l'emploi d'un terme au-delà de ce que permet son sens strict. À cheval sur un mur: la catachrèse est une métaphore dont l'usage est si courant qu'elle n'est plus sentie comme telle; ex. : les pieds d'une table, les ailes d'un moulin.
3-6.-↑ La Palice mais lapalissade. « L’histoire de Jacques II de Chabannes La Palice est connue internationalement grâce aux fameuses vérités. Mort durant le siège de Pavie en 1524, les troupes de Jacques II de Chabannes rendent hommage à leur Seigneur et Maréchal de France, en chantant quelques vers : "La Palice est mort… S’il n’était pas mort, il ferait encore envie " : mais le "f " a été déformé au cours du temps en "s" et la phrase devint "il serait encore en vie"… La première lapalissade était née. » Dans le site: La Palice
3-7.-↑ Sybarites: Par allusion à la réputation des habitants de Sybaris et, en partic., p. réf. à certains aspects de leur façon de vivre] Personne qui aime le luxe, le raffinement en matière de plaisir, qui recherche le confort dans la vie comme dans la pensée ou qui y est habitué. Sybaris est une ville de la Grande Grèce renommée pour la mollesse de ses mœurs. Synonymes: délicat, sensuel, jouisseur, voluptueux ; antonyme: ascète. Exemple: « Je compris ce qui chagrinait le marquis dans son bonheur, et je découvris quel était le pli de rose dont soupirait ce sybarite sur sa couche de volupté » (Gautier, Fracasse, 1863, p. 195). « Brotteaux, en son grenier, lui servit du pain, du fromage et du vin, qu'il avait mis à rafraîchir dans sa gouttière, car il était sybarite » (A. France, Dieux ont soif, 1912, p. 159).
Votre dico qui pèse rien dans l'sac: CNRS/ATILF: Définition de sybarite par le dico CNRS/ATIL (le meilleur !)Un dico merveilleux
3-8.-↑ boui-boui: v.d. nm pop. théâtre ou café-concert de second ordre (Quillet). Plur: des bouis-bouis (diff/118)
3-9.-↑ effluves (nom masculin; v.diff: l’emploi au fem. est une erreur fréquente).

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Élisée en Che



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Le Petit Papier.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Maintenant, elle était là, devant lui, toute menue, fragile... Elle était brune, châtaine, au cheveux longs qui tombaient par mèches gracieuses devant son visage; et derrière ce rideau de soie, elle risquait de temps en temps un regard curieux, contrit peut-être. Ou bien était-ce soudain un regard de charmeuse qu'elle tentait, ne sachant si le dragon allait cracher du feu ou se montrer clément.

Jean-Loup n'était pas enclin à tonner de colère contre les petites filles. Là-bas, il avait supporté d'apporter la caution de sa présence à d'abominables tortionnaires, là où son devoir envers la République l'avait appelé. Certes il avait tenu tête et refusé de participer mais il en gardait l'horreur de la violence et l'idée de terroriser ici des fillettes lui répugnait. Mais tout de même, on ne pouvait pas les laisser faire n'importe quoi !

Toc ! Elle lui décocha un regard bleu presque provocateur. Tac ! Il fronça les sourcils et la jeune fille baissa la tête. Heureusement ! Il aurait craqué, jetant la soutane aux orties pour ne la voir pas pleurer…

Tout à l'heure, pendant l'interro écrite, passant dans les rangs, il avait vu, aux pieds de Nathalia un petit carré de papier blanc d'écolier. C'était un de ces minuscules chiffons dix fois repliés, chroniquement prisés des cancres. Sans doute un message mal acheminé qui avait atterri vingt centimètres trop court. Ou un ciselage d'artiste glissant d'une manche d'écolière. Pour exploiter l'occase de faire rire la classe, (ce qui n'avait pas manqué), se baissant promptement, il avait ramassé l'objet et, affectant une courtoisie très "vieille France", l'avait reposé sur le pupitre de la demoiselle, disant d'une voix forte: « Mademoiselle Nathalie, vous perdez vos antisèches ! »

Mais ce n'était là qu'une ruse de rieur; il avait marché dans la travée jusqu'au fond de la classe et, au retour, n'ayant pas quitté l'antisèche des yeux une seconde, il l'avait confisquée avant qu'elle ne disparaisse.

Au moment de la sortie, ayant l'intention d'extraire de sa poche l'objet du délit, il avait dit à Nathalie de passer lui en lire le contenu au bureau, tout en gardant la porte ouverte. Histoire de clore l'affaire d'un ronchonnement professionnel. Déjà dépliant le petit chiffon de papier, il s'apprêtait d'y trouver une liste de mots tels qu'« argiles sparnaciennes, lagune tertiaire, lignite, nappe du Soissonnais, affleurement, nappe phréatique »…

Surprise ! Ou déception ? Ce qu'il y trouvait, malgré qu'il fût blasé déjà, saturé qu'il était d'émissions "people" traitant, sur la tonalité du grand monôme sorbonnard de mai 68, de la sexualité débridée des nouveaux pré-adolescents… ce "petit papier" le laissait décontenancé:

«Baise m’encore, rebaise-moi et baise»

Elle avait une écriture bien formée, comme une adulte. C'était miniaturisé à l'extrême et malgré qu'il fût myope il dut forcer du cristallin pour déchiffrer. La jeune fille refusa de lire à haute voix; il n'osa pas la contraindre, songeant à la tête de la femme de ménage qui surgit au milieu de la lecture, suivie des commérages du syndicat des agents de surface réunis en grande pompe de midi lors de la prochaine cantine...

Enfin, connaissant l'histoire passée de Nathalia, pris d'indulgence devant l'apparente contrition de la jeune fille qui piquait du nez en risquant, toutes les deux secondes, un implorant éclair bleu entre ses mèches brunes, il la congédia doucement.

Il conserva le petit papier...


Le petit papier


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Histoire de Nathalia.

Elle avait quatre ans, presque cinq; mais elle gardait le souvenir vivant d'un jour terrible... L'Algérie… Le 20 août 1955. Philippeville. Là-haut, El Halia, la mine de fer… Midi. Papa était sorti de la galerie et s'était attablé dans l'instant (4-1↓ ) 

Des hurlements terrifiants: « Nous voulons les hommes !»… Des cris de femmes, d'enfants. Maman avait bondi sur la porte et poussé le père dans la buanderie. Mais la porte éclatait sous des coups de hache et une foule d'Algériens en djellabah, d'autres en jean, et quelques uns en treillis qui les excitaient en arabe se pressaient dans la pièce. Elle se souvenait d'avoir vu Farouk (4-2↓ ) , le taxi qui souvent les ramenaient de la ville, armé d'un fusil de chasse. Tout de suite, criant comme un fou, il l'avait pointé sur la grand mère tenant sur sa poitrine le bébé: il avait tiré... elle gisait dans le sang, serrant le bébé déchiqueté. Tante José s'était tournée vers le mur abritant son bébé dans ses bras; Nathalia avait vu le chauffeur tirer à bout portant dans son dos. Sa grande sœur, frappée d'hystérie, s'était jetée sur l'arme: le coup était parti et la troupe en sortant piétinait son corps déchiré.

C'est alors qu'était entré Mohamed Dhallouk, le garde-champêtre berbère qui était un ami de la famille. Sa femme, Djawida, confectionnait pour la fillette qu'ils aimaient tous deux, ayant été invités au baptême chrétien, des gâteaux au miel dont la petite gardait le souvenir. Il avait saisi Nathalia dans les bras, avait refermé sur elle sa djellabah. Il avait contourné les petites maisons de mineurs par les jardins, grimpé jusqu'au pylône du téléphérique, puis avait escaladé la trémie de chargement. Ayant enjambé la paroi, il s'était laissé choir avec son précieux fardeau sur le minerai de fer affleurant presque à la gueule de l'entonnoir. De là, il était resté, guettant la scène et retenant la fillette pour qu'elle ne se montre pas. Ils avaient tout vu.

Dans une apocalypse de hurlements, de rafales, de coups de feu et de youyous mauresques, une foule en furie avait mis à sac tous les logements d'ouvriers, sortant les habitants et les massacrant systématiquement avec une frénésie délirante impitoyable et des raffinements de cruauté. Le contremaître avait été découpé vivant à la tronçonneuse; sa femme enceinte éventrée, le bébé sorti du ventre tout fumant. Les enfants n'étaient pas épargnés. On avait vu des fellaghas déchaînés, probablement dopés, qui, sous l'empire de la drogue, éclataient des bébés en les fracassant contre le mur... A la porte de la cantine, un ouvrier qui tentait de fuir était tué à coup de fourchette. Un homme était déshabillé, puis tué à coups de poignard; ses organes géntiaux découpés étaient enfoncés dans sa gorge pour finir de l'étouffer...

Du haut de sa trémie, Mohamed tremblait de peur d'être découvert protégeant sa poupée. Un avion survola le petit village minier. Il vira de bord plusieurs fois et l'on comprit qu'il avait observé l'existence du pire... A cinq heures du soir, l'armée montait de Philippeville et recherchait activement les criminels et les survivants. Des familles entières avaient été décimées. Le grand père de la fillette était sourd. Blessé, il avait fui au fond d'une galerie désaffectée; mais n'entendant pas l'arrivée des secours militaires, il avait agonisé lentement, n'étant retrouvé mort qu'au bout de deux semaines de recherche.

De ce petit village minier où travaillaient dur autant d'Algériens musulmans que d'Européens chrétiens et des Juifs, tous vivant en paisible harmonie, il n'était resté qu'un amoncellement de trente deux cadavres et des ruines  (4-3↓ ) ; car telle était l'une des règles de la guerre révolutionnaire connue du chef de wilaya, Zighout Youssef: créer, entre les communautés un fossé de haine impossible à combler pendant des années, pendant des siècles…

Nathalia avait perdu sa famille. Après un séjour à l'hôpital, elle fut confiée à de lointains cousins qui, ayant eux-mêmes essuyé les massacres d'Oran du 5 juillet 1962, n'eurent plus qu'à quitter leur pays natal emportant la fillette et quelques hardes. « La valise ou le cercueil !»

C'est par leur intermédiaire que fut connue l'histoire de Nathalia; inscrite dans sa fiche scolaire; elle ne comporta pas de date de naissance, le livret de famille ayant disparu par l'incendie de la mine et l'anéantissement de sa famille.

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La leçon de poésie du troglodyte.


De retour à la maison, Jean-Loup trouva Élisée occupé à creuser un profond puisard destiné à recueillir les eaux de pluie. L'anarchiste, pressé par le besoin d'argent, avait accepté ce travail parce qu'il pouvait le faire avec des outils "conviviaux": la pelle et la pioche; parce qu'il était au contact de la géologie ancestrale et parce que le but en était écologique. Il n'acceptait pas de se compromettre dans des entreprises technocratiques...

Jean-Loup lui raconta le "petit papier" et, ayant cité maladroitement ce que de mémoire il en avait retenu ( "Baise moi, me rebaise et me rebaise encor"...), Élisée parut vivement intéressé; et comme l'Instit ajoutait qu'il était un peu choqué qu'une si jeune fille communique avec ses copains en termes très cru, il éclata de rire d'un air entendu. Ceci intrigua Jean-Loup qui ne put en tirer d'autres commentaires qu'un vague: "On verra ça demain..." C'était l'heure de l'apéro, car après l'effort... Déjà le prof tirait le bouchon d'un petit beaujolais...

Élisée vivait curieusement en troglodyte dans l'excavation souterraine d'une carrière de calcaire lutétien, cette belle roche d'un blanc crème qui a servi à construire tant de beaux monuments parisiens du XIXème siècle. Le style haussmannien ayant été malencontreusement abandonné pour l'imposture de cacas de béton dressant leurs bites gigantesques, orgueil démesuré, par-dessus la tête raisonnable des Anciens, toutes ces carrières prospères encore peu d'années auparavant, s'étaient mises au ralenti. Un propriétaire qui tirait de celle de Tréfontaines les pierres nécessaires aux réparations de son manoir de Normandie avait donc autorisé l'anarchiste à emménager dans des salles jadis consacrées à l'entrepôt des outils et au séjour d'ouvriers temporaires.

Élisée avait exploré le dédale des couloirs autant qu'il avait pu, constatant, à son grand étonnement, que le séjour n'était pas humide. Les carriers des siècles passés, obligés de séjourner avec leurs chevaux pour extraire et acheminer les pierres ne pouvaient se permettre de manquer d'oxygène. Aussi creusaient-il, à intervalles réguliers, des puits d'aération débouchant à l'air libre, parfois au milieu des cultures, souvent dans un bois où leur présence n'était pas sans danger. Ainsi s'établissait un courant propice à l'oxygénation et à l'évacuation de l'excédent d'hygroscopie. De plus, les galeries abandonnées s'étaient parfois effondrées, offrant à la vue du randonneur de surface des fontis, sortes de petits gouffres de Padirac aux parois verticales très dangereuses. Cependant, ces trous amélioraient encore la ventilation des salles hypogées.

Ceci avait encouragé l'anar à créer dans cet antre un vaste bazar de bouquiniste où l'on pouvait s'approvisionner en ouvrages de tous genres, assez judicieusement classés par le maître des lieux. Les gamins de Tréfontaines l'avait surnommé "Ali-Baba" et la clientèle, plutôt intellectuelle, venait prendre ses conseils d'assez loin. C'est que, privé par l'injustice d'une société qui pour n'être pas égalitariste n'en était pas moins uniformisante, d'après certains "à l'excès" et sans pitié pour les déviants, privé d'un travail socialisé, il s'était créé sa propre entreprise, pour quelques fifrelins, fouillant les poubelles et les brocantes.

Mais là ne s'arrêtait pas son industrie. Intellectuel rejeté par ses pairs, il avait conservé de ses humanités le goût de la vraie culture, celle qui vous embarque de Platon à Dumas, du manuel de chimie de première au guide de la cathédrale de Noyon... sans vous laisser une seule nuit de vacuité ni d'ennui. A la chandelle ou à la lampe à pétrole, écolo par déréliction, encore qu'il existât une ligne électrique ayant autrefois actionné des machines, sans relâche, il lisait.

Ainsi, le lendemain soir, l'instit de retour de la classe fut-il accueilli par le sourire débordant d'Élisée qui lui tendait un vieux livre: "Poésie Française Ancienne". Il avait laissé un onglet sous lequel l'enseignant fit une charmante découverte: un sonnet, écrit par une femme de la Renaissance, au XVIème siècle, au temps des Ronsard et autres Du Bellay... C'étaient les 662 vers des œuvres saphiques de Louise Labé par quoi le prof allait, grâce à l'intellectuel bohème, se déniaiser et comprendre à quelle source Nathalia s'était désaltérée…
Le Petit Billet
«Baise m’encore, rebaise-moi et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.

Las, te plains-tu ? Là, ce mal je l’apaise,
T’en donnant dix et d’aussi doucereux.
Ainsi mêlant nos baisers si heureux
Jouissons-nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun s’en suivra.
Chacun en soi et son amant vivra.
Permets m’Amour, me faire une folie :

Toujours suis mal, vivant sur moi lovée,
Et ne me puis contentement donner,
Si hors de moi ne fais quelque sortie»

Louise Labé surnommée la Belle Cordelière
poétesse française, née à Lyon; 1524/1566


Élisée en Prof


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Notes section 4:   ( Sauter les notes de section 4 )
4-1.-↑Avertissement important. Sur le massacre d'El Halia du 20 août 1955.
L'évènement relaté a existé; mais le récit est romancé; donc, attention de ne pas le prendre "au premier degré". Les faits ont tous existé mais pas forcément à El Halia. Mon but était seulement d'évoquer en dix lignes l'horreur par quoi un million de Français et leurs enfants ont dû quitter leur terre natale au milieu d'un bain de sang. Ce que nos philosophes, à l'occasion du démantèlement de la Yougoslavie construite, en 14/18, sur nos morts, avaient nommé une "épuration ethnique"… en Bosnie ou au Kosovo.
Tentative de rappel historique:
Davantage que la "Toussaint rouge", nom donné aux attentats ayant eu lieu le 1er novembre 1954, au cours desquels seuls deux Français, un couple d'Instituteurs, les Monnerot, furent agressés dans les gorges de Tighanimine dans les Aurès, Guy tué, Jacqueline blessée, c'est le massacre d'El Halia du 20 août 1955 qui a donné le signal de la Guerre d'Algérie. La sauvagerie inouïe de la tuerie de civils désarmés ne défendant pas un objectif militaire allait donner lieu, de part et d'autre, à une spirale d'explosion de la violence la plus sadique.
Notez encore bien ceci: encore que je fasse allusion à un évènement historique, je n'ai pas agi en historien mais en fabuliste. A vous de vérifier que la tronçonneuse aurait été utilisée à El Halia, ainsi que la césarienne bâclée... La littérature et l'Internet offrent des milliers de sites à qui veut s'instruire des horreurs immondes (bilatérales) de cette guerre.
J'étais appelé à Paris, en novembre 1955, pour accomplir mon service militaire au service de la République. J'ai été incorporé dans le Constantinois, à Sétif, haut-lieu des évènements de 1945, sur la base d'Aïn Arnat. Encore qu'admiratif pour l'Aspirant Maillot, ce jeune homme qui, a vingt ans, avait sacrifié sa vie pour montrer au monde son indignation de voir la France des Lumières déshonorée par des soldats de métier, souvent aveuglés par des passions politiques (notamment par l'anticommunisme), je n'aurais en aucun cas suivi son exemple. Outre le fait qu'il y a laissé sa peau, abattu sans jugement, comme un chien, au cours d'un bouclage, je considérais que le million de Français pour qui l'Algérie était "leur" pays natal, et qui étaient venus, en 1944, délivrer la métropole, méritaient notre loyauté.
Je n'ai jamais été, pendant vingt-sept mois de service militaire, témoin oculaire d'une scène de torture, sauf une fois, et encore... comme je le dis plus loin. Par contre, j'ai été plusieurs fois bouleversé par des hurlements de douleur et des cris de pitié... Il est arrivé que, grâce à un sergent du contingent, qui, connaissant ma réprobation, m'avait signalé un début de torture, - étant par hasard, ce jour-là, commandant d'arme - j'aie pu tancer d'importance un jeune brigadier d'une autre arme et arrêter son bras. Je témoigne que, d'une part, j'ai rencontré pendant ce service militaire, des soldats français de métier dignes et qui s'opposaient à la torture; et que dans ma section, en ma présence, jamais un canonnier ne s'est hasardé à faire un geste brutal sur un fellah, ni même sur l'un de ces chiens agressifs des mechtas.
Il reste que, suite à une campagne de l'ALN de 1955 visant à dissuader par la terreur les Algériens de rester solidaires ou simplement proches du million d'Européens d'Algérie, les actes d'agression du type d'El Halia s'étaient multipliés; et que des soldats de métiers qui avaient parfois un passé courageux, ont cru qu'ils servaient la France en adoptant la violence de l'ennemi alors qu'ils jetaient le discrédit sur les appelés des contingents qui, répondant à l'appel de la nation, servaient sans autre zèle que de remplir leur devoir envers la République.
La suite aura été l'abominable spirale de la violence qui, de la bataille d'Alger avec sa Villa Sesini aux massacres des Français d'Oran aura permis à quelques centaines de militants engagés d'expérimenter sur le terrain l'efficacité de la théorie révolutionnaire des "minorités agissantes".
Un autre enseignement terrible aura été de vérifier la facilité avec laquelle cette minorité agissante peut mobiliser des frustrations enfouies et supportées pour déchaîner des foules paisibles et les transformer en hordes furieuses capables des cruautés les plus abominables et qui feraient rougir de honte les plus cruels des animaux prédateurs, s'il avaient, "eux aussi", une conscience.
Ceux qui sont curieux de témoignages et veulent connaître un échantillon des cruautés qui ont été commises de part et d'autre, creusant un fossé de haine entre nos deux peuples, lequel fossé ne sera pas comblé de sitôt, peuvent lire et consulter l'Internet. Ils constateront, au sujet de Philippeville notamment, l'existence (attendue) d'une différence d'appréciation entre les sites du FLN et de l'honorable avocate française qui défendit les assassins d'El Halia et ceux des Français chassés de leur pays d'origine dans une hécatombe d'épuration ethnique, aux cris de: « La valise ou le cercueil !»
Pour de plus amples connaissances: Taper "El Halia" dans Google ou autre (au moins 50.000 occurences)
Témoignage (sans commentaires) de Marie-Jeanne P., une rescapée:
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Témoignage de Marie-Jeanne P.
Autre source:
Témoignage pied-noir sur El Halia
Sur le massacre des Français d'Oran du 5 juillet 1962:
Massacre d'Oran, 5 juillet 1962

4-2.-↑ Farouk : Qui distingue le bien du mal
4-3.-↑ Les chiffres variant, bien sûr, selon les sources. Lire par exemple: Yves Courrière: « Histoire de la guerre d'Algérie » (éd. Taillandier) ou: Yves Courrière, « La guerre d'Algérie Le temps des Léopards », Fayard. Chez lui: 71 morts, 15 blessés à El Halia.

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Diatribe d'Élisée contre les prolos amnésiques.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Cultivant son jardin, Jean-Loup entendait monter du trottoir du troquet voisin un beuglement, des rires, des cris qui faisaient une grande clameur. Hasardant une tête par-dessus le mur,  il vit un Élisée claironnant, trompetant face à la terrasse déjà garnie. C'est qu'ayant arboré de nouveau le tee-shirt (5-1↓ )  au Che et se ramenant en majesté sur son guidon à la Harley-Davidson, il faisait crouler de rire la table de Pousse-Cailloux et de Pisse-Goudron: « Hardi les gars! V'là la Pédale Communiste qui court en tête! »

Élisée bramait: « Tas d'amnésiques! Et mieux qu'ça! Amnésiques en attente d'être alzheimerdeux!... » L'assistance se concentrait car il y avait toujours quelque chose d'utile aux discours du clopinard.
« Vous allez rabâchant le chiffre horrible de la Shoah des Juifs, les “Six-Millions-et-Demi”, mais vous êtes tout à coup frappés d'aphasie quand il faudrait prononcer le chiffre de l'holocauste des Communistes! »
— C'est quoi? Tentait Pisse-Goudron.
— Multiplie par deux la Shoah (5-2↓ ) , intello de droite! (l'interpelé prétendait être communiste...) Ça fait combien?
— Treize millions! Tu vas pas nous dire...
— Multiplie encore par deux, ça fait combien?
— Vingt-six millions! Mais tu vas pas nous raconter...
— Le chiffre des pertes américaines sur tous les théâtres d'opérations confondus à été de trois-cent mille hommes. C'est grand, trois cent mille hommes morts pour nous libérer. Merci les Ricains et honneur à vos morts. Eh bien, rajoutez le double des pertes américaines aux vingt six millions que vous venez de calculer et vous connaîtrez le chiffre odieux du martyre des Communistes russes face à Hitler. »

« Les “Vingt-Six-Millions-et-Demi”, vous les toisez à l'arrobe du kopeck (5-3↓ ) . Votre amnésie en dit long sur la considération “démocratique occidentale, catholique, apostolique et romaine” que vous avez pour la vie des Soviétiques morts pour sauver votre liberté... pendant que vous détaliez devant les Panzers boches! Et que certains d'entre vous construisaient des fortunes en cultivant, au marché noir, les choux et la saucisse des occupants teutons! Et que les pires, en douce, dénonçaient l'épicier concurrent juif à la Gestapo ! Mais si l'immolation inouïe des cocos russes par les nazis n'avait pas été portée aussi stoïquement par les moujiks, qu'est-ce que vous seriez aujourd'hui? Où seriez-vous? Des KG dans les marais d'Ukraine! (5-4↓ )  Des STO dans les stalags de Sibérie à piocher les kartofels des choucroutards nazis! Eins, zwei, eins, zwei, eins, zwei... »  (5-5↓ ) 

« Les moujiks! En 14 ils avaient jeté leurs fusils et désertés quand il fallait mourir pour le tsar. En 41, les voilà devenus des kamikazes, des demi-dieux, quand il s'agit de défendre la mère patrie du communisme. Les “Six-Millions-et-Demi” chez les Soviétiques? C'est le chiffre des seuls jeunes gens de l'Armée Rouge morts au combat! Et quand leur tempête providentielle avait fini de déterrer le Rat de son bunker, c'était les femmes rouges qui rebâtissaient les orphelinats des millions de poupons russes qui avaient perdu leurs parents. Vite, avant l'hiver!

Et tiens! Vive Staline au passage! S'il y avait eu seulement deux dirigeants à la tête de l'URSS en 41, comme Trotski, le fondateur de l'Armée Rouge, et Staline, l'un tirant à hue, l'autre à dia, on était là-bas dans la même merde qu'à Paris un an plus tôt. Et Léningrad ni Stalingrad ne seraient venues changer le cours de l'Histoire! »

Remontant sur sa bécane en catastrophe, Élisée cherchait désormais son salut dans une retraite de Russie digne du Poléon sous une pluie de quolibets anti-staliniens des prolos avinés telle qu'on n'aurait jamais pu l'imaginer le 8 mai 45...

Derrière son mur, Jean-Loup avait savouré l'algarade. Cependant, il n'appréciait qu'à demi l'éloge du Petit Père des peuples... Et il sentit monter en lui l'improbation oyant qu'Élisée, dans sa fuite, trouvait le souffle de chanter à tue-tête, sur l'air du « Jésus, reviens! » de “La Vie est un Long Fleuve Tranquille”:
« Staline, Staline, Sta-aline reviens!
« Staline reviens parmi les tiens!
« Quand tu reviendras, j'te lèch'rai l'bas des reins,
« Iossif Djougatchvili reviens!

    Amusé quand même que réprobateur, Jean-Loup se dit qu'après tout, le premier geste des républiques romaines partant en guerre était de se donner un dictateur... Et lorsqu'un César s'en revenait en généralissime vainqueur, elles le faisaient imperator.

Vieille manie humaine... incurable: le besoin d'un père protecteur.
Le besoin d'un Dieu...


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 5:   ( Sauter les notes de section 5 )
5-1.-↑ t-shirt ou tee-shirt (pl. T-shirts, tee-shirts)
5-2.-↑  Définitions de shoah sur le Web: "Le terme Shoah désigne l'extermination par l'Allemagne nazie et ses complices européens des deux tiers de la population juive européenne pendant la Seconde Guerre mondiale, entre 5 et 6 millions d'êtres humains selon les estimations des historiens. La Shoah est un génocide, terme initialement formé en 1944 par le juriste Raphaël Lemkin afin de désigner l'extermination des Juifs d'Europe."
Wikipedia: la Shoah
- Autre site: Terme signifiant catastrophe en hébreu. Le mot shoah est utilisé par les juifs eux-mêmes pour décrire le massacre dont ils furent l'objet sous le régime nazi.
France5.fr
5-3.-↑ à l'arrobe du kopeck: mot arabe ar roub = le quart; le quart du quintal (soit 25kg)
5-4.-↑ KG: marqué sur le vêtement; prisonnier: gefangen (adj); gefangene/r (nmf); krieg(e): nm la guerre: d'où KG: Prisonnier de Guerre
5-5.-↑ STO: Service du Travail Obligatoire; une sorte de "relève" pour remplacer un prisonnier de guerre de juin 40 (souvent malade, parfois fou) par deux jeunes gens en bonne santé destinés à travailler dans les usines allemandes d'armement. De Wikipedia: "Le gauleiter Fritz Sauckel, surnommé le "négrier de l'Europe", fut chargé le 21 mars 1942 d'amener la main-d'œuvre de toute l'Europe par tous les moyens. Il s'intéressa particulièrement à la France. Il trouva à la tête du régime de Vichy des fonctionnaires prêts à lui donner satisfaction en mobilisant la législation française et les forces de l'ordre au profit du recrutement forcé, en particulier Pierre Laval. Un total de 600 000 à 650 000 travailleurs français sont acheminés vers l'Allemagne entre juin 1942 et juillet 1944. La France fut le troisième fournisseur de main-d'œuvre forcée du Reich après l'URSS et la Pologne... (...) entre 25 000 et 35 000 STO ont (...) perdu la vie en Allemagne"...
Service du travail obligatoire - Wikipédia

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La Cour d'Amour
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Donc elle était là de nouveau, devant son bureau. Elle lui parut encore plus menue, fragilissime... Légère et vulnérable, sa chevelure noire tombant sur son visage laissait passer son regard bleu comme une supplique fugace, ténue, éphémère. Connaissant son passé, il eût aimé d'être son père pour la protéger, bon géant constant, infrangible, éternel. Mais on était là pour affaire. Il l'avait prié de rester à la fin du cours suivant, porte ouverte et les copines l'attendant au couloir...

Tartuflette et la bite pédagogique.
Tartuflette entra véhémentement au bistrot, l'air sourcilleux, tenant à la main un cahier d'écolière. Le Diascorn héla sa femme, occupée à empiler quelques conserves sur un rayonnage de la minuscule épicerie attenante: « Soubrette, ton client de six heures! »

Dans la salle étaient, paisibles, quelques soiffards habituels et, pour une fois, La Carotte, l'idiot de village de La Broue. Le village au tas d'ordures... C'était un oisif rural qui allait sur ses vingt-cinq ans.
— « Regardez ! Le grand con ! Le "pédago" ! Regardez ce qu'il fait dessiner sur son cahier d'écolière à ma p'tiote Bénédicte qu'à onze ans, qu'à fait sa première communion au mois de juin et qui d'vait faire sa confirmation aux Pâques prochaines... » Il passait rapidement aux tables et finissait sous le nez de Soubrette qui, un peu suffoquée mais pas offusquée d'en voir autant conclut savamment: « Ben! ah! ben... C'est une bite ou j'm'y connais pas ! Dis donc, il est plutôt bien membré l'minet d'ta Bénédicte ! »

Ça ne calmait pas Tartuflette qui s'étranglait: « Le grand con ! Tout y est... »
— C'est qui l'grand con, s'inquiétait la Carotte qui, le soir, dans le car du ramassage scolaire, aimait bien s'asseoir à côté de la Bénédicte...
— C'est l'Pédago; r'gardez, tout y est: l'ureterre, les urettes, les vésicules sperminales, les testicules, les cornes d'Eustache, tout, tout, tout... Et faut qu'la Bénédicte qu'a onze ans elle sache tout ça par cœur !...
— C'est quoi "un pédago" s'enquit encore La Carotte: ç't'une sorte de pédé?
Lui, au moins, avait réussi à tirer un éclat de rire au porteur d'anathème et comme Soubrette arrivait livrant une belge bien "strong" et sans collet, le visage se détendit; il s'assit, prenant au passage grand soin de ne pas tacher le cahier de sa fillette...

Le Dix-Cors qui craignait de voir débouler Jean-loup qui était client de l'épicerie pendant la philippique du père outragé lui dit: « Tournée du patron, pour te consoler ! » L'effet fut lénifiant, rassérénant, autant qu'immédiat.

Baptisé "le Pédago" par la fine équipe du Dix-Cors et pour la plus grande équivoque de "La Carotte", Jean-Loup s'était trouvé pas mal balloté, depuis son retour d'Algérie, par l'Éducation Nationale.

Un Monsieur qui légiférait par "ordonnances" comme au temps des rois, lesquels ordonnaient "car tel est mon bon plaisir", avait décidé le 6 janvier 1959 que l'école serait obligatoire à seize ans au lieu de quatorze. Les syndicats d'enseignants étaient d'accord car il existait, depuis la Libération, un ambitieux projet Langevin-Wallon qui projetait de prolonger les études jusqu'à dix-huit ans... Mais il est bien beau d'ordonnancer: encore fallait-il, mon Général, que suivît l'Intendance; et les Riz-pain-sel de la rue de Varenne, quoique budgetivores avérés n'exultaient pas de joie à l'idée de créer des collèges et des chaires de professeurs à foison... Ils se livrèrent alors à un utile ramonage parmi le corps des instituteurs, opération qu'ils baptisèrent élégamment: "On-râcle-les-fonds-de-tiroirs".

Ce qui signifiait qu'incapables de faire de la génération spontanée de profs agrégés, on allait chercher, parmi les Instits, ces fameux Hussards noirs de la République (6-H↓ ) , les plus capables d'affronter les cancres pustuleux en pleine crise pubertaire, pour s'en taper la corvée moyennant une formation expéditive... La loi n'était devenue effective qu'en 1967 mais il fallait en plus, dès lors, loger tant d'adolescents mâles dans leur collège, autant chez les filles. Digne émule de Berthoin (ministre du Grand Charles), Mr Haby donna alors sur un usage bégueule et poussiéreux son coup de baguette magique: le collège serait unique et mixte: ainsi avait-on divisé par deux les frais de logement... et de gardiennage !

C'est ainsi que des adolescents habitués à travailler, après le certificat d'étude, dès quatorze ans, chez un patron mal embouché qui leur bourrait les fesses à coups de bottes, leur vidant efficacement la cervelle de la fameuse liste des "départements", se trouvèrent désormais confrontés à un gynécée indulgent et ramollo de mères de familles intellectuelles accessoirement assistées de quelques mâles de termites ayant perdu leur dard, écrasés sous l'ample abdomen féministe de leurs femelles dominantes. Finie l'initiation paternelle rude et longue des garçons... Fini le service militaire et l'adjudant de quartier... Désormais, dans une atmosphère laxiste partagée entre le distributeur de préservatifs gratuits du préau et la salle enfumée du bistrot du coin, les bandes de copains ne viendraient plus au collège que pour nouer des idylles — comme dans la série télévisée du cinq heures — et pour négocier des pétards…

Pour une société qui risquait de se retrouver bientôt, à la tête d'une pléthore de fillettes enceintes, un progrès était toutefois enregistré: l'éducation sexuelle — que d'aucunes, soucieuses de ne pas prendre un parti moralisateur dans les choix amoureux des bambins, préféraient dire: "information" sexuelle… Un acquit social important était donc gagné par les poupons: on n'était plus obligé de se planquer sous le plumard avec le Petit Larousse pour savoir comment on était foutu — et la p'tite sœur — car: « Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le zizi…  ».

Mais il allait falloir faire avec la loi et avec les parents restés — entre deux épisodes d"Emmanuelle" sur la Une aux heures de grande écoute — dans une pruderie, concernant les mômes, digne de la pudibonderie victorienne et des curés cathos de l'État pétainiste… Quant à la loi, c'était celle de 1920 (6-1↓ )  réprimant "le crime de provocation à l’avortement et le délit de propagande des procédés malthusiens et anticonceptionnels"; si bien que l'enseignant qui, en vertu des nouveaux programmes scolaires, osait, dans son cours: "révéler les procédés propres à prévenir la grossesse" se trouvait ipso facto passible d'une sanction "d’un à six mois de prison et d’une amende de 100 à 5000 F"… encore même qu'était installé, à la sortie de la cantine, le distributeur gratuit de capotes anglaises… Dont Madame la Censeure était une cliente assidue, ainsi que les petits garçons de sixième qui n'en usaient que de faire des ballonnets en les branchant au bec Bunsen…

Las ! Où était-il le bon vieux temps où l'instituteur de Carpentras, le Poète des Hannetons, avait imaginé de faire ses leçons d'histoire naturelle dans la garrigue? (6-2↓ )  Où était-elle passée, cette bonne vieille époque où Jean-Henri Fabre, devenu professeur en Avignon, se faisait virer de l'enseignement pour ses méthodes d'enseignement qui déclenchaient l'animosité des cléricaux ? Pensez-donc, ma chère, il enseignait aux jeunes filles que les carpelles étaient les éléments du pistil, "organe femelle" de la fleur... (Là encore on pouvait supporter !)... Mais quand il machinait les étamines: "organe mâle" de cette fleur: ô rage! ô scandale ! il avait prononcé devant nos petites catéchumènes: «organe mâle» ! (6-3↓ ) 

Justinien, reviens ! Reviens mettre un peu de logique dans ce pays de fous ! Heureusement, alors qu'il était si angoissant de dessiner une bite au tableau noir devant les jeunes filles de troisième — ce que les parents étaient prêts d'accepter d'une prof de sciences femelle: "la mère de substitution", mais pas d'un mâle, même d'un mâle de termite... — heureusement, Pierre Perret arrivait et, dans un grand éclat de rire, démystifiait l'organe et dégonflait le sujet scandaleux à une dimension raisonnable...

Le chœur des pochards reprit l'antienne, se repassant la ritournelle de table en table, et certains tentaient la fugue et le canon (forme musicale appréciée des soiffards)…
Miracle de la poésie ?
Tartuflette sortait souriant du bouiboui.

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La quête du Jardin Courtois.

Nathalia confuse
Maintenant elle était là, altérable, destructible, transitoire. L'image idéale de la fille qu'il avait espérée avoir sans pouvoir en être père. Elle se tenait droite et respectueuse, brin de jasmin algérien définitivement éclaboussé de sang et d'horreur. Il pensa que la nature humaine était admirablement plastique pour qu'elle fût là précaire mais équilibrée, avec sa gracieuse écriture droite d'adulte déjà formée.
— Ah ! Le billet !
Il le tira de sa poche, le déchiffonna et lui mit sous le nez:
« Comment se fait-il, Nathalia, qu'une jeune fille sérieuse comme vous, utilisiez mes cours pour régler vos problèmes sentimentaux ?
— Ce n'était pas un mot d'amour, monsieur; c'était une citation...
— Oui, je sais, de La Belle Cordelière, Louise Labé, s'empressa-t-il de surenchérir pour montrer sa science; mais tout de même, je m'attendais aux argiles sparnaciennes et au cordon littoral de poudingue de Coye... pas à ça… »

Il était définitivement agacé par ces élèves qui ont toujours quelque chose de mieux à dire ou à faire que ce que le prof est en train d'enseigner. Mais il lui parlait doucement, comme à une convalescente, respectueux qu'il se sentait de son horrible passé; et puis, si elle eût été sa fille, il l'aurait tant aimée... Elle avait baissé la tête; ses longs cheveux bruns tombaient sur son visage et entre deux mèches, elle risquait un regard bleu.

Alors elle se sentit en confiance; elle commença à lui déballer une histoire étrange qui lui semblait si déphasée des frasques post-soixante-huitardes qu'il écoutait bouche bée.

Tout commençait par un cours d'histoire sur une "neige d'antan" que son destin incroyable avait faite successivement reine de France puis d'Angleterre; bref, une prof un peu féministe leur avait fait un cours sur la vie d'Aliénor d'Aquitaine, s'inspirant du merveilleux roman de Régine Pernoud pour leur inspirer l'amour de l'Histoire (6-4↓ ) . Elle s'était longuement étendue sur le rôle qui était imparti aux femmes du Moyen-Âge, aux XIIème/XIIIème siècles d'adoucir les mœurs de la chevalerie, lesquelles dames parvenaient subtilement, au travers de jeux d'esprit, de distractions sentimentales, à "courber sous leur gracieux arbitrage, les fronts les plus sauvages, les plus orgueilleux, les plus puissants" (6-5↓ ) . Ainsi avaient-elles inventé, se protégeant elles-mêmes de l'émoussement de leur pouvoir que l'absence de leurs époux, Croisés infatigables, rendait critique, les Cours d'Amours. Ces juridictions dont les lois touchaient au rêve, à l'utopie et à la poésie se réunissaient sous la présidence d'une châtelaine et les arrêts qu'elles prononçaient permettaient aux dames de gérer les convoitises territoriales des voisins et celles, trop sensuelles, des soupirants.

Elles étaient une dizaine de jeunes filles et quelques garçons à s'être tant intéressés aux faits et gestes des troubadours, trouvères et trobairitz (6-6↓ )  qu'ils avaient demandé au prof de Français de leur donner un enseignement sur les poètes anciens. C'était rendu possible par les "10% pédagogiques", dispositif qui permettait aux enseignants de sortir un peu du cadre des programmes pour aborder des sujets sensibles aux élèves. Ainsi avaient-ils désiré connaître les arrêts par quoi la cour d'amour d'Aliénor d'Aquitaine avait codifié l'Amour courtois; et comment Arnaut-Guilhem de Marsan, troubadour d'Aliénor, avait écrit son guide qui expliquait l'art de se comporter en bon chevalier.

Le prof qui était un agrégé passionné de littérature s'était plié à cet appétit de science avec dévouement et leur avait expliqué la fin'amor, la poésie et le roman courtois.
Il avait même commenté quelques genres en faveur au Moyen-Âge: la chanson, l'aube, la sérénade, la pastourelle, la ballade... Il s'était étendu sur le Jardin Courtois ou "Locus voluptatis" selon Saint-Jérôme, le jeu-parti et la tenson, cette forme étonnante de dialogue contradictoire disputé en strophes poétiques alternées par des compétiteurs qui luttaient ainsi dans la galanterie subtile.

Le petit groupe se réunissait désormais dans la cour du collège, sous un érable champêtre bien ombreux, sur une pelouse défendue sans trop de ronchonnements par un agent de surface résigné. Ils s'y livraient alors à un jeu-parti qui consistait à échanger des petits papiers contenant chacun un vers extrait d'un poème ancien. Les filles, qui avaient pris noms des neuf muses, fournissaient les énigmes. Les garçons qu'elles avaient réussi à capturer pour servir à ce jeu étaient des troubadours et devaient indiquer l'auteur dans une liste et réciter le vers de mémoire. La récompense consistait en un baiser respectueux du trouvère sur le bout des doigts de sa Dame.

Jean-Loup faillit s'écrouler de rire en apprenant qu'un groupe de jeunes filles du XXème siècle tenait un "Locus voluptatis" a mi-chemin des latrines et du distributeur de préservatifs de la cantine. Mais il était trop respectueux de sa petite élève pour s'y laisser aller et lui demanda seulement, avant de la congédier, quelle muse lui avait donné son nom. Elle répondit que c'était Erato et comme il dit: « Pourquoi Erato ? », elle indiqua en rosissant à peine et d'un air un peu supérieur que c'était la muse de la poésie amoureuse.

On ne parla plus du petit papier.


Petit Papier Déchiré

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Le Club de Poésie…
Àla fin du cours suivant,  c'était un groupe de filles et de quelques garçons qui assaillaient son bureau. Nathalia était en verve et l'on sentait que les copains avaient bien ri de la façon dont la meneuse avait embobiné le prof de sciences.

Ils expliquèrent qu'ils avaient décidé de créer un club de poésie dans le cadre du foyer du collège mais qu'ils cherchaient un prof qui, réglementairement, devait en être le président responsable. Comme Jean-Loup les renvoyaient prestement vers leur fameux prof de Français, l'agrégé, ils objectèrent qu'ils y avaient pensé par priorité mais que, malgré sa compétence, il avait objecté d'occupations multiples et de l'éloignement pour se défiler. Un club du foyer, c'était une bonne occase pour un prof de gaspiller ses loisirs et d'être reponsabilisé par les incartades des collégiens. Un collègue avait risqué sa peau-d'âne de PEGC (6-7↓ )  pour avoir présidé le club du journal du Lycée qu'en vertu du principe fondamental des soixante-huitards: "Il est interdit d'interdire" l'assemblée du collège avait décrété "libre de toute censure"; le canard fut rempli de telles fredaines qu'il scandalisa tout le canton. L'inspecteur d'académie s'était bougé en personne pour y mettre bon ordre, brandissant le gros bâton du déplacement et de la suspension d'office.

Lifar
Jean-Loup protestait du temps passé à cette tâche et des responsabilités écrasantes, évoquant l'affaire de la gazette; mais Nathalia argüait (**↓ )  de la sagesse de leurs intentions et de la future rédaction d'un règlement très astreignant inspiré du guide de chevalerie d'Arnaut-Guilhem de Marsan. Le prof qui revenait de son service militaire à la guerre d'Algérie et qui avait expérimenté concrètement la déontologie de la chevalerie mécanisée n'était guère rassuré par cette assertion.
Nathalia dit: « Nous sommes les neuf Muses et ce que nous voudrions c'est un responsable qui serait notre Apollon Musagète, l'Apollon qui instruit les Muses de leur art ! »
Jean-Loup ne put s'empêcher de pouffer de rire. Il avait certes gardé un vague souvenir de l'enseignement de musicologie reçu à l'Ecole Normale d'Instituteurs: le ballet d'Igor Stravinski (6-8↓ )  dans l'entre-deux guerres, la chorégraphie de Balanchine, etc... Mais sa connaissance du Musagète venait du Petit Larousse qu'il fréquentait quotidiennement et sur lequel il tombait parfois sur l'image ridicule d'un Serge Lifar (6-9↓ )  interprétant l'Apollon ou l'Icare en petit tutu vaporeux troussé sur des cuisses gracieusement musclées…
Il leur ouvrit le dico à la page 1514 et leur présenta l'image: « En somme, Nathalia, vous voudriez que je me déguise en Musagète pour vous emmener, par les prés, par les bois, chercher le Jardin courtois où tenir votre Cour d'amour ? » . L'affaire faillit tourner court dans un fou rire général, surtout des garçons qui en rajoutaient sur le thème: « Comme vous seriez mignonne, M'sieu !»

Mais comme Nathalia ne se décourageait pas et revenait à l'assaut, on finit par se convaincre d'un essai: il serait bien "Président Musagète", elles les Muses, eux les Troubadours. On poursuivrait, dans un club de poésie, l'étude de cet art dans l'esprit de la Fin'Amor du XIIème siècle mais surtout, sous l'étouffoir d'un règlement qui empêcherait toute extravagance, tout libertinage, toute inconduite. Les sorties devraient être autorisées à chaque fois par un billet des parents et une autorisation réglementaire du Proviseur ou du Directeur-adjoint.

À ce stade des négociations, Jean-Loup se remémora l'Instituteur de Carpentras, «Virgile des insectes», «le Poète des Hannetons»... Le grand Jean-Henri Fabre qui, instit comme lui à dix-neuf ans, avait choisi de donner ses leçons d'histoire naturelle en pleine garrigue. Il songea d'un éclair au bénéfice que ses ouailles pourrait tirer d'étudier les sciences naturelles au contact des curiosités du Val Grisette. Il fut très excité à l'idée de former par ce spectacle de vrais défenseurs de l'environnement. La quête du Jardin courtois allait être celle des beautés naturelles locales ayant subsisté malgré le déferlement des lotissements sur La Villeneuve…

Il déclara donc qu'il acceptait de démarcher le responsable du foyer pour créer un club de poésie. Nathalia avait choisi de l'intituler "Club du Jardin Courtois" et Jean-Loup se félicitait in peto qu'on ait échappé au "Locus voluptatis" de Saint-Jérôme. Mais il mit la condition qu'à côté du but de poésie figurât celui d'écologie locale; ce qui fut voté sur le champ (6-10↓ ) .

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 6:   ( Sauter les notes de section 6 )
6-H.-↑ C'est à Charles Péguy (1873-1914) que revient la paternité de l'expression « hussards noirs » à l'usage des enseignants dans "L'Argent" en 1913 lorsqu'il parle de ses souvenirs d'écolier en culotte courte à l'école primaire annexe de l'Ecole normale de garçons d'Orléans qu'il fréquenta de 1879 à 1885. Ecole annexe où venaient enseigner, en uniformes noirs, les Élèves-maîtres en formation professionnelle qu'il décrit en ces termes : « Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sveltes, sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. » Puis, décrivant leur uniforme noir à pantalon, gilet, longue redingote et casquette plate noirs, il précise que « cet uniforme civil était une sorte d'uniforme encore plus sévère, encore plus militaire, était un uniforme civique. » Pour lui, ces jeunes élèves-maîtres, âgés en fait de 17 à 20 ans, « étaient  vraiment les enfants de la République, [...] ces nourrissons de la République, [...] ces hussards noirs de la sévérité... » Extrait du bel article de Wikipedia
— Article de Wikipedia: les Hussards Noirs de la République
; autre site:
— Politicobs: Un hussard noir de la République, c'est quoi ?
6-1.-↑ Loi pro-nataliste de 1920: « Art. 3 — Sera puni d’un mois à six mois de prison et d’une amende de 100 F à 5 000 F quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura, par l’un des moyens spécifiés aux articles 1er et 2, décrit, ou divulgué, ou offert de révéler les procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore facilité l’usage de ces procédés. (...) Les mêmes peines seront applicables à quiconque, par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité. »
6-2.-↑ Sur Jean-Henri Fabre:
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Intéressante biographie 
Sa vie, son œuvre sur e-fabre.com
Bibliographie
Sa vie, son œuvre sur Wikipedia
L'Orchis bouc
Quelques citations de JHF
6-3.-↑ Sur l'éviction de l'enseignement de Jean-Henri Fabre: Site Micropolis
Extrait: En route vers la consécration
Jalousé par son entourage, il est forcé de quitter les cours du soir sous prétexte d’avoir parlé de la fécondation des plantes à des jeunes filles. Egalement expulsé de son logement, il prend la décision de démissionner de l’enseignement et se retire à Orange avec sa famille.
L’abandon de ce poste lui laisse plus de temps libre, et lui permet de reprendre ses observations entomologiques et botaniques. Fabre continue à écrire et expédie régulièrement, lettre et manuscrits à Charles Delagrave qui devient son éditeur attitré. Grâce à la production des manuels scolaires il atteint une certaine aisance matérielle qui lui permet d’acquérir la propriété de l’ Harmas à Sérignan du Comtat.
Là, pendant plus de 35 ans, Fabre se consacre, à la passion qui l’anime depuis toujours, l’observation de la nature et surtout l’étude des insectes. Il retrace ses expériences dans les 10 volumes de ses souvenirs entomologiques. L’excellence de ses travaux le conduit, à la fin de sa vie, vers la reconnaissance et la célébrité.
Il meurt dans sa maison de l’Harmas entouré de sa famille, à l’âge de 92 ans, le 11 octobre 1915.


— Extrait du site référencé en 2, première ligne: Wapedia:
Duruy le charge de donner des cours du soir pour adultes qui, ouverts à tous les publics, vont connaître un franc succès. Ses leçons de botanique attirent un public attentif composé de jeunes villageoises qui lui apportent tant de fleurs que « son bureau disparaissait sous les richesses des serres voisines », d'agriculteurs curieux de science, mais aussi de personnalités fort cultivées, telles que l'éditeur Joseph Roumanille et le philosophe anglais John Stuart Mill (1806-1873), directeur de la Compagnie des Indes, qui devient l'un de ses plus fidèles amis.
Mais la loi Duruy (10 juillet 1867) pour la démocratisation de l'enseignement laïque, notamment l'accès des jeunes filles à l'instruction secondaire, déclenche une cabale des cléricaux et des conservateurs, obligeant le ministre à démissionner. Accusé d'avoir osé expliquer la fécondation des fleurs devant des jeunes filles jugées innocentes par certains moralisateurs, les cours du soir sont supprimés après deux années d'existence et Fabre est dénoncé comme subversif et dangereux. Incapable de gérer une telle atteinte à son honneur, il démissionne de son poste au lycée fin 1870. Malgré ses vingt-huit ans de service, il quitte l’enseignement sans obtenir de pension.
De plus, ses bailleuses, deux vieilles demoiselles bigotes, convaincues de son immoralité, le mettent en demeure de quitter la rue des Teinturiers. À leur demande, il reçoit la visite d'un huissier pour être expulsé dans le mois avec sa femme et ses enfants. C'est grâce à l'aide de Stuart Mill, qui lui avance la somme de trois mille francs, que Fabre et sa famille vont pouvoir s'installer, en novembre, à Orange. Bien que riche sur le plan scientifique, cette période n'a pas été favorable à Fabre d'un point de vue financier puisqu'il n'a bénéficié d'aucun avancement ni augmentation de salaire en dix-huit ans .
(Extrait de Wapedia: lien à la note 2).

6-4.-↑ Régine Pernoud: "Aliénor d'Aquitaine" (Prix Historia); Livre de Poche, ISBN 2-253-03129-1
6-5.-↑La vie au temps des cours d'amour
"La vie au temps des cours d'amour : croyances, usages et moeurs intimes des XIe, XIIe, XIIIe siècles; d'après les chronique gestes, jeux-partis et fabliaux" A. Claudin, Libraire-Éditeur; 3 et 5, rue Guénégaud; Paris; d'après A. M, Auteur des Libres Prêcheurs, Devanciers de Luther et de Rabelais et de la Vie au temps des Trouvères .
6-6.-↑ trobairitz: le Poète des Hannetons l'eût définie comme "la femelle du troubadour".
6-7.-↑ PEGC: Professeur d'Enseignement Général des Collèges: un nom bien ronflant imaginé pour flagorner les instits de l'opération "On-râcle-les-fonds-de-tiroirs" et leur faire enseigner des disciplines aussi excitantes que "sciences-lettres", "maths-histoire/géo" voire "Français-Plein air"... pour un salaire à peine amélioré et des horaires de 50% supérieurs à ceux de l'agrégé; certains s'entendant dire par le sous-directeur: « Vous êtes PEGC ? Vous êtes donc "taillable et corvéable à merci" ! » On était bien revenu aux temps des "ordonnances"...
6-8.-↑Le ballet d'Igor Stravinski
6-9.-↑Serge Lifar en Icare
6-10.-↑ Démarcher: n'existe pas ni l'expression; seulement dans l'ancien français où il signifiait: marcher ou fouler aux pieds. Présent dans le Hatzfeld-Darmesteter p.676 avec ce sens ancien. Utilisé chez les commerciaux. Ex: « Il va démarcher un client... »
**-↑ Pinayage sur le tréma. Sur la prononciation et l'écriture du verbe "arguer" ou "argüer" (mot juridique; il existe un homographe distinct chez les bijoutiers)
- Arguer dans l'ATILF-CNRTL-CNRS
Extrait de l'ATILF: "PRONONC. ET ORTH. - 1. Forme phon. :(...) j'arguë(...) Fouché, Prononc. 1959, p. 343 note que ,,le groupe gu suivi de voyelle se prononce (...) [g?] devant e, i, dans arguer, « accuser, conclure », argueux. (...) [gu] dans arguer « passer par les trous de l'argue, l'or et l'argent »`` (cf. aussi Nyrop Phonét. 1951, p. 167, § 219, Grammont Prononc. 1958, p. 86 et 198 et Kamm. 1964, p. 156). Tous les dict. mod. de prononc. transcrivent [gu] sauf Pt Rob. qui transcrit [argue]. 2. Homogr. : arguer (orfévr., dér. de argue; cf. supra 1). 3. Forme graph. - Ac. 1932 écrit le verbe sans tréma. Rob. fait la rem. suiv. "Selon Littré, Larousse et quelques grammairiens, il convient de mettre un tréma sur l'e muet et sur l'i qui suivent le radical : j'arguë, nous arguïons. À l'infinitif, on trouve argüer dans Larousse Universel (à côté de Argueur dans Larousse xxe siècle et autres dictionnaires). L'Académie (8e éd.) se contente de noter que l'u se prononce dans Argueur et l'usage des écrivains modernes est d'écrire arguer sans tréma quelle que soit la forme du verbe" (cf. aussi Lar. encyclop. et Lar. Lang. fr.). Pour Quillet 1965 : "Le e précédé de u prend le tréma" et pour Dub. : "l'e muet et l'i qui suivent le radical peuvent prendre un tréma". On lit ds Grév. 1964, § 629 bis : "Cette opinion [nécessité d'écrire le mot avec tréma] est fondée; cependant les auteurs se dispensent le plus souvent de mettre ce tréma (ou parfois le mettent sur l'u)" (cf. aussi Ortho-vert 1966). 4. Hist. : Ac. 1798-1878 indique la prononc. de l'u mais ne met pas de tréma sur le verbe. Dans tous les autres dict. indication de la prononc. de u et pour la rappeler, utilisation du tréma. Ex. Fér. 1768 : "Il est [le mot] de trois syllabes, l'u et l'e sont détachés; et c'est pourquoi on met deux points sur l'ë". Pour Besch. 1845 le tréma est aussi nécessaire sur ce verbe que sur aiguë afin d'éviter la confusion entre le terme d'accusation et le terme d'orfèvr. Pour le tréma, cf. enfin Lab. 1881, p. 61 et Mart. Comment prononce 1913, p. 241, pour qui l'orth. avec le tréma "épargnerait beaucoup d'erreurs [et] devrait être la seule correcte."
Nb: j'ai modifié l'écriture phonétique (pour les plus jeunes): voir la phonétique conventionnelle dans le dictionnaire CNRTL, lien ci-dessus;
N'étant qu'un modeste plumitif non épargné par la fôte d'ortografe, je ne trancherai pas; je dirai seulement qu'il y a des cas analogues en Français — langue déjà difficile sans ça — qui justifieraient d'une réforme limitée immédiate de l'orthographe (laquelle réforme ne risquerait guère de porter ombrage à nos auteurs classiques…). Par militantisme pour la cause d'une réforme modérée, je mettrai un tréma de préférence sur le u, la lettre qui se prononce distincte dans ce couple "ue". Quant à la polémique sur "elle argüait", je l'abandonne aux beaux esprits…
Pour le sens, je retiens dans CNRTL: "B.- Emploi trans. indir. [Dans une intention déterminée, qui, si elle est précisée, s'exprime par un compl. introd. par la prép. pour] Arguer de... Prendre prétexte de, tirer argument de, mettre en avant : 7. Il y retrouvait les mêmes détails sur l'attentat, avec cette différence que les uns indiquaient l'hypothèse d'un crime politique, tandis que d'autres arguaient de la solitude du lieu pour conclure à quelque agression d'un rôdeur, ... P. Bourget, Nos actes nous suivent, 1926, p. 127. (...) puis: 4. XIIIème s. « argumenter » (Gouvernement des rois, éd. S. P. Molenaer, 199, 39 ds T.-L. : La .II. science franche et liberaus si est logique qui enseigne la maniere d'argüer et de respondre)."

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Le "Dernier Hussard Noir…" et la frugalité.


Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Élisée Faucheur
Élisée posait volontiers à l'anarchiste. Il se réclamait de Pierre Joseph Proudhon (7-1↓ )  et déclarait à Jean-Loup: " Vous voyez vos draps qui sèchent au bout du jardin . Ils sont votre propriété, dites-vous. Eh bien, moi, j'estime que, si j'en ai besoin et si j'ai pas les moyens de me les payer, il serait juste que je les vole ". Effectivement, le linge parfois s'envolait si on l'oubliait, la nuit, sur le fil. " Le vent... " disait Elisée…

Il était moins inquiétant quand il s'était replongé dans Charles Fourier  (7-2↓ ) . Comme il aimait bien, dans la foulée de mai 68, jouer l'homme austère d'Ivan Illich:
— " L'homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l'emploi de l'outil convivial, je l'appelle austère. "  (7-3↓ ) —, tout devait se faire dans la frugalité et par l'outil convivial. Il n'avait d'ailleurs pas le choix ! Et puis, c'était une des idées charmantes et utiles qui avaient percé lors du Grand Monôme sorbonnique (7-4↓ ) … Ainsi passait-il des heures à battre la faux sur l'enclumot  (7-5↓ ) . Puis à faucher... Difficile ?

« Une fois qu'on a trouvé, c'est comme une danse, c'est silencieux...idéal !» (7-6↓ ) . Il affûtait aussi la bêche à la pierre à faux qu'il gardait au coudio (7-7↓ )  porté à la ceinture durant le labeur, dans une larmichette d'eau qui imbibait le grès naturel extrait d'Ariège où se trouvait l'ultime mine, à Saurat (7-8↓ ) . Il en commandait de temps en temps. Il n'allait certes pas jusqu'au rouet de Gandhi. Pour s'habiller, il se mussait honteusement derrière les containers de récupération pour y faire son tri. Il était inflexiblement hostile à l'auto, n'ayant d'ailleurs pas les moyens de s'en payer une... Il roulait sur la bicyclette verte, entièrement reconstruite dans les rebuts d'une décharge.

Cependant, fouriériste à ses heures, il rêvait de se faire véhiculer au phalanstère de Godin, à Guise, par Jean-Loup qui se montrait, en cette perspective, aimable. Comprenant qu'il y avait là comme un menu chantage (« J'te creuse ton puisard; tu m'véhicules dans ta tire... ») l'instit avait, à écorche-cul, accepté le marchandage.

Ce matin-là, Elisée Fleurie avait posé son vélo devant la "Maison de la Viti-Culture". Ainsi avait-il sacralisé le boui-boui du village où achevait de se dégrader dans de mauvais alcools la pénultième génération d'esclaves agricoles accourus tout le jour des hameaux voisins. La clientèle de l'établissement avait baptisé Jean-Loup " le Pédago " . Façon neutre d'interpeler le maître d'école. Jean-Loup enseignait désormais au collège de La Villeneuve. Aussi notre anarchiste, pour ennemi des contraintes scolaires qu'il s'affirmât, ne s'en sentait pas moins grandi d'avoir l'amitié d'un enseignant et clamait-il au comptoir: " J'vais chez mon ami l'Professeur !" . Mais Jean-Loup le reprenait: " Non ! Pas professeur: Instituteur !" Ce qui agaçait prodigieusement Elisée qui, grandi par son copinage, s'estimait alors redescendu d'un cran dans l'échelle sociale et frustré dans son amitié.

Mais Jean-Loup s'accrochait à ce titre qu'il jugeait le plus noble. Il expliquait: «  Les instituteurs sont pauvres. A ce titre, il est normal que la bourgeoisie les méprise. De plus, être pauvres ne leur interdit pas d'être intelligents, ce qui pour le bourgeois est, en soi, un scandale quand on est sorti du menu peuple. Cet esprit de discernement faisait des maîtres d'école de jadis les vecteurs désignés des idéologies socialistes. Et voilà qu'ils allaient enseigner, former, voire éduquer les enfants de cette bourgeoisie prétentieuse! Ils allaient semer au cœur des bambins sans défense le doute, et dans leur cervelles molles encore, la graine empoisonnée de l'égalitarisme ! On ne pouvait laisser faire ça ! Les Hussards noirs de la République, ces séditieux, ces communistes et pour résumer : "ces cocos juifs et francs-maçons toujours en grève", il fallait les annihiler et plutôt trois fois qu'une. C'est ce que fit le capitalisme de tous temps et surtout lorsqu'exultant et imaginant qu'il avait écrit la "fin de l'Histoire", il fêta, au son des crincrins, la chute du Mur...

D'abord, boycotter l'école des pauvres et couper les rejetons de l'idéologie égalisatrice et fraternelle. Fini le privilège donné aux poulbots  (7-9↓ )  de gagner à la récré les calots des gosses de riche . On ne mélange pas... On confie ça au privé. Revanche des prêtres réfractaires — désormais financés par le budget de la nation — sur la République !
Ensuite, débaptiser les instituteurs ; les chasser de ce titre qui fut celui de leur gloire ; les bannir de ce qu'ils furent: au lieu de les payer dignement, on leur balancera du " Professeur d'école "! Ça sera moins coûteux et ça dégagera des crédits pour les autoroutes et autres lignes budgétaires plus utiles.

Enfin, on leur arrachera des mains les consciences malléables des rejetons des classes privilégiées mais mieux ! celles aussi des classes pauvres... On confiera leur éducation à ce qui désormais pénètre les consciences humaines jusque dans les instants de répit intime et de garde abaissée: l'édredon du plumard, le cœur du foyer ! L'éducation universelle des enfants se fera par le "média-perceur de murs" plus efficace que les missiles à charge creuse ! Entre la série de soft-porno et de gentils movies d'une violence inouïe, introduction aux snuff-movies des aînés et à la gégène des vrais mecs, les chères têtes blondes, facilement modelées jusqu'ici par ces salopards d'instituteurs anarchistes, s'éduqueront toutes seules, par l'exemple, au culte de la réussite individualiste !»

Il était bien lancé mais Elisée lui coupait la parole:

« Les bambins s'éduqueront au " libéralisme " connu de tous pour ses bienfaits et notamment sa démocratie défenderesse des Droits de l'Homme. " Votez pour nous car nous sommes les libéraux et dans " libéraux " , il y a " liberté "! — Tu parles ! Liberté du renard à se goinfrer les volailles du poulailler ! Comme disait Gérard de Nerval en mars 1831, déplorant la face grimaçante du libéralisme orléaniste arrivé au pouvoir l'année précédente: "Liberté de Juillet ! femme au buste divin et dont le corps finit en queue de poisson" (7-11↓ ) 

Les bambins s'édifieront à la lumière des penseurs modernes qui s'autodésignent comme " journalistes " et que certains d'entre eux, documentés autant qu'irrespectueux, ont rebaptisés " chiens de garde du capitalisme "  (7-12↓ ) … Lesquels dresseront la jeunesse à se dévouer à de vrais modèles: les entrepreneurs capitalistes. Et non plus au respect de médiocres tels ces cuistres d'école ! Honneur enfin à ceux qui, de stock-options en parachute en or sont devenus les dominants du système planétaire pour avoir amené leur entreprise à la faillite ! Je vous laisse le soin de les énumérer… Ceux-là seuls qui possèdent toutes les richesses et tout le pouvoir de l'univers, ceux-là possèdent aussi les télévisions ! Voilà les vrais modèles ! De cet immense podium, dotés de mégaphones cosmiques, leurs propagandistes inculqueront 24 heures sur 24 la "Vraie Religion" ! Grâce à eux les hussards noirs de Péguy seront désormais cantonnés au rôle de fesse-culs, pendant les heures supplémentaires des " vieux " qui travailleront plus pour gagner moins. Les étalons de la réussite individuelle auront enfin remplacé, au tableau noir devenu lumineux, l'archétype de la médiocrité personnifiée: " l'instituteur " du décret Bouquier !» (7-10↓ ) 

Jean-Loup, un peu étourdi par l'envolée de l'anarchiste, était heureux de prendre, du bouquiniste, une leçon d'histoire. Il n'aurait pas souhaité d'aller si loin mais commençait à son tour d'entrevoir d'autres horizons. Il voyait, sur les bras de leur mère, des négrillons aux jambes grosses comme des allumettes, à tête de Buchenwald, tentant désespérément de têter des seins plats comme du papier à cigarette... Où allait cette humanité explosant démographiquement alors que les uns mouraient de faim tout en écoutant le discours condescendant des autres, les hommes les plus riches du monde qui leur promettaient l'american way of life et les deux bagnoles par foyer ? Est-ce qu'un jour, après avoir pullulé dans la boucle du Niger, les Locustes migratrices ne deviendraient pas la onzième plaie de la planète ?

Où seraient-ils alors, les " Hussards noirs " qui auraient enseigné à temps les voies salvatrices de l'égalitarisme et de la frugalité ?…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 7:   ( Sauter les notes de section 7 )
7-1.-↑ Proudhon ( Pierre Joseph ) ,  théoricien socialiste français,  né à Besançon
( 1809-1865 ) . Il publie en 1840: " Qu'est-ce que la propriété " où se manifeste un individualisme teinté d'anarchisme et où il montre que seule la disparition du profit capitaliste et le crédit gratuit mettront fin aux injustices sociales. Proudhon énonce des thèses ouvriéristes et fédéralistes ( la Philosophie de la misère, 1846 ) qui mettent un terme à l'estime que Marx lui portait. Représentant du peuple en 1848, il ne peut faire aboutir son projet de « banque du peuple » . Rendu au journalisme ( le Peuple, la Voix du peuple ) , mais ruiné par les procès, il se consacre, à partir de 1850, aux problèmes économiques et sociaux mais aussi aux questions religieuses, qu'il aborde en antithéiste, et aux problèmes politiques, se faisant le théoricien du fédéralisme. Le Petit Larousse p.1499
7-2.-↑ Fourier ( Charles ) , philosophe et économiste français, né à Besançon
( 1772-1837 ) . Le système de Fourier, ou fouriérisme, prévoit la formation de phalanstères, groupes humains harmonieusement composés en vue de procurer à chacun de leurs membres le bien-être par le travail attrayant et librement consenti. Cette utopie sociale fut principalement théorisée dans le Nouveau Monde industriel et sociétaire ( 1829 ) et, de 1832 à 1849, dans la revue la Réforme industrielle ou le Phalanstère, devenue la Phalange, organe de l'école sociétaire dont le principal représentant fut Victor Considérant. Le Petit Larousse p.1223
7-3.-↑ « L'homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l'emploi de l'outil convivial, je l'appelle austère. »
Ivan Illich, La Convivialité, Ed. du Seuil, 27, rue Jacob, Paris 17ème ; ISBN 2.02.004259.2
Un extrait du livre:
« Si nous voulons pouvoir dire quelque chose du monde futur, dessiner les contours théoriques d'une société à venir qui ne soit pas hyper-industrlelle, il nous faut reconnaître l'existence d'échelles et de limites naturelles. L'équilibre de la vie se déploie dans plusieurs dimensions ; fragile et complexe, il ne transgresse pas certaines bornes.
Il y a certains seuils à ne pas franchir. Il nous faut reconnaître que l'esclavage humain n'a pas été aboli par la machine, mais en a reçu figure nouvelle. Car, passé un certain seuil, l'outil, de serviteur, devient despote. Passé un certain seuil, la société devient une école, un hôpital, une prison. Alors commence le grand enfermement.
Il importe de repérer précisément où se trouve, pour chaque composante de l'équilibre global, ce seuil critique. Alors il sera possible d'articuler de façon nouvelle la triade millénaire de l'homme, de l'outil et de la société. J'appelle société conviviale une société où l'outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d'un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l'homme contrôle l'outil.
Je suis conscient d'introduire un mot nouveau dans l'usage courant du langage. Je fonde ma force sur le recours au précédent. Le père de ce vocable est Brillat-Savarin, dans sa "Physiologie du goût": Méditations sur la gastronomie transcendantale. A moi de préciser, toutefois, que, dans l'acception quelque peu nouvelle que je confère au qualificatif, c'est l'outil qui est convivial et non l'homme.
L'homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l'emploi de l'outil convivial, je l'appelle austère. Il connaît ce que l'espagnol nomme la convivencialidad, il vit dans ce que l'allemand décrit comme la Mitmenschlichkeit. Car l'austérité n'a pas vertu d'isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote comme pour Thomas d'Aquin, elle est ce qui fonde l'amitié. En traitant du jeu ordonné et créateur, Thomas définit l'austérité comme une vertu qui n'exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui dégradent la relation personnelle. L'austérité fait partie d'une vertu plus fragile qui la dépasse et qui l'englobe: c'est la joie, l'eutrapelia, l'amitié. (…)
p.45
L'outil est convivial dans la mesure où chacun peut l'utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu'il le désire, à des fins qu'il détermine lui-même. L'usage que chacun en fait n'empiète pas sur la liberté d'autrui d'en faire autant. Personne n'a besoin d'un diplôme pour avoir le droit de s'en servir; on peut le prendre ou non. Entre l'homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d'intentionnalité. Certaines institutions sont, structurellement, des outils conviviaux et ce, indépendamment de leur niveau technologique. (….)»

Ivan Illich, La Convivialité, Ed. du Seuil, 27, rue Jacob, Paris 17ème ; ISBN 2.02.004259.2
7-4.-↑ Petit Larousse p.864: Sorbonnard,e n. Fam. Étudiant, professeur en Sorbonne.
- Dictionnaire de Hatzfeld et Darmesteter, Delagrave, Paris p.2058: Sorbonique [ sor-bo-nik ') s. f.
[ Étym. Dérivé de Sorbonne, nom propre d'un collège de théologie fondé à Paris par Robert de Sorbon, §§ 36 et 229. XVIe s. Il n'est point tant... Ne d'argumens en une sorbonnique, M.de St-Gelais Snn. 7. Admis Acad.1740 ] . Anciennement: Thèse soutenue en Sorbonne ex: Je l'ai soutenue ( cette opinion ) dans ma s... B.Pascal Prov. 1.
7-5.- ↑ enclumette, enclumeau, enclumot, XIV/XVème s: enclumiaus ; technol. Petite enclume portative. Hatzfeld & Darmesteter, p.887 ( ibid )
7-6.-↑Nomade, ( 120607 )
Extrait: nomade; Membre régulier; Commune:centre bretagne; Posté 12 juin 2007 - 16:06: « (...) Pour faucher c'est juste un coup de main (et non pas un coup de rein !) à prendre. Pivoter autour de soi, sans utiliser de force, et caler sur la respiration...c'est très zen, la faux. J'utilise ce machin depuis que je suis ado, je faisais le pré de mon cheval avec, histoire de virer ses zones de refus et nettoyer tout ça. Une fois qu'on a trouvé, c'est comme une danse, c'est silencieux...idéal. Et je confirme on utilise tout de même la pierre, le plus régulièrement possible, en cours de fauchage...une faux qui ne coupe plus, c'est là qu'on s'esquinte le dos !  »
Quelques images sur la faux, vulgarisée au XIXème siècle
Faux, faucilles accessoires (chez Leroy-Merlin)
Site autrichien (ne parle pas Français) de faux et accessoires
7-7.-↑ Le coudio: le coffin ; couvier nm : étui de pierre à faux contenant de l’eau.
le coufin (provençal Montélimar): site de Michel Bendon (galerie de peinture)
Wikipedia: pierre à aiguiser, coffin
http://dictionnaire.sensagent.com/coffin%20/fr-fr/: Coffin signifiait un petit coffre, un petit panier ; il est resté dans les patois: Berry, coffin, corbeille ; norm. coffin, cornet ; picard, cofin, étui, coffret, panier ; provenç. cofin ; catal. cofi ; espagn. cofin.
7-8.-↑ Saurat:
La pierre à aiguiser de Saurat, l'or gris des Pyrénées
7-9.-↑ poulbot: de Francisque Poulbot leur dessinateur-créateur français ; enfant traînard de Montmartre.
7-10.-↑Le décret Bouquier de 1793
Le 19 décembre 1793, le décret Bouquier prend en charge l'éducation des petits citoyens, sur un ton... très révolutionnaire. L'enseignement est déclaré libre et public: « Les citoyens et citoyennes qui se vouent à l'instruction ou à l'enseignement de quelque art ou science que ce soit, seront désignés sous le nom d'instituteurs ou institutrices ». Ils doivent se présenter à la municipalité et fournir un certificat de bonnes moeurs… et de civisme.
D'ailleurs, à cette dernière obligation, plus nouvelle, il convient de ne pas déroger, car « tout instituteur ou institutrice qui enseignerait dans son école des préceptes ou maximes contraires aux lois et à la morale républicaine, sera dénoncé par la surveillance, et puni selon la gravité du délit » ! Plus constructive est cette nouveauté: la création d'un comité d'instruction, qui choisit des livres d'enseignement au niveau national et surtout salarie les instituteurs. Ils sont pour la toute première fois fonctionnaires d'État. Cependant leur solde n'est pas fixe, mais dépend du nombre d'élèves de l'école.
Enfin, l'école primaire est déclarée obligatoire ; les enfants doivent y être envoyés pour la première fois, au libre choix des parents, entre six et huit ans, et doivent y rester au moins trois années consécutives.
Le décret est bien voté mais reste difficile d'application: pas de livres, pas de maîtres, pas de locaux… Les évèments politiques de Thermidor vont ensuite se charger de le faire passer définitivement à la trappe.
" Les Ecoliers et leur Maître en France d'autrefois "; p.17, par Marie-Odile Mergnac, Caroline Brancq et Delphine Vilret ; Ed. Archives et Culture ; 26 bis rue Paul Barruel, Paris 75015; tél 0148285929; ISBN: 2-911665-88-0
7-11.-↑ En réalité, Gérard de Nerval dit, le 14 mars 1831: « Liberté de Juillet ! femme au buste divin et dont le corps finit en queue » Source:
- Article intéressant sur "Pierre Leroux et le socialisme associatif de 1830 à 1848"
7-12.-↑ Serge Halimi: « Les Nouveaux Chiens de Garde » Éditions Liber-Raison d'Agir; 52 rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris. Et Paul Nizan: "Les Chiens de Garde", cité par le précédent.

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Le Hêtre de Norma
Première escapade au "Jardin courtois"
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Depuis sept heures et demie, Jean-Loup faisait le pied de grue sous la halle.

Nathalia avait tenté de réunir, dès le premier mercredi, toutes ses muses conviées à l'inauguration du Club du Jardin Courtois et à une grande marche d'exploration des prés et bois du Val Grisette. Elle avait fixé le jeu-parti  (8-1↓ )  pour la journée: il s'agissait de parodier un poème galant d'un trouvère ou d'un moderne. Comme ça risquait de dépasser la compétence des quelques rares garçons prêts à sacrifier leur grasse matinée ou l'entraînement du foot, elle avait proposé, comme épreuve subsidiaire, la récitation à sa dame, par le trouvère d'au moins cinq vers d'un poème classique. Moyennant quoi, elle avait capturé dans ses rêts quelques marcheurs en quête d'évasion champêtre.

Mais en attendant, Jean-Loup faisait le poireau sous la Halle du XIIIème siècle depuis près d'une heure... Sûr ! On lui avait posé un lapin ! Il s'était fait avoir comme un bleu par une équipe de gamins qui devaient bien rigoler, derrière les volets... Au moins n'aurait-il pas à assumer la responsabilité d'entraîner à travers vaux et buissons une poignée d'adolescents turbulents, au risque d'y perdre, au moindre accident, son gagne-pain...

Comme il s'était déjà consolé, apparut au bout de la Grand'Rue de Villeneuve, la gracieuse silhouette de Nathalia, vêtue de bleu — sa couleur préférée, longues mèches sur la frimousse. En pénurie de muses, elle avait racolé sa voisine, une poupée de sixième coiffée à l'Iroquoise qu'elle surnommait "Mini-Mas".

Erato s'étant présentée sous la halle, Jean-Loup ne se sentit plus berné. Il s'activa à dresser la liste des arrivants: parmi les filles de Zeus et Mnémosyne, Corinne dite Calliope «à la belle voix », muse de l'éloquence, gazouillait sans cesse. Clio, c'était Mauricette «la Célèbre» muse de l'histoire qui dormait encore. Martine, la Terpsichore «danseuse de charme» sautillait sur place et Josiane, «la Florissante» était la Thalie de la poésie pastorale, à l'honneur aujourd'hui. Mais Uranie l'Astrologue, Euterpe la Dansante et Melponème la Tragique brillaient par leur absence. Quant à Polymnie, muse du deuil, personne n'en avait voulu. On la proposa à Mini-Mas, flattée d'accepter ce cadeau des grandes jusqu'au moment où elle comprit qu'une héroïde (qu'elle avait d'abord comprise comme une "hémorroïde") chère à Ovide et Byron était une sorte de poème mortellement ennuyeux (8-2↓ ) . Elle décréta détester cette Polymnie, la voua aux Harpies, la traitant au passage de mégère et de virago; par contre elle accepta, compte-tenu des défections masculines, d'endosser le rôle de "trobairitz" (8-3↓ )  sous le pseudo de Fée Mélusine (8-4↓ ) . Elle acceptait aussi "Brouillard de la mer" et personne — sauf elle peut-être — ne comprit pourquoi.

Il n'y avait que trois garçons, intimidés et ravis de se trouver dans cette ambiance féminine et sophistiquée mais rassurés par la mâle présence du président Musagète qui achevait laborieusement son bulletin d'appel aux fins de le téléphoner à Rosenschwein; lequel prendrait soin de faire couvrir l'excursion par l'assurance scolaire, dégageant du même coup sa responsabilité personnelle...

À la recherche d'un Jardin Courtois.

Dès que, marchant à l'Est, ils eurent, éblouis de soleil, traversé le dernier faubourg de la Villeneuve et franchi sa déviation autoroutière, ils furent transportés aux temps passés des bocages. La Grisette avait dû, lors des fontes glaciaires, être un torrent impétueux, assez vigoureux pour décaper marnes et calcaires, isolant par sa brutalité tonitruante les buttes-témoins sur un plateau bientôt balayé par le vent hurleur et fécondant des lœss. S'enfonçant encore dans le karst, elle y avait taillé à la verticale, sur ses rives, de belles corniches de roche blanche surmontant de vieux larris gaulois. Boisés jadis, puis défrichés mais difficiles à cultiver car trop pentus, les ancêtres y faisait paître les brebis. Les pacages se couvrirent alors d'une flore typique et bourdonnante d'abeilles et de sauterelles. L'herbe courte s'y diaprait d'une profusion d'orchidées et de pulsatilles. Désormais privés de moutons, la forêt refermait sur les larris ses portes de verdure…  (8-5↓ ) 

De part et d'autre du thalweg, recoupant comme à la hache le front de la corniche, étroites et escarpées, des ravines déversaient, par gros temps, une boue rougeâtre faite du limon arraché aux cultures des plateaux. Malheur à celui qui se fut réfugié dans l'étrécissement d'un de ces ravineaux lors d'un orage d'été; un flot boueux l'eût noyé avec la fureur d'un lâcher de barrage. C'est que là où les anciens avaient sagement entretenu, sur le plateau, à l'entour de piécettes de terre mesurées aux imperfections de l'areau, un maillage de haies absorbant les ruissellements, dans les immensités remembrées, les mécaniques modernes ne toléraient plus les arbres… Alors, entre les rangs de maïs à l'infini, les petites rigoles faisaient les grandes nappes ravageuses; et les failles de la corniches devenaient, le temps d'une bourrasque, de caverneux ravins d'érosion régressive.

Jean-Loup qui savait ça, connaissant le terrain comme sa poche, avait cependant pris le risque d'y faire cheminer sa petite équipe à laquelle il avait, chemin faisant, expliqué cette géomorphologie et ses dangers; c'est qu'il avait méticuleusement étudié la météo et savait qu'il faudrait prendre un risque calculé pour remonter le Mortval et faire bénéficier ses muses d'une surprise agréable. Le fond du thalweg, orné d'une profusion de mousses, d'hépatiques et de fougères était constitué d'un éboulement de rognons énormes de calcaires et de chirons de grès déboulés des hautes pentes. Organisés en cascades, il les fallait escalader et c'était un sport... Ce parcours d'hébertisme (8-6↓ )  était compliqué d'embâcles entrelacés, salis de boue, chariés jusqu'entre les blocs par des crues récentes.

Le Musagète s'efforçait de tendre la main à Mini-Mas que sa petite taille handicapait. Ce que faisant, il eut la surprise d'intercepter un regard noir de Nathalia… Aussi s'empressa-t-il de déléguer au trouvère Adam de la Halle ce devoir de galanterie; ce que le grand garçon mena à bien avec le dévouement d'un grand frère et la témérité d'un trouvère chevalier… Reconnaissant, Jean-Loup le félicita. Le Musagète avait craint un instant la fracture ouverte et le tibia baladeur…

Le Locus voluptatis existe: la preuve ? Je l'ai trouvé ! (8-7↓ ) 

Aux approches de midi, la petite troupe arriva au sommet de la ravine du Mortval; et là ce fut l'enchantement des jeunes gens qui alla droit au cœur de Jean-Loup. C'est que le prof sut, à l'instant, que ces élèves-là — à la différence des dormeurs — oublieraient tous les jours chômés de leur vie mais qu'il était un mercredi qui resterait gravé dans leur mémoire comme un jour enchanté…

La rigole s'arrêtait dans un bois d'acacias qu'un simple avait plantés pour fabriquer les piquets imputrescibles de son pré. La pousse rapide des arbres que Jean Robin avait, en 1601, ramenés d'Amérique dans son chapeau, oubliant judicieusement d'importer les parasites spécifiques, se faisait d'une manière invasive: leurs racines traçantes avaient fixé le sol et fossilisé l'érosion régressive, arrêtant net la dégradation du paysage. Or ici se trouvait la Pierre Longue, curiosité locale ignorée des migrants quotidiens, affolés de boulot, qui peuplaient désormais les villages… Or, cette époque de l'année voyait s'épanouir autour du menhir un intense tapis bleu de jacinthes. Comme toutes les plantes du sous-bois, le gentil Endymion penché se hâtait, dans la cohorte des scilles et des anémones Sylvies, ficaires et sceaux-de-Salomon, de fleurir tandis que les bourgeons des grands frères les arbres, encore paresseux, laissaient filtrer la lumière.

Toute essoufflée, Fée Mélusine déclara: « C'est le paradis ! ». Alors Nathalia, cueillant un brin de grenouillet et en offrant les clochettes blanches au Musagète décréta: « Ce sera ici notre jardin courtois ».

En fait de courtoisie, les gars, ayant accaparé trois rognons de grès, s'étaient assis et tiraient du sac des sandwiches dont le parfum aurait fait saliver bien des muses de l'Olympe...

Jean-Loup qui avait été sensible au discret hommage d'Erato glissa le brin d'herbe dans un carnet d'observations qu'il emportait dans sa besace à chaque excursion, consignant dates et lieux; mais, conscient qu'il avait, pour l'heure, rempli son contrat, il aligna sa courtoisie sur celle des garçons...

Les filles, au motif qu'ils s'étaient jetés sur les places assises, taquinèrent leurs troubadours qui, bons bougres, leur dégotèrent, en lisière du gaulis, une perche couchée par l'orage dont ils firent un banc.

La première Cour d'Amour de Nathalia.

Assez tôt Nathalia rassembla muses et trouvères pour une tracasserie importante et connotée de formalisme administratif. Il s'agissait de définir les règles de l'Amour courtois ou Fin'Amor telles que le règlement scolaire du Foyer — en retrait qu'il était sur les débordements des soixante-huitards — pourrait les digérer… Ainsi que le plus ringard des inspecteurs d'académie — se disait, in peto, l'instituteur… Ces règles devaient alors devenir celles du "Club du Jardin Courtois". Or il s'avérait, lors des recherches historiques menées avec l'aide de la bibliothécaire, que les femmes du Moyen-Âge qu'on eût imaginées confites dans l'encens et nimbées d'eau bénite, étaient, loin du narthex des cathédrales, plus libres qu'on ne croyait. Si bien que l'on tombait sur des règles de l'amour courtois du type: " Le mariage ne doit pas empêcher d'aimer ". Laquelle proclamation cadraient mal avec des commandements hiérachiques tels " L'acte de chair point ne fera qu'en mariage seulement "… Quand arriva: " L'amour est obligatoirement adultère ", Jean-Loup jugea que la bouquiniste scolaire avait forcé la dose !

C'était donc, aidées dudit rat de bibliothèque, que Nathalia et la muse Clio avaient dû compiler des observances "limite-scabreuses" pour en tirer un polycopié qu'elles distribuèrent à leur cour avec quelques précautions oratoires… Il s'agissait d'expurger ce texte en trahissant le moins possible la réalité historique; mais en le rendant supportable aux génitrices qui devraient délivrer les prochaines autorisations de sortie... Jean-Loup fit de suite rayer une bonne partie des propositions !

Règles de l'Amour courtois compilées par les jeunes filles.

1.- L'amour exige le secret, pas seulement pour son éventuel caractère adultérin, mais aussi parce qu'il est une chose trop grave pour être divulguée. L'amour doit rester secret s'il veut durer.
2. L'amant doit agir en pensant à sa dame. Le parfait amant n'aime que ce qu'il pense plaire à sa dame. L'amant ne saurait rien refuser à celle que son coeur a élue. L'attitude de l'amant, calquée sur le système féodal, doit être pleine d'humilité, de réserve et de soumission.
3. Le parfait amant ne désire d'autres étreintes que celles de son amante. Il est son " homme-lige ", son vassal, d'une loyauté et d'une fidélité sans faille. On ne peut accorder son coeur à deux femmes à la fois. L'amour augmente ou diminue, il se renouvelle sans cesse. L'amant n'est jamais rassasié des plaisirs que lui apporte sa dame. Le véritable amant est obsédé sans relâche par l'image de celle qu'il aime. Le parfait amant pâlit en présence de sa dame. Quand un amant aperçoit l'objet de son amour, son coeur tressaille. Nb: Contradictoire avec: Un nouvel amour chasse l'ancien. Lorsque l'amour diminue, puis disparaît, il est rare qu'il reprenne vigueur.
4. La conquête amoureuse doit être difficile : c'est ce qui donne son prix à l'amour. Il faut être prêt à mourir pour l'élue. En retour, la dame accorde à son amant un baiser, une étreinte, ou la joie d'admirer sa nudité. La dame est lointaine, inaccessible, nimbée de mysticisme. Dans sa conquête amoureuse, le chevalier est confronté à des obstacles, des épreuves: ce peuvent être : le mari jaloux, l'éloignement de la personne,... Personne ne doit être privé de l'être aimé sans la meilleure des raisons.
5. Seule la vertu rend digne d'être aimé; la dame et l'amour ont le pouvoir d'inspirer au chevalier toutes les vertus, valeur morale et parfaite courtoisie. Croyance : seul l'amour peut mener l'homme à la perfection morale puisqu'il engendre et développe toutes les vertus.
6. Amour ne rime pas avec luxure. La chasteté est à la fois l'épreuve et la récompense suprême : la petite cérémonie de l'assag (l'essai) donne à la dame le moyen de vérifier dans qu'elle mesure son ami est capable de la respecter, alors que, couché à côté d'elle, il est dans une situation extrêmement tentatrice. Tous les subterfuges érotiques sont autorisés, à condition de ne pas en venir au fait (baisers, étreintes, caresses). L'amant ne peut rien obtenir sans l'accord de sa dame.
7. L'amoureux vit dans la crainte. La jalousie fait croître l'amour. Lorsqu'un amant soupçonne son amante, la jalousie et la passion augmentent. Tourmenté par l'amour, l'amant dort peu et mange moins. Le plus petit soupçon incite l'amant à soupçonner le pire chez sa bien-aimée. Qui n'est pas jaloux ne peut aimer.
8. Amoureux n'est pas avare.

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Règles modifiées pour le Club du Jardin Courtois.

1. L'amour exige le secret parce qu'il est une chose trop grave pour être divulguée. L'amour doit rester secret s'il veut durer.
2. L'amant doit agir en pensant à sa dame. Le parfait amant n'aime que ce qu'il pense lui plaire. Il ne saurait rien refuser à celle que son coeur a élue. Cette dernière attitude sera calquée sur le système féodal, et devra être pleine d'humilité, de réserve et de soumission.
3. Le parfait amant ne désire d'autre amitié que celle de son amante. Il est son " homme-lige ", son vassal, d'une loyauté et d'une fidélité sans faille. On ne peut accorder son coeur à deux femmes à la fois. L'amant n'est jamais rassasié de l'agrément de voir sa dame. Il est obsédé sans relâche par l'image de celle qu'il aime. Il pâlit en présence de sa dame. Quand un amant aperçoit l'objet de son amour, son coeur tressaille.
4. La conquête amoureuse doit être difficile : c'est ce qui donne son prix à l'amour. En retour, la dame accorde à son amant le droit d'un baiser sur le bout des doigts. La dame est lointaine, inaccessible, nimbée de mysticisme. Dans sa conquête amoureuse, le chevalier est confronté à des obstacles, des épreuves qui peuvent être l'éloignement de la personne; des "gages" et des "jeux-partis"...
5. Seule la vertu rend digne d'être aimé; la dame et l'amour ont le pouvoir d'inspirer au chevalier toutes les vertus, valeur morale et parfaite courtoisie. Croyance : seul l'amour peut mener l'homme à la perfection morale puisqu'il engendre et développe toutes les vertus.
6. Amour ne rime pas avec luxure. La chasteté est à la fois l'épreuve et la récompense suprême : la petite cérémonie de l'assag (l'essai) donne à la dame le moyen de vérifier dans qu'elle mesure son ami est capable de la respecter, alors que, couché à côté d'elle, il est dans une situation extrêmement tentatrice. Mais l'amant ne peut rien obtenir sans l'accord de sa dame.
7. L'amoureux vit dans la crainte. La jalousie fait croître l'amour. Lorsqu'un amant soupçonne son amante, la jalousie et la passion augmentent. Tourmenté par l'amour, l'amant dort peu et mange moins. Qui n'est pas jaloux ne peut aimer.
8. Amoureux n'est pas avare.

Songeant aux comminations de la hiérarchie, ayant sabré bonne partie de ce qu'avait laissé passer la documentaliste scolaire — d'ailleurs soupçonnable de traîtrise — Jean-Loup fut rassuré et confiant en la nouvelle société qui, des zippies ardéchois aux pornos distingués en passant par les fesses du chanteur préféré affichées au cul des bus parisiens en avait, à cette date, digéré de bien pires… Nathalia décida qu'on y réfléchirait pour la prochaine sortie et désira passer au "jeu-parti".

Cependant, Mini-Mas achoppait sur deux mots qu'elle contestait vivement: d'abord le "caractère adultérin" — que de toute façon Jean-Loup avait éliminé — l'inquiétait. Fée Mélusine disait que le club n'était pas fait pour les "adultes" mais pour des ados du collège... Ensuite, elle butait sur le fait qu' "Amour ne rime pas avec luxure", arguant qu'un peu de "luxe" et le cadeau d'un petit bijou par l'amant devrait être autorisé… Devant cette attendrissante ingénuité, le Musagète jugea bien de commettre le grand frère d'adoption à une leçon de vocabulaire pour la gamine… Alors on passa au jeu-parti.

Le premier "jeu-parti" de Nathalia.

Les deux premiers troubadours se contentèrent de réciter quelques vers extraits de grands classiques:

Mignonne allons-voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil
A point perdu cette vêprée
Les plis de sa robe pourprée
Et son teint au votre pareil...
Pierre de Ronsard
Ce qui contenta Corinne-Calliope; et le trouvère Thibault de Champagne se prêta gentiment au rite d'agenouillement pour baiser le bout des doigts de sa dame. Le second garçon, Jaufré Rudel, avait sollicité Gérard de Nerval:

Elle a passé la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau
A la main une fleur qui brille
A la bouche un refrain nouveau...
Il promit à Josiane la Florissante la suite au prochain numéro. La pénurie de garçons obligeait Fée Mélusine à se dévouer par deux fois et elle se tira avec brio de sa tâche de "trobairitz". Ayant sorti de sa musette un papier chiffonné gribouillé des "Deux pigeons" de Jean de La Fontaine. Elle décida d'en lire les sept premiers vers à Martine la Terpsichore:

Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux…
Et les six derniers à Mauricette dite Clio:

Hélas! Quand reviendront de semblables moments?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?
Ah! si mon coeur osait encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?
Jean de La Fontaine

La chute fit bien rire les garçons car, tout de même, le bon La Fontaine avait ses soixante-huit ans bien tassés quand il émit cette plainte et ça résonnait cocassement dans la bouche d'une poupée. Laquelle avait eu, comme fille-trobairitz, le privilège de dire son poème non-agenouillée et parut toute heureuse de recevoir deux bisous sur la joue: à gauche de Clio, à droite de Terpsichore.
Les choses faillirent se gâter lorsque Nathalia reprocha au grand frère adoptif, Adam de la Halle, de n'avoir rien préparé. Jean-Loup qui avait apprécié l'assistance du garçon vint à sa rescousse, faisant valoir la surcharge des devoirs scolaires de sciences naturelles. Erato eut alors l'inspiration de faire assumer au jeune homme la lecture de la Sérénade de Raimon de Miraval qu'elle-même avait retranscrite. Ceci pour lui donner une tournure plus élaborée là où la traduction du vieux Français en avait brisé la poésie, le rythme et la rime.
Le poème tel que traduit du français ancien (ou plutôt de l'occitan) était devenu ceci:

Sérénade de Raimon de Miraval
De l'amour viennent tous mes soucis,
Car je ne me soucie que de l'amour
Les beaux parleurs diront
Que d'autre chose doit s'occuper un chevalier.
Mais moi, je dis bien au contraire
Que seul l'amour, quoiqu'on en dise,
Donne sa valeur à la folie et à la sagesse
Tout ce qu'on fait par amour est juste.
Raimon de Miraval
 Nathalia observa que le premier vers contenait  un rythme ternaire: trois fois trois pieds et qu'il était judicieux d'en profiter pour construire tout le poème sur ce trois-fois-trois, satisfaisant au passage à l'injonction du maître Verlaine:

De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l'Impair...
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Récriture par Erato-Nathalia du poème de Raimon de Miraval:

De l'amour viennent tous mes soucis
Car toujours me soucie de l'amour
Beaux parleurs diront-ils qu'à défis
Plus urgents Chevalier voue ses jours
Mais moi seul je dis bien à l'inverse
Quoiqu'on dise à folie seul l'amour
Donnera sa valeur à sagesse
Ce qu'il fait sera juste à toujours.
Nathalia
Pour sa punition, le grand frère adoptif dû poser genou en terre devant Fée Mélusine avant de lui envoyer le poème; ça aussi c'était drôle car même à genoux, le grand dadais dépassait la fillette...

Nathalia objecta d'un air faussement boudeur qu'elle était la seule dame à n'être pas courtisée et qu'elle en allait pleurer; elle avait jeté un regard en biais au Musagète qui sursauta, songeant à retardement qu'il avait tout prévu et même qu'il serait lui-même, en tant que guide des muses, mis à contribution poétique. Jean-Loup dont les nuits, à l'évidence, étaient hantées du cauchemar de l'inspecteur archéo-ringard, dit qu'il accepterait éventuellement de servir de trouvère à Erato mais seulement à l'expresse condition de n'être pas obligé de lui faire sa cour un genou à terre ni de baiser le bout des doigts; il objecta que c'était contraire à la dignité de Musagète mais pensait tout bas aux gorges chaudes que feraient le canton si jamais il était photographié aux pieds d'une de ses élèves. Or Nathalia accepta sans broncher. Comme la gamine Mélusine, il sortit un papier froissé, promettant que quiconque reconnaîtrait quel écrivain classique avait servi de canevas pour son poème aurait une récompense. Laquelle, sortie du sac, s'avéra n'être qu'un modeste livre de poche, mais la perle n'est-elle pas dans la culture qui s'y cache?

Allée

La Forte en t'Aime


Hommage du Musagète à sa muse Erato
Deux gouttes d'eau sur un poème...

Ecoute la chanson bien douce
Elle est belle, elle est éphémère
Qui ne pleure que pour te plaire
Une larme sur ta frimousse
Elle est discrète, elle est légère
Au milieu de tes taches rousses
Nectar subtil et douce-amère
Un frisson d'eau sur de la mousse

Une larme sur un poème
Ecoute la chanson bien douce
Un frisson d'eau sur de la mousse
Que dit ta lèvre forte en thème
Qui ne chante que pour te plaire
Elle est à toi ma forte en t'aime
Elle est discrète, elle est légère
Et c'est toi ma forte en "Je t'aime"

— Et maintenant, dit le Musagète, qui a-t-il trouvé le poète que j'ai parodié? Personne ? et il faisait mine de ranger son bouquin. Mais Nathalia s'était rapprochée de lui et, portant sa main vers la bouche du prof, elle lui coupa la parole en disant: « Eh bien, maintenant, rendons à Paul ce qui est à Verlaine !»
Alors, dans la clairière aux Endymions, près du menhir, comme le ciel se couvrait à peine et voilait un soleil déclinant, la voix de la jeune fille s'éleva pour prononcer les vers du Prince des Poètes. C'était magique comme une aria de Bellini et les enfants restaient bouche bée, comme retournés en l'instant aux temps des coupeurs de gui:

« Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère !),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,

Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d'automne,
Cache et montre au coeur qui s'étonne
La vérité comme une étoile.

Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c'est notre vie,
Que de la haine et de l'envie
Rien ne reste, la mort venue.

Elle parle aussi de la gloire
D'être simple sans plus attendre,
Et de noces d'or et du tendre
Bonheur d'une paix sans victoire.

Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n'est meilleur à l'âme
Que de faire une âme moins triste !

Elle est en peine et de passage,
L'âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Écoutez la chanson bien sage... »

Paul Verlaine (1844-1896)

Le moment était exceptionnel où le temps fut comme suspendu... Captifs des intonations qu'une Erato-mezzo, soulevée par l'atmosphère du lieu, avait trouvées comme la Norma druidique psalmodiant sa supplique de paix à la Lune:
« Casta Diva... Spargi in terra quella pace... Che regnar tu fai nel Ciel... »
« Chaste Déesse... Répands sur la Terre cette paix... Que tu fais régner au ciel... »
Les enfants restèrent muets pendant quelques minutes.
Il fallait rentrer et l'on quitta le Jardin courtois encore sous l'emprise du charme.

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- Écouter Maria Callas interpréter «Norma: Casta Diva» en 1958
- Casta Diva par Ariane Douguet
- Casta Diva par Cecilia Bartoli
- Casta Diva: autre version de Callas
- Casta Diva par Montserrat Caballé
- Montserrat Caballe "Casta diva" Norma Orange 1974
-  (8-9↓ )  Les paroles de Casta Diva...

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Descente des muses de Charybde en Scylla…

Jean-Loup, conscient du temps qui passe et de l'anxiété des parents avait résolu de prendre, au retour, un chemin rapide, traversant au plus court quelques bois et vallons. Il hâta le pas en jetant, de côté, un regard inquiet sur Mini-Mas qui trottinait.

Nathalia marchait à ses côtés et lui, le père frustré de n'avoir pas eu de fille, il se sentait en bonne harmonie avec l'orpheline d'El Halia. Elle lui tira la manche pour réclamer sa récompense: le livre de poche. C'était un "Tristan et Yseult". Elle insista pour avoir le texte du poème du Musagète et celui-ci lui donna sans hésitation car, prévoyant la requête, il l'avait tapé à la machine pour le rendre très impersonnel... D'ailleurs, il ne l'avait pas signé... Après tout, ne l'avait-il pas piqué à demi à Verlaine ?

Maintenant qu'on avait escaladé la corniche sud du Val Grisette, il suffisait de sortir du Bois Goujon et de suivre le bord de l'escarpement par les chemins ruraux pour contourner, par le sud, les villages des Brandes et de Broue. La petite difficulté viendrait alors: traverser le vallon des Broues et ensuite on filerait vers La Villeneuve. Pas question de faire traverser la déviation par les enfants; c'était un risque excessif et inutile. On entrerait dans le bourg par ce point de passage obligé: le pont de l'autoroute et l'on mesurait la perte que la route avait imposée aux randonneurs: le raccourci des Broues à Villeneuve, un adorable sentier maintenant perdu qui, jadis, permettait aux hameaux d'aller au marché parmi les peupleraies toutes trempées de rosée et fragrantes d'odeurs des marais, Herbe-à-Robert et reines-des-prés. (8-8↓ ) 
Comme on approchait du vallon des Broues, Fée Mélusine commença à se plaindre, réclamant qu'on réduisît l'allure. Jean-Loup lui prit la main et récolta, de nouveau, une œillade noire de Nathalia... Plus loin, le grand frère adoptif avait pris la poupée sur ses épaules et, plus fort qu'il n'y paraissait, la gardait pendant un kilomètre.

On arrivait au rebord du vallon: alors la petite troupe s'arrêta d'un coup, figée d'horreur par un spectacle d'autant plus inattendu qu'on avait passé la journée parmi les jacinthes dans un jardin d'Eden, tout proche encore.

Sur l'autre flanc du val, comme une langue immonde tirée salement en travers du thalweg qu'elle barrait progressivement comme si elle voulait construire un barrage de retenue, s'avançait une péninsule d'ordures puantes et tintinnabulantes rejetées sans repos par une ronde de camions-bennes empressés de retourner à la tâche... La journée avait été chaude après quelques passages pluvieux. Le tas fermentait et des volutes de vapeurs polluées de poussière étaient portées par le vent vers le village des Brandes, en plein nord-est. L'odeur était insoutenable: Fée Mélusine avait mis son mouchoir sur son nez. La Broue était épargnée...

Après quelques instants de stupéfaction, il fallut se dévoyer — car le chemin rural était coupé par l'immondice — au travers d'un pré où Jean-Loup, en éclaireur, vérifia l'absence de bêtes au pacage.

On arriva dans les temps sous la Halle et l'on se quitta comme à regret. Mais le Musagète était heureux: tout s'était passé sans accident ni chamaillerie. Seule l'inquiétait la fatigue de Mini-Mas...

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 8:   ( Sauter les notes de section 8 )
8-1.-↑ Le jeu-parti: L'amour courtois use de plusieurs genres : la chanson, l'aube, la sérénade, les sirventés, le planh, le jeu parti et la tenson, la pastourelle, la ballade. Le jeu parti et la tenson permettent à plusieurs troubadours de débattre des questions d'amour.
8-2.-↑ Héroïde (n;f;): Épître élégiaque dont l'auteur attribue la composition à un héros ou à une héroïne célèbres; composition qui traite de la vie d'un héros. "Lord Byron, auteur de quelques héroïdes sublimes, mais toujours les mêmes, et de beaucoup de tragédies mortellement ennuyeuses, n'est point du tout le chef des romantiques" (Stendhal, Racine et Shakespeare, t. 1, 1823, p. 41).
8-3.-↑ La trobairitz: Le mot troubadour vient du verbe occitan trobar, qui veut dire trouver. L’homologue féminin du troubadour est la trobairitz.
8-4.-↑ Fée Mélusine: Mélusine est une femme légendaire des contes populaires et chevaleresques du Moyen Âge.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur Mélusine: Wikipedia
8-5.-↑ Les larris: Vieux mot Gaulois qui signifie terre inculte, aride. Terme Picard désignant les coteaux calcaires non boisés
5.1- Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les larris: cliquer ici.
5.2- Autre site: Sauver le larris d'Havernas (flore et faune décrites et plusieurs liens)
5.3- Étude scientifique des larris par l'INRA.

8-6.-↑ Hébertisme: C'est une méthode d'entraînement du corps développée par Georges Hébert. Elle comporte dix types d'exercices: la marche, la course, le saut, le grimper, le lever, la quadrupédie, le lancer, l'équilibre, la défense, la natation. C'est une méthode de gymnastique qui se distingue des sports en salle: elle a pour vocation de s'exercer dans la nature. Le Musagète du roman tente d'attirer ses élèves vers ce sport non compétitif en milieu rural qui, s'il était pratiqué constamment par les Français, réduirait le déficit de la Sécurité sociale. Ne pas confondre avec la doctrine "hébertiste" du révolutionnaire extrémiste Jacques-René Hébert, fondateur du "Père Duchesne" (15 novembre 1757 - guillotiné le 24 mars 1794).
6.1- Pour ceux qui veulent tout savoir sur les Hébertistes: Wikipedia
6.2- Un site d'hébertisme: cliquez ici
8-7.-↑ Le Locus voluptatis: Saint Jerôme, 342-420: traduit la Bible (il apprend l’hébreu en Syrie); sa traduction qui prend au XIIIe siècle le nom de "Vulgate" est déclarée canonique par le Concile de Trente (1545-1563). Saint Jérôme n'a jamais employé le nom d'Eden dans le chapitre II de la Génèse et il l'a toujours rendu par voluptas, locus voluptatis, deliciae (Cf Dictionnaire de la Bible publié par F.Vigouroux, t.IV, Paris 1908, p.2120). Notice d'après: "Être heureux au Moyen Âge: d'après le roman arthurien en prose du XIIIe siècle", par Katarzyna Dybel. Quant au "paradis": « Un vieux mot, (...) qui désigna d'abord les parcs des rois achéménides (le premier des Empires perses à régner sur une grande partie du Moyen-Orient), résumait le rêve de tous: un jardin délicieux où l'on continuerait à jamais la vie charmante que l'on menait ici-bas (D'après Renan, Vie Jésus, 1863, p.200) ». Le Paradis terrestre est ce « Jardin merveilleux que Dieu donna comme séjour à Adam et Ève au moment de leur création » (décrit dans la Bible, Génèse II, 8, 15, 22).

8-8.-↑ Lamartine: Jocelyn, 1836.

" Il est des jours de luxe et de saison choisie
Qui sont comme les fleurs précoces de la vie,
Tout bleus, tout nuancés d'éclatantes couleurs,
Tout trempés de rosée et tout fragrants d'odeurs "
8-9.-↑  Casta Diva,

Chaste déesse
Casta Diva, che inargenti
Chaste déesse, qui argentes
Queste sacre queste sacre, queste sacre antiche piante
Ces antiques, ces antiques, ... Ces antiques feuillages sacrés
A noi volgi il bel sembiante;
Tourne vers nous ton beau visage
A noi volgi,
a noi volgi il bel sembiante,
il bel sembiante

Chorus:
Casta Diva
Senza nube e senza vel!
Sans nuage et sans voile
Tempra tu de cori ardenti!Tempra ancor lo zelo andace!
Modère le zèle, modère le zèle audacieux
Spargi in terra quella pace,
Répands sur cette Terre cette paix
Che regnar tu fai nel Ciel.
Que tu fais régner au ciel

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Maurice Laisant
Diatribe d'Élisée contre le racisme... des autres races
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
«B'jour, M'dame la boulangère! J'voudrais une "tête-de-c'que-j'pense"! C'est pour manger avec du "fouomage-de-c'que-j'pense! » Élisée allait quérir son pain et derrière lui, dans la queue impatiente, il y avait un noir; ...pas "très" noir, un peu café-au-lait... mais quand même !

Jean-Loup s'était fait, au collège, un ami antillais. C'était un métis quarteron nommé Saint-Jacques. Son copain, son ami Magloire le Guadeloupéen. La Villeneuve n'était pas mondialement reconnue comme un foyer antiraciste et de délicieux petits chrétiens avaient gravé sur une table leur devise: "Saint-Jacques: Sale Nègre" . Chaque fois qu'il voyait ça, Jean-Loup sentait remonter en lui la colère et la commisération qui avaient poussé ses anciens de 1789, les paysans de son Jura ancestral, les Champagney, à devenir les premiers citoyens de cette planète à condamner l'esclavage. Dès la première aube de la Révolution, dans leur "Cahier de Doléances" au bon roy Louis, les laboureurs comtois, eux-mêmes esclaves de leurs tyrans locaux, lui avaient clamé leur supplique de supprimer la traite du bois d'ébène.
Jacques-Antoine Fridolin Priqueler avait dit à ses compatriotes comment étaient traités les esclaves noirs dans les colonies; il fut ainsi l’inspirateur de l’article 29 par lequel les braves paysans de Champagney furent les devanciers à demander l’abolition de l’esclavage.  (9-1↓ ) 
Article 29, le "Vœu de Champagney", précisait que: « Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies, sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu'on puisse faire usage des productions des dites colonies si l'on faisait réflexion qu'elles ont été arrosées du sang de leurs semblables : ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n'accusent les Français de ce siècle d'avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom de français et encore plus celui de chrétien. C'est pourquoi, leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté de concerter les moyens pour en faire des sujets utiles au royaume et à la patrie ».

Lequel vœu, le bon roy qui avait voulu, en consultant les desiderata de ses sujets, suivre en cela une coutume du XIVème siècle, Louis XVI échoua d'une courte tête à le réaliser; tout en s'enquérant du destin de Monsieur de La Pérouse.... Ce fut en effet le 4 février 1794 que le décret (dit aussi "du 16 pluviôse An II") énonça : « La Convention déclare l'esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution ». Louis perdait la tête qui nous avait quittés le 21 janvier 1793, sans pouvoir davantage s'intéresser au sort des populations de couleur, lesquelles venaient, en toute courtoisie, de déguster, à Vanikoro, son navigateur préféré. Ce que, judicieusement, il ignora pour toujours.

Jean-Loup était rempli d'orgueil du geste de ses ascendants paysans. Il avait exhumé, du pavé d'un doctorant de la fac de Besançon, le nom de son ancêtre Pierre-Antoine qui vivait aux rives du Cusancin  (9-2↓ )  et participait au cahier de doléances local, s'y plaignant que les Messieurs du seigneur du coin lui donnassent bastonnée bien fort pour y avoir pêché l'écrevisse…

Louis Delgrès, fils d'un planteur de la Martinique et d'une mulâtresse, quarteron comme l'ami Magloire, avait servi dans les armées de la Révolution jusqu'à obtenir en 1802 le grade de colonel. Aussi désespéra-t-il de la France éternelle de Dunkerque à Tamanrasset lorsque, par la loi du 27 floréal an X (9-3↓ )  (17 mai 1802), le Poléon (9-4↓ )  rétablit l'esclavage à marches forcées, faisant déferler sur les petites Antilles ses grands maréchaux. Tel était Richepance qui mena grand carnage au désespoir des révoltés de Delgrès qui se firent sauter à la Matouba plutôt que de se rendre; ce qui valut au sanguinaire l'honneur de voir rebaptiser le Fort Saint-Charles en Fort-Richepance pour deux siècles.  (9-5↓ ) . La famille de Magloire avait su glisser entre les dents du rateau de cette ratonnade (9-6↓ ) . Mais le souvenir restait amère et la rancune justifiée... si toutefois elle s'exerçait contre le Poléon et non contre les descendants des paysans jurassiens ! Cependant, Saint-Jacques était toujours affable, d'humeur égale et prof indulgent.

Il avait pris place dans la file de la boulangerie devant Jean-Loup quand Élisée s'était retourné, avait jeté un regard mauvais à l'Antillais puis, s'appuyant au comptoir: "B'jour, M'dame la boulangère! J'voudrais une tête-de-c'(e)-que-j'pense"! C'est pour manger avec du fouomage-de-c'(e)-que-j'pense"!

Jean-Loup et Magloire avaient pouffé de rire et voilà qu'Élisée, ayant reconnu son ami le prof se trouvait tout embarrassé. Mais s'en tirait en lançant à la cantonade, sortant tête haute et grand-braillard: "C'est vrai! Bientôt on n'va plus oser prononcer les mots "fromage blanc" en public, de peur de s'faire traiter de raciste!"

Élisée avait un voisin malien qui épatait le village par sa fécondité. C'était aussi qu'on murmurait que ses filles les plus âgées étaient peut-être, en réalité, ses épouses les plus jeunes. Merveille du regroupement familial, la France gardait son record des naissances en Europe. Mais malgré sa nombreuse famille, jamais le Malien ne lui achetait son cresson ni ses livres…

Élisée était également antisémite; ce qu'il expliquait par son licenciement d'une grande entreprise de chimie de la vallée de l'Oise répondant "au nom hébreux" (affirmait-il, péremptoire mais "SGDG"...) de Société Rosenschwein.

Cependant, comme Élisée avait organisé dans un minuscule assommoir de Fosses-la-Poterie une causerie anar à laquelle le président en personne de la Fédération libertaire avait bien voulu se rendre, Jean-Loup l'avait piégé en demandant à Maurice Laisant: "J'ai un ami, dont je tairais le nom, qui se dit anarchiste mais qui déteste les gens de couleur et qui est franchement antisémite. Que pense l'anarchisme du racisme?" La réponse du vieux militant avait fusé, catégorique: il condamnait.

Mais… L'homme n'est pas si simple. Une face qui rit; l'autre qui grimace...
Après tout, n'était-ce pas agaçant de ne plus oser prononcer "fromage blanc" ni "tête-de-nègre" devant la boulangère alors que le mot « nègre » avait servi à écrire le Vœu de Champagney et le Décret de Pluviôse?


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 9:   ( Sauter les notes de section 9 )
9-1.-↑ Site de la commune de Champagney (Haute Saône):
 Cliquez ici
- Champagney: la Maison de la Négritude
- Un .PDF sur la "Maison de la Négritude" et le Vœu de Champagney
- De Valladolid (Las Casas) à Champagney: la Route de la Dignité
9-2.-↑ Le Cusancin: Dans Wikipedia
- Cusancin: scènes de pêche (quelques photos)
- Cusancin: quelques photos; Auberge des Trois Ponts et rivière
- Le bailliage de Baume-les-Dames en 1789: les cahiers de doléances - Extrait du Livre de Robert Jouvenot, François Lassus - 1985 - History - 625 pages; orthographe: Cuisancin
La page 475 qui m'intéresse spécialement "ne fait pas partie de la section consultable de ce livre"…
9-3.-↑ Le décret du 30 floréal An X (20 mai 1802): "Au nom du peuple français, Bonaparte, premier Consul, proclame loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30 floréal an X, conformément à la proposition faite par le Gouvernement le 27 dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour. Décret: Art. Ier Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d'Amiens, du 6 germinal an X, l'esclavage sera maintenu conformément aux lois et réglemens antérieurs à 1789. II. Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du Cap de Bonne-Espérance. III. La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies, auront lieu, conformément aux lois et réglemens existans avant ladite époque de 1789. IV. Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux réglemens qui seront faits par le Gouvernement. Fin du décret. Commentaire d'Hérodote: "Le Premier Consul, infatigable, ne s'en tient pas à la légalisation de l'esclavage. Animé par un sentiment «raciste» qui le distingue de la plupart de ses contemporains, encore pétris de l'esprit des Lumières, il prend plusieurs mesures qui renouent avec le préjugé de couleur des décennies précédentes et l'aggravent nettement...".
Napoléon Ier: « La mort d'un million d'hommes importe peu pour un homme comme moi ! »
Sur le site: challenges.fr: "L'engouement pour Napoléon"
Dans ce site: «  (...) au-delà du roman, pourquoi s'intéresser à une telle saga aujourd'hui alors que les valeurs démocratiques dominent, que la guerre a été bannie d'Europe et que cette conception de l'autorité, de l'Etat et de la nation est essentiellement désuète et souvent funeste; quand son héros, tout de même, est d'abord un dictateur cynique qui a fait tuer des centaines de milliers d'hommes, torturer les suspects dans l'affaire de la «machine infernale», exécuter le duc d'Enghien au mépris de toutes les lois, qui a mené en Espagne une guerre ignoble, sacrifié son armée en Russie, envoyé à la mort des gamins enivrés de patriotisme ou terrorisés par leurs officiers, et qui, enfin, a répondu au chancelier Metternich qui lui faisait observer le coût humain de la guerre européenne : «Mais que me fait, à moi, la mort d'un million d'hommes ? » Laurent Joffrin
Compléments dans le site d'histoire Hérodote
9-4.-↑ Le Poléon: Façon affectueuse du menu peuple de Paris ou des fanges provinciales, de désigner Napoléon; pour d'autres: l'Usurpateur (de la République, bien sûr… pas du trône !). Ou même son neveu. En 1848, le peuple descendait sur les boulevards pour réclamer Poléon (Napoléon) sur l'air des lampions… mais c'était le Poléon III, celui de Sedan, pas celui de Sainte-Hélène… (attesté par Jean-Claude Bologne, historien, essayiste et romancier. Sur: L'Air des Lampions).
9-5.-↑ Adresse de Louis Delgrès à Bonaparte qui rétablissait par force l'esclavage: (extrait) (...) Et vous, Premier Consul de la République, vous guerrier philosophe de qui nous attendions la justice qui nous était due, pourquoi faut-il que nous ayons à déplorer notre éloignement du foyer d'où partent les conceptions sublimes que vous nous avez si souvent fait admirer ! (...) La résistance à l'oppression est un droit naturel. La divinité même ne peut être offensée que nous défendions notre cause ; elle est celle de la justice et de l'humanité : nous ne la souillerons pas par l'ombre même du crime. Oui, nous sommes résolus à nous tenir sur une juste défensive ; mais nous ne deviendrons jamais les agresseurs. Pour vous, restez dans vos foyers ; ne craignez rien de notre part. Nous vous jurons solennellement de respecter vos femmes, vos enfants, vos propriétés, et d'employer tous nos moyens à les faire respecter par tous. Et toi, postérité ! accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits." Le commandant de la Basse-Terre, Louis Delgrès.
En apprendre davantage sur Louis Delgrès dans Wikipedia
Louis Delgrès sur le site Ladograve
9-6.-↑ Extrait de l'article "raton" au dico du CNRTL: "Ratonnade, subst. fém. Violences exercées contre une communauté nord-africaine en représailles à des actions attribuées à certains de ses ressortissants. Mais le pire arriva bientôt. Le lynchage pur et simple. La chasse à l'arabe, la ratonnade ignoble et aveugle (Y. Courrière, La Guerre d'Algérie, Les Feux du désespoir, 1971, p. 554). P. ext. Violences exercées contre une minorité ethnique ou un groupe social. À l'approche de l'aube, tandis que Cohn-Bendit lance par la voie de la radio qui n'a pas cessé ses reportages « en direct » l'ordre de dispersion - il est 5 h 30 - les ratonnades donnent lieu à des scènes assez ignobles (P. Ponté, Histoire de la République gaullienne, 1971, p. 462). - [?at?nad]. Lar. Lang. fr.: -n- mais Rob. 1985: -nn-, -n-. Les dér. des mots en -on comportant le suff. -ade s'écrivent le plus souvent avec -nn-: citronnade, cotonnade, etc. Exceptions: cantonade, limonade (voir Thim. Princ. 1967, pp. 55-56). Prop. Catach.-Golf. Orth. Lexicogr. 1971, p. 93: préférer la cons. simple dans tous les cas lorsque cela est possible. - 1re attest. a) 1960 « mouvement de violence déclenché contre une communauté nord-africaine » (Le Monde, 14 déc. ds Gilb. 1980), b) 1968 « brutalités exercées contre un groupe quelconque » (Le Monde, 24 mai, ibid.); de raton1, au sens 4, suff. -ade*.
— CNRTL: article "raton"


Maurice Laisant
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Face à face avec les Sauriens.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Cette fois, "il" était en face de lui. Il l'avait tant redouté que ça semblait être de la magie; comme lorsque les Cro-Magnons dessinaient des bovidés rupestres pour les faire venir… Il lui semblait qu'il était apparu parce qu'il y avait trop pensé. Le Dinosaure. Il l'avait rencontré déjà dans les couloirs du collège lors de l'affaire de la potinière du lycée, cette feuille de chou, "Le Pavé de Soixante-Huit" que la dirlotte de l'époque, en mal de charisme, avait autorisée à paraître "sans aucune censure". S'en était suivie une débauche d'outrances préjudiciables au corps enseignant tant qu'aux magistrats de la ville, lesquels avaient porté plainte à l'académie. Les premiers, trop soucieux de ne pas attirer dans leur pré carré le Tyrannosaurus rex s'étaient tus mais certains n'y pensaient pas moins… Les élèves de terminale entraient dans les classes sans frapper, la pile d'imprimés sur les bras, lançaient un « La gazette des lycéens !» à la cantonade et sans s'occuper du prof qui ramaient au tableau noir à expliquer ses équations - et qui aurait été malvenu d'y mettre son grain de censure - distribuaient aux bambins de sixième un torchon où les grossièretés contre la directrice côtoyaient les allusions pornographiques les plus claires.

"Il" était planté là, comme un échalas, derrière Rosenschwein qui paraissait figé d'appréhension dans son fauteuil de sous-directeur C'était un de ces escogriffes de sauriens tout en hauteur et décharnés ressuscités par le Surintendant du British Museum qui les avait baptisés en 1842.  (10-1↓ ) . Il simulait à l'envi le Dinornis cher à l'inventeur des Dinosaures, pré-oiseau rare déplumé évoquant un condor géant dont on n'imaginait pas qu'il ait eu le regard moins perçant… Jean-Loup était glacé. Il eût préféré se retrouver d'un coup au Trias parmi les vrais…

Dans le couloir de la salle des maîtres, il avait croisé des regards allumés, railleurs ou rigolards, voire jubilatoires et insolents: les collègues savaient déjà, surtout les bonnes femmes… Mais c'était Rouget qui la ramenait, le prof de dessin goguenard: « Alors comme ça, on commence à dire que t'emmènes les p'tites filles au bois ?» Il avait repéré, dans son coin, la Khozgot qui pouffait de rire en glissant vers lui un regard d'une chafouinerie incroyable pour juger l'impact de la pique…

Rosenschwein envoya la secrétaire chercher d'urgence cette Le Khozgot qui paraissait être le maillon fort de son argumentaire. Jean-Loup n'avait pas été prié de s'asseoir et ça commençait à l'agacer parce qu'il restait là, au garde-à-vous, comme un bleu devant le juteux et qu'il savait qu'avec un cancre de quatrième, pour peu que son vieux eût une "situation" à la Villeneuve ou suffit: dans la moindre cambrousse merdeuse, le directeur se serait précipité pour lui offrir une chaise. Ça puait d'emblée la volonté d'humiliation.

La bibliothécaire entra, archipateline, emmiellée et miaulante de chatteries envers l'inspecteur d'académie, tortillant son petit cul grassouillet et déployant toutes ses dents. Elle jeta à Jean-Loup un regard d'une jésuiterie caricaturale teintée d'un faux-semblant de compassion.

Rosenschwein en était tout bandant et commença son exposé limite-guilleret. Il émanait de cette assistance un remugle nauséeux de tribunal pétainiste du "Chemin des Dames" qui augurait un militarisme expéditif et fusilleur. Vite, il s'avéra que, dans son bureau de l'Académie, l'Æpyornis maximus avait été tiré de sa lecture somnolente du Figaro par le courrier d'un parent d'élève qui se disait l'ami du recteur M…t et qui, pour le bien moral des progénitures locales, voulait, en bon Français, dénoncer les agissements d'un enseignant anarchiste qui en prenait à l'aise avec les programmes et entretenait avec ses élèves jeunes filles des relations équivoques. Le Lézard terrible jeta le courrier sur le bureau, intimant l'ordre à l'instituteur de lire la quintessence épistolaire du pater familias défendeur de dignité enfantine ! Y était agrafé un document. D'un coup d'œil, Jean-Loup reconnut le polycopié que Nathalia et ses muses avaient distribué en petit comité aux fins de réglementer le "Jardin courtois".

Rosenschwein sortait en jubilant de son sous-main une photocopie surlignée grassement dudit tract et le brandissait vengeur: « Je vous avais prévenu, Monsieur Cuisance; emmener des enfants dans la nature est une lourde responsabilité qui requiert une grande compétence et une vigilance de tous les instants. Le moindre manquement vous est fatal !»

Et il entreprenait, esbrouffeur et cabotin, de lire avec une emphase déclamatoire digne de Guignol, les passages les plus scabreux du code de l'amour courtois tel que, dans une version sortie brute de la bibliothèque scolaire, les filles l'avaient compilée sous la direction du rat-de-bibliothèque au tortillant popotin: « Le parfait amant ne désire d'autres étreintes que celles de son amante.… L'amant n'est jamais rassasié des plaisirs que lui apporte sa dame… En retour, la dame accorde à son amant un baiser, une étreinte, ou la joie d'admirer sa nudité… Tous les subterfuges érotiques sont autorisés, à condition de ne pas en venir au fait (baisers, étreintes, caresses).  » La Khozgot qui avait laissé passer ces baisers, étreintes et caresses crut judicieux de prendre les devants: « Justement, Monsieur l'Inspecteur d'Académie, j'avais bien mis les élèves en garde contre ces phrases-là…  »

C'en était trop pour Jean-Loup; il avait pu se retenir en préparant mentalement sa réponse pendant la lecture du dirlot. Mais la tartuferie papelarde de la rondouillarde le fit éclater: « Quoi ! mais c'est chez toi que les filles ont rédigé un premier texte; c'est toi qui leur a fourni la doc et qui les a guidées pour la rédaction d'un premier jet qu'elles devaient de toute façon soumettre à ma censure et à celle des familles !»
La répétitrice était vive et répondait du tac au tac, d'une voix douce et posée qui avait des inflexions fausses et chattemites. Elle avançait ses fourberies avec des grâces papelardes, des simagrées sournoises propres à amadouer le plus anthropophage des Velociraptors.
— « Certes, tu auras pu te laisser surprendre mais tu aurais dû, au lieu d'emmener tes élèves en discuter en catimini au Bois Goujon, en débattre devant témoins avec tes pairs ou avec Monsieur le Directeur !» Le baiser de Judas de la péronnelle le fit bondir et tapant sur le bureau de direction un coup qui fit sursauter l'encrier, la boîte à cigares, le dirlot et l'Æpyornis:
— « Comment ! Je t'ai fait confiance pour guider mes élèves dans leur recherche livresque et tu rejettes sur moi une faute que tu as commise en laissant passer quelques légèretés ! C'est une félonie, parce que tu sais très bien que toutes ces citations faites par Rosenschwein, je les ai retirées dès la première lecture et que c'est un texte expurgé que les filles ont soumis au règlement du Foyer; non-pas ce qu'on me jette ici à la figure !» Et comme sa voix montait un peu haut, Rosenschwein se sentit débordé et poussant une gueulante, voulut faire acte d'autorité: « Monsieur Cuisance, je ne vous permets pas de manquer de respect à madame la Répétitrice. Excusez-vous tout de suite ou sortez de mon bureau !»

Le Velociraptor qui commençait à comprendre la situation d'autant mieux que Jean-Loup lui avait mis dans les mains la version définitive du Code d'Amour Courtois où plus aucune des citations du dirlot n'apparaissaient intervint alors pour apaiser le ton. Il priait Jean-Loup de s'excuser auprès du Directeur de n'avoir pas référé tout de suite à ses supérieurs du contenu "scabreux" du premier texte des jeunes filles et de l'avoir laissé diffuser tel quel près des familles. Mais Jean-Loup qui était fouetté par son coup de colère ne tempérait pas son impulsion; l'injustice de la situation le révulsait. Dès le premier contact, il avait su que Rosenschwein ne l'aimerait pas. Il avait compris qu'il faudrait, avec ce type étriqué, étroit, exigu, ruser et abuser d'hypocrisie, s'exercer d'être chaque jour un peu plus faux-cul que lui.

Dès le premier jour qu'il était entré dans son bureau, il l'avait entendu mesquiner à ses dépens: « Allo, chère amie ? Oui, ça va bien; je viens de toucher mon deuxième agrégé... Et gnangnangnan…  » Ça voulait dire que de "toucher un PEGC", c'était pas une aubaine ! Avis au dépendeur d'andouilles qui venait se présenter…

Et dès qu'il avait levé le cul de son fauteuil, Jean-Loup avait compris le problème: c'était un petit bonhomme… Dès l'enfance il avait expérimenté, à son corps défendant, la haine des petits… Dans la cour de récré, c'était le microbe qui le provoquait derrière lequel se découvrait tout à coup un gorille alors qu'il se rebiffait. En classe, c'étaient les notes qui ne dépassaient jamais la moyenne avec le prof de chimie, bien trop petit mon ami, dame oui… Là, un Rosenschwein riquiqui allait essayer de le démolir sournoisement, méthodiquement pour lui faire payer ses décimètres supplémentaires. Mais Bon Dieu! c'était absurde et cette fatalité génétique qui le victimisait comme par antithèse face au gnome pédagogique l'encolérait; et que le nabot ait convoqué pour lui faire la peau le Velociraptor gogoliensis l'exaspérait tellement qu'il exulta: « Je voudrais tellement vous faciliter votre pardon, Monsieur l'Inspecteur ! Vous me tendez bienveillamment la perche et moi, sale ingrat, je refuse de la saisir… Aussi j'm'excuse, Monsieur l'Inspecteur, j'demande pardon à Monsieur Rosenschwein. Pardon d'être grand Monsieur le Directeur. Mille excuses et honnis soient mes parents et tous mes ancêtres trop grandes perches de m'avoir légué leurs chromosomes à rallonge !»

  D'un coup, le vent tourna, l'atmosphère s'éclaircit. Jean-Loup comprit qu'il avait marqué un point. Le Dinornis changeait de proie. Le Dinornis était bien emmerdé. Il considérait Rosenschwein qui, révélant son insignifiante petitesse, venait de jaillir de son fauteuil ! C'est que le Proviseur entrait… Cette intrusion subite changeait la donne en donnant le change. Le dirlot perdait la main.

Erwan Le Moualc'h avait atterri au Lycée de la Villeneuve parce qu'il était chasseur et que le bocage du Val Grisette était encore giboyeux, du moins à la vieille époque, et largement pourvu en ACCA et baux cynégétiques.

Avant d'être enseignant, il était chercheur à l'IFREMER et au CNRS. Il avait fait merveille sur la Crepidula fornicata. Lequel gastéropode marin envahissait, depuis le débarquement de juin 44, la rade de Brest et les criques, les anses et les golfes de la Manche, de l'Atlantique, de l'Europe… Comme si la guerre des hommes s'était doublée d'un conflit entre Mollusques, la Patella fornicata du vieux Linné l'avaient emporté sur la coquille Saint Jacques, envasant par ses déjections les fonds marins et se ressemant avec les courants et marées, les rejets des pêcheurs et les chaluts traînants, tout ça dans une java fornicatoire débridée. Pour se multiplier davantage, la bestiole avait imaginé d'être mâle en son jeune âge et de s'empiler sur une colonnade de femelles, fécondées en série, où la plus grosse, aussi la plus âgée, la plus prolifique occupait le dessous de la pile; jusqu'à ce qu'un nouveau jeune mâle vint à son tour couronner ce péristyle copulatoire… Alors, le mâle précédant, pas jaloux et conciliant, se transformait en femelle et rejoignait dans l'édifice du stupre le harem frénétique. Heureuse Crépidule partouzeuse débarquée des Liberty ships sauveurs en 44, bénéficiant désormais de la reconnaissance des millions de cochons bretons libérés… Lesquels pourceaux, polluant les abers armoricains de leur merde, leur diffusaient des everests de matières fécales en suspension que la bestiole jouisseuse, tout en s'acoquinant jovialement, besognait avec ses poils branchiaux pour s'en empiffrer !

Mais Le Moualc'h, pas bégueule ni dégoûté par leur aspect pornographique et passionné par l'attrait des recherches, soucieux de combattre le déséquilibre induit dans la baie de Brest par l'invasion américaine, avait étudié le problème tant et si bien qu'il était allé de découvertes en innovations sur ces fornicatrices encoquillées. Les deux fleuves côtiers de la rade, l'Aulne et l'Elorn, avaient vu leurs vallées se couvrir de cultures très amendées et d'élevages en batterie si nombreux que les apports trophiques immenses des millions de poulets et de porcs, joints à ceux des centaines de milliers d'humains, avaient définitivement pollué la mer. Il en résultait périodiquement des invasions d'algues planctoniques toxiques telles que le Gymnodinium chlorophorum qui s'engraissait joyeusement chaque été atlantique du caca des stations d'épurations des plages surpeuplées. Image onirique d'une corne d'abondance inépuisable…

Leurs cousines Dinophysis chargées de phycotoxines diarrhéiques violentes préféraient les eaux stratifiées du printemps. Tout ce petit monde planctonique intoxiquaient les coquillages d'élevage ou sauvages et déclenchaient épidémies et campagnes d'interdiction chez les bipèdes… Les plus braves, ceux qui, virilement, défiaient le bloom des marées vertes ou rouges risquaient, selon les cas, un syndrome paralytique, diarrhéique, neurologique, voire d'en claquer.

Or, Le Moualc'h avait compris que les Crépidules concentrant la silice des frustules de Diatomées et rejetant leurs silicates dans les eaux de la rade concurrençaient utilement l'explosion démographique des dinoflagellées. Il était donc contre-performant, pour la collectivité, de dépenser des sommes immenses à draguer ces mollusques. Il avait alors étudié en chimiste avisé et en amateur subtil de venaisons faisandées les réactions de Maillard susceptibles de ramollir la chair un peu élastique des pécheresses encoquillées. Le résultat était que les grands chefs de la côte affluaient désormais à la criée des Crépidules pour enjôler les papilles de leurs gourmets.

Étant un authentique écologue, Le Moualc'h avait, d'emblée, jugé que la sensibilité de Jean-Loup pour l'écologie du Val Grisette était providentielle, vue l'accélération qu'il avait constatée, de chasse en chasse, de la frénésie d'urbanisation des lisières et des bocages aimés (10-2↓ ) .

— « Vous aurez observé, Monsieur l'Inspecteur, que Monsieur Cuisance est un esprit éclectique qui a su accéder, quoiqu'étant scientifique, à la demande de ses élèves de fonder un club de littérature française et de poésie ancienne… Et qu'il a su, en même temps, convaincre les jeunes gens de profiter des sorties dans l'écosystème environnant pour étudier l'écotone du Val Grisette, sa géologie, son paysage, tout en pratiquant une sorte d'hébertisme naturel: la marche en milieu rural… »

— « Bravo !» répondait l'Inspecteur et se tournant vers Jean-Loup: « Je vous encourage à continuer dans cette voie et si vous avez besoin de mon aide pour développer cette pédagogie, n'hésitez pas à faire appel à moi. Je demanderai personnellement à Madame Loiseau, notre Inspectrice de Sciences Naturelles qu'elle multiplie ces clubs en s'inspirant de ce que vous expérimentez ici. A propos, Monsieur le Proviseur, savez-vous que vous pouvez rétribuer Monsieur Cuisance en heures supplémentaires d'activités dirigées qui auront en outre l'avantage d'officialiser son action et de le faire protéger par l'assurance de l'Education Nationale ?» Enfin, se tournant encore vers Jean-Loup, il lui serra la main en glissant: « Bof! Ça n'est pas grand chose que ces indemnités; mais vous serez couvert par l'assurance des fonctionnaires… »

Déjà, Le Moualc'h salvateur mettait le grapin sur l'Inspecteur:« Ma femme vous a préparé un de ces faisans aux morilles dont elle a le secret; j'espère que vous lui ferez l'honneur… » Ce beau linge s'éloignait l'eau à la bouche, oubliant la Khozgot dans son coin. La souris ne souriait plus du tout…

  Jean-Loup rentra chez lui le cœur débordant de gratitude envers les Crépidules fornicatoires. Le soir, il s'endormit en rêvant qu'il vivrait assez vieux pour voir revenir du Jurassic Park d'une planète point trop lointaine, des cosmonautes auprès desquels il ferait l'acquisition d'un velociraptor pas plus gros qu'un Chihuahua et qu'il pourrait traîner en laisse… Et s'il croisait la Khozgot, gare à ses mollets rondouillards et à son croupion valseur… !

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 10:   ( Sauter les notes de section 10 )
10-1.-↑ Richard Owen (1804/1892) est l'inventeur des Dinosaures. En 1856 où il devint surintendant du département d'histoire naturelle du British Museum. Il créa le Natural History Museum. Il resta à ce poste jusqu'en 1884. C'est un biologiste, spécialiste en anatomie comparée et paléontologue britannique.
-  Richard Owen sur Wikipedia
- Owen et le Dinornis (Wikipedia)
- Dinosaures dans Wikipedia
Tapez "dinosaures" dans Google: 1.230.000 pages en français pour "dinosaures".x
10-2.-↑ L'invention est de Chauvaud (1998). La Crépidule de la rade de Brest, sur le site INRP
Bref extrait: "L'une des hypothèses fortes de la thèse de Chauvaud (1998) est que : les activités trophiques (filtration + biodéposition) de la crépidule permettraient de piéger la silice biogénique (constituant des frustules des diatomées) à l'interface eau-sédiment, au lieu qu'elle soit exportée en dehors de la rade par la circulation de marées. Après dissolution, les silicates régénérés dans la couche superficielle du sédiment seraient remis à disposition dans les eaux de surface (grâce au mélange turbulent) et soutiendraient des floraisons estivales de diatomées, alors que les conditions dystrophiques régnant en rade devraient conduire à une recrudescence des blooms toxiques de dinoflagellés (Gymnodinium cf. nagasakiense et/ou Dinophysis sp.). L'apparition de ce type de phytoplancton est liée pro parte à un excès des apports en nitrates par les bassins versants et un déficit en silicates associés, le rapport Si/N ayant diminué de 2 à 0,3 entre 1977 et 1993 (Le Pape et al. 1996). En d'autres termes, mener une opération de dragage à grande échelle de la crépidule dans la rade conduirait à supprimer le rôle de filtre joué par la crépidule et pourrait avoir des conséquences désastreuses au niveau du fonctionnement de l'écosystème et de la survie d'espèces exploitées commercialement (Mollusques comme la coquille Saint-Jacques, crustacés …). Le risque de voir se multiplier les floraisons estivales de phytoplancton toxique ne peut donc être négligé."

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Diatribe d'Élisée contre ceux qui méprisaient sa grotte.
— Le vélo vert de l'anarchisme.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Vert il le dissimulait dans un buisson tandis qu'avec une modération calculée et un éclectisme de fine-gueule il dérobait quelque récolte.
« Quand on a b'soin, on s'sert !» proclamait-il. Par-dessus le mur du potager, Jean-Loup regardait venir Élisée. Lequel s'aboulait doucement sur sa bicyclette verte au guidon bien relevé, "à la Harley-Davidson" qui lui donnait une allure digne, un peu hiératique…
Jean-Loup observait sa tactique; il l'attendait pour labourer une parcelle. Tâche qu'Élisée avait acceptée parce qu'il pouvait l'effectuer avec son "outil convivial" préféré: un louchet de Senlis poli, de 28 cm, emmanché béquille avec repose-pied. Sa bêche, il la peaufinait assidûment, la limant, la polissant avec un morceau de brique tendre, l'aiguisant avec la pierre à faux, car de l'outil convivial bien entretenu naît la satisfaction du travail aisé et gratifiant.

Le jardinier philosophe devait obligatoirement passer devant la terrasse de la "Maison de la Viticulture", comme il la nommait. À cette heure, les tables étaient garnies et babillardes. Élisée passait alors très raide, sans un regard de côté, s'appliquant à baisser les commissures des lèvres pour faire paraître une moue d'indifférence… Lorsqu'il avait de peu dépassé la terrasse du troquet, il s'arrêtait et se retournait, pouvant engager la conversation en sécurité, ayant ménagé sa retraite.

— « Ave, Simius tristis ! », les apostrophait-il collectivement. Rajoutant une couche:
— « Salut à vous, éthylocrates distingués ! Les nouvelles sont-elles bonnes ?
 L'œnomancie  (11-1↓ )  vous fait-elle entrevoir un avenir meilleur ?»
— « Écrase-toi ! Tire-toi !» répliquait mollement le plus conciliant.
— « Je vois ! Vos œsophagites vous tracassent » surenchérissait Élisée qui, déjà, zigzaguant à peine, se dressait sur les pédales. Ce que voyant, les apostrophés s'enhardissaient:
— « Tire-toi, roi d'la pédale !» beuglait le plus susceptible. Déjà une ou deux bouteilles de bière fendaient l'air sans réelle intention de meurtrir et venait s'éclater sur le bord du trottoir ou taper le vélo, brimant la mécanique plus que la personne.

C'est qu'elle défiait son siècle, la mécanique d'Élisée. Construite à partir de pièces glanées çà et là dans les dépôts d'ordures que le biffin explorait méthodiquement, connaissant les heures et lieux où il pourrait esquiver les équipes de récupérateurs patentés, préposés à cette tâche par le gardien de décharge moyennant piécette. Lesquels rats de décharge l'eussent étripé s'il l'avaient surpris crochetant leurs chers détritus… La bicyclette verte était une mornifle, un camouflet dans la bouille des pauvres qui s'éreintaient à péter plus haut que leur cul dans des bagnoles-ral'bol trop chères pour eux… Les "couillons à roulettes" disait l'anar. Sa bécane, elle apostrophait ce siècle dilapidateur qui envoyait à la poubelle tant de véhicules fonctionnant encore à quatre-vingt pour cent ! Les plus furieux dissipateurs étant ces mêmes pauvres qui voyaient dans le Gaspillage le remède au chômage…

Encouragés par la fuite du cycliste, Pisse-Goudron et Pousse-Cailloux en venaient généralement très vite aux injures de degré supérieur: « Tire-toi pédé ! Va t'branler dans ta caverne ! Lesquelles invectives touchaient leur cible dans le mille, car l'anar ne pouvait supporter qu'on mît à mal la sincérité de son troglodytisme. Il blêmissait un peu, serrait les freins, posait le pied, se retournait. L'auguste dignité de son geste ramenait le silence: « Ce s'ra toujours plus hygiénique et plus moral que d's'acoquiner comme vous autres à "besogner" vos basses-cours ! Fornicateurs de cloaques ! Travailleurs !».

«Y'en a qui sont des pétainistes attardés. Moi, j'suis un potoniste avancé !» Ainsi vitupérait Elysée, furieux qu'on accablât sa grotte.

« Qu'on me donne un Pol Pot et j'lui servirai d'garde-chiourme et d'lèche-bottes ! Il est chouette vot'libéralisme, tas de hilotes (11-2↓ )  somnambules ! Tout'vot'vie vous êtes esclaves de vot'bicoque, petit caca de bêton qui défigure désormais tous les faubourgs de tous les villages de France ! Jadis, vos grands-parents, (c'étaient tous des bouseux), mais des crotteux qui avaient bâti une France de cathédrales et d'villages surgis de la géologie locale, tellement en harmonie avec le paysage que c'en était une symphonie d'architecture rurale. Aujourd'hui, vous avez laissé dégringoler tous les cœurs des villages et leurs trésors traditionnels et vous avez enchié leurs abords d'un mur de la honte, un mur de blockhaus plantés cahin-caha, au hasard des spéculations foncières de croquants qui font leur beurre sur le dos de la nature ... Un mur de bêêêton »

Il faisait traîner la première syllabe comme un bêlement de brebis. Ainsi bêlait-il le mot "béton" comme une plainte des moutons du panurgisme: les banlieusards du XXème siècle.

« Pedzouilles chauvins, vous vous endettez pour la vie près de banquiers caïmans (11-3↓ )  qui blanchissent dans vos crépis tyroliens l'argent de la drogue colombienne. Vous êtes désormais esclaves du système. Désyndicalisés, vous n'pouvez plus faire la grève, crainte de perdre les prochaines mensualités d'la baraque à rembourser. Et, tandis que dans les petits matins verglassés, vous vous ruez sur les routes où vous vous entretuez, pilotes-ilotes, pour gagner vos annuités de prêt foncier, vos capitalistes rigolent en trempant leur croissant. C'est qu'au même moment, l'armée de leurs dealers s'abat sur la rentrée des classes pour refiler à vos mioches des décalcomanies imprégnées d'LSD ou, aux plus grands, leur ration d'overdose. Pour raccoler les capitaux qui serviront à d'autres cons comme vous qui recycleront dans leurs cacas de bêton l'argent de la dépravation d'leurs propres enfants. Pour permettre à quelques malfaiteurs d'avoir pignon sur rue et piscine dans leur arrière-cour ! Pendant qu'en Ethiopie et ailleurs, des négresses aux nichons plats comme du papier WC allaitent des squelettes survivant sur des guibolles grosses comme des allumettes ! Tâchez qu'ça dure ! Priez pour que ça dure, tas de crétins somnambules ! Tâchez d'faire durer ça avec vos îlotiers de l'ilotisme! J'marche pas dans vot'système, tas d'esclaves sans Spartacus, tas de nègres sans Toussaint Louverture (11-4↓ ) , tas de crétins sans Jésus, tas de moujics sans Lénine ! Allez trimer pour vos blanchisseurs et moi m'branler dans ma caverne ! Ça s'ra toujours moins contaminant qu'vot Zaïroise d'la RN7 ou qu'les volailles de vos basses-cours !"

  En remontant sur ses pédales, il se retournait une dernière fois, zigzaguant dangereusement, s'empressant de s'éloigner pour garder le dernier mot: " Donnez-moi un Pol Pot et je me mettrai à genou derrière pour lui lècher l'cul et vous servir de gardien d'goulag, tas d'micro-bourgeois d'pacotille !".

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 11:   ( Sauter les notes de section 11 )
11-1.-↑
- Œnomancie; cliquer...
L'œnomancie est l'art de la divination par le vin. Contrairement aux autres arts divinatoires, l'œnomancie ne requiert pas de prédispositions particulières. Il n'est donc pas nécessaire d'avoir un sixième sens: Les cinq sens ordinaires suffisent amplement. N'importe qui peut ainsi en peu de temps en acquérir les rudiments. A haut niveau cependant, il convient d'avoir un foie (une foi) solide. http://www.dicoplus.org/definition/oenomancie; T. d'Antiq. Divination qui se faisait avec le vin destiné aux libations.
http://fr.wiktionary.org/wiki/%C5%93nomancie; Étymologie: Mot constitué des formants: œno-, du grec ancien (oïnos) « vin » et -mancie, du grec ancien (manteïa) « divination ».
11-2.-↑ Hilote, hilotisme ou ilote, ilotisme: esclave d'état à Sparte; homme réduit au dernier degré de servilité, de misère ou d'ignorance
11-3.-↑ Les îles Caïmans, le paradis des sociétés-écrans par Anne Cheyvialle pour Le Figaro. Article complet sur le site du Figaro: - Iles Caïmans, paradis des sociétés-écrans par Anne Cheyvialle
Court extrait: « Les îles Caïmans : le seul nom est évocateur. L'exotisme des Caraïbes, son sable fin, ses palmiers mais aussi les valises de billets et les sociétés offshore, qui en font une caricature de paradis fiscal. «On retrouve tous les ingrédients, relève Daniel Lebègue, président de l'ONG Transparency International France. Pas d'activité économique, de l'évasion fiscale, du blanchiment d'argent, des hedge funds. C'est aussi le territoire par excellence du système des boîtes aux lettres.» De fait, grâce au «zéro fiscalité» et une réglementation très souple, ces trois petites îles britanniques de 262 km², coincées entre Cuba et la Jamaïque, sont passées du statut de simples cailloux dans les années 1960 à celui de cinquième place financière au monde, derrière New York, Londres, Tokyo et Hong­kong. En décembre 2007, les actifs des banques représentaient 2 000 milliards de dollars. Pas moins de 80 000 entreprises y sont domiciliées, la plupart n'étant que de simples sociétés-écrans. Il y aurait aussi plus de 1 000 établissements bancaires et compagnies d'assurances et près de 200 trusts. La plupart des banques françaises y sont : BNP, Société générale, Crédit agricole… » (...) etc, voir le site du Figaro. Positivons sur les Iles Caîmans: voyons un site touristique: -" Vivre au paradis…"
11-4.-↑ Toussaint Louverture: Haïti française au moment du décret du 16 pluviôse AnII.
— Toussaint Louverture - Haïti - 16 pluviôse an II (4 février 1794)


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Seconde escapade au "Jardin courtois"
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Jean-Loup et Magloire étaient en retard au rendez-vous de la Halle du XIIIème siècle.

C'est que le Musagète avait dû chercher son ami dans un hameau voisin puis trouver un emplacement pour sa voiture. Mais ce fut l'occasion d'une petite joie matinale parce que les jeunes gens n'avaient pas su la venue de leur agrégé de Français. Ils furent surpris et tout égayés de lui faire fête.

Le président Musagète n'avait pas tardé à comprendre la menace qui couvait dans les allusions égrillardes du prof de dessin et ressenti un prurit intense à se trouver un collaborateur adulte pour encadrer les sorties. Il s'était donc tourné vers Magloire Saint-Jacques, le prof de Français. Dès son débarquement au bahut de la Villeneuve, Jean-Loup avait trouvé en lui un collègue amical et ils avaient sympathisé. L'Antillais était un amoureux de la langue de Voltaire et, tout en professant pour gagner l'entrecôte, il écrivait des romans. L'un d'eux, "Les Conquistadors" (12-1↓ ) , avaient déjà reçu une distinction littéraire. Il poursuivait ses recherches pour l'écriture entamée d'un roman historique "Quatre porchers conquistadors" sur la sanglante aventure des frères Pizarro, crapuleux assassins de l'Inca Atahualpa et légendaires pillards du Pérou…

Magloire ne lui avait promis qu'une seule journée de participation et il avait eu bien du mal à tirer du plumard, de grand matin, l'écrivain couche-tard; mais il était récompensé de voir les discrètes manifestations de joie de Nathalia et de ses trouvères, heureux de retrouver leur initiateur à l'amour courtois. Cependant, les profs eurent l'impression de déranger une discussion un peu vive entre la muse Erato et le troubadour Adam. C'est que tandis que celui-ci recrutait les rares garçons disponibles pour la marche à pied matinale, Nathalia avait écarté Mini-Mas de la sortie, prétextant que ses guiboles gringalettes supportaient mal la distance; et, contre toute attente, c'était le grand frère de secours qui était déçu et protestataire… Alors, Jean-Loup se repassa la saynète à trois personnages que lui avait jouée la grande fille lorsqu'il tentait d'éviter la fracture ouverte et le tibia balladeur, tirant Fée Mélusine, la menue, sur les chirons de grès du Mortval. La controverse lui fit ressouvenir du regard noir…

Les mêmes étaient présents que dans la première escapade auxquels se joignaient Juliette, la muse Uranie de l'astrologie et un garçon qu'elle avait affublé du surnom gracieux d'Eble de Ventadour. Ce gars déplut d'emblée grandement à Jean-Loup… Adam de la Halle boudait à l'écart l'absence de Mini-Mas. Le nouveau n'était autre que le fils Desmytter, l'ineffable parent d'élève qui avait, "en bon Français familier du recteur M.", dénoncé Jean-Loup au Velociraptor. En l'identifiant, Jean-Loup avait d'un éclair flairé ce que son délectable paternel avait imaginé: le marquer "à la culotte" pour pointer à chaque instant la moindre faute du prof. L'impayable ancêtrel espérait, en passant à la moulinette les rapports du fiston, découvrir la faille qui n'avait pas permis de démolir le prof du premier coup, l'Inspecteur d'académie ayant pris le parti contraire… Ce nostalgique de Guépéou était un petit journaliste à la pige, "chien de garde avéré" qui flirtait avec les R.G., s'attachant à jouer les "honorables correspondants" en refilant à un flic encarté des ragots de caniveau glanés au long de ses enquêtes. Désormais, l'œil était dans la tombe et regardait Caïn. Ça promettait d'empeser l'atmosphère !

La semaine précédente, Nathalia avait arrêté avec le trouvère Adam le programme de la sortie. La fille avait choisi un jeu de petits papiers consistant en la rédaction collective aléatoire d'un poème courtois. Le garçon, ulcéré par la vue de la décharge des Broues qui avait gâché leur retour précédent, avait, lui, décidé d'en faire un reportage photographique et d'en tirer un exposé. Quant à Jean-Loup, après en voir référé à son collègue de la nature du "jeu-parti" - à quoi Magloire avait répondu qu'il en ferait une petite causerie "in natura rerum" (12-2↓ ) . L'Instit, écologue, avait choisi de leur donner une idée de la stratigraphie locale en cheminant au plus près d'une ligne de transect perpendiculaire au Val Grisette, ce qui recoupait les couches géologiques depuis les argiles sparnaciennes, déposées jadis par la Loire, jusqu'au grès de Fontainebleau des chaos du Hautmoncel (12-3↓ ) .

On partit donc à nouveau vers l'Est et le soleil levant, à peine aveuglant, dont on sentait que les rayons devaient émoustiller les neurones jusqu'à la glande pinéale…  (12-4↓ )   Jean-Loup avait toujours ressenti une légère exaltation à partir vers le soleil de grand matin. Marcher vers le soleil dans la nature c'était marcher vers la liberté. Juste à cet instant, Adam le Troubadour sifflota quelques notes: « sol-sol la-sol-fa mi-ré-do sol… » Ça suffisait à transporter le Musagète des décennies en arrière.

C'était la fin de la seconde guerre mondiale. Le père était revenu. Pour la première fois, on tournait dans cette maison le bouton d'un poste de TSF. La Résistance venait d'imposer la présence des FTP au gouvernement, les nationalisations, la Sécu… On crevait encore de faim mais les cœurs exultaient après cinq années d'oppression; et voilà qu'on entendait dans le poste des émissions sociales dont l'indicatif était cet air devenu si rare aujourd'hui:
« sol-sol la-sol-fa mi-ré-do sol… »
« Ma blonde, entends-tu dans la ville
 Siffler les fabriques et les trains
 Allons au devant de la vie
 Allons au devant du matin »
Jean-Loup tenta d'entraîner le troubadour à chanter les quelques paroles qu'il avaient retenues; ce n'était que le refrain; ça n'était pas fameux mais pourtant, c'était la joie et les enfants le ressentirent car ils s'y essayèrent spontanément et, toute la journée, on entendit le sifflotis d'Adam. 

Ecouter cet air:  (12-5↓ ) 
Ma Blonde "Allons au devant de la vie"

La décharge des Broues était là, avec son chapelet de camions gigantesques, démesurés par rapport à ce paysage de douceur, à ses routes étroites, à ses toits de tuiles petit moule, à son bocage à mailles fines… Les mastodontes de 18,75 mètres et 40 tonnes arrivaient mal bâchés, semant de partout des débris plastiques qui restaient accrochés dans les haies; ils décrivaient un cercle sur la langue d'ordures qui progressait comme une digue barrant le vallon, se vidaient, et repartaient pour un nouveau tour. Visiblement, les chauffeurs étrangers, harassés de fatigue, étaient payés à la tâche. Ils se croisaient à grand peine sur la route d'accès. Ils étaient convenus d'actionner leurs puissantes sirènes à leur sortie de chantier, afin de faire patienter les convois descendants sur une aire d'attente à mi-parcours de la nationale. Leurs tuyaux d'échappement en disaient long sur le fuel consommé et l'ensemble paraissait avoir transformé le vallon des Broues, jadis consacré aux vaches laitières et bœufs du Nivernais, en Enfer.

Adam le Trouvère avait décidé d'en faire connaître cet aspect à ceux qui, souffrant des bruits et odeurs, n'avaient pas pris la peine de venir admirer la pustule qui dévorait le panorama. Il sortit donc à l'écart, un appareil photo qui fit sourire ses compagnons. C'était une vieille boîte Kodak comme on en faisait avant la guerre, de format 6x9, avec une simple lentille pour objectif. La chambre noire avait bourlingué et le vernis en était écaillé, montrant des renforts d'angles de laiton brillant. Jean-Loup fut attendri parce qu'Adam maniait ça avec déférence: on sentait que la grand'mère la lui avait confiée avec plein de précautions. Il avait dû en fixer, cet appareil, des sourires de jeune femme de la bonne vieille, de sa mère encore fillette, des fiancés, et de lui: bébé, poupon, gamin, premier communiant… Ça marchait encore, tellement c'était simple!

«Dis-donc, "Trou-Verre-à-Dents" ! Comment tu l'trouves
mon Leica ? »

  D'un coup la colère monta dans le cœur de Jean-Loup: c'était le Desmytter qui ramenait sa fraise et plastronnait devant la galerie pour humilier Adam. Il lui mettait sous le nez un vrai bijou Leitz-Camera à chambre Visoflex; ça n'était pas encore le M4P motorisé avec l'accrochage automatique de la pellicule et l'objectif de 135. Mais ça n'était pas non plus l'ancêtre de 1913; c'était déjà un M1 très sérieux avec son viseur bi-focal et un Elmarit de 2,8/90mm qui pouvait faire merveille dans le portrait et même pour cadrer les camions sur le versant Ouest, bien éclairé à cette heure du jour.

Non ! Jean-Loup ne se sentait pas jaloux; il avait un petit 24x36 dans sa musette; mais ce n'était qu'un Condorette italien, avec son objectif fixe de 50 Galileo-Galilei. Il avait trimé pour l'acheter pendant deux mois comme moniteur de colonie de vacances, alors qu'il n'avait pas même l'âge requis et qu'il débutait ses quatre années d'école normale d'instituteur… Et l'autre, ce gommeux, ce gandin, ce p'tit crevé, fils de bourge aussi con que son père venait narguer le Troubadour Adam en le traitant de "Trou-Verre-à-Dents"!

Cependant, demeurant professionnel à grand peine, inspirant en toussotant les émanations pestilencielles distillées par la pourriture d'en face, Jean-Loup se contint pour ne pas gâcher la journée des enfants. Il fit mine de s'esquiver dans un buisson, comme appelé au grand œuvre de la fonction rénale; Magloire veillait sur les jeunes…

Derrière son buisson, tout en ruminant la duplicité du père qui n'avait pas hésité à confier au rejeton un appareil luxueux (ce qui confirmait ses soupçons), il observait tranquillement la scène, Condorette au poing, prêt au clic.

Adam s'était approché du thalweg et, la boîte sur la poitrine, s'absorbait à fixer son panorama sans cadrer le petit groupe de randonneurs. Cependant, Desmytter s'était reculé au plus profond de la scène et Jean-Loup comprit qu'il photographiait… le Troubadour en train de photographier la décharge. Il "bombardait" activement grâce à ses trente-six poses, panoramiquant sur tout le groupe et, visiblement, faisait un arrêt sur chacune des têtes participantes. C'était si grossier que le prof faillit jaillir du buisson comme le fameux "p'tit oiseau" des photographes pour lui arracher sa pellicule des mains; mais encore une fois, pro et combinard, il se trouva plus malin d'être celui qui photographie celui qui photographie… celui qui photographie la décharge… Il se contenta de le fixer méchamment en lançant à la cantonade un: « J'veux voir vos photos dès le développement et avant qu'elles ne soient publiées! »
Desmytter baissa les yeux et se détourna sans répondre.

À la Claire Fontaine… Pas désireux de s'éterniser dans ce Tartare  (12-6↓ )  malodorant, Jean-Loup entraîna vite Magloire et les ados vers les verts fonds du Val Grisette. Ils cheminèrent en des chemins herbeux parmi des peupleraies. Le prof les guidait vers la Fontaine Saint-Rieul. Pas cagot pour deux sous, ça l'amusait de conter l'histoire du saint évêque de Senlis qui avait, au IIIème siècle, évangélisé les environs, de Louvres à Rully, avec force miracles de statues païennes réduites en poudre, de foules batraciennes contraintes au silence et de sources jaillies du sable. (12-7↓ ) . Bien sûr, ce qui l'intéressait le plus était-il autre: leur suggérer, mieux qu'expliquer, pourquoi ç'avait été une hérésie de créer une immense décharge d'ordures nauséeuses au-dessus de cette source. Il avait donc plié dans son sac un bout de papier griffonné d'un dessin au feutre très simplifié où l'on voyait la source, piégée par les argiles sparnaciennes, cheminant dans les sables de Cuise pour jaillir, avec des centaines de naïades, ses sœurs, dans toute la zone marécageuse du val.

SaintRieul

 Les jeunes gens furent étonnés de voir que la nappe d'eau phréatique qui alimentait leur robinet pouvait s'enfoncer sous les dures couches de rochers calcaires, piégée par l'argile à lignite. Ils restèrent ignorants des incroyables batailles de savants géologues qui, au XIXème siècle avaient étudiée la stratigraphie du Bassin parisien. Un problème avaient déchiré ces grands esprits: fallait-il, mon cher collègue, penser que les couches d'argiles étaient déposées uniquement dans les fonds de vallée, là où la paléo-Loire pouvait pénétrer avec ses bois flottés; ou bien les dépôts à lignites s'enfonçaient-ils sous les calcaires, ce qui eût prouvé qu'un épisode de transgression marine avait succédé aux lagunes du fleuve des ères anciennes ?

On vit alors se prendre au col les Lavoisiers, les Dolomieu, les Coupé et les Poiret, les Lamarck et les Cuvier, les Brongniart, les Héricart de Thury et les D'Omalius d'Halley, les Héricart-Ferrand et les Constant Prevost, les Desnoyers et les Élie de Beaumont, les d'Orbigny et les d'Archiac et cinquante autres des plus brillants esprits fossilifères et stratigraphiques du Siècle des Electricités qui se foudroyèrent du regard et de la plume de 1735 à 1838, à qui jurait du dépôt de fond de vallées, à qui prêchait la juxtaposition des couches. Rien que du beau monde qui s'empoignaient aux manchettes de dentelle tant qu'aux rabats de jabotière après avoir barboté dans les boues glutineuses et noirâtres des carrières de lignites. Les plus grands esprits scientifiques de ce siècle technicien en étaient presque venus aux injures et aux déflorationss lorsqu'enfin, le 4 Juin 1838, M. d'Archiac conta que, près de Laon, plus de 1200 mètres de galeries avaient été creusées dans la couche de lignites, sous les collines coiffées de calcaire grossier (12-8↓ ) . C'est ce que Jean-Loup expliquait à Magloire qui paraissait se prendre au jeu.

À peine flapis par un brutale descente, les jeunes gens s'affalèrent autour de la pittoresque vasque aux peupliers frissonnants de la fontaine Saint-Rieul. Alors, bien vite, par un canon harmonieux, les jeunes filles entonnèrent une vieille chanson franco-canadienne…

- Le groupe québecois «Les Cailloux» chante "À la claire fontaine" (Fendez le bois)
- La Claire Fontaine: jolie façon classique
- Trois versions par les Poupons...
- La Claire Fontaine en Chinois: cliquez ensuite tout en bas de leur page
- Jazzy joli: Dans l'eau de laClaire Fontaine (G. Brassens) - Groupe Contreband

Desmytter avait fait remarquer la médiocrité du dessin: « Justement, mon p'tit frère du cours moyen en a dessiné un comme ça la semaine dernière; ça m'y fait penser !» Il en avait cependant fait un cliché. On n'sait jamais, on pourrait toujours y scruter les fautes d'orthographe… Mais Adam avait remarqué que, dans les conditions du dessin, ouvrir une décharge d'ordures sur la pente du vallon, c'était comme de vider ses détritus dans l'eau des biberons; et les jeunes filles en rajoutèrent…

L'intervention des demoiselles parut vexer le collabo qui, pour un temps, ferma son claque-merde…

Alors on entama une lente montée vers le Nord en traversant les couches successives de terrain que Jean-Loup mit en évidence par des indices amusants, de ces petits riens qui font que d'aucuns passent à côté sans les voir là où d'autres y lisent aussitôt l'histoire des millénaires passés, comme si elle était inscrite dans un livre ouvert… Un champ labouré présentait un sol bien noir: c'était un dépôt alluvial de fond de vallée, riche en humus, fameux pour les potagers, pour le maraîchage.

Maintenant, un chemin rural en talus traversait un marais où poussait une mousse qui faisait comme de petits palmiers minuscules: c'était la sphaigne qui avait dû déposer sous le remblai du chemin, des dizaines de mètres de tourbe combustible. Grâce à elle, le marais du Gouy servait depuis toujours de zone d'expansion régularisant les crues de la Grisette.

Plus haut, de nombreux terriers paraissaient au milieu d'abondantes touffes de prunier épineux; d'innombrables petites crottes de lapin saupoudraient les grès qui, sans elles, auraient fait des bancs propices au repos de la troupe: Jean-Loup interprétait aussitôt que cette fois, on montait au travers des "sables à lapin" du Cuisien.

Dans un long coulis de sable blanc piqueté de vert, on ramassait de curieuses petites pièces de monnaie: des "liards" comme disait les anciens: le ruissellement arrachait aux couches inférieures de calcaire glauconieux les coquilles de Nummulites (12-9↓ )  et ça n'allait pas tarder à monter raide car venait la falaise du banc royal de calcaire lutétien…

A chaque fois qu'on changeait de terrain, la flore et la faune variaient et on l'avait fait remarquer plusieurs fois, comme l'utilisation spécifique de l'espace par l'homme… Enfin, là-haut, on allait trouver un lieu amusant où Nathalia pourrait redevenir la muse Erato dans son Jardin Courtois. C'était le chaos de grès du Hautmoncel qu'aimait excursionner Élisée. Formé dans les sables de Fontainebleau, ça serait la couche de terrain la plus haute, donc la plus récente, subsistant dans les buttes-témoins de la région.

Désormais, on gravissait une pente si raide que par instant, le chemin qui serpentait au milieu des bruyères se rétrécissait au passage d'un homme et qu'il fallait s'aider des touffes et racines pour grimper. Les arbres changeaient et les grands pins sylvestres aux tronc rose immense remplaçaient les hêtres. L'air était parfumé de résine et bourdonnait d'hyménoptères butineurs. Tout-à-coup, Jean-Loup ressentit une surprise charmante: une petite main fraîche venait d'accrocher la sienne. C'était Nathalia qui s'aventurait à se libérer de la frustration ressentie lorsqu'il aidait Mini-Mas à sauver ce qui lui restait de tibias dans les chirons du Mortval. Mais il comprit dans un éclair qu'il fallait vite l'écarter: il la repoussa et tournant la tête vers la jeune fille, il lui trouva un visage grave, interrogateur et triste. C'était le regard tendre et bleu d'une fille qui allait vers son père lorsqu'il la repoussait. Cela le peina mais, cachant sa main de l'arrière de la colonne, il fit signe en silence: « Là-derrière, regarde ce qui se passe, regarde, vite; regarde !» Puis se retournant prestement en même temps que la fille, il virent le Desmytter posté en paparazzi qui les mitraillait… Ouf ! Sans doute qu'il l'échappait belle. Nathalia le fixa cette fois avec un regard toujours questionneu  Le chaos de grès investi par la petite troupe qui s'était choisi les rochers les plus doux exposés au soleil, tirés du sac et engloutis les sandwiches, c'était à Nathalia de prendre la direction du jeu-parti.
Elle avait élaboré un jeu des "petits papiers" qui paraissait assez ardu et qui l'obligea à en exposer les règles assez éloignées de celles de nos grand-mères.

Jeu-parti des Petits Papiers selon Nathalia.
Le Desmytter était ostensiblement parti pisser sans élégance et sans trop se cacher. Quand il revint, ce fut pour commencer à mitrailler l'assistance avec un tel sans-gêne que Nathalia explosa: « Dis donc toi, le trouvère de pissotière; on n'est pas tes modèles gratos; alors va jouer les Lartigue plus loin!… » L'absence de réaction des copains montra qu'elle avait tapé juste et l'autre remballa son Leica.

Alors elle commença la série de propositions qui devaient servir de sujet général pour chaque vers; c'était:
Après bien des atermoiements, des lenteurs, des démissions auxquelles Nathalia dut, pour ne pas échouer complètement, concéder le travail par petites équipes et l'aide des profs, le tirage au sort des vers permit de sortir, après plusieurs échecs inaudibles, un poème amusant:

 « Lamartine pas folichon
Il marche au bord de la Moselle
George Sand est la demoiselle
Elle se pomponne en sa maison
« Ouvrez-nous donc un bon flacon!
« Fais-moi vite une ritournelle! »
Il aimait trop les demoiselles
Elle aimait trop le saucisson…»

 La chute fit s'exclaffer Magloire qui rappela l'épigramme dont un poète inconnu avait affublé Aurore Dupin, baronne Dudevant par son époux:

 «Baronne Dudevant, par-devant
Georges Sand, par derrière.»

 C'était une allusion à ses infidélités en complicité du romancier Jules Sandeau dont elle avait pris le début de  patronyme pour s'en faire un nom d'écrivain. Ce que Magloire rappela sous la forme de la délectable définition du cruciverbiste Michel Laclos: « Elle a coupé la queue de son Jules pour se faire un nom »…

Il ajouta qu'à la place du poète railleur, qu'il ne trouvait pas assez caustique, il eût préféré:

 «Baronne Dudevant par derrière
Princesse du derrière par-devant !»

 On rit bien de toutes ces plaisanteries machistes dont Jean-Loup eut un peu honte (mais ce n'était que pour rire). Il adorait George Sand, son "Mauprat" surtout, et rconnaissait en elle une des premières communistes de France. Il le dit très fort en fixant l'apprenti-espion droit dans les yeux comme un défi de transmettre aux R.G. par la filière Desmytter, nouvelle "filière des rats"… Il était rassuré que Mini-Mas ne fût pas là pour entendre ces bêtises égrillardes.
 

Magloire ne se priva pas de faire un cours sur "l'invention" par les Surréalistes, en 1925, du jeu dit du "Cadavre exquis", bien plus simple que celui de Nathalia malgré que Breton eût cru bon d'en référer au grand Sigmund, et qui avait été baptisé de ce nom bizarre (mais compte-t-on encore les bizarreries du Surréalisme ?) parce qu'une de ces construction aléatoire avait donné la proposition:
« Le cadavre exquis boira le vin nouveau ». Grande affaire ! Quant à nous, on en resta aux "Petits Papiers" de Grand-mère…

- Stéphane/Yassine
- Birkin/Hardy
- Régine/Voulzy
- Birkin/Gainsbourg/Dutronc
- "Les P'tits Papiers", Serge Gainsbourg chanté par Régine
— Mille excuse pour la labilité de certains sites; respect de la loi et des intérêts des créateurs oblige…
 Nb: encore qu'un échantillon, par-ci, par-là permet de ne pas les oublier…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 12:   ( Sauter les notes de section 12 )
12-1.-↑ "Les conquistadors": Je parlerai de Maurice Noury, celui de Pierrefitte-sur-Seine, qui avait écrit "Les Conquistadores" édité en 1936. Il avait reçu un prix; je crois me souvenir que c'était le prix du Roman Populaire. Remarquez le pluriel en -ores. On trouve encore ce roman sur Internet, dans les ventes aux enchères ou par correspondance. De lui, je dois avoir encore dans un coin, deux romans qu'il avait dédicacé à mes parents: "Tout le Bonheur du Monde" et "Catherine Terrade", un roman balzacien teinté d'atmosphère Maupassant. Maurice Noury: un bon romancier… Il était aussi Instituteur, Directeur d'École.
12-2.-↑ "In natura rerum" copié sur "De rerum natura" (soit: dans la nature) - Wikipédia:
De rerum natura (De la nature), plus souvent appelé "De natura rerum", est un grand poème en langue latine du philosophe latin Lucrèce qui vécut au premier premier siècle avant notre ère. Composé en hexamètres dactyliques, le mètre classique utilisé traditionnellement pour le genre épique, il constitue une traduction, au sens où on l'entendait à l'époque (voir ci-dessous), de la doctrine d’Épicure. Le poème se présente comme une tentative de « briser les forts verrous des portes de la nature », c’est-à-dire de révéler au lecteur la nature du monde et des phénomènes naturels. Selon Lucrèce, qui s'inscrit dans la tradition épicurienne, cette connaissance du monde doit permettre à l'homme de se libérer du fardeau des superstitions, notamment religieuses, constituant autant d'entraves qui empêchent chacun d'atteindre l'ataraxie, c’est-à-dire la tranquillité de l'âme. (…) La suite dans Wikipedia:
De natura rerum de Lucrèce
12-3.-↑ Jusqu'au Tertiaire, époque où elle fut capturée par un golfe marin de l'Atlantique, la Loire coulait au Nord, déposant les galets de la forêt d'Orléans, les graviers de Lozère (non! un village du Sud de Paris) puis, dans une lagune s'étendant vers Soissons, des vases noires où s'immergèrent des végétaux arrachés aux pentes du Massif Central. Ces vases ont durci en argiles sparnaciennes et, désormais imperméables, elles retiennent une des nappes phréatiques de France des plus importantes: la nappe du Soissonnais qui affleure entre Survilliers et Beaumont-sur-Oise. Plus au nord, il y avait la Manche (… de l'époque: l'homme n'était pas là pour la baptiser!), séparée de la lagune par un cordon littoral de galets qu'on retrouve à Coye-la-Forêt, concrétionné en un joli poudingue de Coye.
- Excursion géologique Sud de Paris: la "paléo-Loire"
- La Dispute des Lignites du Soissonnais; François Ellenberger
Une carte des nappes d'eau affleurant en Ile-de-France publiée sur un site du Bassin Normandie-Ile de France:
- Nappes d'eau d'Ile de France - (Bassin Seine-Normandie édit.)
Niveau des nappes phréatiques d'Ile de France en septembre 2008: remarquer le niveau bas de notre région (Eocène du Valois) - Document de la Direction régionale de l’environnement Ile-de-France:
- Bulletin de situation hydrologique en Ile-de-France Septembre 2008
Nappes d'eau d'Ile-de-France: étude 2005 du BRGM: notre région: éocène du Valois:
- Aquifère capté. Calc. du Lutétien et Sabl. Yprésien - L'Ysieux
12-4.-↑ Glande pinéale ou épiphyse: Extrait: "La glande pinéale ou épiphyse est une petite glande endocrine de l'épithalamus du cerveau des vertébrés. Elle sécrète la mélatonine (dérivé de la sérotonine sécrétée elle par les tissus nerveux), et joue par son intermédiaire un rôle central dans la régulation du rythme biologique. Dans l'espèce humaine, l'épiphyse a la forme d'un petit cône (d'environ 8 mm) (...) L'anatomie et l'embryologie comparées de la glande pinéale montrent que certains de ses neurones partagent une origine évolutionnaire commune avec les photorécepteurs de la rétine des yeux. Ainsi chez certains reptiles et oiseaux, la glande pinéale qui est située juste sous la surface du crâne, capte l'intensité lumineuse extérieure et permet ainsi d'ajuster le rythme circadien de l'animal, ce qui fait qu'on la désigne parfois comme le troisième oeil des vertébrés primitifs. Chez les mammifères, dont l'homme, l'épiphyse a perdu cette fonction photoréceptrice et seules les cellules de la rétine contribuent à la perception de la luminosité ambiante.(...) Glande pinéale, épiphyse: Wikipedia
Nb CJ: on peut cependant imaginer que cette glande puisse jouer un rôle dans la dépression hivernale. ", en plus des traitements utilisés dans d’autres formes de dépression, il existe une thérapie spécifique à la dépression saisonnière : la photothérapie. Elle consiste en des séances d’exposition à la lumière dans des cabines spécialement aménagées, pendant une demi-heure à une heure, permettant ainsi de lutter contre la diminution hivernale de la lumière naturelle." Dépression saisonnière ou hivernale: soinsx
12-5.-↑Ma Blonde "Allons au devant de la vie"


Ma Blonde "Allons au devant de la vie"


Ma blonde, entends-tu dans la ville
Siffler les fabriques et les trains
Allons au devant de la vie
Allons au devant du matin

Refrain :
Debout ma blonde
Chantons au vent
Debout amie
Il va vers le soleil levant
Notre pays

Et nous saluerons la brigade
Et nous saluerons les amis
Mettons en commun camarades
Nos plans, nos travaux, nos soucis

Amie l’univers nous convie
Nos cœurs sont plus clairs que le jour
Allons au devant de la vie
Allons au devant de l’amour

La joie te réveille ma blonde
Allons nous unir à ce chœur
Marchons vers la gloire et le monde
Marchons au devant du bonheur

Dans leur triomphante allégresse
Les jeunes s’élancent en chantant
Bientôt une nouvelle jeunesse
Viendra au devant de nos rangs

12-6.-↑ Tartare (d'après Wikipedia): Dans la mythologie grecque, le Tartare (en grec ancien Tártaros) est un lieu des Enfers. Le Tartare est aussi appelé la prison des Titans, certains d'entre eux y étant envoyés pour leurs mauvaises actions, par exemple abus de pouvoir ou meurtre.
12-7.-↑ Wikipedia: « Saint Rieul de Senlis (IIIe siècle: + 260), compagnon de saint Denis et de Lucien de Beauvais, aurait évangélisé Senlis dans l'Oise et en aurait été le premier évêque durant plus de quarante ans. »
- Hagiographie de Saint Rieul
Extrait de ce site:
« A quatre lieues de la ville de Senlis, dans un village appelé Louvre, saint Rieul rencontre un groupe de païens offrant des victimes en sacrifice devant la statue de Mercure. Emu, il se met en prière et touche de son bâton la statue qui tombe en poussière. Frappé de ce miracle plusieurs personnes demandent le baptême. Sur ce lieu, Rieul dressa un petit autel en bois et le dédia à la Mère de Dieu. Vers 1870, l’église Louvres célébrait encore par une fête solennelle, la mémoire du Saint, qui lui avait fait connaître et adorer le nom de Jésus-Christ.
Mais le plus connu reste le miracle des grenouilles : lorsque le nombre de ses auditeurs étaient considérable, Rieul les réunissait en plein air et " il les nourrissait du céleste aliment des vérités divines" (Delettre) or un jour, en un lieu appelé Rully, comme son discours avait duré jusqu'au soir, le coassement des grenouilles d'un étang voisin vint à couvrir sa voix. Le Saint leur commanda de se taire et les grenouilles gardèrent alors le silence ! (...) en souvenir, les habitants de Rully ont fait représenter une grenouille sur le tableau de leur chapelle de saint Rieul. (...) Une autre fois encore il fit jaillir de terre de l’eau. »
12-8.-↑ François Ellenberger: "La dispute des lignites du Soissonnais"; Comité français d'Histoire de la Géologie (COFRHIGEO) (Séance du 23 février 1983); pour les forts en thème…
- La dispute des lignites du Soissonnais

12-9.-↑ Nummulites: comme de petites pièces de monnaie fossilisées dans la "pierre à liard" ou "calcaire nummulitique" du début de l'ère tertiaire ou Éocène
— Qu'est-ce que l'Éocène, époque de nos régionsNord de Paris?
Paléontologie: Foraminifère fossile de forme lenticulaire, à coquille spiralée et compartimentée, qu'on trouve en abondance dans les terrains de l'ère tertiaire (éocène). Les nummulites étaient si abondantes dans les mers de la première partie du tertiaire, qu'elles forment aujourd'hui des terrains entiers (Boule, Conf. géol., 1907, p.145).(…) Étymol. et Hist. 1801 subst.(Lamarck, Système des animaux sans vertèbres, p.101). Dér. à l'aide du rad. nummul-, du lat.nummulus «petit écu», dimin. de nummus «pièce de monnaie», suff. -ite*. (bref extrait du dictionnaire internet du CNRTL
— Nummulite, dico du CNRTL
— Paléontologie: Nummulites

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cerisier2009 au Val d'Ysieux

Cerisier du Val d'Ysieux - Cadeau: Téléchargez d'un clic la photo 18x24
— 1- Photo seule, signée Christian Jodon
— 2- Photo militante: "Non au béton en Val d'Ysieux"


———·•·———
Diatribe d'Élisée contre les machos de la culture poubellienne…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Jean-Loup n'allait pas tarder à se féliciter à nouveau de la défection de Mini-Mas.

Magloire qui s'était écarté vers la falaise voyait venir, dans le raidillon, une silhouette mal fagotée, affublée d'un sac à dos éculé… Le type marchait assez vite; il serait là bientôt… Mais pour l'instant il était monté sur un des chirons de grès les plus bas, face au vide et contemplait le panorama du Val Grisette qui s'étendait sous ses pieds vers la Villeneuve. Quand Magloire lui signala qu'il portait un ti-shirt rouge à sérigraphie du Che, Sans nécessiter de l'avoir vu, Jean-Loup reconnut Élisée. Il décida sur le champ d'éviter la confrontation des jeunes gens avec le trimardeur et indiqua qu'on levait le camp par une direction contournée. Mais les jeunes filles qui avaient entendu la description de Magloire s'était agglutinées autour de l'agrégé et guettait l'intrus en silence. Ce qu'elles virent alors les amusa tellement que les profs eurent peine à les arracher au spectacle. À une quinzaine de mètres au-dessous d'elles, le chemineau avait posé besace, tombé la veste et, le poing levé, on eût dit qu'il allait lancer des imprécations; il débita d'une voix forte:

«Tas d'cons majuscules !
 Vous allez tous crever la gueule ouverte barbottant, farfouillant…
 Étouffant dans vot'merde et toutes vos déjections !
 Et c'est bien tant mieux !
 Place au poux, aux puces et aux cafards !
 Chacun son tour sur cette planète !
 Réjouissez-vous les scorpions !
 Depuis des millénaires que l'humanité vous aplatissait sous ses talons !
 Eh ben ! Terminus ! L'humanité va disparaître !
 Finie la traversée du désert pour les p'tites bêtes !
 Finie la vie terrifiée des arthropodes chélicérates arachnides…
 Des scorpioïdes, des cloportes et des cafards sous les pierres !
 L'humanité va crever d'avoir trop pullulé !
 Tremblez les arrogants !
 Tremblez les winners !
 Tremblez les machos !
 In cauda venenum, les machos !
 Place à l'ère des poux, des puces et des cafards !
 Place au règne des scorpions !
 Fini les "artistes" ! Place aux "artisoux" (13-1↓ ) 
Place à l'ère post-poubellienne ! »

  Il s'était cru seul et s'en était donné à cœur joie. Il exécrait la Villeneuve et ses lotissements. Aussi avait-il mis au point un rituel de malédiction qu'il reproduisait à chacune de ses évasions au grand chaos. Abominer les Villeneuvieux (comme il disait); les abreuver d'injures. Abhorrer les chieurs de bêton; les engueuler du haut de son perchoir. Abominer les agents immobiliers, les notaires, les géomètres, les bouseux spéculateurs fonciers, les maires haussmagnifiques et leurs con-tiret-à-la-ligne saigneurs municipaux qui tripotent leur POS pour lotir leur pré carré ! Ah ! les invectiver impunément. Vomir les puissants, les goinfres, les gagnants, les machos… Les vilipender sans qu'ils puissent se défendre ! Ah ! Comme c'était bon ! Ô ! Le divin exutoire !

  Il paraissait essoufflé et, renfilant sa veste, commençait à se caler au pied de son rognon de grès favori qui avait emmagasiné la chaleur. Cette fois, Magloire avait reconnu le gueux qui leur avait joué une saynète raciste à la boulangerie.

Élisée et la civilisation des médias monopolisés…

Le bohémien dans sa grotte avait une bonne raison de jalouser Jean-Loup: la télé. Il avait imaginé d'avoir un écran miniature branché sur une batterie de 12 volts qu'alimenterait un panneau solaire photovoltaïque. Mais il aurait fallu que le prof lui commandât une demi-douzaine de puisards… Cependant, il jouissait d'une culture de l'information étendue et connaisait mieux que quiconque les opinions des grands médias politiques. Il professait: « Télé-B. ! Télé-Bêton ! Télé-Bêtise ! Télé-Bourrage de crâne !»

Et il exhumait des poubelles — là où ils avaient trouvé leur vraie fonction dans l'emballage des ordures — tous ces papelards couverts des grands noms de politiciens qui, en attendant de faire l'Histoire, font rigoler la "p'tit'histoire" !

— « La politique sort des boîtes à ordures  !» déclarait-il en piochant la presse défraîchie que des mains laborieuses avaient dévolue à la seule fin digne d'elle: les épluchures… Extrayant des containers puants tous ces grands noms orgueilleux qui s'étalaient hier dans les kiosques, il connaissait toutes les opinions, de l'extrême-gauche aux fachos, tout ça pour pas un rond. Et tandis que d'autres se ramollissaient devant les feux de l'amour, rêvant d'inaccessibles Santa Barbara pour oublier leurs fins de mois, bercés par des Télé-B., des Télé-M., lui-seul, le clopinard déguenillé, triait les vérités qu'il exhumait du sac à dos, ses côtelettes bien au chaud contre son rocher.

Ainsi s'était-il forgé une capacité critique insurpassable.

Supplique d'Élisée à la Dive Bouteille.

Il y avait une fois - par un miracle improbable dans notre civilisation - quelque part dans l'océan Indien — et il existe encore !— au large des côtes de Sumatra, une île où vivent les Hommes-Fleurs. D'aucunes Tartuflette et La Carotte et autre cérébral éthylisé, dans le village des Brandes, les eussent titularisés "pédés", à coup sûr. Leur premier geste de la journée, aux aurores, consistait à se cueillir une fleur d'hibiscus et à s'en parer le visage. Ainsi glorifient-ils les mille esprits de la terre et des ondes, voulant par leur beauté, se rendre dignes de vivre à leur contact. Ainsi le vagabond du Hautmoncel était-il arrivé aux cailloux décoré à la pochette d'un menu bouquet de bruyères.

  Ça s'était passé à la télé à l'heure de l'apéro; Jean-Loup avait entrechoqué son verre de Beaujolais avec Élisée. Une chaîne qui préconisait de passer ses vacances à Sumatra plutôt que dans les milliers de villages français qui attendaient infructueusement des touristes avait catalogué en un quart d'heure les charmes des lointains tropiques… sans les moustiques. Depuis qu'il avait vu dans l'émission de télé que les Hommes-Fleurs demandaient humblement pardon au sagoutier (13-2↓ )  qu'ils vont abattre pour en nourrir leur famille, Elisée demandait pieusement pardon à la bouteille qu'il allait boire avant de la déflorer. C'est ce qu'il s'apprêtait à faire et Jean-Loup voulut faire décamper les filles pour qu'elles n'assistent pas à ce spectacle peu édifiant. Mais elles se cramponnaient à Magloire qui restait, lui, rivé au rocher, trop amusé qu'il était par la scène. Élisée avait extrait une bouteille du sac et... il l'implorait doucement:…

Prière d'Élisée à la Dive Bouteille.

« Je te salue, Bouteille pleine de grâce, et je te demande pardon car je vais te dépuceler !
Mais je te prie de considérer que c'est à l'intérieur des liens du mariage car tu es mienne puisque je t'ai achetée.
Par conséquent, le sixième commandement sera respecté.
— "Luxurieux point ne seras
  De corps ni de consentement
 Et le neuvième du Décalogue, cher à Moïse et mis en vers par les Français dès le quinzième siècle - pour en faciliter l'enseignement - n'en sera pas moins révéré.
 — L'oeuvre de chair ne désireras
 Qu'en goguette seulement…
 Tes pères et mère n'honoreras
 Qu'en mariage seulement…»

 Pause… et Première Communion !

  « Et Dieu sait comme les Français le vénérèrent depuis, le neuvième, de l'alcôve au théâtre des boulevards, et comme il est meilleur pour toi, d'avoir affaire à ma constance plutôt qu'à ce genre de prêcheurs...»

 Pause… et Deuxième Communion !

  « Et je te demande encore bien pardon car je vais te vider de ton sang et, par voie logique, de ton âme. Ne t'en va pas, comme telle épouse américaine, dégoter un juge de derrière les "fagots"  (13-3↓ ) , pour te venger d'avoir été violée par un mari trop fougueux. Car tu en trouverais un... A coup sûr! Pour s'affliger de ton sort de bouteille vidée de son âme par les débordements d'un époux luxurieux. »

 Pause… et Troisième Communion !

  "Sois compatissante au pécheur, ô Bouteille, lequel a marché longtemps sous trop de soleil... Pécheresse toi-même qui t'es prostituée, languissante, derrière ta vitrine, à mes yeux de pécheur, et qui as dévoilé à ma langue tes velours et tes intimes senteurs, ne te fais pas pêcheuse de méchante sentence !»

 Pause… et Quatrième Communion !

  Ainsi parlait Elysée, conjoint fidèle de la Dive Bouteille  (13-4↓ ) , jouant sur les accents de l'emphase comme s'il était en chaire aux grandes vêpres… Il entrecoupait les couplets de longues lampées de Beaujolais; Magloire vit l'étiquette: c'était du bon, du "Fleurie"  (13-5↓ ) .

À grands renforts de « Chut !», Jean-Loup les fit déguerpir par un sentier dérobé…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 13:   ( Sauter les notes de section 13 )
13-1.-↑ Artisoux: c'est le nom affectueux, je dirais "l'hypocoristique", que donnent les Auvergnats aux Acariens de la croûte de certains de leurs fromages, et qui déterminent, par leur présence, l'affinage et donc le goût spécifique du produit. Extrait: "… l’Association des Fromages d’Auvergne regroupe les Syndicats interprofessionnels de défense des 5 fromages AOP d’Auvergne, qu’elle a pour mission de promouvoir. Bleu d'Auvergne, saint-nectaire, cantal, salire, fourme d'Ambert sont ainsi défendus. N'hésitez cependant pas à goûter toutes les productions de la région, tel le fromage "aux artisoux" ou autres gaperons... ".
— Route des fromages d’Auvergne

13-2.-↑ Sagoutier, subst. masc. Botanique: Plante monocotylédone, palmier de taille moyenne dont la moelle fournit le sagou. Synon. arbre à pain, sagou. Moelle du sagoutier; farine, bois de sagoutier; massif de sagoutiers. Exemple: « En remontant le courant sur une pirogue creusée dans un tronc de sagoutier, Renaud apercevait, dans des cases simplifiées, réduites à un toit de palmiers et à un plancher de teck, les indigènes qui allaient, venaient ou demeuraient accroupis » (Morand, Bouddha, 1927, p. 21). ATILF
13-3.-↑ Prononcé à l'anglaise par Élisée; soit: "faggot ou fagot"; an offensive term for an openly homosexual man; Réf: Princeton
13-4.-↑ "La dive bouteille" est un "hapax" (ou apax) cher à Rabelais et à ses disciples; (n.m.) c'est un mot ou une expression dont on n'a qu'un exemple dans un corpus donné; ex du dico: Rabelais "la dive bouteille". En grec désigne un mot qu’on ne trouve qu’une fois dans la littérature.
- Dans l'ATILF; cliquer
13-5.-↑ Village et Cru de Fleurie en Beaujolais:
- Le Village
- Le Cru
- La Cave
— Cliquez l'image ci-dessous pour la zoomer…
Vignoble du Beaujolais; photo Danton

Site officiel: Mairie de Fleurie; cliquez ici

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Jean-Loup et la Table des Clitorocrates.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
La Table des Dames.

Au début de son séjour au Collège de Villeneuve, Jean-Loup avait pratiqué la salle de cantine et s'était trouvé embarqué dans une tablée de collègues sympathiques et d'humeur à plaisanter gaîment. Les hommes y étaient minoritaires et ça n'en était que plus agréable… Mais très vite, l'atmosphère s'était alourdie par la constitution de petites sectes de familiers qui s'étaient rapprochés par affinité d'âge, de syndicat ou de bistrot et il devenait parfois de plus en plus difficile de se glisser dans la complicité des plaisanteries de groupe. Il lui était alors arrivé, sollicité par quelque troubadour ou par Nathalia en personne, de s'asseoir le temps d'un Parmentier à la table des élèves. Cependant, il était toujours heureux d'être invité par une de ses collègues féminines, plus sympa que les autres, à venir déjeûner en bavardant d'amitié malgré qu'il fût difficile de s'évader de la pédagogie. Encore que, satisfaction gastronomique accessoire, ça lui permettait d'écouter les propos des femmes, de plus en plus caustiques, médisantes, jubilantes de félonie aux dépens des absents. Ce jour-là, c'était le proviseur, qui en prenait plein la figure… par derrière, bien entendu !

— « Connaissez pas la dernière ? Paraît qu'hier soir Le Moualc'h à voulu culbuter la nouvelle femme de ménage dans une salle de classe; ça s'est soldé par une baffe ! Je l'sais, Minouche, c'est ma voisine d'en face… » — « De toute façon, renchérissait Rouget le prof de dessin, Le Moualc'h est un con !»
Jean-Loup qui venait de sauver son honneur grâce à son supérieur n'aimait pas entendre ce langage et il trouva des mots plutôt durs pour démolir ce jugement lapidaire. Dans le fond, Minouche était charmante et, si Le Moualc'h avait essayé de la lutiner, le soir, après les cours, loin du regard des sixièmes, ça ne portait pas d'ombrage à la pédagogie. Mais Rouget avait fait son effet auprès de ces dames et montré qu'en chevalier servant, il était prêt à ferrailler, surtout en son absence, contre celui qui leur manquait de considération — puisqu'il en avait courtisée une autre et, circonstance aggravante, la balayeuse…

— « Con toi-même, se disait in peto Jean-Loup qui avait jaugé le Rouget: démagogue plus que pédagogue !». En attendant, celui-ci se faisait mousser à la table des dames… Traversant la cour, Jean-Loup butta dans le Desmytter qui, peut-être, l'avait fait exprès. Il ne se fâcha pas mais lui rappela: « N'oubliez pas que je vous demandé de me faire voir vos photos avant de les diffuser. » L'autre répondit que c'était Rouget qui les développait. Le prof d'art graphique, médiocre dessinateur, avait imaginé de créer un labo de photo dans le cadre du Foyer du Lycée. Il s'était fait sponsoriser par Rosenschwein qui avait débloqué pas mal de crédits pour le matériel et l'aménagement du local.

Magloire et le Troglodyte: trois petits pas dans ceux de Jésus.

Traversant la cour de récré, Jean-Loup rencontrait Magloire, taillé en coureur de cent mètres olympique, en conciliabule avec une poupée haute comme trois pommes, coiffée à l'Iroquoise.
— « Bonjour Mini-Mas; c'était triste, hier, sans toi. Le gand frère trouvère était tout affligé. Nous aussi !» Jean-Loup savourait sa propre hypocrisie en parlant ainsi à la gamine car il avait préféré qu'elle fût absente… surtout pour la prière à la Dive Bouteille; mais il lui plaisait de montrer sa considération à la fillette !»
— « C'est que, répondit la petite, Nathalia ne m'avait pas invitée… sans doute à cause de mes petites jambes !» Hypothèse vérifiée, se disait le prof.

Magloire, ayant compris qu'ils se connaissaient, lui reparla d'Élisée. Il aurait aimé le mieux connaître. C'est alors que Jean-Loup lui conta la caverne d'Ali Baba aux mille bouquins et l'histoire du poème de la Belle Cordière: Louise Labé; l'aisance avec laquelle le clopinard avait déficelé l'énigme du "petit papier"… Ils convinrent d'une visite à faire sur rendez-vous chez l'anarcho-raciste: « Qui sait ? J'y trouverai peut-être une perle pour ma doc sur les Pizarro !»

A quelque temps de là, Jean-Loup qui avait dû s'absenter pour soigner une angine, convint d'un rencart avec le brocanteur en promettant qu'il lui amènerait un client. Très pro, Élisée s'enquit des goûts du fureteur et signala qu'il avait peut-être quelque chose sur la conquête des Indes occidentales. Sûr, fallait pas compter sur le "Livre des merveilles du monde" de Jean de Mandeville, manuscrit à seulement 250 exemplaires aux temps de la grande peste de la guerre de Cent Ans. « Mais, disait-il, j'vais tâcher de lui mettre deux ou trois bouquins de côté »  (14-1↓ ) .

Ainsi fut fait. À quelque temps de là, ils escaladèrent le raidillon de la carrière et tombèrent nez à nez avec le maître des lieux qui, à peine gêné, reconnut la "tête de nègre" qu'il avait brocardée chez la boulangère. Mais sans plus s'embarrasser, Ali Baba leur fit visiter les lieux. Magloire, l'amateur des bouquinistes des quais de Seine, était aux anges et n'en finissait pas de feuilleter les vieux livres qu'il tirait des casiers mal éclairés et venait à tout bout de champ examiner à la lumière du jour… Élisée lui donna donc quartier libre et ils laissèrent l'agrégé se délecter dans ce paradis souterrain du connaître avec la frénésie des cervelles surchauffées par l'imminence du savoir.

Jean-Loup, qui connaissait les bonnes manières en usage dans la grotte du bibliophile, avait sorti du sac à dos la bouteille de Morgon et trois superbes sandwiches dont le parfum embaumait; l'hôte, empressé, avait sorti à mi-ombre la petite table de ses frugales agapes et deux chaises, la troisième étant remplacée par un bloc de calcaire lutétien à nummulites oublié par les carriers.

À une ou deux heures de là, impatients de dévorer le festin parfumé, ayant déjà trinqué à leurs amours, les deux compères virent émerger Magloire les bras couverts de livres. Ils n'avaient, ni l'un ni les autres vu passer le temps, l'un furetant avec fébrilité, l'autre séchant les séquelles d'une trachéite, et le troisième réchauffant ses rhumatismes. C'est alors qu'Élisée se souvint d'avoir réservé quelques ouvrages de documentation sur les mirobolants exploits des Espagnols et qu'il les présenta au romancier.

Il y avait là "Les conquistadores de l'Amérique centrale" de Jules Verne, lequel n'était pas dupe de l'immoralité de ces soudards furieux mais pouvait laisser là libre cours à son appétit de voyages extraordinaires. (14-2↓ ) 
Il y avait "Les conquistadors espagnols" de F.A. Kirkpatrick édité chez Payot à Paris, en 1935.
Il y avait un tome II de l"Historia General de España" de Modesto Lafuente, édition de Barcelone de 1887 qui émerveilla l'agrégé pas effrayé d'avoir à lire le castillan.
Il y avait aussi "La leyenda negra y la verdad histórica" de Julián Juderías qui, dans son livre paru en 1914 critiquait l'imagerie glauque que l'expansion espagnole post-colombienne évoquait à l'étranger.
Enfin, il y avait la fameuse "Historia de las Indias" du réputé Las Casas, édité par le Fondo de Cultura Económica de Mexico en 1951; et le bouquiniste des ténèbres s'excusait de n'avoir pas trouvé la "Brevísima Relación de la destrucción de las Indias" du Dominicain, vénérable défenseur des Indiens d'Amérique et des Noirs dont il avait pourtant, dans un premier temps, préconisé l'importation en remplacement de la main d'œuvre autochtone réduite à néant par la brutalité des sujets de leurs majestés très catholiques  (14-3↓ ) 

Du coup, la gueule pleine et gargouillante d'un Morgon gouleyant, ils démarraient une discussion passionnée sur les abominations décrites par Las Casas.

— « Ah! Mes frères, oserons-nous renouveler les naïfs transports des premiers chrétiens? Retrouvons, je vous prie, la ferveur des agapes... » avait déclamé Élisée qui trépignait à l'odeur du jambon-beurre trop longtemps désiré. Ce n'était qu'une citation approximative des "Copains" de Jules Romains, bouquin préféré que le troglodyte gardait sous le coude. Jean-Loup la connaissait pour l'avoir entendue maintes fois avant boire. Il savait qu'Élisée se faisait une délectation intellectuelle de la servir à l'agrégé sans que celui-ci n'en relevât l'origine; on n'peut pas tout savoir… Et Jean-Loup avait dû la subir plusieurs fois avant que l'ermite lettré lui en délivrât le secret ! Consolation, il reçut un discret clin d'œil de l'ermite (14-4↓ ) 

C'est après collation qu'eut lieu l'escarmouche oratoire, Élisée dégainant sa pipe qu'il bourra de caporal ordinaire, Magloire sortit un élégant paquet de Virginia Players qu'il tendit par pure élégance, sachant qu'on lui refuserait.
Jean-Loup qui ne fumait plus depuis longtemps se mit sous le vent de l'Angleterre pour s'épargner les rigueurs gauloises et mieux profiter des blondeurs du Player's Navy Cut Finest Virginia… Maintenant, de bouffée en bouffée, de lampée en lampée, les deux contradicteurs joutaient sur le thème de l'éternel ressentimen: le trafic du bois d'ébène. Magloire en rajoutait couche sur couche — et les conquérants d'Isabelle de Castille (dite "la Catholique") et de Ferdinand II d'Aragon (dit "le Catholique") , eux-mêmes promoteurs de l'Inquisition et de l'expulsion des Juifs d'Espagne — lui fournissaient des arguments percutants. Élisée n'avait guère de peine à défendre la blancheur de lin des Grands d'Espagne en arguant des inextinguibles luttes tribales des ethnies africaines qui alimentaient, de toute évidence, et longtemps avant l'arrivée des trafiquants de chair humaine de Nantes, des colonnes d'esclaves dans les déserts d'Afrique et d'Arabie. Magloire lançait au visage de l'anar un Las Casas; l'ermite des livres lui renvoyait en pleine bouille deux sommités de première: l'Abbé Grégoire et Victor Schoelcher…  (14-5↓ ) 

Jean-Loup suivait en somnolant le colloque champêtre, étalé sur son bloc de calcaire coquillier doucement chauffé par une belle matinée de soleil. Il se gardait d'intervenir, à l'abri du vent, soignant tranquillement ses séquelles de bronchite. Sur une lampée finale qu'il se disputèrent à ne pas boire, Élisée et Magloire conclurent la transaction et tombèrent dans les bras l'un de l'autre, se traîtant affectueusement de "Mon frère" à la mode musulmane. Ça baignait dans l'huile de Saint Chrême. Jean-Loup rigolait d'avoir, aux dépens des très catholiques rois d'Espagne — religion au nom de laquelle leurs conquistadores avaient massacré des millions d'Indiens d'Amérique — entraîné l'Élisée, ex-raciste, à faire trois petits pas dans ceux de Jésus.

Jean-Loup et le Fantôme du Lycée.

Le prof de Sciences nat qui venait de s'absenter pour raison de santé fut surpris par l'atmosphère qui régnait dans le quartier des TP. L'agrégée chuchotait dans son dos avec la Khozgot qui le guettait en ricanant sournoisement.

La Zgot était une instit qui avait raté son CAPCEG après avoir échoué au SPCN malgré une délégation de traitement d'un an pour préparer la propédeutique à plein temps, rue Cuvier, Fac de Sciences. Bon prince, l'inspecteur d'académie l'avait casée au Lycée de Villeneuve comme seconde aide-laborantine à mi-temps. Pour le reste, elle devait se partager, suivant les besoins du moment, entre la documentation et le pionnicat  (14-6↓ ) . Les élèves des terminales partageaient les classes du collège qui étaient déjà aménagées pour les Travaux Pratiques. Il était donc convenu qu'en échange de bon procédé, la seconde laborantine serait partagée, pour la préparation du matériel, avec le premier cycle: les petites classe de collège. À l'époque, un ministre habyté de bonnes intentions avait prévu d'introduire la physique en sixième. On ne pouvait pas enseigner le circuit électrique aux bébés en gribouillant force équations au tableau noir. Il fallait manipuler pour comprendre. Car la main est dépositaire d'intelligence comme le cerveau et souvent, c'est par elle que commence la compréhension. Mais la Le Khozgot était une grande tricoteuse devant l'Éternel. Ayant accepté le marché dans un premier temps, elle avait après coup combiné de manigancer des pieds et des mains pour revendiquer son statut d'employée exclusive du lycée. Elle s'était, dans ce dessein, acoquinée avec Beauserfeuille, un escogriffe servant de concierge et se prétendant, encore qu'incapable de planter un clou, chef du personnel technique. Il était responsable syndical et chef de la section cégétiste du collège. S'étant fédérés contre les profs, ils avaient ourdi de leur faire respecter à la lettre la nomination "sur le lycée" (pas le collège) de la Z'Got.

Jean-Loup s'était donc bagarré contre la cossarde pour l'obliger à faire son boulot, alors qu'il la trouvait régulièrement planquée au fond de la remise du labo, à tricoter les layettes de ses mômes. Mais l'escogriffe Beauserfeuille avait machiné d'encarter la feignasse à la section départementale d'A… où les attendait une avocate spécialisée dans les conflits du travail. Laquelle, habituée à tramer des plaidoiries pour aider les combinards à se défiler de leurs obligations contractuelles avait confirmé: « Vous êtes nommée sur le lycée; refusez de travailler au collège. Cramponnez-vous à ça; vous aurez toujours raison. Même en face de l'académie !»
La Zgot refusait donc de préparer le matériel des TP de sixième; sauf pour les sixièmes de l'agrégée… Celle-ci, en effet, était chargée, en tant qu'adjudant de laboratoire, de la noter en fin d'année !

Il en résultait une charge de travail exténuante pour Jean-Loup qui, ayant obtenu à grand peine du proviseur une clé avec l'autorisation de s'introduire en classe une demi-heure avant l'ouverture officielle des locaux, devait se taper l'installation, paillasse par paillasse, du matériel des TP. La situation était d'autant plus exaspérante qu'il se farcissait vingt-cinq heures hebdomadaires de cours là où l'agrégée n'en faisait que quinze. L'inégalitarisme de charges entre les profs induisait donc une inégalité de traitement entre ses sixièmes et celles de la sorbonagre… Et la Khozgot tricotait… À la fin du cours, c'était la débâcle. Dans un laps de temps théoriquement nul, il fallait vider la classe de tous les TP pour laisser le champ libre à Miss Berlingot qui lâchait un tsunami de terminales devant les paillasses… Le plus souvent, pour faire un cours ex-cathedra sans recours aux exercices manuels ! Alors, sa seule activité physique résidait en un jonglage adroit entre le tableau noir et le cendrier… Elle savait même gribouiller en tenant sa clope d'un geste élégant évoquant le chic ganté de quelque gourgandine du cinoche. C'était Jean-Loup qui héritait la poubelle de mégots et n'avait plus qu'à le vider en respirant une tabagie funeste à ses bronches. La Khozgot tricotait toujours, ouvertement cette fois, en lui jetant par moment un regard sournois, l'imperceptible sourire au coin des lèvres. Lui, dans un temps record, évacuait le matériel avec deux ou trois mômes adorables qui acceptaient gentiment - c'était le cas de Mini-Mas - de charrier avec lui les TP dans la remise où il fallait encore s'empresser de libérer les roulantes…

En plus il se tramait un complot et la Khozgot ne quittait ses aiguilles que pour, dans son dos, chuchoter des secrets à Miss Rosebud, ricanant ouvertement quand elle l'apercevait. Il demanda donc à sa collègue ce qui se passait. « Rien !» répondait-elle; et elles repartaient à rire toutes les deux.

A midi, il se retrouva à la table de Marie-Lou, la collègue sympa qui l'avait invité. Elle l'avait pris à part, s'était souciée de sa santé puis lui avait demandé s'il était au courant du… Fantôme du Lycée. L'instit n'en revenait pas que des gens intelligents, jugés parfois comme l'élite intellectuelle du pays, puissent élucubrer de pareilles billevesées. Mais du même coup, ç'avait fait tilt ! dans son cerveau et il comprenait d'un éclair les chuchotements de conspiratrice de la Khozgot. Voilà qu'il était pris dans le filet des fariboles d'une feignante qui triomphait d'avoir berné jusqu'à l'inspecteur d'académie, son cher Velociraptor, mais qui, coachée par l'agrégée de sciences nat, voulait pousser le pion jusqu'à détruire le mâle qui s'était attaqué aux brassières de sa progéniture…

Marie-Lou la Douce expliquait que pendant l'absence de Jean-Loup, un Fantôme s'était introduit dans les salles de travaux pratiques pour détruire l'appareil de cinéma et casser plusieurs connexions d'électricité des paillasses  (14-7↓ ) . Comme il détenait une clé, il était le suspect numéro 1 et la Khozgot avait, stimulée par l'escogriffe Beauserfeuille, obtenu de Rosenschwein qu'un conseil spécial fût tenu dès l'après-midi pour confondre collectivement le coupable. L'espace d'un instant, le temps de repasser à l'état de colère, Jean-Loup eut un frisson glacé dans le dos.
— «  Tu frissonnes, tu n'es pas encore parfaitement remis; viens à table.
— Attends, va falloir que j'aie en face de moi la Khozgot ? Viens plutôt avec moi à la table de Nathalia !
— Pas question; si nous faisons ça, les salopards vont croire que tu t'enfuis. Faut affronter et si besoin leur rentrer dans le lard !»
La détermination de Marie-Lou la Douce le réconforta.

  La convocation arriva peu avant les cours mais Jean-Loup avait eu le temps d'examiner l'appareil de cinéma et les connexions des paillasses. Lorsqu'il était arrivé au collège de Villeneuve, il avait cherché s'il y avait un projecteur dans l'établissement. On lui avait répondu évasivement qu'il en était un, peut-être, dans un placard, que jamais nul ni personne n'avait fait marcher et que, par conséquent, on ignorait s'il était en état de fonctionner. C'était lui qui avait donc sorti de son ergastule poussiéreux le Debrie 16mm, en avait reconstitué le puzzle et l'avait mis en route. Il avait dû batailler pour leur faire contracter un abonnement de films à l'Institut pédagogique national de la rue d'Ulm et se farcissait la réception et le transport, arrivée et départ, des lourdes bobines de pellicule de seize millimètres. Il le couvait, le chérissait son appareil, ayant construit un support et des boîtes où loger les accessoires, notamment le transfo, potentiellement dangereux pour les enfants; lequel boîtier était protégé par un minuscule cadenas dont la clé restait accrochée au labo. Désormais, tout le monde s'en servait et, le vendredi après-midi, Rosenschwein assisté de Rouget lui confisquait l'appareil aux dépens de ses classes pour les besoins d'un ciné-club généraliste où l'on diffusait toutes sortes des films commerciaux n'ayant aucun rapport à la pédagogie. Ça passait le temps ! Des élèves entraient sortaient du cours en disant: « C'est autorisé; c'est pour le ciné-club !» Il n'avait rien à dire, qu'à la boucler. Il rongeait son frein…

Jean-Loup se dirigea donc vers le bureau du dirlo où il était censé venir à Canossa, le regard fuyant, et pourquoi pas, fesses à l'air, en pans de chemise et la corde au cou, comme à Calais… (14-8↓ )  Mais il ne l'entendait pas de cette oreille. Rosenschwein, sérieux comme un chat qui chie dans la braise, prêchi-prêcheur et solennel, exposa l'objet du délit ajoutant que… "c'était pas lui, c'étaient les autres" qui suggéraient que Cuisance était le seul, à l'exception des dépositaires "légaux" à posséder la clé. « Et maintenant, que le coupable se dénonce !» pontifiait le gnome en fixant Jean-Loup… Lequel, calmé par le soutien de Marie-Lou et d'un collègue sympa qui lui avait refilé un tuyau primordial sur l'affaire, répondit dans le plus grand calme apparent:

— « Une fois de plus, Rosenschwein cherche à me mettre dans l'embarras. Voilà pour l'histoire de la clé: que les cons qui m'accusent sans qu'on me les ait désignés viennent répéter leurs balivernes devant moi ce soir, dix-sept heures, à la gendarmerie. Je les y attends pendant une demi-heure. Passé ce délai, s'ils ne sont pas venus me présenter des excuses pour les fariboles élucubrées par leur cervelle de sous-intellectuels déprimés, phantasmes qui me valent de comparaître ici en bête furieuse accusée d'avoir piétiné son propre potager, c'est moi qui porterai plainte pour dénonciation calomnieuse; et je citerai tous les collègues et néanmoins amis présents ici pour me voir étriper, comme témoins. Nul doute qu'ils fassent alors leur devoir de citoyen, non qu'ils soient pressés de me rendre justice mais parce que dans le cas contraire, je porterai plainte contre eux également, cette fois pour refus de témoignage… (Une petite pause dans le discours, comme il l'avait vu pratiquer par Élisée, le temps que la fumée des tabagiques s'éclaircissent et qu'ils prennent la mesure du risque, avec un petit froid dans le dos — chacun son tour !) Maintenant, j'explique les problèmes survenus au lycée en mon absence… »

La panne du projecteur Debrie était facile à diagnostiquer: les bornes d'arrivée/départ du courant avaient été inversées dans le coffre décadenassé par force. Au lieu de délivrer du 110 volt, le transfo avait fourni, un instant bref mais suffisant pour griller l'appareil, du 440 volts; l'agrégée de physique n'y avait rien vu, rien compris ! Celle de Sciences nat était, bien sûr, excusable… Longtemps après, elle devait reconnaître que le cancre qui occupait la place du fond était alors… Desmytter ! Quant aux prises sans courant, le collègue sympa lui avait soufflé qu'un électricien était intervenu sur l'installation de la salle peu après la panne du projecteur. Il avait oublié de rebrancher les fils de desserte individuels à certaines tables, pressé d'aller d'aller pisser, baffrer ou d'en griller une sur la pelouse… C'était réparé… "par votre Cuisance, pour pas un rond, en dix minutes"… Lequel Cuisance attendit plus d'une heure les dénonciateurs à la gendarmerie sans les voir venir; mais ne porta pas plainte, se contentant d'une "main-courante". À la fin du mini-procès de Moscou qu'on lui avait intenté, en effet, le proviseur, resté muré dans le bureau d'à côté pendant la bagarre, avait surgi comme un diable de sa boîte et l'avait exhorté puis supplié de ne pas porter plainte… Décidément, le Velociraptor ne hantait pas que les nuits de Jean-Loup et la crainte de voir se réveiller l'histoire de Minouche n'était sans doute pas étrangère aux prières du proviseur… Jean-Loup fut heureux d'avoir l'occase de lui renvoyer l'ascenseur…

Dans la cour, il croisa le Desmytter et lui réclama les photos de la sortie du Hautmoncel: « Elles sont foutues; Rouget a raté le développement !» Il ne fut pas convaincu mais allez y voir…

L'atmosphère avait changé, le lendemain matin, au labo où la Khozgot rasait les murs. A la cantoche, Jean-Loup trouva sa place entre Marie-Lou et Duruy, le PEGC sympa qui l'avait si utilement rencardé. Les papotages allaient leur train. L'agrégée de Sciences nat fit un exposé sur l'homosexualité animale, citant les Bactéries* qui échangeaient à égalité de sexe des bouts de filament chromosomique, les escargots et leur stylet stimulateur, les huîtres changeantes, ajoutant perfidement que Le Moualc'h devait en savoir long sur les trépidantes mœurs sexuelles des Crépidules dorées de la rade de Brest et que ça devait l'obséder. Le collègue crut le déniaiser, pendant la péroraison, en lui soufflant que la naturaliste était une "Mademoiselle Broute-Minou", comme il disait galamment, et que son binôme de tribadisme était "Madame la Censeure", ajoutant, rigolard mais pas vraiment critique, qu'elles avaient donc tout ce qu'il fallait pour monter vite fait au septième ciel.

Petit à petit, occupant la table davantage pour surveiller les médisants et leur couper leur langue de vipère que pour se nourrir, Jean-Loup étudiait le petit groupe formé principalement de dames et réformait de fond en comble ses conceptions de la sexualité féminine. Il avait épousé une femme belle et douce qui lui avait donné dans la souffrance le plus beau cadeau du monde, un fils qu'il adorait et qui avait désormais huit ans. Pour eux deux, il avait acheté, dans le village des Brandes, une antique maison rurale au toit percé; il la réparait en prenant sur ses repos dominicaux et ses fameuses vacances d'enseignant… Ça lui paraissait être la voie normale, celle tracée par la nature où l'évolution avait inventé, pour résoudre les problèmes d'inadaptation aux changements permanents du milieu, la sexualité. Quand le milieu devenait défavorable, appauvri en nourriture ou pollué, les Paramécies — qui d'habitude se reproduisaient en se coupant en deux, par scissiparité — se mariaient, échangeaient leur micronucleus et avec lui, les capacités du mieux adapté aux duretés de la vie. Pareillement des bactéries à l'homme, même en passant par les crépidules chères au patron, lesquelles changeaient de sexe par effet de proximité: « Vlà un jeune mâle; je m'change en femelle puisqu'il faut un couple bisexué pour faire plaisir au Bon Dieu !»… Donc, s'écarter de la voie de l'Évolution, c'était être déviant; vouloir sortir du schéma imposé par la Vie, c'était humain, mais il fallait assumer sa déviance sans arrogance. Pas plus grave que ça, d'ailleurs, comme les frasques des soixante-huitards l'avaient montré: un jour, on tolèrerait tout ça pour pacifier l'existence de ceux qui voulaient marcher en dehors des voies de la nature. Liberté, Égalité, Parthénogénèse…

  Il eut un petit pincement lorsqu'il apprit que Marie-Lou, sa collègue préférée, était lesbienne; elle était non militante ni prosélyte en cette confession et sa discrétion la mettait à l'abri des critiques et d'éventuelles sanctions; d'ailleurs, elle était purement pro avec ses élèves, encore que Jean-Loup se souvienne de la douceur qu'elle affichait avec Nathalia, ayant imaginé que c'était en considération d'El Halia. Dans le fond, il la ressentait plutôt bisexuelle.

L'agrégée de Sciences nat, au contraire, était une déviante genrée, typiquement "butch" mais pas du tout camionneuse déménageuse; vachement lipstick, typée «rouge à lèvres», sophistiquée, vêtue féminine. Même quand elle portait pantalon et cravate c'était gracieux. Coiffée petit garçon, garçonne 1920 ou mèche Louise Brooks. Elle était superbe mais valait mieux se boucher les oreilles quand elle commençait à professer ses credos de la Confédération lesbienne. Les mâles de la table de cantine, réduits, au mieux, dans ses moments de condescendance, au statut de mâle de termite, rentraient au fond de leurs godasses et on ne les entendait plus jusqu'à la fin du repas. Sauf Rouget qui, dépassant tous les critères d'adaptabilité démagogique, arrivait à surnager aux pires dysménologorrhées  (14-9↓ ) 

Intelligente comme pas un, elle en imposait par son titre, ses appuis administratifs et politiques (elle avait judicieusement adhéré au Parti et à la CGT). Surtout, elle se tenait parfaitement à carreau dans sa classe et se rattrapait dans les défilés de la fédé. Au labo, elle s'ingéniait surtout à instrumentaliser la Khozgot contre les mâles qui prétendaient la ramener. La Zgot qui était une femelle standard, soumise au phallocratisme, très domestique, tricoteuse en diable, andro-centrée sur un époux aux bonnes grosse jambes poilues de supporter du PSG, n'était elle-même pas du tout de la pelouse… Mais elle se laissait driver par sa patronne qui la soutenait dans sa carrière laineuse grâce à de bonnes notes de fin d'année. Près d'elle, elle fayotait sans jamais la critiquer, quand même qu'in peto, elle ait eu ses idées…

Notre Miss Bouton-de-Rose avait sa conjointe discrète, "Madame la Censeure", brouteuse de gazon genrée "fem", habillée chic Chanel. Elle arborait les fameux petits tailleurs sobres aux teintes neutres, aux jupes à peine raccourcies qui mettaient en avant sa démarche gracieuse quand elle traversait la cour, et dans les couloirs où elle pratiquait cette contorsion ridicule des mannequins consistant en un croisé de jambes par-devant complètement anti-naturel mais conventionnellement élégant. Elle répandait alors de délicieux effluves de Numéro Cinq et les garçons se retournaient sur elle pour en profiter plus longtemps; mais c'était aux jeunes filles qu'elle glissait sagement, de ça, de là, un imperceptible sourire et un regard doucement appuyé qui en disait long sur le futur passage dans la classe supérieure. Elle avait eu une alerte qui s'était soldée par une plainte vite levée des parents, suivie d'une promotion immédiate de l'académie au bureau de Censeure où elle serait moins facilement soumise à la tentation.

À la table des dames, on trouvait aussi la vieille fille traditionnelle, pas forcément vilaine ni revêche; mais qui avait oublié, de brassées de bouquins en piles de cahiers à corriger, de prendre le temps de vivre, de s'attarder à prendre son pied.
Pour la majorité, c'étaient des mères de familles hétérosexuelles, parfois uniparentales, divorcées, indépendantes; souvent laxistes et routinières, parfois autoritaires et compétentes. Toujours jalouses de leur indépendance mais rarement en grève pour complaire à la hiérarchie et arracher les bonnes notes à la distribution des prix… Et surtout empressées d'accepter les augmentations gagnées par les mecs qui avaient paumé leurs journées de grève à les obtenir…

Jean-Loup avait donc recensé toutes les composantes de cette collégiale fémininine largement majoritaire — 60% suivant le ministère — autant empressée à promouvoir, dans le sillage des féministes, de nouvelles lois "paritaires" que brûlante de les piétiner dans le secondaire, à la faveur de la règle des seize ans et de la mixité. Tombé brutalement des djebels d'Algérie où il devait commander à grand coup de gueule des rappelés cabochards qui voulaient toujours se reposer au pied d'escarpements qui avaient coûté l'émasculation à tant de garçons venus là pour sauver la République, jusqu'en cette gynarchie pédagogique où il était réduit à néant tout l'été par des femelles de puceron parthénogénétiques et au mieux, à l'approche de l'hiver, au statut de mâle périodique, il se sentait assommé à grand coups de clitoris entre la Khozgot laineuse et la brouteuse de boutons d'œillets, superbe et mortifère…

  Le mortifère, fallait s'y faire: c'était la clitorocratie qui montait, avec la jeune sève…

  A la table des dames, Rouget lui disait, goguenard: « Alors, paraît qu't'emmènes les p'tites filles jouer à cache-cache aux grès du Montcel ?» La Khozgot pouffait dans son Parmentier en lui jetant un regard distillant la perfidie. Elle glissa: « C'que tu sais pas, c'est qu'ils s'isole dans la remise de physique avec des gamines sous prétexte de ranger ses travaux pratiques !» Jean-Loup piqué au vif répondait: « Ça vaut toujours mieux que de s'enfermer dans les vapeurs d'hyposulfite avec des p'tits garçons impubères !» Mais le génie du dessin avait sorti une grande enveloppe d'où il extrayait un agrandissement 30x40 parfaitement cadré et contrasté: l'instant où la main de Nathalia avait, pendant une fraction de seconde, saisi la sienne, dans le raidillon du Hautmoncel…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 14:   ( Sauter les notes de section 14 )
14-1.-↑ Bactéries: procaryote (donc, pas animal)… dont le génome est constitué d'ADN.  La bactérie contient un seul chromosome et éventuellement des plasmides; donc, dans la conversation rapide, mal classée ici… L'Agrégée sait tout ça bien sûr; c'est un raccourci.
14-2.-↑ Jean de Mandeville: L'explorateur Jean de Mandeville, mort à Liège le 17 Novembre 1372, a affirmé être un chevalier anglais. Il fit, à partir de 1322, un voyage de 34 ans en Égypte (ce qui paraît assuré), puis en Inde, Asie centrale, et jusqu'en Chine(ce qui est plus douteux), voyage considérable pour l'époque. À son retour vers 1355-1357, il fit le récit de son voyage, dans un livre intitulé Livre des merveilles du monde (...) Il a pu compiler les récits de voyages antérieurs (Guillaume de Boldensele, Guillaume de Tripoli ou Odoric de Pordenone). On sait qu'il influença le jeune Christophe Colomb (sphéricité de la Terre). (D'après Wikipedia) Son "Livre des Merveilles du monde", plus souvent appelé "Voyages" a fait récemment l'objet d'une édition par Christiane Deluz au CNRS, édition critique (...) faite à partir des 25 manuscrits connus à ce jour. Jean de Mandeville, Le Livre des Merveilles du Monde, éd. Christiane Deluz, Paris, CNRS éditions, 2001 (Sources d’histoire médiévale, 31). Voir le site de l'Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS):
- Jean de Mandeville par Christiane Deluz
Jean de Mandeville sur Wikipedia:
- Jean de Mandeville dans Wikipedia
14-3.-↑ Las Casas, en 1516, soutenu par le futur Pape Adrien VI, rédige un plan de réformes intitulé le « Mémoire des quatorze remèdes » où il prône, entre autre : la réglementation du travail, la fin des travaux forcés, l'envoi de fermiers espagnols avec leurs familles pour exploiter en commun des terres avec les Indigènes, (...) et de prendre des Noirs comme esclaves pour compenser la mortalité des indigènes. Avant de prendre conscience de son erreur et de se rétracter, 9 000 Noirs avaient été amenés en 10 ans.
- Las Casas, bel article de Wikipedia
Ma citation serait en 2009, ce qu'on trouve d'intéressant dans le genre:
- Julián Juderías, La leyenda negra y la verdad histórica, Salamanque, Junta de Castilla y León, 2003,
- Bartolomé de Las Casas, 1996, Très brève relation de la destruction des Indes, Paris, La Découverte.
- André Saint-Lu, 1982, Las Casas indigéniste. Etudes sur la vie et l’œuvre du défenseur des Indiens, Paris, L’Harmattan.

14-4.-↑ Jules Romains, Les Copains, 1913, p. 243.
14-5.-↑ Isabelle et la blancheur de lin des Grands d'Espagne: on connaît la "robe isabelle" des chevaux: poils jaunâtres, des crins noirs, une peau noire et des yeux foncés; on dit aussi "un isabelle" en parlant d'un cheval de cette robe. On croit savoir que l'étymologie tient dans le vœu qu'Isabelle de Castille (dite "la Catholique") avait fait en 1491 - c'était un an avant la découverte de l'Amérique - de ne pas changer de chemise tant que ne serait pas gagné le siège de Grenade. La victoire signifia l'expulsion définitive des Musulmans et des Juifs d'Espagne. Mais la chemise avait bruni. Légende contestée (rarement) par ceux qui l'imputent à Isabelle d'Autriche (fille de Philippe II) dont le mari assiégeait Ostende (le siège dura trois ans… 1605/1608: la chemise avait jauni: la couleur en devint à la mode).
14-6.-↑ Soyons sexiste et abondons dans le sens des féministes: un pion > pionicat; une pionne > pionnicat; au nom de la parité militante… (ATILF)
14-7.-↑ Pour les littéraires, précisons que les paillasses ne comportent aucun danger d'incendie étant conçues sans paille mais de métal, couvertes de carrelages, desservies par des robinets de gaz et d'eau à vannes de service collectives et individuelles; l'électricité y est amenée, table par table, par des rails accrochés au plafond d'où descendent les prises individuelles. Après l'introduction de la scolarité à seize ans, il était fatal d'équiper des salles de collège avant l'arrivée du flot d'écolier dans le second cycle; celui-ci venant ensuite dans la chronologie des travaux. D'où les arrangements pipés du lycée de Villeneuve… On mesure ici la puissance des corporatismes dans l'Education Nationale ! ATILF: Dalle horizontale, à hauteur d'appui, servant de support ou de plan de travail dans un laboratoire, un atelier, une cuisine. Sorbonnes (réchauds utilisés par les menuisiers et les ébénistes pour chauffer la colle) d'angle (2 faces), hauteur: 2 m 35, reposant sur paillasse et soubassement non compris, avec un châssis à coulisse (Catal. instrum. lab. (Prolabo), 1932, p.18). Pour les surfaces de travail de la cuisine (d'une école d'éducation ménagère), il faut bannir le bois blanc, d'entretien difficile (...). Les paillasses seront, de préférence aux carreaux de faïence trop fragiles, en grès cérame (Mathiot, Éduc. mén., 1957, p.70) (...) Étymol. et Hist.: XVIIIe. «massif de briques d'une cheminée sur lequel on pose les mets pour les maintenir au chaud» (d'apr. Havard t.4, p.10 b); 1812 «id. pour établir les fourneaux des distilleries» (Mozin-Biber t.2). Dér. de paille; suff. -asse. B peut-être parce que de tels appuis étaient primitivement faits de paille ou de murs de torchis, cf. a. fr. pailluel, s.v. paillot.
14-8.-↑ Canossa est une commune italienne dans la province de Reggio d'Émilie en Émilie-Romagne. En 1077, l'empereur du Saint Empire romain germanique Henri IV vint s'y agenouiller devant le pape Grégoire VII pour que ce dernier lève l'excommunication qui le frappait. L'expression « aller à Canossa » est utilisée depuis pour évoquer un lieu ou une occasion de soumission, de pénitence ou d'humiliation. - Wikipédia: voir l'image du château de Canosssa

14-9.-↑ Ou dyslogorrhées, plus exact mais moins rigolo…

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Diatribe d'Élisée contre les Mémères qui nourrissent leur Chien avec du Pâté d'Enfant
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
L'anarchiste illichien aimait Illich mais pas les chiens.

Sans doute pour en avoir eu trop souvent aboyant à ses basques. Il sortait de chez le prof où il avait achevé un labour; la gorge avait séché mais Jean-Loup avait sorti le Chiroubles. Le marginal était intarissable en critiques des chasseurs dont il craignait les meutes qui parfois, ne levaient pas le gibier mais débusquaient le braconnier ou ses collets. Par contre, il avait tari la bouteille et le prof dut le pousser vers la sortie. Mais la fatigue avait augmenté l'effet du délectable Beaujolais… Il fallait passer devant les tablées de travailleurs affalés après les corvées, aux terrasses de la gargote. Tous étaient des chasseurs du dimanche; or notre chopinel était en verve mais pas pour des discours à l'eau de rose…

Diatribe d'Élisée contre les chasseurs et la France profonde.

— «  Salut France profonde !
France des nostalgiques
De la tranchée de Douaumont
De juin 40, des revanchards
De Dien Bien Phu et des soudards
Des ratonnades anti-ratons !
Anti-écolos !
Anti-perdreaux !
Vaillants pourfendeurs
De Rainbow Warrior !
Valeureux étripeurs
De pacifistes
Intrépides noyeurs
D'écologistes
En pyjama
Salut la France d'En-Bas !
France des Enfoirés, des Télédéglingués
Des perroqués, des embouigués
Des décodeurs, des déconneurs
Des canardoshows
Des conaroshows… »

La clientèle du beuglant, ayant évalué son état, l'avait laissé se défouler et prenant sa foucade du bon côté, il reçut une pluie de menues piécettes. Aussi jugea-t-il plus productif de ne pas disserter plus avant, au risque de voir suivre l'ondée de menue monnaie d'une grêle de bouteilles de bière… Ergo, sans s'en offenser, les cueillit-il au caniveau et, remontant sur le Harley-Davidson du pauvre, fit un salut ample et titubant: « Adieu, France Profonde; bonsoir dans vos foyers respectifs sinon respectables !»

Diatribe d'Élisée contre celles qui enterrent leur chien au Cimetière de Chiens et jettent Mozart à la fosse commune…

L'anar tournait en dérision les mémères à chienchien. Il se sentait parfois vaguement coupable, quand son pote écologiste lui reprochait d'être impitoyable pour ces esseulées qui reportaient sur un animal familier l'amour dont les mâles les avaient frustrées. Un remords fugitif ! Le tendre attachement de la veuve délaissée n'avait d'égal que l'indifférence avec laquelle la rombière laissait mourir de faim des millions d'enfants bien cachés par des montagnes de Canigou ! Pour Toutou, on avait massacré les mustangs des Rocheuses, les derniers rorquals bleus, les ultimes kangourous… On se demandait ce qui arrêterait le bras des Brillat-Savarin du Klébard et s'ils n'élucubreraient pas un jour de leur sacrifier les mémères-à-chienchien elles-mêmes, en croquettes supplémentées, bien sûr, de vitamines synthétiques et de réhausteur de goût !

 À la limite, on se demandait même si le génocide des humains par les toutous n'avait pas déjà commencé et si la simultanéité de la mort de millions de petits enfants avec le surgavage d'animaux familiers, ça n'était pas comme de nourrir chiens et chats de pâté-de-p'tits-mômes par boîtes de ronron interposées…

Fouillant "culturellement" les poubelles, il en avait exhumé un vieux Télé-Loisirs (15-1↓ )  où Gilles de Maistre caftait que deux cents millions d'enfants de moins de quinze ans étaient exploités dans le monde. Certains étaient devenus à douze ans des "Monsieur"Hitler" qui descendaient sans état d'âme ceux qu'on leur montrait du doigt. Sirotant le Chiroubles, l'autre soir, il avait vu à la télé des petites filles de trois ans, pataugeant dans les fanges du Pakistan et des Indes, moulant des briques toute la journée, toute l'année, toute la vie… Des petits garçons vendus par leur famille à des marchands de tapis pour payer les noces luxueuses de la sœur aînée. On les enchaînait au métier à tisser pour qu'il nouent la laine toute la journée sans pouvoir s'échapper. On avait vu des petits indiens des Andes s'enfoncer au cœur de la Terre, dans les boyaux précaires de la mine trop étroits pour les adultes, et qui remontaient de lourds sacs de minerai. On avait vu les fillettes de Thaïlande se prostituer aux touristes; et les petis garçons aux plages du Sri Lanka. Partout dans le monde, les populations explosaient et les parents, incapables de nourrir les mioches qu'ils mettaient au monde, les utilisaient sans état d'âme pour en tirer du pognon ! Les gamins, par millions, en crevaient ! Qu'importe, un autre était toujours en préparation…

— « Nom de Dieu, s'étranglait l'ascète à la grotte, quand va-t-on faire comprendre à ces sauvages que ça ne sert à rien de pulluler comme des sauterelles quand on n'est pas capable de rendre heureux ses enfants ! Quand nos imbéciles de politichiens vont-ils comprendre qu'il faut, c'est urgent, filer du lait et du riz aux marmots, mais qu'il est urgentissime de gaver leurs cons de parents de pilules du lendemain et de préservatifs !»

Diatribe d'Élisée contre les dévoreuses de bébés…

Parfois, l'anarchisme du chemineau avait de curieux retours de manivelle qui vous alignaient le bakouniniste sur la papauté… Ce jour-là, Élisée Fleurie ne décolérait pas contre Tante Gabrielle la Sorcière. C'est qu'elle avait refusé de lui payer un panier de haricots verts qu'il venait de chaparder dans un jardin ouvrier, mettant les disciples de l'abbé Lemire à tribut, en vertu d'un anticléricalisme avoué et du principe: "Quand on a besoin, on s'sert !". — « Ogresse ! Mangeuse d'enfants ! Guivre à poupons ! Vouivre à bébés !» Mais la sorcière, retournée aux basses-cours, ne se souciait guère des anathèmes et jouait la sourde. Les gamins l'avaient ainsi nommée parce que sa cabane, ancien rendez-vous de chasseurs, avait un toit « chapeau pointu, turlututu » comme affûtiau de magicienne… Elle en usait d'ailleurs, ayant tourné le quolibet à son profit pour épouvanter les plus petits, mi-terrorisés, mi-ravis, quand elle surprenait la marmaille, perchée dans son cerisier, ravageant sa récolte et crachant les noyaux sur le toit de tôle à qui l'enverrait plus haut. Ça dégoulinait en provoquant un bruit de cascade qui sortait la vioque de sa torpeur d'après-boire, durant la sieste… En fait, elle les aimait, s'amusant des exclamations de fausse-épouvante des bambins.

  Jean-Loup qui passait par là surprenait l'Élisée en train de philippiser contre la vioque. Par politesse et diplomatie, il s'enquit de son ire. Tante Gaby avait refusé de lui acheter ses haricots verts parce qu'ils étaient trop gros encore qu'Élisée défendît qu'il s'agissait de mangetout Delbard sélectionnés par l'INRA , garantis sans fils et fondant comme beurre au soleil… Juré sur l'étiquette ! Ayant baissé le prix, comme elle s'obstinait et regagnait ses pénates, il avait senti la moutarde lui monter au nez… Aussi développait-il un factum furibard contre une hypothétique civilisation nazie où la consommation des haricots verts filiformes se conjuguait à la pêche aux civelles, au rissolement des "veaux-sous-la-mère", à l'arrestation des fillettes de trois ans par la rafle du Vel d'Hiv et aux expériences de soudure de jumeaux juifs par le Mengele d'Auschwitz - mort depuis bien pénard au Brésil - pour en faire des faux-siamois…

L'instant d'après, le monologue atteignait son acmé dans la condamnation des mères avorteuses et le clopinard de la grotte rejoignait un instant l'héritier de Saint Pierre. Jean-Loup s'amusait bien car l'orateur le prenait à témoin à la façon d'un Tournebroche apostrophant Jérôme Coignard. Il savait qu'Anatole France était un des auteurs préférés du bibliophile et partageait avec lui le goût de la prose jubilatoire du seigneur de la langue française. Lequel avait écrit que Jacques Ménétrier, fils d'un rôtisseur de la rue Saint-Jacques, avait développé une "admiration vive et tendre" pour celui qu'il nommait son "bon maître". Jean-Loup se doutait bien qu'il s'y glissait un soupçon de dérision, mais il souriait quand même que l'ermite l'interpelât:

— « Ogresses ! Regardez, mon bon maître, comment ces dévoreuses de filets mignons, ces vouivres en bébés d'anguilles, ces bâfreuses en germes de soja, ces goules en nouveaux-nés de vaches se font désormais avorter sans l'ombre d'un tourment moral, aussi banalement qu'elles en glissent à la boîte postale la feuille de Sécu… Alors qu'elles disposent des préservatifs masculins et des spermicides, des stérilets, du diaphragme et des capes cervicales, du scapulaire des bonnes sœurs, des pilules du Docteur Pincus et de la pilule du lendemain, du lesbisme, du tribadisme et de la fédé des Gouines Rouges et de tant d'autres contraceptifs ! D'aucuns, notamment parmi les complices et profiteurs masculins de ce système, défendent qu'il s'agit là d'une heureuse banalisation des mœurs et d'une libération de la femme. Libération mon-cul ! Libérées de quoi ? Du poids d'leur conscience ? Et moi, en vérité je vous le dis, mon bon maître, cette civilisation des guivres dévoreuses de leur propre progéniture, c'est l'héritière universelle du nazisme; c'est le dernier avatar de l'hitlérisme !» (15-2↓ ) 

Jean-Loup était pris de court et médusé, restant stupéfié mais à la fois ravi qu'un panier de mangetout ait pu déclencher une telle diarrhée verbale… Son problème à lui, souci numéro un des vrais écologistes, c'était l'explosion démographique humaine. Il avait maintes fois tracé au tableau noir la courbe de croissance démographique de notre espèce et n'était pas près de rejoindre la cohorte des bigotes du seizième pourfendant à moulinets de goupillon la Chine communiste parce qu'elle avait limité les naissances à un enfant par famille, fut-ce au prix de la légalisation de l'avortement.

D'abord Toumaï: sept millions d'années: quelques tribus dans la savane arborée. Orrorin: six millions d'années: la courbe est plate. Lucy: trois millions d'années: ça colle à l'axe des X. L'Homo erectus, ce jovial qui fait marrer les mômes de quatrième: 1,5 millions d'années: ça débande à l'horizontale. Homo sapiens: deux cent mille ans: ça plane au ras des chaussettes. Jésus: là, an Zéro, on est à 300 millions d'âmes. 1830: premier milliard: ça se redresse, mais il a phallus deux cent mille ans pour y arriver, et même 7 millions d'années si vous acceptez de cousiner avec Toumaï… 1930: deuxième milliard; 1960: troisième; 1974: quatrième; An 2000: sixième; 2050: 9 milliards: la courbe est redressée à la verticale: « Hourrah ! Je bande enfin !» gueulait l'ancêtre Homo erectus…

Élisée qui avait écouté ça repartait de plus belle:

« L'explosion démographique, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes peuples prêts d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de platitude environnementale, pas de développement durable, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien : et nous avons ici des gens d’une adresse !… D’abord un bruit léger, il y a deux cent mille ans, rasant l'axe des X comme hirondelle avant l’orage, pianissimo murmure et file, et sème en courant la graine empoisonnée. Telle bouche recueille le chiffre de trois cent millions d'humains du temps de Jésus; et piano, piano, Malthus vous le glisse en l’oreille adroitement: « 1830: le premier milliard d'hommes est là ! Pauvres hommes, pourquoi pulluler si vous ne pouvez combler de bienfaits ni de gloire vos enfants ?». Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando, de couche en couche il va le diable ; puis tout à coup, on ne sait comment, vous voyez la courbe démographique humaine se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil ; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au Ciel, une courbe verticale, un crescendo public, un chorus universel de faim, de pandémie, de haine et de proscription: la guerre ultime, la nucléaire ! Qui diable y résisterait ?
Où va-tu Bazile, sur ta grand courbe perché ? Je vais à Babel où elle atteint le ciel… et l'éternité !»

  Jean-Loup crut le clodo littéraire enfin calmé, après cette tirade pastichée d'où l'on sait, mais il ne lâchait pas la rombière et toujours bramait:  (15-3↓ ) 

Toutes, vous autres femmes
Vous êtes, vous serez, vous fûtes
De fait, ou de volonté, putes!
Jean-Loup pensa que les haricots verts mal digérés lui tourneboulaient la prostate engendrant une crise de misogynie aiguë. C'est longtemps après que le reclus des bouquins lui expliqua qu'il avait découvert ça dans le "Roman de la Rose", pas celui de Guillaume de Lorris, trouvère gentil aux Dames; mais dans celui de Jean de Meung, railleur aigre et rabelaisien.
Affamé
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 15:   ( Sauter les notes de section 15 )
15-1.-↑ du 15 novembre 91…
15-2.-↑ Pour l'emploi du mot "gouine", je décline toute responsabilité polémique puisque c'est un sous-genre de lesbiennes du type "amazones guérillières" qui s'étaient regroupées sous ce fier nom de combat. Après tout, c'est amusant !
15-3.-↑ Beaumarchais: Éloge de la Calomnie:
Le Barbier de Séville
Citations de Jean Clopinel, dit Jean de Meung Le Roman de la Rose de (1275)
Biographie de Jean de Meun

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L'Affiche noire…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Marie-Lou la Douce et la troisième randonnée au Jardin Courtois.

Marie-Lou était la collègue préférée de Jean-Loup. Elle était prof certifiée de Français mais ne nourrissait aucun corporatisme affiché face aux PEGC. Elle n'était plus une débutante et savait tenir sa classe tout en se gardant l'affection des élèves. Mini-Mas lui sautait volontiers au cou sans y mettre trop de familiarité. Elle avait d'ailleurs une fille en classe de sixième. Gamine qu'elle avait eue dans une autre vie, alors qu'elle était mariée "avec le diable!" disait-elle. Jean-Loup qui avait hérité la poupée sans père en cours de math la trouvait toujours d'humeur égale, enjouée, équilibrée, connaissant ses leçons mieux que les autres... C'était une de ces gamines qu'il aurait aimé avoir pour fille; ils en parlaient à la salle des maîtres et comme il n'en pouvait faire que des compliments, elle avait servi un début d'amitié entre les deux enseignants.

Marie-Lou Decugnac avait un père connu depuis les amphis de Sorbonne jusqu'au Jardin royal des plantes médicinales. C'était un digne héritier des Guy de la Brosse, des Joseph Pitton de Tournefort et autre Antoine-Laurent de Jussieu. De la minuscule pâquerette des pelouses parisiennes à l'immense Victoria regia d'Amazonie, aucune famille, aucun phylum botanique n'avait mussé contre lui la moindre cachoterie. Comme Jean-Loup l'avait eu pour prof rue Cuvier, il avait suivi ses excursions botaniques avec passion., C'était un lien supplémentaire avec Marie-Lou. Le bonhomme avait, de plus, fréquenté l'abbé Lemire, qui était maire d'Hazebrouck, dans sa jeunesse… Il avait imaginé d'impliquer les pédagogues de petites écoles dans les Jardins Ouvriers inventés par ce curé acoquiné de gauche radicale. Il avait expérimenté la création, "en leçons de choses" agrémentées de plein air, des jardinets enfantins où la marmaille des villes s'enchantait de voir en si peu de temps germer les radis.

Diplomatiquement, Jean-Loup avait dissimulé à sa collèque l'horripilation que lui procurait, quand il traversait les faubourgs de Fosses-la-Poterie, la vision d'un bidonville de cabanons minuscules agrémentés de citernes désaltérant des carrés minuscules de poireaux piquetés au cordeau… C'était pitoyable et touchant; c'était l'héritage du curé d'Hazebrouck. Des ouvriers se faisaient une joie de venir là, chaque dimanche, en famille parfois, respirer l'air pur, l'air tranquille, en ratissant leur confetti agricole. Et l'on mesurait à cet engouement la profondeur du traumatisme qu'avait subi ce peuple français si solide aux temps de la Révolution mais déraciné par l'industrialisation… Cette multitude de paysans de La Bruyère pressurés d'impôts s'étaient jetés dans un exode rural que trompaient leurs rêves… Fuir la corvée du sol et les impôts ! Impôts du roi: la taille, la capitation et les vingtièmes, la gabelle et les aides. Impôts des seigneurs locaux: le cens en argent, le champart en nature, les banalités des moulins, pressoirs et des fours, le dénombrement trentenaire, les lods et ventes et la main morte. Impôt du clergé pour couronner tout ça: la dîme... Sans oublier d'être battus pour avoir pêché l'écrevisse dans le Cusancin, par les "Messieurs" du seigneur... Disetteux, ils l'étaient au pays; mais ils étaient gavés de beauté… Gueux l'étaient-ils… mais nantis d'une intense liberté: celle de ceux qui chaque jour de leur vie enjambent les paysages de France !

« L’on voit, certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus dans les campagnes, noirs, livides, et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine et, en effet, ils sont des hommes. »

Il y a des misères sur la terre
Qui saisissent le coeur.
Il manque à quelques-uns
Jusqu'aux aliments ;
Ils redoutent l'hiver
Ils appréhendent de vivre (16-1↓ ) »…

La Révolution leur avait apporté, brûlant terriers et châteaux, un peu d'émancipation; mais l'avènement, avec les sciences, de l'ère industrielle, les avaient renfermés bientôt dans les sheds noircis de fumées d'usine, dans les chorons, les usines à sommeil surpeuplées, dans les longues files d'embauche de chômeurs grelottants. Et de plus, la conscription militaire les avait enrôlés en masse sous les drapeaux pour défendre la Carmagnole contre les tyrans: les voilà métamorphosés en volontaires de l'An II (16-2↓ )  puis en conscrits de la loi Jourdan (16-3↓ )  de l'An VI, immense réservoir de sang paysan pour celui qui confisquait la Révolution française en proclamant:« Qu'importe la mort d'un million d'hommes pour un homme comme moi !»

Par piété filiale autant que par conviction, lorsqu'elle enseignait les petites classes, Marie-Lou avait semé chez les poupons la graine de l'Abbé Lemire, méprisant la niaiserie de ces philosophes d'estrade qui développaient alors le syllogisme brillant: « Pétain prônait la "terre qui ne trompe jamais"; les écologistes défendent la terre, notre mère nourricière; donc les écologistes sont des pétainistes... ». Mais il fallait se cramponner: déjà perçait dans le milieu enseignant la mentalité des cégétistes d'EDF qui, à Plogoff, jetaient par-dessus les rangs des CRS de Giscard qui les protégeaient, des pavés aux militants antinucléaires… Une fois diplômée, Marie-Lou gardait aux écologistes, la considération quasi-filiale qu'elle ressentait pour les disciples du curé d'Hazebrouck  (16-4↓ ) 

L'Affiche Noire.

Jean-Loup s'activait désespérément à disposer, de table en table, le matériel des travaux pratiques d'une sixième; le couloir bruissait doucement des murmures d'enfants…

Hou !! Une tempête de huées avait tout à coup retenti… La clameur avait empli le couloir et les portes de certaines classes s'ouvraient déjà. Marie-Lou sortit la tête de l'une d'elles. Jean-Loup se pressa d'ouvrir, s'attendant à découvrir une rixe et des blessés dont la responsabilité lui incomberait parce qu'il avait tardé à les faire entrer… Ce qu'il vit voletant sous son nez, c'était une affichette noire aux traits jaunes qui le glaça d'effroi puis le fit bouillir de colère: la manifestation d'une haine qui avait syndiqué contre lui la droite fasciste marchant main dans la main avec l'extrême gauche. L'union sacrée contre l'écologisme !
Affiche noire
Rouget avait dû y passer la nuit: c'était la photo qu'avait prise Desmytter aux grès du Montcel. Avec une adresse prometteuse, l'émanation des Ergés avait capté sur la pellicule, l'instant précis ou la main de Nathalia qui perdait l'équilibre dans l'escalade du chaos, avait pris contact, du bout de l'index, avec un doigt de Jean-Loup. Celui-ci connaissait l'existence du cliché puisque le prof de photo lui en avait montré un tirage au réfectoire; mais là, l'artiste avait peaufiné, la tirant en négatif pour que le fond noir en soit saisissant… Et le Desmytter y était allé de sa belle orthographe: « Abas le Pédé »… 

– « Desmytter, Desmytter ! M'sieu, c'est Desmytter !» criait le choeur des mioches de sixième, les yeux brillants d'une joie mêlée de voir le prof humilié sans qu'il puisse se venger et de la crainte qu'il ne se vengeât quand même sur la longueur de l'interro écrite. Et en même temps, les yeux écarquillés riaient d'exultation de pouvoir dénoncer collectivement, donc sans crainte de vengeance ciblée, un grand salopard qui leur en faisait voir dans le car scolaire, au moment de disputer les places assises… –« Desmytter, Desmytter ! M'sieu, c'est Desmytter !»

Ce qui encoléra Jean-Loup davantage fut de trouver les deux femelles du labo sortant à peine en retard de la salle des profs et qui s'étaient plantées, goguenardes, devant l'affiche noire qu'elles savouraient en silence - dignité, devant les mômes ! - et qui le dévisageaient avec ironie… À la fin de son cours, comme il se précipitait, aidé de deux élèves, à ranger ses TP, elles poussèrent la porte avec fracas, en conquérantes, pour installer le cours de l'agrégée.

La maîtresse du Lesbos jubilait:
  – « Ça y est ! T'as gagné avec ton club d'écologie ! Tu t'es fait de bons amis et une réputation ! Voilà c'que c'est qu'de faire du zèle !»
La Khozgot qui sortait de sa planque avec, encore à la main, sa layette, sa pelote et ses aiguilles à tricoter tortillait au fond de la classe son petit cul rondouillard en lui lançant des regards en biais qui en disaient long sur la joie qu'elle avait de le voir humilié une troisième fois: par l'affiche, par la gaîté des poupons et par l'arrogance de la gouine…

C'en était trop ! Jean-Loup éclata. Tout d'un coup, il revoyait la peine qu'il avait eue d'être expédié à fond de cale en Algérie, pour vingt-sept mois, à servir une République qui ne savait plus ce qu'elle voulait. D'abord rester; protéger un million de Français Pieds-Noirs. Protéger le pétrole qu'en dépit des railleries de lord Salisbury, le coq gaulois, grattant quelques arpents de sable, avait extirpés du Sahara (16-5↓ ) … Couvrir d'une aile protectrice des populations indigènes qui se seraient volontiers accommodées d'être françaises. Et puis tout d'un coup, le Général qui avait pigé sous ses deux bonnes étoiles que, vu l'explosion démographique des Algériens, si l'on donnait la nationalité française aux aborigènes, ils allaient bientôt déferler, se déverser, submerger la métropole au point que son Colombey-les-Deux Églises deviendrait un Colombey-les-Deux Mosquées…
 Et pendant toutes ces années perdues, ces années qu'il risquait sa peau et ses roupignoles en face d'un ennemi déloyal, ces femelles clitoridiennes militantes, boostées par le pognon de papa, se la coulaient douce en Fac de sciences, accumulant contre lui des années d'avance tout en draguant des mignardises estudiantines… Aujourd'hui c'était cette chienlit de gouines qui, au nom de la parité, monopolisaient les deux tiers des meilleures places d'enseignante et tiens ! Le Moualc'h lui-même venait de nommer celle-ci "cabo de laboratoire" !! Quand Jean-Loup avait besoin d'une ampoule pour ses Berlèses, il devait s'humilier à quémander trois sous de la femelle de termite ! Laquelle se conservait le magot pour organiser une sortie de fin d'année qui lui gagnait la popularité des premières… Nom d'un chien ! Ça n'allait pas se passer comme ça !

La dominatrice reprenait de plus belle:
  — « Rouget prétend que t'aurais un faible pour Nathalia ? Eh bien, va falloir te mettre la ceinture, mon mignon. Nathalia, elle me plaît et j'me la garde pour en faire ma soumise !»
  — « Nom de Dieu, la gouinasse, tu considères tes élèves comme de la viande à plaisir et tu juges les autres à ton aune. Mais rappelle-toi ça, t'as beau être l'agagagrégée du broute-minou, t'as fini de m'impressionner et de m'emmerder. Rappelle-toi bien c'que tu viens d'me dire. Désormais, j'en suis témoin. Et n'oublie pas que l'vent peut tourner. Aujourd'hui t'as pour toi l'syndicat rouge et l'aveuglement d'l'administration; mais tout ça peut changer. Et n'oublie plus jamais d'ramper d'vant ta "soumise" Khozgot, parce que celle-là aussi est témoin et qu'le jour où t'oublieras d'mettre des bonnes notes à son point de riz, c'est toi qui ramasseras les layettes pleines de merde dans ta frimousse de butch bien lèchée !»
Badaboum ! C'était parti d'un seul trait, fort comme le tonnerre et cette fois, l'agrégée battait en retraite sans piper mot davantage, ayant lu au fond des yeux du mâle révolté la lueur du meurtre; la Khozgot l'avait précédée, disparaissant comme un rat de laboratoire en rasant les murs…

Le Moualc'h règla l'affaire en sollicitant du Velociraptor l'exclusion de l'assemblée générale du père Desmytter où le grand braillard la ramenait tout le temps. Lequel extravagant ne manqua pas de tempêter, jurant d'en référer au recteur M., son ami, et d'en parler à son avocat; mais le Proviseur lui cloua le bec en lui indiquant que l'affaire n'était pas négociable et que son fils s'était mis dans une situation propre à justifier un conseil de discipline. Jean-Loup ne se vengea pas de son innocente sixième… Il leur lut un passage d'un poème peu connu…
Victor Hugo: "Le Maître".

 L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie;
Vous vous envolerez demain en pleine vie;
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d'innocence!
Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit.
Oh! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau !

Victor Hugo; Extrait du poème: "Le Maître"

Mais ce lisant, l'instit qui l'avait appris jadis à ses poupons de cours élémentaire ne se faisait guère d'illusion sur son efficacité, ayant compris que la morale bourgeoise et condescendante du Totor n'aurait guère de rémanence dans la cervelle des marmots de sixième, vite lavée le soir par les scènes de sodomisation étalées complaisament par les cinéastes "nouvelle vague" des télés familiales. L'éducation morale des petits incombait désormais aux journalistes des médias et les hussards noirs devaient savoir s'effacer derrière les caïds capitalistes concentrateurs de presse…
———·•·———

Troisième randonnée au Jardin Courtois.

Marie-Lou la Douce proposa spontanément à Jean-Loup de collaborer aux sorties du club. Elle prit prétexte de son excessive sédentarité et de la possibilité d'emmener sa fille pratiquer un sport d'hébertisme. Jean-Loup comprit aussi qu'elle était ulcérée de voir se déchaîner contre son expérience pédagogique un ramassis d'opposants politicaillons imprégnés de mentalités corporatistes et qui se trouvaient tant bousculés dans leur routine par l'écologisme qu'enjalousés de l'évident intérêt des supérieurs hiérarchiques pour cette initiative.


Le "Trou-verre à dents", comme le Cafard-des-Ergés l'avait méprisamment surnommé, Adam de la Halle s'était indigné de découvrir le vallon de la Broue dénaturé par un barrage d'ordures qui l'obstruait jusque dans l'axe du thalweg. Il avait profité des vacances de Pâques pour tirer ses photos, organisant une sortie entre copains pour en accumuler davantage, mitraillant avec sa vieille boîte 6x9 les plaques d'immatriculation des camions, leurs marques de société, et la nature des déchets déversés. Il avait également focalisé son reportage photographique sur le pied du honteux dépotoir qui venait désormais lécher les berges de la source Saint-Rieul. Les jeunes paparazzis  (16-6↓ )  s'étaient dissimulés dans les buissons pour échapper aux représailles et ça leur avait procuré des émotions si agréables que les jeunes garçons s'étaient mués en petits moustiques futés pour surprendre le vieux maire Drekveld dans ses activités agricoles et lui tirer à son insu quelques portraits croquignolets… C'était lui l'initiateur de cette montagne d'immondice et, un jour, sa bouille de vieux paysan matois figurerait, immortelle, dans les colonnes de faits divers de la gazette départementale.

Nathalia avait battu le rappel de ses muses et peinait à recruter des garçons. Même Adam de la Halle se fit tirer l'oreille, exigeant que sa muse à lui, Fée Mélusine, alias Mini-Mas, fût de la sortie. Convenu. Restait à imaginer un jeu-parti et, devant l'échec subi précédemment par les "petits papiers", on se contenta d'exiger des trouvères la composition d'un poème sur le thème des "yeux bleus", leur ouvrant comme porte de secours la possibilité de piquer une strophe d'un poème écrit par un poète intronisé… Et de la réciter par cœur ! Adam désira organiser le trajet avec Cuisance; il insista sur l'éventualité d'interviewer le vieux Drekveld sur ses autorisation d'exploiter une telle décharge. Cela nécessitait une préparation et Jean-Loup accepta de solliciter une audience du maire des Broues. Ce ne fut pas facile, mais le vieux filou tentait de se concilier le prof et, l'instit étant appelé à enseigner un ou deux de ses petits-enfants, le vieux concussionnaire finit par céder dans l'aigreur…

  Clio, c'était Mauricette «la Célèbre», la muse de l'histoire… Héritière désignée des mémorialistes, elle proposa de faire un petit bulletin du club et de l'appeler: "L'Echo du Val Grisette". L'idée reçut un bon accueil des jeunes gens. Jean-Loup se souvenait de l'expérience malheureuse de la gazette du lycée. Il exigea d'avoir sur la feuille une entière censure; il expliqua pourquoi… et cette aimable jeunesse entérina. Clio devrait, après chaque sortie, aidée de qui voudrait bien, rédiger un compte-rendu de la randonnée précédente. Nathalia demanda qu'on imprimât un poème original à chaque fois. Adam de la Halle voulait qu'on y fît un reportage sur la décharge des Broues et l'on dut lui expliquer que ça n'était pas opportun, vu l'audience avec l'exploitant. On parvint à tirer quelques exemplaires où l'écologie fut figurée par la description de la source Saint-Rieul considérée comme un affleurement de la nappe du Soissonnais; avec quelques dessins des cinquièmes qui avaient, sous la bino, observé diatomées, algues vertes et copépodes d'eau douce encore vivant dans cette onde; même on avait, au hasard des travaux pratiques, découvert une algue rouge floridée: Batrachospermum décrite par les savants comme indicatrice de pureté des eaux. On terminait donc par un petit couplet sur la nécessité de sauver les sources des anciennes cressonnières, si nombreuses hier dans le vallon.

Au jour dit, la petite "cour d'amour" se retrouva presqu'au complet sous la halle du 13ème siècle. Les jeunes gens eurent des exclamations de plaisir non affecté lorsqu'ils virent arriver Marie-Lou et sa jeune fille. Et l'on partit vers le soleil…

Dersänger était un prof de musique chevronné qui, contrairement à la mère Oustachette, savait tenir sa classe. Pendant que la mémère, débordée de toute part était obligée, pour les calmer le temps d'un cours, de leur faire jouer au pipeau les dernières scies de la radio, l'artiste, sorti du Conservatoire avec un prix de piano, avait organisé une chorale qui n'avait guère à envier aux Petits Chanteurs de l'abbé Maillet (16-7↓ ) . Surtout qu'il avait, lui, des filles parmi lesquelles il avait dégoté une soliste douée: Corinne qui était justement Calliope «à la belle voix », la muse de l'éloquence, la fille de Zeus et Mnémosyne qui gazouillait sans cesse. Lors de la fête du lycée, le vieil Orphée leur avait appris cette belle complainte slave: "Ne slishni v sadu daje shorohi" (ou "Soirs de Moscou") si joliment francisée et chantée par Francis Lemarque. Dans l'air frais, ce matin-là, la voix de la jeune fille s'éleva pour chanter le "Temps du Muguet" et c'était si purement adapté aux halliers du Val Grisette qu'elle exaltait la joie…

Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu'au banc où je t'attendais
Et j'ai vu refleurir
L'éclat de ton sourire
Paroles de Francis Lemarque


Musique de V. Soloviov-Sedoï 1955
- Chœur de l'Armée Rouge
- Vidéo chantée par Francis Lemarque
- Par Mireille Mathieu
Les paroles seulement:
- Traduction des paroles russes ("Les soirées des faubourgs moscovites" paroles de M. Matoussovski /musique de V. Soloviov-Sedoï 1955")
- Paroles russes en caractères latins
- Paroles russes en caractères cyrilliques
- Paroles françaises de Francis Lemarque


L'audience du vieux Drekveld dans sa petite mairie se déroulait bien. Le paysan roublard brilla de toute sa matoiserie, flagornant Jean-Loup à force de "monsieur le professeur" qui ne trompaient personne, pas même Mini-Mas qui glissa vers l'Instit un amusant clin d'œil. Il expliqua aux jeunes gens:

— « Mes enfants, vous êtes heureux d'avoir bien à manger: grâce à qui ? Aux paysans qui cultivent pour vous nourrir et à tous les intermédiaires qui, dans notre civilisation assurent la distribution des richesses; mais cela engendre bien des emballages qu'il faudra que quelqu'un se dévoue à recueillir sur ses terrains: l'agriculteur, à nouveau. Vous êtes heureux d'habiter un pavillon confortable: un paysan a vendu le terrain; l'évacuation des gravats devra se faire. Où ça ? Le paysan ! Vous aimez être transporté par le chef de famille dans une voiture sûre et confortable: au bout de dix ans, la casse. Où ça la casse ? Derrière le petit bois d'un agriculteur pour que vous ne la voyiez pas. Etc… Vous aimez profiter de la fameuse "société de consommation" ? Eh bien moi, je suis celui qui se dévoue pour faire disparaître les déchets que chaque jour de votre vie, pour votre plaisir, vous produisez !»

  Nathalia se pencha vers Adam de la Halle et lui glissa: « Tu crois qu'y va faire la quête ?». Heureusement, Drekveld feignit de ne pas entendre…

  Jean-Loup réclama de consulter l'autorisation d'exploitation de décharge. Le vieux acquiesça sans grand enthousiasme. Il dit que ça, c'était dans son bureau et on l'y suivit en rangs serrés. Il posa le dossier "Décharge" ouvert à la page de l'arrêté préfectoral… Or, il était convenu dans le petit groupe qu'à cet instant précis, Nathalia demanderait à étudier le cadastre dans l'espoir de disperser la vigilance du bougre. Histoire, pour Adam et Jean-Loup, de bien lire le document préfectoral… Une bonne partie des jeunes gens se pressèrent donc, dans la salle du cadastre, autour des plans terriers, les autres obstruant savamment la porte de communication pour retarder les mouvements de l'adversaire… Confronté à l'autorisation de décharge, Jean-Loup et son trouvère pataugeaient dans le jargon administratif quand une ligne attira leur attention. Adam la pointait du doigt. Une rature manuscrite surchargeait une ligne ajoutant les mots "et d'ordures ménagères". Vif comme l'éclair, le jeune homme avait pris la feuille et l'avait porté sur une commode à tiroir inondée de soleil. Le 6x9 braqué à distance plausible pour éviter le flou, il fit deux ou trois clichés. Vite, Jean-Loup tira la feuille et la remit en place.

  S'étant dépétré du petit commando de diversion, Drekveld les trouva sagement penchés sur la prose absconse du préfet:

" Conformément à la circulaire interministérielle du 15 février 1942, chaque département doit être doté d’un plan départemental de gestion des déchets du bâtiment et des travaux publics. Il prévoit la réalisation d’un réseau de décharge de classe III permettant de drainer complètement l’ensemble des gisements de déchets inertes du département."
"Vu la proposition de la Commission Départementale des Ordures inertes,"
"Vu l'avis du Comité économique et social départemental,"
"Vu le JO C 156 du 24 mai 1967, p. 10.,"
"Vu le JO C 355 du 21 novembre 1967. p. 4.,"
"Considérant que la mise en décharge, comme toutes les autres formes de traitement des déchets, doit être contrôlée et gérée de façon adéquate afin de prévenir ou de réduire les conséquences néfastes qu'elle pourrait avoir sur l'environnement et les risques pour la santé humaine;"
"Nous, James Ivan Koprolov, Préfet du département de l'O., Commissaire de la République, Chevalier de la Légion d'Honneur, etc… etc… autorisons le sieur Léon Drekveld, Agriculteur aux Broues, à exploiter une décharge de classe III de déchets inertes sur ses parcelles A406, A407, etc…"
"L'impétrant devra se conformer au décret 60-1436A article 28bis alinea 3 modifié par la loi de sauvegarde de la santé publique du … etc…"

La phrase suspecte tapée à la machine, était: « … autorisons… à exploiter une décharge de classe III de déchets inertes sur ses parcelles A406 … » Une fois surchargée à la main, d'une écriture de bon écolier maladroit, elle devenait:
« … à exploiter une décharge de classe III de déchets inertes "et d'ordures ménagères" sur ses parcelles A406 … » On s'accorda d'une œillade pour la juger douteuse… mais on n'en souffla mot pour ne pas gâcher l'atmosphère.

Distribuant quelques exemplaires de "L'Echo du Val Grisette" dans les boîtes à lettres les moins surveillées par un clébard, les jeunes gens se dirigèrent alors vers Tréfontaines. Jean-Loup leur avait ménagé une petite surprise. Élisée, le jardinier philosophe, était, par la force des choses, devenu un des derniers cressiculteur du Val Grisette. Il n'avait qu'une seule fosse qu'il entretenait avec passion, tirant de la vente aux voisins de bottes bien gonflées, ruisselantes de fraîcheur, les quelques piécettes qui lui suffisaient à se nourrir. Il accueillit les enfants avec dignité, n'ayant encore pas dîné… Il leur expliqua qu'aux 19ème et 20ème siècle, le vallon de Grisette avait été, avec la vallée de la Juine, le meilleur fournisseur de cresson de fontaine des Halles de Baltard.
Le mode de culture provenait d'Allemagne, de la région d'Erfurt en Thuringe où Joseph Cardon, gestionnaire des Hôpitaux de la Grande Armée en retraite, confronté aux risques de scorbut des grognards, avait découvert la crucifère salvatrice. La cressiculture, inventée au 17ème siècle par Nicolas Meissner en Thuringe fut donc implantée par Cardon en France, entre Senlis et Chantilly, sur la Nonette, affluent de rive gauche de l'Oise vers 1811. C'était à Saint Léonard. Mais après avoir compté des milliers d'exploitants français, allemands, suisses, anglais, la cressiculture… décroissait à vue d'œil. Après les Trente Glorieuses, grâce au rebond économique et à la Sécurité sociale, les Français avaient gagné un peu de mieux-être et l'hiver passé agenouillé sur la planche, en équilibre précaire, le dos courbé sur la fosse, à cueillir, couteau à la main, botte d'osier refendu à la ceinture, dans l'eau glacée de la source, le joli cresson de fontaine ne tentait plus guère les jeunes apprentis… Une à une, les fosses du Val Grisette s'étaient fermées, transformées en étangs de pêche de loisir, ou pour le mieux, retournées à leur état antérieur de roselières, pour le pire, comblées de démolitions par quelque maçon en mal de gravats et vendues pour des lotissements informes, atroces petits échantillons de Pierrefitte-Stains des Marais… A jeun, le troglodyte des roseaux faisait, dans son domaine étroit, un pédagogue si crédible que les jeunes gens étaient captivés. Même Mauricette, la muse Clio, "se permit" — dit-elle — de l'interrompre pour solliciter davantage de renseignements sur "la tourbe" afin d'en nourrir son compte-rendu dans le prochain "Écho du Val Grisette" . Sur quoi, passionné par l'affaire, délaissant le cresson, l'orateur se lança dans une intéressante digression, d'une brûlante actualité.

  Booseveld était maire de Tréfontaines. C'était un assez important agriculteur dont la famille, au cours des années, avait acquis champagnes en jachère, essart retournés aux taillis, landes de bruyères des communaux épuisées par les brûlis et marécages de tourbières délaissées pour le chauffage au gaz de Hollande ou à l'électricité… Aussi avait-il déployé des trésors de démagogie pour se faire élire grand échevin, ce qui lui permettait d'avoir main désormais sur le plan d'occupation des sols de ses terroirs. Ceci n'était qu'une pratique très commune partout en France, laquelle avait aboutit à défigurer les villages ancestraux, laissant crouler les centres des villages, bijoux d'architectures paysanes sorties des géologies locales par la main de compagnons géniaux, pour les entourer de ceintures de béton échantillonnées sur les laideurs engendrées par l'expansion gangrèneuse des métastases banlieusardes de Paris.

Élisée l'avait compris qui mettait en échec un projet d'urbanisation de cet Haussmann d'écuries qui possédait tout le marais, hormis la parcelle de cressonnière du clochard, lequel se refusait à vendre et tenait ainsi en échec la cohérence du grand œuvre booseveldien. L'Ali Baba récalcitrant se sentait fort du fait que la DDE avait refusé tout permis de construire sur les terrains convoités parce que le sous-sol était tourbeux sur quelques dizaines de mètres d'épaisseur, ce qui laissait prévoir de grosses désillusions pour les acquéreurs. Élisée montra une vieil échantillon parfumé de tourbe légère, expliquant que, de l'hôpital aux terres trop lourdes et jusqu'aux fourneaux, ce charbon naturel, très imparfait parce que trop jeune, était une ressource infiniment utile et bonne à préserver. Qu'elle rendait, de plus, le marais spongieux, restituant en été l'eau des crues d'hiver, si précieuse au chaud de l'année, et l'épongeant en hiver, pour régulariser le cours inférieur, protégeant ainsi maraîchages et pavillons. Adam, muni de sa vieille boîte 6x9, immortalisa dès lors l'Homme du Cresson en train d'enflammer, de son briquet, le carré de tourbe. Une odeur délicieuse de tabac blond s'en dégagea et l'on décida de s'asseoir sur une décharge de troncs de peupliers pour dîner.

Comme ils retraversaient Tréfontaines où ils avaient déposés quelques petits journaux une heure plus tôt, ils se sentirent coursés par quelqu'un… Une petite vieille sortait de chez elle et les prenaient en chasse brandissant le feuillet à la main: « Attendez-moi ! Attendez-moi ! » C'était la mère Lamirand qui se présenta comme une fidèle cliente nasturtiophile d'Élisée. « Bravo ! Bravo, monsieur l'Instituteur ! C'est bien ce que vous faites pour les enfants; mais savez-vous, il y aurait bien besoin d'une association de défense des adultes contre les prédateurs de la nature, dans nos villages. Vous savez, j'en aurais à vous raconter sur les Booseveld, les Le Laerez, les Louston, les Drekveld… Vous parlez, depuis que j'suis là, avec l'âge que j'ai, j'en ai vu couler de l'eau de Grisette sous les ponts de nos hameaux. Pensez à faire une société de protection de la nature pour les adultes, monsieur le Professeur ! Et vous, les jeunes gens, c'est bien ce que vous faites ! Bravo pour votre petit journal; et vous faites de jolis poèmes…»

Jean-Loup qui montait en grade à vue d'œil prenait tout pour lui, les galons et les compliments sur le poème car c'était justement sa "Forte en T'Aime" que Nathalia avait imprimée. Aussi, après s'être récrié, par galanterie, sur l'âge "pas si grand que ça", de la vieille dame, promit-il d'y penser, se disant que la brave personne aurait oublié bientôt. Élisée lui glissa qu'il l'avait surnommé "la mère Mirette" parce qu'elle avait, comme nos fantassins, l'œil aiguisé: "Voir sans être vu; avoir l'œil pointu". Mais l'idée devait travailler non seulement Jean-Loup mais aussi son trouvère préféré: Adam de la Halle qu'il devrait bientôt renommer Adam l'Ecologiste…

Nathalia décida d'installer sa cour d'amour dans un pré voisin et l'on s'étira le long d'un chemin rural qui serpentait sur la berge de Grisette. Adam fit la remarque que le chemin était constellé de crottes de bique et plus loin, on longea une pâture bêlante de moutons. Jean-Loup qui avait souvenance de son Abeloos d'SPCN fit en son for intérieur le rapprochement fatal entre cresson et distomatose. Élisée s'était bien garder d'évoquer les odieux dangers de la douve du foie devant le prof qui lui achetait régulièrement des grosses bottes nouées d'osier émincé. Le prof, terrorisé par toutes les formes d'anthropozoonoses, se jura de convaincre Louisette, sa douce épouse, de ne plus utiliser le cresson que pour en faire de délicieuses soupes très cuites et bien épaissies de pommes de terre. Il expliqua les risques présentés par la promiscuité des fosses de cressiculture avec des élevages d'ovins ou de bovidés. Les jeunes gens furent un peu déçus car Élisée avait su les séduire en évoquant les repas de cresson que les jolis dieux de la Grèce antique aimaient à faire en guettant les naïades des sources. Jean-Loup eut peur qu'ils ne lui en veuillent d'être trop réaliste mais le prof avait succombé au sens du devoir…

Le jeu-parti ne fut pas couronné d'un franc succès. Les troubadours avaient préféré s'en remettre à celui qui, composant ses "Yeux d'Elsa", avait sans doute écrit la plus jolie lettre d'amour du 20ème siècle.

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire…

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche…

-  Louis Aragon; Extrait de "Les Yeux d'Elsa" édition Séghers.
- Les Yeux d'Elsa, en commentaire corrigé


Quand arriva le tour pour Guillaume de Poitiers de mettre genou en terre aux pieds de Clio-Mauricette, il déclara réciter un poème d'origine anonyme découvert dans un incunable du Moyen Âge; personne ne le crut mais il s'en fichait visiblement et récita d'un trait un joli poème:

La Passante aux Yeux Bleus (16-10↓ ) 

Tes yeux sont si bleus
Que je caravelle en des océans
De vagues amères aux gouffres béants

Tes yeux sont si bleus, si bleus
Que je grosbourdonne au creux de tes fleurs
D'Endymion nutans et pois de senteurs

Tes yeux sont si bleus, si bleus, si bleus
Que je follatome happé par le champ
De tes nébuleuses au tréfond des temps

Tes yeux sont de si jolies fleurs bleues

Lorsqu'arriva le tour, pour Adam de la Halle, de s'agenouiller devant Mini-Mas, on s'amusa, pour son grand agacement, de ce qu'agenouillé il était presqu'aussi haut que la gamine. Même, Marcabru, trouvère de Martine-Terpsichore eut le mauvais goût d'ajouter: « C'est ta Muse ou ta p'tite sœur ?», ce qui avait fait sourire lesdites filles de Zeus. Il avait fait l'effort de rechercher un poème à la bibli et s'était fourvoyé dans un volume de Sully Prudhomme d'où il extrayait la première strophe:
Les yeux


Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ;
Ils dorment au fond des tombeaux,
Et le soleil se lève encore.

   Sully Prudhomme 1839-1907

Mais la poupée l'arrêta bien vite:
— « Non mais ! Tu m'prends pour qui ? J't'avais bien prévenu que j'voulais pas être la muse Polymnie, cette pouf qui fait des pompes funèbres; mais "Fée Mélusine" ou "Brouillard de la Mer" ! T'avais pourtant une bate'occase de broder sur la couleur du brouillard de la mer. Si tu viens chez ma grand-mère, je te montrerai la belle touffe bleue qu'elle a dans son jardin, même qu'elle en met un brin dans tous ses bouquets. Et ça se conserve un an.» Ravi d'aller voir la fameuse touffe de la grand-mère, innocemment, sans l'ombre d'une malice, le grand garçon donna rendez-vous à sa petite amie pour "quand elle serait en fleur"  (16-8↓ ) .

Enfin, Nathalia dit qu'elle était jalouse et qu'elle demandait si Jean-Loup ne leur aurait pas concocté une surprise littéraire. Le Musagète s'exécuta, toujours refusant de mettre genou en terre, tirant de sa poche un papier froissé sur lequel il avait griffonné — sans le signer, car il craignait que Nathalia ne le lui réclame — un petit poème de son cru:

    Le Parangon de Turquoise (16-9↓ ) 

Ô tes yeux bleus, ma mie, parangons de turquoise
Académie d'azur, archétype du ciel
Canevas de Nattier, paradigme d'Iroise
Jette moi ton regard tendre comme le miel

Ô ton regard, ma fleur, comparaison de l'ange
Antithèse d'enfer, inspirateur d'éther
Bible de Raphaël et trait de Michel-Ange
Jette moi le diamant de ton phénix amer

Ô lance moi l'œillade au saphir d'aquarelle
Esquisse de la mer, prototype de l'air
Parabole où frémit la couleur parallèle
A celle du pavot de l'éternel hiver

    © Jean-Loup Cuisance (16-10b↓ ) 
Cf: note de "parangon": cliquez(16-9) ci-dessus

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 16:   ( Sauter les notes de section 16 )
Pavot de l'Himalaya
Ci-contre, le Pavot de l'Himalaya
16-1.-↑ Jean de la Bruyère (1645-1696). L'injustice sociale avant la Révolution française. "Moraliste français (1645-1696). Auteur des Caractères, dont la forme est inspirée de l'ouvrage éponyme de l'écrivain de l'antiquité grecque, Théophraste." (agora.qc.ca)
- Le paysan et l'agriculture sous la monarchie absolue
- La Bruyère. Biographie en résumé.
- Idéologie et roman paysan; par Guy Bordes.
16-2.-↑ Les soldats de l'An II: celui-ci se compte du 22 septembre 1793 au 21 septembre 1794. Volontaires puis conscrits, galvanisés par l'appel de la République, ils avaient repoussé l'ennemi: la totalité du Monde d'alors: l'Europe entière des monarques ligués contre nous.
16-3.-↑ Wikipedia: " Loi Jourdan-Delbrel du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798): Vote par les consuls législatifs français de la loi Jourdan-Delbrel — du nom des députés qui l'ont proposée : Pierre Delbrel, Jean-Baptiste Jourdan — instituant la « conscription universelle et obligatoire » de tous les Français âgés de 20 à 25 ans, c'est-à-dire le service militaire obligatoire. Le principe de cette loi — « Tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie » — devait rester en vigueur à travers tous les régimes jusqu'en 1996. Cette loi, qui établissait le service obligatoire pour tous les célibataires de 20 à 25 ans, était destinée à faire face à la grande démobilisation consécutive au 9 thermidor — 700 000 hommes en 1794, 380 000 en 1797. Cette loi permettra à Napoléon Bonaparte d'alimenter les armées jusqu'en 1815." (Extrait de Wikipedia)
- Article complet dans Wikipedia
16-4.-↑ L'Abbé Lemire: "Prêtre en 1878, il est nommé à Hazebrouck".
- Vie et œuvre de Jules Auguste Lemire (23 avril 1853 Vieux-Berquin - † 7 mars 1928 Hazebrouck)
- Musée de l'Abbé Lemire d'Hazebrouck
- Bref historique des jardins ouvriers.
- Bonne étude des Jardins Ouvriers; avec bibliographie.

16-5.-↑ - Salisbury et le Sahara français: "Les Français d'Algérie: vie, mœurs, mentalité de la conquête des Territoires ..." Par Pierre Mannoni et numérisé par Google: - Allusion à Salisbury en 1890: le Sahara français; extrait de Pierre Mannoni
Extrait OCR du bas de page 81: " On peut s'étonner de l'intérêt ainsi porté à ces vastes élendues réputées stériles et impénétrables, que d'ailleurs aucune autre nation ne revendique à l'époque, ni ne revendiquera jusqu'en 1900. Rappelons, à cet égard, le dédain avec lequel Lord Salisbury commente la conférence franco-anglaise du 5 août 1890 portant sur la reconnaissance de la zone d'influence française au sud de ses possessions méditerranéennes: « dans ces terres légères, dit-il alors, le coq gaulois trouverait de quoi gratter ». Attitude méprisante qui s'explique en grande partie par les caractéristiques physiques du Sahara dont les richesses ne sont alors pas connues. C'est, en effet, le plus vaste désert du monde, étalé sur plus de 4000 kilomètres de…" p- 81
Nb CJ: On trouve parfois la version: "Laissons le coq gaulois gratter ces quelques arpents de sable". Laquelle des citations est-elle la plus exacte ?
16-6.-↑ Paparazzi: pluriel de Paparazzo, le nom du reporter photographe de la "Dolce Vita" de Federico Fellini (1960). C'est l'épouse du metteur en scène, Giulietta Masina, qui lui avait suggéré ce nom, composé à partir de "pappataci", petits moustiques et "ragazzi", jeunes hommes). En France, on écrit un paparazzi, des paparazzis… Source: - Paparazzi dans Wikipedia
16-7.-↑ - Les Petits Chanteurs à la Croix de Bois (texte)
16-8.-↑ - Le "Brouillard de la Mer" dont parle Fée Mélusine alias Mini-Mas est sans doute la Statice (Limonium latifolium ou Limonium à feuilles larges; famille des Plumbaginacées; autre nom: Lavande de Mer ou Immortelle bleue). Voyez:
- Statice bleue à feuilles larges
Autre site, autre image:
- Statice Immortelle bleue
- Nb: "Brouillard de la Mer" est aussi l'autre nom de Mélusine.
16-9.-↑ Parangon: -1. Vx. ,,Comparaison. Mettre en parangon. Cela est sans parangon. Faire le parangon d'une chose avec une autre`` (Ac. 1798-1878); dict. xixe et xxes..
2. Parfois iron. Le parangon de(s)/du + subst. Le modèle, le représentant typique de. Parangon de vertu. Ces grands patriotes, ces types du père de famille, ces parangons de modestie, après nous avoir signalés aux belles citoyennes, nous vouent à l'exécration de la postérité (Proudhon, Confess. révol., 1849, p.378). La perle, le phénix et le parangon des soubrettes en la personne de l'incomparable Zerbine (Gautier, Fracasse, 1863, p.188). Le modèle et le parangon des saloirs (A. France, Mir. Gd St Nic., 1909, p.70). (...) 1538 joaill. «pierre particulièrement belle» (doc. ds Comptes des bâtiments du roi, éd. L. de Laborde,
- "parangon" définition dans CNRTL
Pierre de touche: Bijout. [Corresp. à toucher1 I A 2 a] Essai de l'or ou de l'argent à l'aide de la pierre de touche (v. pierre B 4). (Dict. xixe et xxe s.). + … 1280 fig. « épreuve, pierre de touche » (Adenet Le Roi, Cléomadès, éd. A. Henry, 249: ce est la touche et l'exemplaire); 1313 sens propre « pierre de touche » (Invent. de Pierre Gaveston ds Laborde, p. 445: un touche pour assaer or); ß) 1549 pierre de touche fig. (Du Bellay, Deffence et Illustration de la langue fr., éd. H. Chamard, II, 11, p. 179); 1562 pierre de touche sens propre (Du Pinet, trad. Hist. du monde de Pline, l. XXXIII, chap. 8, t. 2, p. 584); c) 1394 « action de toucher, d'éprouver un objet d'or ou d'argent » (texte ds Bibl. Éc. Chartes, t. 89, p. 348 ds Fonds Barbier: faire les touches et essaiz des d. monnoies) dans: http://www.cnrtl.fr/definition/touche
NbCJ;15/6/10: Le poème "Le Parangon de Turquoise", sujet du "jeu parti" commandé par Nathalia, est aussi un "blason". D'après CNRTL, blason a aussi le sens de "- Littérature: Pièce de vers à rimes plates (en vogue surtout au xvie s.) pour faire l'éloge, la satire, la critique de quelqu'un."). Guy Rancourt (Le Bic, Québec) dit dans un message à:
- Site de Ginette Villeneuve: voir message de Guy Rancourt sur Eustorgue de Beaulieu
"Sujet: Trois blasons d'Eustorg de Beaulieu, 1495-1552 Ven 24 Nov - 11:39. (...) Un blason, c'est : "Ensemble de poèmes dédiés chacun à une partie du corps féminin (la main, le nez, le sein, etc.) ; ils ne sont pas qu'un jeu décrivant le corps féminin d'une façon à la fois esthétique et érotique, mais ils renvoient à cette nouvelle doctrine platonicienne qui se fait une idée de l'amour comme quête de l'absolu (ceci est surtout vrai de ceux de Maurice Scève)." Il cite aussi Clément Marot et Georges Brassens.
NbCJ;15/6/10: Phénix a aussi le sens de: "modèle parfait de quelque chose".
16-10.-↑ Christian Jodon, le 130210 © Reproduire à volonté avec la mention: "Christian Jodon; site sos-valdysieux.fr; La Forte en T'Aime, Poèmes Populaires". Merci; CJ
16-10b.-↑ Christian Jodon, le 130210 © Reproduire à volonté avec la mention: "Christian Jodon; site sos-valdysieux.fr; La Forte en T'Aime, Poèmes Populaires". Merci; CJ

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Quatrième randonnée au "Jardin Courtois"
de Val Grisette
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
La distribution à bicyclette
Prélude musical. Digression d'auteur:
  Je déplore toujours que le musicien du film passe en dernier dans les génériques; parfois même, il est oublié. Souvent son nom est en caractères minuscules, illisibles dans les rediffusions de la télé. Je demande donc une loi obligeant toute projection cinématographique ou télévisuelle à faire passer le nom du musicien en gros caractères, immédiatement après le titre, pendant une ½ minute, dans le générique d'entrée et sur la première image du générique de fin, même durée car:
— Un film inoublié, c'est d'abord une musique inoubliable…
Et qu'on se le dise !… CJ.
Dans l'air pur du Val Grisette, la voix de Corinne, la muse Calliope «à la belle voix » résonna un instant comme une chanson bien douce, "un frisson d'eau sur de la mousse". C'était l'adorable chanson de Montand, composée par Pierre Barouh et Francis Lai: "La bicyclette".

Quand on partait de bon matin
Quand on partait sur les chemins
 A bicyclette
Nous étions quelques bons copains
Y avait Fernand y avait Firmin
Y avait Francis et Sébastien
Et puis Paulette

On était tous amoureux d'elle
On se sentait pousser des ailes
 A bicyclette
Sur les petits chemins de terre
On a souvent vécu l'enfer
Pour ne pas mettre pied à terre
Devant Paulette…

Cette fois-là, on avait décidé de déplacer le "jardin courtois" aux orées de la grande forêt… Les évènements récents avaient été amers pour le petit groupe et il était grand temps de respirer le parfum des sous-bois.


- Vidéo La Bicyclette, chanteur: Yves Montand
- Autre version
Pour plus de connaissance de la belle chanson d'Yves Montand, composée par Pierre Barouh (17-1↓ )  (pour les paroles) et Francis Lai (17-2↓ ) ; (pour la musique); cliquez les notes (1) et (2).


Naissance d'une vocation écologiste:Adam l'Écologue.

Jean-Loup s'était demandé s'il allait rebaptiser "Adam de la Halle" en "Adam l'Écologiste". On s'était concerté dans le petit groupe et on était convenu de l'appeler indifféremment de l'une ou l'autre manière, en fonction des situations. Nathalia avait compris la leçon du prof qui leur avait expliqué la différence entre "écologiste" et "écologue". L'écologiste étant celui qui défend une philosophie de l'équilibre entre l'homme et les éléments — biotope et biocénose — de la biosphère terrestre; l'écologue étant le savant qui étudie la biologie, la physiologie des êtres et l'ensemble des relations entre les êtres vivants, entre eux et avec leur milieu. Elle indiqua donc que le terme "d'écologue" lui paraissait plus approprié à un étudiant exerçant sa science au contact du vivant et donnerait à la signature de son futur article une "valeur ajoutée": le poids de la science… Va donc, à l'unanimité, pour "Adam l'Écologue", griffe qu'il apposerait au bas de l'article qu'il concoctait.

Car l'audience de Dreckveld était déjà loin derrière et ce drôle d'ostrogoth en avait fait de belles peu après l'entrevue, tranquillisé par l'apparente passivité du petit groupe de collégiens. Goinfre comme jamais, il avait mis les bouchées doubles…

Un beau dimanche matin de juin, la Mère Mirette qui sortait de la messe de dix heures — à quatre-vingts ans passés, elle assistait aux offices des villages sans en manquer un grâce à son Solex — se pointa aux Bordes à la porte de Jean-Loup. Elle était accompagnée du Quinquin Lamotte, un agriculteur des Broues qui, malgré la rémission de ses péchés qu'il venait d'obtenir n'était nullement rasséréné. Il expliqua, dans une grande surexcitation et avec profusion de gestes, qu'il était victime d'une marée noire.

Jean-Loup avait en mémoire les 120.000 tonnes de pétrole du Torrey Canyon déversées en 1967 sur les îles Scilly  (17-3↓ )  polluant la mer d'Iroise et les Côtes d'Armor; et récemment, on avait eu droit aux 1200 tonnes de l'Olympic Bravery sur Ouessant et aux 120.000 tonnes de l'Urquillo échoué sur des rochers à l'entrée du port de La Corogne… Mais le prof n'avait jamais encore vu de marées noires pastorales et sa curiosité était vive. Rendez-vous fut pris pour photographier ça au chaud du jour. Mère Mirette remit sur le tapis la création d'une association "déclarée" loi 1901 qui permettrait à son éminent président d'attaquer en justice les pollueurs. Bien entendu, elle ne se proposait pas comme présidente mais au contraire, réservait ce grand honneur à Jean-Loup ! Bien sûr, cette perspective épouvanta l'instit qui en mesurait toutes les conséquences et le temps, surtout, qu'il lui faudrait sacrifier au bien-être d'ingrats dont il ne présumait guère d'en recevoir des remerciements. Il savait bien que les gens crachent préventivement des vilenies sur leurs bienfaiteurs pour ne pas courir le risque d'avoir à leur dire, un jour de grâce, "merci !"…

L'après-midi, sur le champ du délit,la révolte fut grande au cœur des spectateurs de constater qu'un grand emblavement de céréales, bordé de bois séculaires, au fond d'un ravin qui s'élargissait à son débouché sur la source Saint-Rieul, était noir et gluant, visqueux d'un goudron fluide qui formait un flot de plusieurs mètres de large, grossissant à chaque heure, pour aller finir sa course un kilomètre plus bas, dans une culture de betteraves sucrières dont l'état était déjà préoccupant. Jean-Loup et son Adam l'Écologue mitraillaient, l'un au 6x9 noir et blanc de mémé, l'autre de sa Condorette aux diapos couleurs de 24x36, des tas de clichés destinés à la presse.

Adam pressa son prof dans le sens de Mère Mirette, bouillant de dénoncer Dreckveld aux autorités administratives. Il n'avait pas fallu longtemps, remontant aux sources, pour constater que Dreckveld avait accepté le déversement d'immenses camions citernes d'huiles de vidange sur son tas d'ordures, dans l'espoir qu'elles seraient aspirées comme par une éponge et disparaîtraient discrètement dans les profondeurs. Il avait, par ailleurs, mis le feu en surface à des ordures qui n'avaient rien des déchets inertes prescrits dans l'autorisation du préfet; la preuve, elles brûlaient bien, les fumées opaques montant droit dans le ciel bleu puis s'inclinant irrémédiablement vers les villages des Broues et des Brandes. Le linge des ménagères qui espéraient naïvement en l'air pur pour achever sa désinfection séchait en se couvrant d'une délicate poussière brune et transpirait l'écœurant remugle des cloaques périurbains de Paris dans lesquels s'anéantissent les gabegies d'une civilisation de goinfrerie…

  Le lendemain, de bon matin pour arriver à l'heure au collège, on prit en filature le premier camion citerne venu déverser sa potion magique sur l'éponge Dreckveld. La noria s'interrompit d'ailleurs assez vite dans la matinée, car le matois personnage qui n'avait encore pas compris ce qu'il avait déclanché, s'était fait secouer les puces aux aurores par Quinquin Lamotte, l'agriculteur aux céréales goudronnées… Le poids lourd les amena dans la banlieue de l'aéroport, dans l'immense dépôt de véhicules d'un grand contructeur national, ce qui signait l'origine de la pollution.

Adam l'Écologue téléphona dès la récré au correspondant du grand journal qui avait une édition locale. Le pigiste rappliqua sur le site inondé. L'accès en était désormais gardé par l'idiot du village des Broues, La Carotte qui, planté au milieu du chemin rural y menant, faisait tournoyer une fourche au-dessus de sa tête et hurlant, Cerbère effrayant, des menaces dissuasives. Planté en limite de sa ferme, Dreckveld avait sorti son fusil de chasse et, beuglant à son tour que le chemin était interdit, déchargea son arme deux fois mais en pointant, prudemment, vers le ciel. Le journaliste rebroussa chemin et constata qu'effectivement, une pancarte avait été peinturlurée hâtivement: « Chemin barré: Pollution ». Toutes les occasions sont bonnes ! L'effet fut pervers pour le bouseux: ne comprenant pas qu'il faisait face au journaliste local, croyant dissuader les curieux de mettre leur nez dans ses diarrhées noires, il avait irrité celui qui, désormais, n'était pas conditionné pour étouffer l'affaire.

Jean-Loup et Adam menèrent l'enquêteur par des voies détournées qui leur étaient désormais familières autant qu'aux natifs des Broues. Le pro tira des lieux une bonne série de photos et le trouvère écologue lui mit dans les pattes un dossier déjà bien documenté. Impatient de savoir comment le journal suivait l'histoire, le jeune homme téléphona le lendemain pour savoir où le pisse-copie en était. Celui-ci, tout jubilant, lui indiqua que grâce à son dossier, il avait remis à son rédacteur un gros pavé bien achalandé de photos. Il promit au jeune homme que ses propres clichés lui seraient personnellement crédités: c'était l'apothéose du 6x9 de mémé… Le surlendemain, tout le petit groupe se retrouva, bien avant la classe, chez la papetière qui, à leur demande, dépouillait de page en page le quotidien pour la nième fois sans y trouver trace de la marée noire des buissons… À la récré, Adam l'Écologue courut chez l'escogriffe Beauserfeuille, le cloporte, qui de mauvais gré, le laissa téléphoner. Le lignard lui annonça tout penaud que ni son bel article, d'au moins 150 lignes, ni leurs photos, ne paraîtraient jamais dans sa "feuille de chou". Il paraissait ulcéré et ne se fit pas prier pour vendre la mèche lorsqu'on lui demanda la raison de cette reculade: « C'est, dit-il, que vous avez vous-même découvert que le coupable de la pollution n'est autre qu'une des grandes marques de bagnoles françaises. Or les journaux, sachez-le, ne survivent que grâce à la publicité. Comme vous l'avez constaté, le constructeur en question est l'un des plus gros annonceur du canard. Concluez vous-mêmes… !»

Comme Adam s'énervaient en le priant d'insister, le bobardier lui dit qu'il avait une famille à nourrir, que les pigistes sortant de l'école ensevelissaient sous une montagne de curriculum vitæ son rédacteur et que "l'enculé de DRH ployait sous cette avalanche curriculaire"… Il ajouta qu'il en avait « marre de cette engeance de chiens de garde du capitalisme et qu'il allait poster son article sous un nom d'emprunt à l'Huma, au Canard Enchaîné et à la revue "Écologie" qui, à Montargis, sous la direction de Jean-Luc Burgunder faisait déjà un boulot formidable !» Puis, jugeant qu'il y était allé un peu fort, on pressentit qu'il se mordait les lèvres pour prier ses interlocuteurs de ne jamais répéter ce qu'il leur disait en grande confidence. Toujours est-il que le pollueur resterait impuni alors que le petit paysan roublard allait payer ça cher, c'était juré ! La Mère Mirette était haletante d'indignation, sans même comprendre un instant que sa façon de voter depuis toujours, avait été garante du maintien au pouvoir du système contesté ! Enfin, nul n'étant parfait, on se garda de le lui dire espérant plutôt tirer parti du dynamisme que son ire lui insufflait.

En effet, furetant partout comme une fouine, profitant des vieilles accointances, jouant des camaraderies d'écoles, des amitiés d'adolescence, des fréquentations de bénitier et des liaisons parentales, elle chercha comment étoffer le bureau de la future Association de Défense du Val Grisette, qu'elle désignait déjà, toute frétillante, sous l'acronyme d'ADVG, regrettant un moment qu'il rimât avec l'IVG qu'elle condamnait, mais on n'allait pas pour quelques avortons débaptiser la rivière… Ce qui inquiéta Jean-Loup fut la désignation du président. Il sentait que la vieille lui courait après pour lui coller ce fardeau mais, déjà occupé par sa famille, la restauration d'une maison ruinée, son métier et le "Jardin Courtois", il frissonnait d'avoir à recevoir les commandements, les papiers bleus de convocation en gendarmerie ou au prétoire, et les attendus des juges à analyser, tâche absconse qu'il fuyait autant que d'être confronté à une calligraphie d'idéogrammes chinois…

La mère Lamirand travailla du bénitier, cherchant à recruter à la sortie de la messe, les messieurs "bien" qu'elle y pouvait rencontrer. Son vieux Solex, toujours fidèle, portait allègrement ses quatre-vingts printemps de village en village, au gré des volées de cloches du curé itinérant. Et voilà qu'elle avait sollicité Louston, le maire de la Villeneuve et qu'elle avait ferré ce gros poisson. Lequel était tout égrillard à l'idée de présider la première association écologique du Val Grisette. Grand dieu la bonne idée: ça ne pouvait qu'être utile à son prestige d'homme d'ouverture et productif par temps d'élections. Déjà il se voyait ajoutant la couleur verte à son arc en ciel déjà très coloré ! Il s'imaginait augmentant d'une dent son rateau électoral déjà très élargi !… Il était parti dans un vaste panégyrique autocentré du plus bel effet oratoire (quelques bigotes amoureuses aimaient approcher le grand homme, dispensateur de logements sociaux et de colis de Noël); ces dames l'entouraient, le pressaient; on murmurait parfois qu'il ne dédaignait pas, malgré sa fidélité à la grand messe, d'être infidèle à sa petite moitié; mais pour la bonne cause puisque c'était la charcutière: sa première adjointe… Il faisait l'apologie dithyrambique des réalisations environnementales (entre parenthèse, le lambeau de verdure qu'il épargnait entre les lotissements !) passées, présentes et à venir de son conseil municipal. Bref, il y réfléchirait mais c'était déjà tout comme s'il avait commandé le cachet au paraphe: "Alexandre Louston, Président de l'Association Environnementale ADVG". Du sérieux, mes chères électrices !

Jean-Loup entendant cette heureuse nouvelle faillit tomber sur le cul, exposant à la vieille qu'il n'était pas question de mettre une association écologiste au service de la propagande électorale du plus grand lotisseur du Val Grisette et à sa surprise, la Mère Mirette en convint aisément. Ce qui prouvait qu'elle n'avait sollicité le politicien que parce que, justement, elle comprenait qu'une dynamique impulsée par la voracité politique d'un ambitieux aurait pu lancer l'association balbutiante et lui ménager des petites entrées dans le monde officiel un peu fermé des conseils municipaux des villages. Mais le petit groupe du "Jardin Courtois", quoiqu'appréciant l'argument utilitaire, n'en choisit pas moins la liberté: liberté d'expression, liberté de manœuvre, liberté de critiquer les "grandes personnes", quitte à se cantonner dans une opposition mal vue et tarabustée par les "importants". Muse Calliope s'amusa: « Importuns les Importants !». Et même, Mini-Mas cria: « À bas la récup !». Et le prof faillit tomber une deuxième fois sur le derrière quand la gamine ajouta: « C'est tout de même mieux de séparer les pouvoirs !». L'ayant prise à part à la sortie, il lui demanda d'où elle tenait ses théories politiques. Cette fois, il faillit choir à la renverse quand elle lui cita Montesquieu: « C'est que, Saint-Jacques, l'Agrégé, en instruction civique, nous a fait lire un chapitre de l'Esprit des Lois !» Et dire qu'on lui avait dit quelquefois que c'était par un tout autre bout que l'esprit vient aux filles !

Pas découragée, la Mère Mirette, avec l'accord des jeunes gens, proposa de se tourner vers le maire d'un petit village; lequel paraîtrait moins dangereux, moins envahissant. Elle s'en fut donc, après Vêpres, accrocher la manche du père Le Laerez, maire des Brandes. Il l'écouta, lui répondit qu'il ne pouvait guère s'engager dans la voie des contestataires écologistes. Ils étaient par trop entachés d'intelligence avec les partis de gauches, rouges ou noirs. Il se devait de rester indépendant politiquement (tout le monde savait qu'il donnait sa voix au candidat du Front National aux présidentielles) et qu'autant il approuvait qu'on protégeât la nature, autant il désirait se démarquer des gauchistes écolos, trop marqués par leur intimité avec les soixante-huitards, les néo-bergers cévenols et le piston des associations de pédés… La vieille réussit à lui faire dire que c'eût été à lui de faire cesser le scandale de la décharge des Broues. Il lui avoua, sous-couvert du secret, qu'il savait, ayant consulté l'autorisation préfectorale, que Dreckveld l'avait falsifiée, rendant sa décharge illégale. Mais il ne pouvait pas l'attaquer: tous deux appartenaient au même parti de droite, celui de la haute finance, lequel tenait le Conseil général… Il fallait leur appartenir si l'on voulait obtenir des crédits pour la commune ! Enfin, il refusa carrément la présidence, alléguant le manque de temps; mais la vieille futée avait senti que Le Laerez craignait surtout de donner à Cuisance, qui habitait son village, une aura que lui-même n'avait pas. Il craignait donc de lui servir de tremplin pour de futures municipales et préférait lui tirer dans les pattes par derrière. C'est que depuis des décennies, le vieux maire occupait le logement de fonction de l'ancien maître d'école pour un loyer dérisoire qu'il se votait lui-même. La place était couche par trop moelleuse.…

Alors, elle pensa visiter le nouvel instituteur, Lozari, directeur non déchargé de classe de la nouvelle école intercommunale. Elle le trouva sagement attablé à son petit bureau de chêne, au côté de sa femme, l'institutrice. Devant chacun d'eux était une immense pile de cahiers à corriger et l'on se demandait à quelle heure ces forçats du devoir iraient dîner… Lozari, ayant écouté l'exposé de la vieille, donna son accord. Sa femme était réticente: lorsqu'elle aurait fini sa pile de corrections, n'allait-elle pas se trouver seule, isolée dans ce bâtiment ouvert à tous les vents, attendant dans la nuit hostile son mari revenant des réunions associatives ? La brave personne se sacrifia donc par sens du devoir citoyen, ce même devoir qu'elle enseignait chaque matin, dans les cinq minutes de morale réglementaires, à ses poupons d'école !

Jean-Loup entama dès lors le marathon des déclarations d'associations: entre un fonctionnaire attaché au bureau de la loi de 1901 qui était toujours absent, un journal d'annonces dont les prix ne baissaient jamais et une administration des postes qui exigeait tant et tant de papiers pour ouvrir un CCP que même il leur fallait une décision d'assemblée générale désignant les cosignataires alors qu'un premier bureau ne s'était pas réuni… Mais c'était le prix qu'il fallait payer pour jouir de cette merveilleuse liberté: le droit d'association; aussi Jean-Loup s'y conforma-t-il scrupuleusement, avec, une bonne volonté touchante, payant de sa personne… et de son porte-monnaie ! L'ADVG était née; c'était la première association écologiste apparue dans cette région tellement menacée par la proximité de la ville, du grand aéroport et qui pourtant servait de lisière et d'écotone à une forêt des rois, une forêt des fées, la forêt du Valois. La forêt de Gérard Labrunie qui la décrivait si bien, et telle qu'au sortir de la seconde guerre mondiale, l'instit l'avait pu connaître… Et avec lui bien mieux, parmi les derniers à pouvoir se délecter de ses effluves magiques, Élisée le Troglodyte à l'évasure de son terrier.

« Plus loin que Louvres est un chemin bordé de pommiers dont j’ai vu bien des fois les fleurs éclater dans la nuit, comme des étoiles de la terre c’était le plus court pour gagner les hameaux.” 

Des clochers conduisaient parmi les plaines vertes
Leurs hameaux aux maisons de plâtre, recouvertes
En tuiles, qui trottaient ainsi que des troupeaux
De moutons blancs, marqués en rouge sur le dos.
Et les monts enivrés chancelaient, la rivière
Comme un serpent boa, sur la vallée entière
Etendu, s’élançait pour les entortiller... »

Ainsi Gérard de Nerval, le poète maudit, pouvait-il, quittant la route de Flandres, découvrir, encore il y a peu d’années, les chemins paisibles bordés de pommiers conduisant aux « bords marneux des étangs de Commelle » , aux « grottes perdues dans les bois, les ruines des vieux châteaux, les temples écroulés aux colonnes festonnées de lierre, le foyer des bûcherons où (Célénie) chantait et racontait les vieilles légendes du pays. » Et voilà qu'aujourd'hui le Val Grisette était prostitué aux proxénètes du béton et des dépôts d'ordures et que le suicide du poète du Valois sonnait comme un glas prémonitoire…

À Bicyclette…

On en était là de l'affaire Dreckveld lorsqu'Adam l'Écologue imprima et distribua son tract, invitant les habitants à se rendre d'urgence sur les lieux de la marée noire et les priant d'adhérer à l'ADVG, Association de Défense du Val Grisette, pour une somme très modique, Élisée le Clochard ayant fait valoir qu'un ouvrier (lequel pouvait dépenser à l'époque cinq francs de cigarettes chaque jour et dix francs de tiercé chaque fin de semaine…) ne pouvait pas se payer une cotisation à dix balles par an ! On avait donc fixé la cotisation à 1 Franc, toute somme supplémentaire valant comme don à œuvre et pouvant ainsi se déduire partiellement des impôts. L'état français, généreux, aidait en cela les bénévoles qui animaient, très souvent sur leurs deniers personnels, leurs petits clubs de protection de la nature. Moyennant quoi, très peu d'ouvriers adhérèrent !… C'est que certains, protégés par deux rangs de CRS, étaient trop occupés à balancer des pavés sur la tête des écolos manifestant contre la centrale de Plogoff ! C'est qu'ils préféraient travailler pour les mégalomanes qui les exploitaient dans des risques mortels, au prétexte de faire bouffer les mioches, plutôt que défendre lesquels mioches contre les dangers des pollutions menaçant toute une civilisation future !… En fait, dans l'histoire, un jeune homme de quinze ans, à peine aidé par les adultes, avait-il, par son idéalisme, suppléé la carence des journalistes de grande presse… et l'égoïsme borné du menu fretin…

  La distribution s'était assez bien déroulée, Jean et Marie-Lou se partageant deux groupes de distributeurs et l'un des trouvères tendant la main vers une boîte à lettres ayant eu le réflexe génial de la retirer très vite… Le pitbull l'avait seulement accroché par la manche… On se pressait un peu, la tâche avait été longue. Corinne-Calliope trouva cependant la force de chanter un couplet, ce qui tint lieu de jeu-parti. On arriva en retard sous la halle… Déjà, une mère ou deux s'inquiétaient.

Quand le soleil à l'horizon
Profilait sur tous les buissons
 Nos silhouettes
On revenait fourbus contents
Le cœur un peu vague pourtant
De n'être pas seul un instant
 Avec Paulette

Prendre furtivement sa main
Oublier un peu les copains
 La Bicyclette
On se disait c'est pour demain
J'oserai, j'oserai demain
Quand on ira sur les chemins
 A Bicyclette

(Originellement chantée par Yves Montand; paroles: Pierre Barouh; musique: Francis Lai )
- "La Bicyclette" par Yves Montand (autre version)


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 17:   ( Sauter les notes de section 17 )
17-1.-↑ Biographies et discographies; interviews de Pierre Barouh, parolier de "La Bicyclette" d'Yves Montand:
Extrait du site: Génèse de la chanson "La Bicyclette"
« La Bicyclette (Pierre Barouh & Francis Lai): A cette époque, l’idée de Barouh était plutôt de ma faire faire un disque de chanteur ! En vue de ce 45 tours, Pierre m’a un jour confié un texte intitulé “La Bicyclette”. Les paroles m’ont tout de suite inspiré. En visualisant ces personnages qui pédalent sur des chemins de campagne, j’ai trouvé le gimmick de l’intro, une phrase en boucle, comme le mouvement d’une chaîne de vélo. J’ai enregistré une maquette où j’interprétais moi-même la chanson. Pierre m’a emprunté la cassette et l’a emportée avec lui en vacances à Saint-Paul-de-Vence. Là-bas il tombe sur Montand et lui fait écouter cette petite maquette. Tout de suite, Yves Montand lui dit : “Ça, je le prends !” Et voilà comment Montand a récupéré La Bicyclette et en a fait un succès que moi-même en tant qu’interprète, je n’aurais jamais obtenu !» - Francis Lai sur le site ci-dessus.
Autres sites sur Pierre Barouh:
- Interview Radio Mondomix: Descendre en bas à gauche, cliquer une des flèches…
- Pierre Barouh: Biographie & Discographie
- Biographie
17-2.-↑ Biographies et discographies de Francis Lai, musicien de "La Bicyclette" d'Yves Montand:
- Biographie - Les principales chansons - Filmographie de Francis Lai
- "Un homme et une femme, musique du film"
- "Un homme et une femme", extrait du film (1965) - Trintignant & Aimee
- An Adagio By Francis Lai: Concerto Pour La Fin D'Un Amour
Love story, la musique: - Love Story, le final - original
- Une Histoire d'Amour par Mireille Mathieu;
- Musique de Love story
- Francis Lai Love Story; joli piano…
- Love Story; belle vidéo
- Andy Williams Love story Theme
- Love Story par Richard Clayderman
- Nana Mouskouri remplace: Love story -James Last et Richard Clayderman /Ed.Susanalake
- Love Story Theme - By Henry Mancini - Love Story Theme music by Henry Mancini, and Francis Lai composer. Included in the video is Monica Bellucci's pictures
- Henry Mancini Love Theme From Love Story
- Love Story (by Henry Mancini and rearrangement by heartbtrue) - What I learned from the movie Love Story: "Love means never having to say you're sorry" (Jennifer...)
- The last scene of love story; et musique; remarque rare: le nom du musicien (Francis Lai) apparaît en deuxième position après le producteur... dans le générique de fin !
- Love Story (instrumental version) - Remplace: Love Story, belles images… et encore Francis Lai ! Pardon, c'est toujours Francis Lai !
- Beethoven: Love story
- Love Story Saxophone; bel arrangement
- Love Story Saxophone
- Variations: Love story Beethoven
Si vous vous en lassez, moi jamais… Et tout ça, nous le devons à Francis Lai ! Christian Jodon
17-3.-↑ Les premières grandes marées noires d'Europe. Extrait du site:"www.avmaroc.com". Pour plus de précision et pour les marées ultérieures, cliquez le lien:
www.avmaroc.com/dossiers/marees-noires
Extrait bref:
"- Torrey Canyon : 18 mars 1967, ce navire libérien s'échoue à proximité des îles Scilly (Grande-Bretagne) et déverse dans la mer près de 120.000 tonnes de brut. La côte française est atteinte par la marée noire. C'est le premier accident de cette ampleur. - Olympic Bravery : 24 janvier 1976, un pétrolier libérien subit s'échoue au large de l'île d'Ouessant (nord-ouest de la France). 1.200 tonnes de pétrole s'échappent du navire. - Urquillo : le 12 mai 1976, le pétrolier espagnol transportant près de 120.000 tonnes de pétrole brut s'échoue sur des rochers à l'entrée du port de La Corogne. Plus de 100.000 tonnes de pétrole se répandent."

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La Vengeance de Dreckveld.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
La Carotte; profession: idiot de village…

Aussi loin qu'il remontât dans ses souvenirs, il ne pouvait douter d'avoir été détesté par sa mère. Son père — mais l'était-il ?— ne s'était jamais occupé de lui, le laissant à la charge de ses grands parents. La vioque était la seule à lui témoigner un peu de tendresse… Épisodiquement, entre deux boires… Tartuflette prétendait que sa mère, serveuse de bistrot, l'avait attrapé d'un feldgrau bonasse alors qu'elle dansait sur les tables chez Dupont, à la Villeneuve, pendant l'occupation. Mais la chronologie ne collait guère. Mère Mirette, la "mémoire locale", disait que "l'Allemand", c'était bien davantage son frère aîné…

Par sa mère brusqué, rebuffé (18-1↓ ) , disputé, remballé, secoué, expédié, grognonné, houspillé, rouscaillé, dédaigné: jamais maman, jamais tendresse…
Par la vioque grommelé, bougonné, activé, brusqué, précipité, repoussé, savonné, mouché: parfois mémé câlin… Parfois Carabosse; après boire…
Tristesse, rancœur, rancidité, rancune, amertume, frayeur, ennui, désagrément: « Voilà mon lot; voilà ma vie !»
Il était laid. Un varan, un Quasimodo. « Jamais je ne plairai; jamais on ne m'aimera !» « Je les déteste ! Me venger ! Me venger des hommes, des femmes, des filles, des garçons !»
Il était lâche. Se venger plutôt sur les chiens, sur les chats, sur les mouches…

Pourtant il avait un bon souvenir. Oh non ! Il n'aimait pas l'école ! Mais derrière le bâtiment des pissotières, au bout de la cour, il y avait un petit coin bien caché, bien tranquille. Là, les petites filles — alors qu'il était encore mignon — aimaient le provoquer: « La Carotte, fais-nous voir ta petite carotte !» Et gentiment, le gamin s'exécutait; et quand la Juliette qui faisait le pé criait: « Elles regardent pas !» alors, bien douce s'avançait la main de la petite Marie qui touchait le zizi… C'était le plus joli souvenir de sa vie. La mère Le Diot, son institutrice, le rabrouait, le gourmandait, le chapitrait pour toutes les petites grimaces qu'il faisait, regardant voler les mouches, lui promettant qu'il serait plus tard l'idiot de son village. Mais pendant que dans la cour, elles se racontaient, avec sa collègue, la Coquelle, l'épisode de la veille des "Feux de l'Amour", les récréations étaient longues et l'on s'amusait bien derrière les pissoirs !…

Eh bien, maintenant, ça y était ! À vingt-trois ans il était désormais l'idiot de village des Broues. Il passait ses journées à deux activités principales. Non ! Surtout pas ! Aider la vioque à faire ses commissions, son potager, ses cueillettes, les poules, les lapins, sa pelouse, son frichti, sa vaisselle, le plumard, les toiles d'araignées: rien ! La grand-mère l'avait surchargé de tant de bonnes gaudes trop sucrées qu'il était diabétique et devait se ménager ! Mais il lui restait quelque force pour démonter, astiquer, réparer, remonter la Mobylette croulante que son aîné lui avait repassée. Une fois que ça repartait, il tournait en rond pendant des heures, de village en village, faisant pétarader son pot d'échappement savamment percé, aux alentours du groupe intercommunal et sur les placettes des villages. Son activité principale consistait à se lever tôt pour assister au départ des bambins d'école. Le Laerez avait poussé à la construction d'un groupe scolaire intercommunal sur la commune des Broues pour améliorer l'environnement pédagogique disait-il. En fait, il avait gagné en tranquillité car, les classes n'étant plus occupées, il avait pu les incorporer au bureau de mairie, transformant du même coup le préau en atelier de mécanique et anschlussant, pour le même prix, le logement de l'ancienne maîtresse d'école pour son confort familial. Éloignant les poupons d'un bon kilomètre, il avait apaisé la cour de récréation devenue depuis un havre de quiétude agréablement aménagé en cuisine d'été.

Certes, les génitrices du village avaient dû se pourvoir d'un second véhicule pour conduire leurs garnements dans leur nouveau "bagne d'innocence" (18-2↓ )  mais d'aucunes y trouvait avantage à s'en servir pour courir les halliers où les véhicules, parfois, stationnaient par deux… Et les mioches pouvaient toujours regagner les pénates familiales par le car du ramassage scolaire, ou risquant leur peau sur les bas-côtés de la nationale… Au lieu que, du temps de la vieille école, simplement,ils traversaient la rue pour être chez eux… En somme, grâce à la compétence pédagogique des Dreckveld, des Laerez, des Booseveld et autres prévôts de village, on avait remplacé cinq ou six maîtres et autant d'institutrices par les deux plus incompétentes: la Coquelle et la mère Le Diot qui se jabotaient à perdre haleine, bien loin de l'œil poujadistement critique des péquenots du bled, le soft-porno pour mémés en rut de la veille au soir ! Sans oublier le plus pédagogigoloque des trois: le chauffeur du car du ramassage scolaire qui travaillait à la tournée des villages quatre fois par jour pendant une heure et cinq jours par semaine… Ajoutant à ça, sur le coup de midi, un sandwich bien arrosé "Chez Soubrette", laquelle il lutinait parfois quand le Dix-Cors touillait la sauce en l'arrière-salle. Après quoi, on faisait la tournée des poupons suivie d'une méga-sieste jusqu'au premier ramassage du collège vers quinze heures trente… Le pied !

Conscient des responsabilités qu'il encourait envers les enfants et surtout, envers les fauteuils de la compagnie, l' adjudant de car scolaire au long cours s'était adjoint un quartier-maître de référence: La Carotte ! Sérieux comme un pape, l'ancien cancre, idiot de village agrégé reconnu d'utilité publique à c't'heure, faisait monter les mômes à la queue leu leu, leur balançant au passage une bonne claque derrière la nuque. Laquelle claque, pour une seule d'entre elles, l'inspecteur d'académie, sollicité par un délégué de parents d'élève, aurait viré dare-dare l'instituteur; mais là, tout se passait au vu et au su de tous sans qu'aucun ne réagisse ! Magie des cancres ! Charme des derniers de la classe ! Apothéose des cons ! Jubilation des poujadistes qui voyaient là l'économie d'un maître faible et toujours en vacances ou en grève par un chômeur bénévole jamais épuisé ! Oh, ça n'allait pas sans quelques horions entre l'assistant conducteur et son maître: lorsqu'un jour, se retournant, celui-ci surprit l'idiot de vingt-trois ans à jouer — mais disons à sa décharge que les petites filles l'avaient sollicité !— "au tire-carotte", alors il lui avait fichu une trempe de première en jurant que s'il le reprenait à s'amuser à lui "faire des enfants dans le dos", il le viderait à jamais de son autobus. L'idiot de village avait disparu de la circulation pendant quinze jours mais, à la satisfaction du conducteur, il avait rappliqué un matin pour mettre de l'ordre au marchepied; et la partie fine fut à jamais proscrite aux fillettes contristées…

Les grands de ce monde savent utiliser les compétences de la Cour des Miracles; généralement pour en tirer profit personnel contre la loi. L'idiot de village des Broues était un bon sicaire de la pègre villeneuvoise, un zélote de la Loi du Milieu, haïssant tout le monde et la société. Ce professionnalisme était mis à contribution ainsi que sa mobylette qui lui permettait de joindre à toute heure, entre les ramassages scolaires, les petits ponts qui, dans les villages, enjambent la Grisette. C'était en effet sur ces ouvrages d'art que les jeunes gens amoureux du patrimoine ancien, de la nature, et plus précisément férus de botanique, aimaient à se rassembler en groupe après leur dure journée de labeur scolaire. Approvisionné par l'intermédiaire d'un pion du lycée qu'il contactait lors de la tournée de quinze heures trente, lequel se fournissait à midi au bistrot de la Villeneuve près d'Ahmed le Marocain, le caïd qui roulait carosse — une vieille BMW croulante, les affaires n'étant plus ce qu'elles étaient dans les caves de Sarcelles — en petites doses bien ficelées, La Carotte commerçait. La Carotte faisait sa tournée de fourmi… Il se sentait derechef revalorisé moralement quand les piécettes gonflaient ses poches. L'usage des ponts était bien connu des gendarmes qui voyaient les jeunes jeter leurs mégots dans l'onde glauque de la rivière à leur approche; mais que faire; mettre les grenouilles à question ?

L'intervention.

Désormais, lorsqu'elle décrochait son linge du fil, au lieu qu'il sente bon l'air pur, il était imprégné des miasmes nauséeux des ordures que les vents dominants portaient en son jardin… Ayant en main l'exemplaire du JO publiant l'annonce de la déclaration de l'ADVG, toute crachotante de fumées d'hydrocarbures mal consumés, trépidante d'inaction, Mère Mirette brûlait de poursuivre Dreckveld et son tas d'immondices en justice. Jean-Loup hésitait, qui avait de longue date évalué l'institution, la sachant éternelle dans ce sens qu'elle se plaît à éterniser l'affaire la plus simple; et férue d'atermoiements formalistes inépuisables… Plutôt pas empressée de rendre à Jules ce qui est à César !. Aussi le prof se montrait-il circonspect et ça rendait la vieille enragée… Adam l'Écologue était, lui aussi, trépignant d'impétuosité mais faisait confiance au maître d'école.

  Scrupuleux, le nouveau président, Lozari, avec sagesse, préconisa d'en appeler au conciliateur départemental; lequel déclina, disant qu'il était préposé à s'entremettre entre particuliers mais qu'il était incompétent à traiter de problèmes de pollution entre une association loi 1901 et une société multinationale… Lozari, avec componction, regretta que le départiteur fut si timoré et conseilla de cafeter au Préfet. Le secrétaire général filtra si bien le courrier que le commissaire de la république renvoya les néophytes associés au fonctionnaire du bureau des associations. Lozari vint à résipiscence, se frappant la poitrine et disant qu'il aurait dû y penser plus tôt. Il s'avéra que, comme par le passé, le rond de cuir "loi 1901" était toujours absent et que, irremplaçable, il fallait savoir patienter jusqu'à ses meilleures humeurs… Sur quoi Lozari péta les plombs, gueulant qu'il fallait foutre tout ce zoo de parasites au goulag et qu'il regrettait que cette république fût couille molle, jurant que lorsqu'il serait gardien de prison, il les priverait tous de chapka de zibeline et de goûter de quatre heures…

  Il revint cependant à la charge deux jours plus loin, disant qu'il se souvenait d'avoir connu au lycée un homme qui avait rejoint De Gaulle à Londres, s'était fait parachuter sur la France et était devenu, sinon baron du gaullisme, pour le moins assez bien coté au RPF pour avoir obtenu— et gardé depuis des années, privilège échappant aux ministres… — une place de directeur de service au ministère de la santé. Coup de téléphone. Retrouvailles. Souvenirs du prof de math, Peau d'Vache; du prof de gym: le Gros Phoque et de Juliette, la petite remplaçante de géographie, si mignonne qu'on n'avait jamais eu d'aussi beaux cahiers, mais qui avait dû se débiner trois semaines après sa nomination parce qu'elle se faisait peloter au bureau dans une agglutination d'admirateurs audacieux… Rendez-vous fut convenu.

Il s'avéra que le gaulliste n'était pas fâché de faire des crocs en jambe à la droite financière et qu'il y avait peut-être opportunité à "reprendre le canton de Villeneuve à ces gros cons"… Coup de fil au Préfet récalcitrant. «  Comment, Monsieur le Commissaire de la République, vous n'avez pas tout de suite fermé cette poubelle, et si un bébé meurt d'avoir pris son biberon à l'eau de source, la presse s'en mêle et on va tous sauter !». Le lendemain, l'arrêté préfectoral arrivait et Dreckveld démissionnait d'un parti qui désormais l'avait promu au rang de pécu usagé bon à jeter dans sa propre décharge… Et il décrochait le fusil:
— « La première, j'y mets du gros: ça sera pour l'instit, là-haut — la colline, c'était les Brandes — et la deuxième: chevrotine pour le dirlot !»
Ce qui fut rapporté sous deux heures chez "Soubrette" par La Carotte qui, depuis peu, vivait dans l'intimité des Dreckveld; et de là, comme traînée de poudre, la nouvelle gagna les villages… Lozari commença de regretter son engagement et ne sortit plus de l'école qu'en rasant les murs et en serrant les fesses…

Élisée contre les Alliances de Classes…

Le Troglodyte bibliophile avait été l'un des premiers à rallier l'ADVG vagissante; les avis qu'il prodiguait dans les réunions de bureau étaient judicieux et Jean-Loup se demandait souvent comment ce type visiblement cultivé avait pu descendre si bas dans l'échelle sociale. Mais le clodo inspiré répondait qu'il n'était pas si bas que ça puisqu'étant émule des cyniques il n'avait pourtant pas encore jeté l'écuelle ni le vélo vert…

À peu de temps de là, un remue-ménage avait lieu à la terrasse de la "Maison de la Viticulture". Quoique de plus en plus rurbanisée, la petite région n'en conservait pas moins, notamment par ses ouvriers agricoles, un fond de mentalité paysanne qui lui faisait haïr tout ce qui n'était pas emblématique de la France profonde: Parisiens, Jacobins, banlieusards, immigrés, marginaux, juifs, gauchistes… et désormais, les écologistes. Aux douze coups du roi de l'été, on s'agitait sous les premiers effets de l'apéro. C'est que la faucheuse-batteuse était tombée en panne; et ça, par suite d'un acte de vandalisme; et l'on se perdait en conjectures quant aux coupables.

  Il faut savoir que les plateaux entourant le Val Grisette avaient été recouverts, aux temps géologiquement pas si lointains de la fonte des glaces du Würm (18-3↓ )  — nos Cro-Magnons les connurent — par l'accumulation de lœss et limons rabotés et moulus par les glaciers puis charriés par les vents. Les sols formés par la vie sur ces sédiments avaient donné les plus riches terres de culture du globe. Mais alors qu'en Chine les dépôts atteignaient des centaines de mètres, ils n'étaient plus que de dizaines de mètres dans les plaines de France. Il importait donc de cultiver consciencieusement ces terres pour en conserver l'usage nourricier aux générations futures. « Nous n'héritons pas de la terre de nos parents, nous l'empruntons à nos enfants. » (18-4↓ ) . Les pratiques ancestrales avaient localisé les maraîchages et les prés aux alluvions de fond de val, les bois aux flancs de vallées et les céréales au centre des plateaux. Aujourd'hui, elles étaient bouleversées.

Tant pour guigner des subventions que pour multiplier les élevages de poulets, on cultivait désormais le maïs sur les pentes. Or cette culture est inadaptée à nos climats dans ce genre de situation. Dans nos régions, le maïs est semé en avril/mai et récolté en octobre/novembre. Dans le pire des cas, le sol reste donc dénudé de novembre à mai soit pendant six mois. Ce sont ici les mois pluvieux de l'année et alors, adieu les sols cultivés: l'eau qui ruisselle en nappes sur les pentes entraîne les particules d'humus et de limon, creuse des canaux, des fossés parfois profonds de plusieurs mètres, même en un seul orage, et des ravins d'érosion régressive qui découpent la corniche calcaire comme au ravin du Mortval. Tout est entraîné, parfois des arbres et dans les rues des villages, des voitures… On avait vu l'agent comptable de Booseveld, descendu de son véhicule pour échapper au torrent de boue, être entraîné par la violence du courant dans une buse d'égout et noyé ! Les écologistes étaient les seuls à critiquer publiquement les aides encourageant les élevage en batterie de milliers de volailles. Ils étaient donc, aujourd'hui, les principaux suspects: on avait taillé, à la machette, de longs labyrinthes cachés par la hauteur de la poacée. De loin en loin, des fils de fer barbelés volés sur des clôtures avaient été entortillés autour des tiges rigides de la graminée, ravageant l'énorme monstre travaillant aux phares, de nuit comme de jour… Des opposants à la culture détestée étaient passés aux actes. À la suite de ça, les militants de l'ADVG, dénoncés aux RG par le père Desmytter furent interrogés par la gendarmerie de la Villeneuve. On ne découvrit pas les coupables. Cependant, Jean-Loup se souvint qu'au retour d'une randonnée, il avait aperçu un vélo vert bien caché par les hautes cannes du maïs. Il n'en dit rien à personne. Il ne tenta pas de tirer les vers du nez de l'anarchiste des terriers.

Par contre, spontanément, le déchu raconta son histoire.

Le déclencheur de la confidence avait été une brève confrontation entre lui et le directeur adjoint du collège: Rosenschwein. Des Rosenmachins, il y en avait partout et Jean-Loup n'avait pas fait le rapprochement quand l'anar lui avait parlé de son ancien directeur. Élisée était, au début, agent-technique en labo de recherche de chimie dans une usine de verrerie de la vallée de l'Oise. Il s'était signalé à l'attention de ses contremaîtres lors de grèves assez dures auxquelles — ayant un long trajet aller-retour à effectuer chaque jour, hiver comme été — il s'était dépêché de participer. Il s'était rattaché au syndicat minoritaire anarchiste qui concurrençait celui du Parti, refusant durement les propositions patronales ou majoritaires lors des négociations.

Son labo améliorait la fabrication des éprouvettes en verre destinées aux TP d'étudiants des lycées et universités. Il s'agissait de les rendre aussi fines et peu résistantes que possible, de façon à en assurer un écoulement fidèle et prolongé par le service commercial. Il y avait chaque jour du déchet qui s'en allaient au tas de calcin. Il avait donc demandé à son contremaître la possibilité de sauver quelques tubes à essais pour y bouturer des saules dont il désirait entourer sa cressonnière. Son voisin de paillasse (18-5↓ ) , le délégué majoritaire, était au courant. Lorsque le patron, Rosenschwein — le père du Rosenschwein du collège de Villeneuve — avait questionné le contremaître sur le cabochard qui entravait les tractations salariales, le chef d'atelier n'avait rien émis que de positif. Par contre, questionnant le délégué du Syndicat du Parti, le boss en avait appris l'histoire des éprouvettes récupérées. Le soir, au moment de franchir le portillon réservé aux petits véhicules, Élisée avait été fouillé de pied en cap; rapport dressé, deux témoins et conseil de discipline pour faute professionnelle, le Rosenschwein jurait de porter plainte sauf arrangement: la démission du "voleur"… Lequel avait appris, peu après son éviction, que son collègue syndicaliste était devenu responsable du comité d'entreprise, dans la foulée…

Ainsi le Troglodyte émule de Diogène avait-il expérimenté comment, de l'idiot de village manipulé par le gros paysan jusqu'au délégué syndical ambitieux, le menu-peuple était prêt à se vendre, même pour pas cher, aux classes supérieures. C'était toujours, bien sûr, pour pouvoir acheter l'entrecôte qui nourrirait les chères têtes blondes (18-6↓ ) 

La Némésis des Pleutres.

Tout le ciel cette nuit proclame
 L'hécatombe des rossignols
 Mais que sait l'univers du drame (18-7↓ ) 

Jean-Loup était hyper-actif et heureux. Louisette, sa douce épouse, lui avait fait un joli petit garçon,  Jean-Philippe, "Jean-qui aime-les chevaux", son Philou, que Jean-Loup aimait tendrement. C'était pour eux-deux qu'il se réveillait le matin; pour eux-deux qu'il allait travailler; pour eux-deux que lorsqu'il était au repos il travaillait encore pour réparer la vieille maison croulante qu'ils avaient si difficilement trouvée, achetée, payée…
Leur maison, ils l'avaient baptisée "Les Gais Combats", en souvenir d'un poème de Paul Verlaine qui disait;

Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;

Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats…

Quant au Monde, qu’il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes ? Il peut bien,
S’il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.

Unis par le plus fort et le plus cher lien,
Et d’ailleurs, possédant l’armure adamantine,
Nous sourirons à tous et n’aurons peur de rien.

Sans nous préoccuper de ce que nous destine
Le Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l’âme enfantine
De ceux qui s’aiment sans mélange, n’est-ce pas ? (18-8↓ ) 

Ils avaient choisi un petit village dans un lieu vert car ils s'étaient connus dans une grand-ville encombrée de voitures et de cacas de chiens; aussi aspiraient-ils à construire leur vie sur le schéma de la "Bonne Chanson" du prince des poètes.

 Ils avaient trouvé là une population d'autochtones hostiles pratiquant la religion du "Parigots, Têtes-de-Veaux ! Des étrangers qui viennent manger l'pain des Bordésiens !"; mais, jusque là, c'était gentillet… Chaque matin, partant boire son p'tit blanc chez Soubrette, le vieux Boudoche de la petite ferme crachait un mollard jaunâtre — augurant mal de sa longévité — sur le pas de leur porte. Deux heures plus tard, le père Laplotte, revenant de picoler un ou deux p'tits blancs su'l'comptoir d'l'estaminet, s'arrêtait dans une encoignure du trottoir d'en face pour uriner longuement, secouant et injuriant gravement sa prostate…

Avertis de leur arrivée dérangeante, les bambins du village avaient aplati la descente de gouttière avec de gros cailloux, arraché une bordure de giroflées violiers que Jean-Loup avait amoureusement repiquées sur un trottoir et cassé un carreau sur chaque fenêtre laissée malencontreusement à volets ouverts quand ils partaient travailler. Menant une brève enquête dans la population pour y chercher des coupables, Jean-Loup s'était fait copieusement injurier à chaque porte — lorsqu'il parvenait à se faire ouvrir — et même, se campant, emphatique et grandiloquent, dans l'attitude du moujik fièrement rebelle à son ataman, le père Laplotte en vint aux menaces de mort sur le thème du prolétariat opprimé par le hobereau local: « Ta baraque, on y foutra l'feu ! On t'tuera l'jour d'la révolution ! »

Le vieux Boudoche ne l'injuria pas — Louisette allait chaque soir au lait dans son étable, et repartait avec des boîtes d'œufs par douzaines, et souvent des brassées de légumes surchargeaient ses bras graciles — mais à ses conciliabules avec La Pelotte, on devina qu'il n'en pensait pas moins. On constata qu'il avait redoublé de catarrhe bronchique la semaine suivante !…

Jean-Loup se tourna vers le maire. Le Laerez, tout en déclinant son impuissance de premier magistrat de la commune, le rassura. La Pelotte ? Un brave Néanderthalien de nos cambrousses qui, depuis des décennies, lui labourait son jardin, lui greffait ses scions, lui récoltait ses reinettes du Canada et les rangeait comme des petits soldats sur les clayettes du cellier… L'an passé, le maire lui avait vendu, contre l'avis même de son conseil municipal, une centaine de mètres de chemin rural que le vieux convoitait pour réunir deux pièces dont il espérait clairement faire un lotissement.
— « Eh bien, le lendemain matin à la première heure, il était au pied d'mon lit fusil au poing m'enjoignant de baisser le prix signé la veille chez le notaire et jurant qu'on l'avait volé. Lui et ses fils sont des fous dangereux: toujours le fusil chargé sous l'oreiller. Voulez-vous vous en faire adopter ? Payez-leur de temps en temps une tournée générale chez Soubrette. Sinon, ignorez-les et, le jour de la révolution, prenez vite un billet pour Tombouctou. Vous m'y retrouverez au Grand Hôtel, suite royale, porte numéro 3, avec ma famille… !»
Et sur cet aveu de capitulation, Le Laerez lui tourna son cul et repartit nourrir ses pigeons dans le préau de l'ancienne école qu'il avait, pour le même prix, annexé à son bail et transformé en roucoulante volière…

Moindre mal, la semaine suivante, Jean-Loup fut contraint de protéger après chaque voyage son véhicule dans sa cour: pendant qu'il peignait ses tuyaux de chauffage central à la cave, les isolant soigneusement dans la laine de verre, les petiots avaient criblé la 4L d'impacts de gravillons récoltés parmi le goudron frais du CD nouvellement rapetassé. Passe-temps innocent, la petite bande silencieuse et hostile, perchés au plus haut du calvaire municipal, cramponnés comme des angelots au crucifix, les délicieux bambins avaient craché sur le véhicule quelques kilos de noyaux de prunes domino volés chez la Sorcière. Son rétro droit était brisé. Le crochet du garage qu'il avait forgé à froid avait été martyrisé par le caïd de l'équipe: La Carotte. Il dût le remplacer par une chaîne dissimulée vers l'intérieur…

Et comme ça, la vie s'écoulait au village, presqu'un hameau de quelques dizaines de personnes, plutôt paisible, et Jean-Loup, toujours sifflant, chantant, fredonnait et, du haut de son échafaudage, faisait tonitruer Mozart aux esgourdes des croquants; lesquels aborigènes leur hostilité redoublaient— autant que leur inefficacité à entamer son moral — au fur et à mesure que l'instit améliorait le bâtiment. Le Pédago, balançant entre collège et travaux de reconstruction, semblait nager dans la joie et la réussite. Impardonnable et dérangeant… les bonnes femmes commençaient, au retour du bistrot, à chapitrer leur julot en lui citant l'exemple du maître d'école…
— « Forcé ! Lui, ç'parasite, c'feignant, il est toujours en vacances et quand les vacances sont finies, yl s'met en grève !»

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 18:   ( Sauter les notes de section 18 )
18-1.-↑ Sur "rebuffer": curieusement admis par Littré au fait qu'il peut venir de "rebuffade".
- Sur le verbe: rebuffer: transitif 1er groupe; Repousser par des rebuffades. Références: Tout ou partie de cet article est extrait du Littré (édition 1872-1877), mais l’article a pu être modifié depuis.
Rebuffer dans le logiciel "Le Littré" actuel: Rebuffer [re-bu-fé] v. a. ; Repousser par des rebuffades. Remarque (de Littré): Ayant rebuffade, il n'y a aucune raison pour ne pas reprendre le verbe rebuffer, qui était usité au XVIe siècle.
18-2.-↑ "Le Maître" de Victor Hugo
18-3.-↑ - En gros, entre -50.000 ans et -12.000, en deux épisodes. Sur les glaciations quaternaires:
- Glaciation du Würm
18-4.-↑ En général, citation attribuée à Antoine de Saint-Exupéry; parfois sous la forme: « La terre ne nous appartient pas, nous l'empruntons à nos enfants »
http://pagesperso-orange.fr/jacquard21/crbst_1.html Plus raisonnablement, d'autres s'accordent pour penser que l'auteur de cette phrase est le Chef amérindien Seattle. Ce dernier aurait dit : "Soyez bons avec la terre : elle ne vous a pas été donnée par vos parents, elle vous est prêtée par vos enfants. Nous n'héritons pas la Terre de nos parents, nous l'empruntons de nos enfants." Nous trouvons des citations similaires venant d'Afrique, et en règle générale, des tribus ancestrales. Seattle était le chef indien des tribus Dumawish et Suquamish. En 1854, il refusa de vendre son territoire au gouvernement des Etats Unis. Il eut le magnifique discours suivant : (Il existe plusieurs versions)
Comment peut-on vendre ou acheter le ciel, la chaleur de la terre ? Cela nous semble étrange. Si la fraîcheur de l'air et le murmure de l'eau ne nous appartiennent pas, comment peut-on les vendre ? (etc...) Discours du Chef Seattle en 1854
18-5.-↑ Non, mesdames; désolez-vous ! Ça n'est pas une affaire de cœur ! On appelle "paillasse", dans les labos, la table carrelée sur quoi le chimiste fait ses expériences. Rien d'autre !
18-6.-↑  Les paroles de la chanson
- "L'Entrecôte" paroles de la chanson de Zimmermann et Goupil
Entendre un refrain de la chanson des Frères Jacques et pouvoir l'acheter: cliquer
- Cliquer ici puis ensuite sur "Ecouter …"
18-7.-↑ "Les Poètes" de Louis Aragon, mis en musique et chantés par la plus belle voix du monde, si rare à la télé…: cliquez; descendez assez bas dans la page et cliquez la flèche: >
- Louis Aragon - Jean Ferrat: "Les Poètes" par "Jean la Voix"
- Jean la Voix sur un autre site (FNAC)
- Les paroles: Paroles des Poètes de Louis Aragon
18-8.-↑ - Paul Verlaine "La Bonne Chanson"; poèmes IV et XVII

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La Vengeance de Dreckveld (2).
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.


« Love means never having to say you're sorry »
« L'amour, c'est n'avoir jamais à dire qu'on est désolé »
Mot du film élevée au rang de la treizième citation la plus célèbre du cinéma américain (19-1↓ ) . "Love Story, 1971; Réalisation : Arthur Hiller: Scénario : Erich Segal; Musique : Francis Lai"
Cliquez puis lisez le roman; si vous voulez, cliquez encore et poursuivez la lecture en musique…

L'Homme et l'Enfant.

« La,la,la,la,la »
Dans la 4L, aux places arrière, gai comme un pinson, il gazouillait sans arrêt un air enfantin de "Manège Enchanté"  (19-2↓ ) « La,la,la,la,la »
Là-bas, dans l'HLM au neuvième, cubitainer à prolos où on lui avait appris à fuir l'air pur des fenêtres, sans cesse il suppliait: « Dis Papa, quand est-ce qu'on va à la petite maison ?»
« La,la,la,la,la »

Et le mercredi était le jour d'évasion: finie la crèche d'où il s'échappait pour retrouver Papa ! On allait dans l'air vif d'une campagne réouvrir les portes branlantes d'une bicoque. Papa le Géant l'avait achetée à grand peine, arrachée aux griffes des agents immobiliers, des notaires, des banquiers à grand coup de mensualités écrasantes pour un salaire d'instit débutant, juste au retour du service militaire à la guerre d'Algérie…
Aussi, vocalisait-on ferme derrière la 4L; à gorge déployée: « La,la,la,la,la »

Passés les derniers faubourgs, on entrait dans une plaine immense, céréalière bien ratissée où se succédaient d'immenses étendues de maïs, des vergers sans fin, et les plantations majestueuses de pylônes d'EDF soutenant une toile d'araignée de quatre cent mille volts amenant à la grand'ville l'énergie dont elle se gavait. Et, à l'arrière de la Renault, le tendron avait imaginé une variation à son "la, la, la":
« La forêt d'élétricité, la forêt d'élétricité, la forêt d'élétricité… !»

La "forêt d'électricité" était annonciatrice du vallon qui courait en lisière de la vraie forêt, celle des arbres, du mystère des authentiques bêtes sauvages, du parfum des tillaies et des litières d'automne retournées par les bottes des amateurs de coulemelles… De l'air suroxygéné libérait les poumons qui s'épanouissaient enfin !

Une sinuosité un peu dangereuse au travers des arbres d'un flanc de val amenait aux portes d'un village de poupée oublié sur un mamelon secondaire, vestige conservé du plateau par l'érosion fantasque… On venait, en l'espace d'une demi-heure de reculer sa pendule d'un siècle. C'était maintenant comme si nos chromosomes reconnaissaient les vallons, les coteaux, les prés, les bosquets, les champs mesurés, disséqués par les héritages, tout cet écosystème auquel, pendant des millénaires, s'étaient adaptés nos ancêtres, tous des péquenots mais "de génie", forgeant, sans le savoir, une France profonde ancrée dans ses carrières par ses murs de calcaire rejointoyés de gypse, ses tuiles de limon cuites aux fagots des remises à gibier, ses charpentes de chêne de la forêt proche et ses chevrons de peupliers des marais. Tout cela dormait gentiment, blotti à l'abri des inondations et seulement un peu soufflé par des vents tamisés par d'habiles plessiers plantés à dessein autour des maisonnées… L'enfant s'était tout de suite reconnu là chez lui comme si ses gènes l'y avaient depuis sa naissance appelé. Il avait baptisé la bicoque et, par comparaison avec le cubitainer à blaireaux, la disait "Petite Maison" là où Papa le Grand avait déjà commandé la plaque émaillée "Aux Gais Combats".

Alors commençait une journée d'aventure et de joie…

Ô ces larges beaux jours dont les matins flamboient
La terre ardente et fière est plus superbe encor
Et la vie éveillée est d’un parfum si fort
Que tout l’être s’en grise et bondit vers la joie. (19-3↓ ) 

Pour "Papa le Grand Architecte" commençait une journée de travaux à se casser les reins: détruire de vieux carrelages, de vieux planchers, creuser des fosses septiques, des plateaux absorbants grands comme des piscines, des puisards, des tranchées d'assainissement. Apprendre à monter sur les toits pour boucher d'urgence des fuites, changer des tuiles, des faîtières, des gouttières, des ruellées et des noues… Apprendre à raboter des portes et fenêtres, poser des planchers nouveaux, changer complètement des chevronnages et leur voliges, leur couverture enfin isolée… Apprendre à souder toute une installation d'eau… Apprendre des normes et les appliquer à poser de la cave au grenier toute une installation électrique… Apprendre à poser des vitres, à peindre ou tapisser…

Pour "Philou le Petit Architecte", c'était une journée d'exploration d'une maison qui, pour lui paraître petite vue de l'extérieur, lui semblait grande après l'appartement du neuvième. Il la fouillait de la cave au grenier, découvrant des objets oubliés, des outils, des souvenirs… Parfois, il se saisissait d'un marteau et, avisant un petit ouvrage de maçonnerie que Papa avait juste achevé, le repiochait avec le zèle endiablé d'un prosélyte… L'orage ne se faisait pas attendre… Tombant de haut, rugissant comme un lion et mugissant comme un varan de Komodo, Papa le Justicier tonnait de voir ses efforts massacrés l'espace d'un instant. Mais devant la mine dépitée du bambin qui, lui, avait cru bien faire, le Zoro familial, ramolli jusqu'à la moelle par les larmes de son angélique néophyte le serrait bien fort dans ses bras et l'y gardait longtemps pour y distiller la tendresse…

Alors retentissait les appétissants pin-pons (19-4↓ )  de Socrate, le charcutier dispensateur de boudin sublime. Papa le Grand Cuistot devenait alors un dieu de la tranche de foie. Le foie émincé, bien cuit, avec un zeste de citron, de poivre, de sel, de curry, de tomate et pour finir, une bonne cuillerée de vinaigre de cidre, encore qu'il ait probablement perdu de sa B12, était trop savoureux… Papa le faisait avec une délicieuse purée mousseline si facile à mâcher… Quant au boudin, il le cuisait lentement, allant chercher les pommes du meilleur pommier du verger, succulentes, sucrées et surettes. Il en faisait patiemment une compote délectable, avec les quartiers de pomme soigneusement débarrassés de leur endocarpe papyracé, à peine caramélisés qui se mariaient au boudin comme un délice de paradis ! Ah, comme c'était bon d'être doucement gâté par Papa l'Omniscient, le Papa Qui-sait-tout !

Parfois, l'après-midi des beaux jours, Papa le Fatigué emmenait son grand garçon au bois, le traînant par la main ou le ramenant sur ses épaules. Ensemble, on profitait alors de cette ennivrante liberté qui envahit le cœur de l'homme qui marche dans la nature. Le père nommait au fils les fleurs des sous-bois et le bambin ramenait un menu bouquet pour sa mère. On pensait bien à elle qui restait, ces jours-là, au travail… Il se forgeait ainsi, entre père et fils, une douce complicité, mais sans jamais oublier la mère: « On dira à Maman ceci, on dira à Maman cela… » Et Jean-Loup sentait son cœur défaillir de gratitude pour celle qui lui avait donné ce fils, ce tendron… C'était pour "Mes Deux Chéris" qu'il se donnait tant de peine…

À quelque temps de là…

L'enfant, désormais, avait grandi. L'école avait été parfois laborieuse car les deux parents devaient travailler pour assumer les charges des remboursements d'emprunts, de gaz, d'eau, d'électricité, de déplacements quotidiens… Ces absences souvent pesaient lourd dans le cœur de l'enfant. Lozari faisait ce qu'il pouvait, en ami et en vrai hussard de la République, consciencieusement attentif à la personne de chacun des gamins qui lui étaient confiés. Enfin, on était arrivé au CM2 plutôt en avance et il fallait se résoudre à penser au collège. Déjà ! Jean-Loup se culpabilisait d'avoir consacré tant de temps à son métier, à sa maison, et si peu aux études de son fils chéri… Les déplacements allaient devenir de plus en plus longs et pénibles: s'il était encore possible d'aller venir à l'école primaire intercommunale à pied, gagner le collège de Villeneuve ou sortir avant l'heure serait de plus en plus dur, surtout l'hiver… L'enfant comptait et recomptait sur les doigts les années d'école encore à faire: sixième, cinquième,… seconde,… terminale: sept ans !! Était-il possible de rester enfermé dans un lycée pendant si longtemps ? Il lui prenait alors des rêves d'être un Robinson Crusoë, un explorateur de Guyane, un cow-boy coureur de prairies, un ranger des bois, un gardien de réserve naturelle, un ramasseur de champignons, un bûcheron, un pâtissier… Il avait neuf ans.

La Némésis des Cancres…


Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore,
Et l’azur a gardé sa fraîcheur de la nuit. (19-5↓ ) 
Jean-Loup avait pris le temps, avant d'aller en classe, d'accompagner Philou à l'aubette où s'arrêtait le bus du ramassage scolaire. Déjà des mères s'y pressaient, babillant, caquetant, jacassant, et passablement s'énervaient. Les maroufles du village avaient, dans la nuit, déféqué sur la banquette de l'abri où les plus petits aimaient à s'asseoir pour achever leur dodo. Ils en avaient cocassement peinturluré l'horaire des cars pour le rendre illisible. Ils avaient déposé sous le siège un sac Leclerc où un investigateur courageux découvrit ultérieurement une fiole vide de whisky et une seringue usagée… Rien que de très banal et tout allait bien. Le cœur un peu serré — de la journée on ne se verrait plus — le père et le fils s'embrassèrent. Le car arrivait. Derrière le chauffeur se profilait l'inquiétante silhouette de la Carotte. Jean veilla à ce que son fils ne soit pas claqué par l'idiot dont c'était une pratique coutumière et bien acceptée des mères de famille… Jean-Loup surprit le coup d'œil furtif du cancre qui l'avait repéré et se tenait à carreau. Vite, il démarra pour le collège avant d'être retardé par le car…

Les six heures de cours passèrent vite et le prof avait le souffle court et la voix éraillée. Maintenant, il y avait l'imprévu…

Louisette rentrait tard… Les horaires du "privé" !… Ce soir là, Jean-Loup avait été retenu par des parents d'élèves. Il avait hâte de retourner aux Bordes pour serrer dans ses bras l'enfant revenu plus tôt. À l'arrivée aux "Gais Combats", il sauta du véhicule et, sans prendre la peine de le reculer dans sa cour, tourna la clé dans la serrure… Surpris, il trouva la porte extérieure ouverte. Il entra mais la maison paraissait vide. Le jardin était grand: il y courut. Personne. Il appelait mais nul ne répondait… Alors il s'affolait, imaginant l'accident survenu sur le CD d'un enfant sorti plus tôt de l'école ayant devancé le car… Il parcourut les pièces de la maison en coup de vent, appelant, criant « Philou !» à tue-tête… Nul retour ! Nul bruit ! Nulle présence dans la chambre du fils ! Alors comme un fou il courut de la cave au grenier…

Là ! L'enfant ! « Philou ! Mon tendron !» Il était là, affalé sur une table d'écolier devenue trop petite pour lui, remisée sous le comble; mais il ne bougeait pas… Inquiétude mortelle ! « Philippe, mon chéri !» Le père était plié, penché sur le bambin: il était tout chaud… Ouf ! Il l'entourait de ses bras mais l'enfant restait inerte, prostré: oh ! l'angoisse d'un père qui trouve son bambin effondré sur une vieille table d'écolier ! Oh, l'anxiété ! Il le serrait dans ses bras et l'enfant restait inerte et sans voix. Alors il le couvrait de baisers, comprenant que l'enfant avait dû subir un grave traumatisme, il cessa de le brusquer, attendant maintenant la survenue des larmes. Celles-ci arrivèrent silencieusement. «nbsp;Mon poussin bien-aimé, raconte !»

Arrivèrent les sanglots, les hoquets…

Oh, la rage d'un père qui commence à deviner le pire: la claque du maître, la honte devant la classe, la brutalité d'un camarade, l'œil crevé d'un voisin… « Viens, je téléphone à Lozari !» L'évocation du dirlot fut décisive et, au milieu de gros sanglots, l'enfant se délivra du fardeau: «  Papa ! Dans le car, la Carotte m'a fait un croche-pied pour me jeter par terre. Après il a parlé aux enfants, il leur a crié: "Les gars, à la récré, vous foutrez une râclé à Cuisance; hein, les enfants, à la sortie, vous casserez la gueule au fils du pédé !"… Et les enfants, tous ensemble, ils ont répondu: "Oui, m'sieu !" Dis Papa, qu'est-ce que c'est qu'un pédé ? C'est vrai, Papa, que t'es un pédé ? »

Nom de Dieu ! Putain de société ! République de cons ! Je viens de perdre deux ans de ma vie pour faire leur sale guerre d'Algérie, je reviens lieutenant et des idiots de village s'attaquent à mon bébé dans le car scolaire, impunément, en toute liberté, en toute tranquillité, sous la houlette du chauffeur, au vu du directeur… S'il avait tenu Lozari en face de lui à l'instant, il l'eût sans doute étranglé, tout au moins, considérant l'amitié, insulté, maudit et giflé ! Quant à cette lopette de conducteur, il le lui fallait tout de suite ! Mais l'enfant était là dans ses bras qui sanglotait fort et les paroles de consolations n'arrêtaient pas sa détresse et la révolte du père croissait d'instant en instant…

Il se souvint alors que son véhicule était resté dehors en fâcheuse posture. Manquerait plus que ça ! Entraînant l'enfant, démarrant en trombe, il alla tapper violemment à la porte du groupe communal où la femme d'entretien vint ouvrir. Il trouva les Lozari courbés sagement sur leurs piles de cahiers et son air devait être effrayant car la femme resta interdite et l'homme se dressa brusquement: « Ben ! Qu'est-ce qui vous arrive ?» Il eut de la peine à s'exprimer calmement, d'autant que le directeur, par un réflexe d'autodéfense, chercha tout de suite son salut dans la fuite des responsabilités; le chef d'établissement entraîna Jean-Loup vers la clôture de l'école. Il lui montra le sommet du treillage et lui dit: « Monsieur Cuisance, vous voyez cette limite de propriété ? Eh bien, mon autorité s'arrête là ! Au-delà, je ne suis plus rien: ni responsable, ni juge !» La physionomie de Jean-Loup devait être alors bien terrible car le dirlot fit marche arrière aussitôt promettant: « Par ailleurs, vous n'avez sans doute pas de témoins ? Je vais faire une enquête parmi les enfants et leurs parents pour connaître leur son de cloche. Ce n'est pas la première fois que j'entendrais des pères et mères de familles déplorer la présence du La Carotte à bord du car de ramassage scolaire. Les collègues qui m'ont précédé, Mesdames Le Diot et Coquelle m'avaient d'ailleurs mis en garde contre ce pervers. Et j'en toucherai un mot au président du groupe scolaire; en attendant, je surveillerai personnellement la récréation… » Ces quelques bonnes paroles avaient avec un peu rasséréné le père et l'enfant. On se quitta donc sans étranglement; le stress tombait d'un cran…

En remontant aux Bordes, on dépassa Élisée Fleurie qui leva le pouce pour se faire emmener; mais Jean-Loup ne ralentit pas… Dans le village, on croisa Le Laerez qui pointait le nez hors de sa mairie avant de fermer. Jean-Loup pila sur la placette dans un crissement qui fit sursauter l'échevin qui faillit battre en retraite, courageusement comme toujours; mais la portière s'ouvrait déjà et Jean-Loup se ruait sur lui. L'édile préféra rester en haut des trois marches du perron dans l'espoir de mieux dominer la situation. Le père lui raconta l'expérience douloureuse de son bambin; mais le premier magistrat de la commune lui dit que la mairie était fermée depuis un quart d'heure et qu'il pouvait revenir demain.« D'ailleurs, ajoutait-il, presque provocateur, avez-vous des témoins ?» Sur quoi il lui tourna son cul comme il aimait le faire par désinvolture mais cette fois, une poigne robuste exercée au maniement des sacs de plâtre et de gravats lui empoigna le col au niveau de l'épaule, lui fit faire demi-tour et redescendre les trois marche au galop. Déjà la terreur se peignait sur le visage du gnome et Jean-Loup sentait qu'il n'allait pas dominer son impulsivité: « Vous avez compris la situation  ? Il s'agit d'un élève de "votre" groupe scolaire, transporté par "votre"car de ramassage scolaire dans lequel l'enfant se fait agresser physiquement et verbalement par "votre" idiot de village… et "votre" responsabilité est cette fois engagée; et vous allez y mettre bon ordre ou je vais me fâcher tout rouge !» Il écumait de rage de voir l'insensibilité de ce vieux gâteux, laquelle frôlait l'intime satisfaction de voir son compétiteur éventuel humilié au travers de son enfant. Et le prof secouait le bailli comme un prunier par le col à tel point qu'Élisée survint, lui détachant la main de force du revers de veston et l'enjoignant au calme… Le Laerez comprit qu'il fallait profiter de l'embellie pour composer un armistice: « D'accord ! je comprends et j'excuse votre colère parce que vous voyez souffrir votre enfant. Je vais donc en parler au président du groupe scolaire. Entre temps, reprenez vos esprits !» Cette fois, il hésitait à tourner son cul; Jean-Loup comprit qu'il était adroit de profiter de cette concession: « Merci, monsieur le maire ! Je vous prie de m'excuser, mais au retour du travail, j'ai trouvé mon enfant prostré de s'être fait menacer par le "La Carotte" et il serait maintenant utile pour tout le monde que vous écartiez cet idiot de village, ne serait-ce que pour sa santé personnelle !» Et cette fois, c'est le prof qui lui tourna son cul le premier…

Comme promis, Lozari et Laerez obtinrent, non sans réitération, un rendez-vous chez Booseveld, maire de Trefontaines et président du groupe intercommunal. Jean-Loup sollicita les deux hommes de l'accompagner chez l'éminent cultivateur, mais ils se défilèrent habilement derrière leurs emplois du temps, laissant comprendre qu'ils ne couraient pas après une méchante histoire… Cherchant un accompagnateur, il sollicita la mère Mirette et quelques amis de l'association, mais chacun avait, à cette heure, mieux à faire… En désespoir de cause, il se tourna vers un Élisée réticent mais comme il l'avait sollicité devant une amicale bouteille de Chénas de bonne garde, digne de son voisin "Moulin à Vent", et servi plutôt frais, le clopinard condescendit à lui servir de témoin, n'étant d'ailleurs pas fâché que Booseveld le vît en compagnie d'un prof de collège…

La Controverse de Tréfontaines

Assez longtemps après l'algarade, l'équipage arriva chez Booseveld, lequel cumulait les casquettes d'agriculteur, de doyen de la chasse, de maire du village et de président de l'école intercommunale; et avec ça, il comptait bien décrocher le poireau et les palmes académiques. Encore fallait-il se cramponner à toutes ces casquettes et le pion faiseur d'histoire des Brandes l'agaçait un peu. Il avait une qualité: il était plein d'entregent et des plus allants, comme on dit. Il s'entremettait sans cesse, et pour le bien (19-6↓ ) . Aussi fut-il tout miel avec un regard de feu pour Jean-Loup:« Monsieur Cuisance, heureux de vous connaître !» Traduisez: « Si t'étais pas venu manger le'pain des Brouais, on s'rait plus pénard et ton morpion n'aurait pas excité La Carotte !»
— « Ah, Monsieur Fleurie, quel bon vent vous amène !» Traduisez: « Mon salopard, si j'me r'prends les pinceaux dans tes pièges à loup, ça s'ra une aut'musique; et si on t'pince à tortiller des barbelés dans les maïs, on t'lynche !»
 Même l'enfant qu'on avait amené là dans l'espoir d'éveiller sa fibre paternelle eut un mot doux et une caresse sur la tête et là, c'était sans doute sincère…

  Aussitôt prit-il l'affaire à bras le corps attaquant: « Ce qui me gêne, dans votre cas, enfin… dans la plainte de l'enfant, c'est que vous n'avez pas de témoins; et votre juge, sans les trois témoins, il vous déboutera !» Il l'avait pris d'un peu haut. Ça fouetta Jean-Loup qui reprit de plus belle sa rhétorique "anti-Laerez": « Certes, Monsieur le Président de l'école intercommunale, mais il se pourrait bien que les témoins ne soient pas difficiles à trouver qui se plaignent que "votre" car est fréquenté quotidiennement en présence de "votre" chauffeur et à la barbe de "vos" institutrices par "votre" idiot intercommunal; lequel brutalise quotidiennement les enfants. Il ne sera pas difficile de faire dire à un juge que la présence d'un adulte de vingt-trois ans étranger au service est illégale et d'obtenir son éviction !» Et il brandissait sous le nez du multi-chapeauté un agrandissement 30x40 du La Carotte en présence du chauffeur et des bambins descendant du bus… Derrière, Élisée en rajoutait: « D'ailleurs, moi je suis témoin; j'étais là, sur le talus, j'observais la descente des petits et j'ai vu et entendu toute la scène !» Et sacré nom de nom d'un Chiroubles, sûr qu'il aurait témoigné, devant le juge ou mieux, sur une de ces attestations de justice tellement réglementée: « Je sais que mon témoignage pourra être utilisé en justice et que j'encours et ci, et ça… si j'mens croix d'bois croix d'fer, articles tant et tralala !» Jean-Loup comprit que ce témoignage indiscutable d'un homme de terrain, toujours tapi dans la verdure à "voir sans être vu, avoir l'œil pointu" des bons fantassins serait crédible et il vit une légère moue sur la lippe jusque là dédaigneuse de l'échevin. Il en déduisit que cette faiblesse signait le moment de sonner l'halali de la bête et renchérit: « Et quand j'aurai obtenu l'éviction, qu'est-ce qui m'empêchera de porter plainte au civil pour obtenir, pour mon enfant, bien sûr, pas pour moi, des dommages et intérêts du syndicat intercommunal ?» Pan ! Dans le mille ! Booseveld se leva et dit: « Monsieur Cuisance, je compte sur votre bienveillance pour ne pas attaquer un syndicat qui permet à vos enfants d'avoir, hors cet incident mineur, une scolarité agréable. De mon côté, je vais aviser la compagnie des cars d'avoir à faire des remontrance acerbes au chauffeur qui a trop longtemps toléré la présence de La Carotte dans son véhicule en présence des petits; ou d'en mettre un autre ! Comptez sur moi: l'affaire est classée !»

Sur le pas de la porte, il ne put cependant retenir une objurgation: « Vous comprenez, Monsieur Cuisance, vous et votre nouvelle association avez décidé d'attaquer le monde rural; mais ce monde est très solidaire; et si vous persistez, vous risquez de mettre contre vous tous les paysans du Val Grisette. Et nous sommes structurés dans de puissants syndicats soutenus par tous les grands partis politiques: aucun clan ne peut se passer de nous. Et encore, nous sommes structurés dans une Chambre d'Agriculture départementale dirigée par Monsieur Radula de l'Escargue, un céréalier important qui se prépare aux sénatoriales et qui mène à l'Assemblée un lobbying d'enfer et qui nous soutiendra mordicus !» Puis de très haut: « Croyez-moi, mieux vaut être conciliant !»

L'allusion aux démêlés avec Dreckveld était claire: "La Carotte", c'était un coup du tas d'ordures !

  Booseveld dut faire le nécessaire: un bref coup de téléphone à la compagnie: « Si j'entends encore parler de la complicité de votre chauffeur avec l'idiot de village, je change de compagnie !» En somme, vingt mots suffisaient qui permirent, à l'avenir, de ne plus voir jamais La Carotte dans le car du ramassage scolaire.

Jean-Loup n'avait pas eu besoin de dévoiler toutes ses batteries chez Booseveld: il avait préalablement porté plainte. Les gendarmes de La Villeneuve lui avaient opposé toutes sortes d'objections, lui refusant l'accès au registre: « La main courante ? N'a pas ça à Villeneuve; allez voir à La Poterie !» Finalement, il avait dû porter plainte en recommandé auprès du procureur du chef-lieu. La réponse vint environ six mois plus tard: "Classé sans suite, faute de témoins".

Personne n'y pensait déjà plus, sauf l'enfant qui resterait blessé à vie. Mais de ça, tout le monde s'en foutait sauf son père… Jean-Loup, avec toutes sortes de précautions à base de "vilains meussieurs", avait dû expliquer la déviance sexuelle au tendron qui perdit là, avec sa naïve innocence, un gros morceau de son enfance et de sa tendre fraîcheur, …

La Carotte qui s'ennuyait ferme se montra désormais dans les rues des villages en compagnie d'un des fils Laplotte surnommé Donald car il était syndactyle. Tous deux montaient la garde de longues heures au pied du calvaire, dévisageant le Pédago avec insolence, dans un silence menaçant et lançant courageusement quelques quolibets à l'enfant descendant du car… La vie était redevenue normale au village…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 19:   ( Sauter les notes de section 19 )
19-1.-↑ Wikipedia: Le film a été sans doute le plus grand succès de l'année 1971. Le scénario a été écrit par Erich Segal ; il l'adapta pour écrire un roman qui fut un best-seller avant la sortie du film lui-même. Une suite fut tournée en 1978 : Oliver's Story. Erich Segal a dit qu'il s'était basé, pour le personnage d'Oliver, sur le vice-président Al Gore et Tommy Lee Jones qui partageaient une chambre à l'université de Harvard. La musique de Francis Lai a beaucoup contribué à la popularité du film, en particulier la chanson intitulée "Where do I begin" créée en anglais par Andy Williams et en Français par l'une des interprètes fétiches de Francis Lai, Mireille Mathieu sous le titre "Une histoire d'amour" qui sera l'un des plus grands succès de l'année 1971. Le titre sera repris par de très nombreux autres interprètes comme Shirley Bassey, Ginette Reno, Tino Rossi, Nicole Croisille et même plus récemment par Jonatan Cerrada. En 2006, lors d'une émission de M6 intitulée "Le grand Classement", la chanson a été classée parmi les 100 plus grands succès français de tous les temps.  (Oscars de la Musique…).
- Wikipedia: Biographie de Francis Lai
Wikipedia: extrait. Francis Lai est un compositeur et musicien français, né à Nice le 26 avril 1932. Il a surtout composé les bandes originales des films de Claude Lelouch. Il obtient l'Oscar de la meilleure musique de film en 1970 pour la trame de Love Story, et reçoit une nomination dans la même catégorie quatre ans plus tôt pour Un homme et une femme (1966). Il compose de nombreuses musiques pour Édith Piaf, Mireille Mathieu, Isabelle Aubret, Philippe Léotard, Petula Clark, Nicole Croisille, Dalida et Jacqueline Dulac ainsi que pour plusieurs chanteuses québécoises dont Nicole Martin, Fabienne Thibeault, Ginette Reno et Martine Chevrier. (Cliquer l'URL ci-dessus pour connaître toutes ses chansons et son abondante filmographie).
19-2.-↑ Le "Manège enchanté": Wikipedia: (extrait) Le Manège enchanté est une série télévisée d'animation française en 500 épisodes de 5 minutes (dont 13 en noir et blanc), créée par Serge Danot et diffusée à partir du 5 octobre 1964 sur la première chaîne de l'ORTF.
- Plus sur Le "Manège enchanté"
19-3.-↑ La Joie; d’Emile Verhaeren. “La Multiple Splendeur” - Mercure de France Editeurs
19-4.-↑ les pin-pons: forme incorrecte; en somme, ne se met pas au pluriel comme un substantif, nom commun, car c'est une interjection (ATILF CNRS). C'est donc à juste titre que Girodet (Pièges et Difficultés de la Langue Française) l'ignore. Mon Petit Larousse l'ignore. Celui de ma femme reconnaît "pin-pon" interjection (et alors! la parité ?) Mais là où Girodet donne Ping-Pong comme invariable, Larousse écrit ping-pong (sans les majuscules) et au pluriel: les ping-pongs. On peut imaginer de former le pluriel d'un néologisme ou hapax à pincettes: les "pin-pons"… De plus, pour Ping-Pong, il devrait s'écrire (selon Girodet) avec des majuscules car c'est un nom de marque; mais cet auteur concède les minuscules "la marque étant tombée dans le domaine public"… Pinaillage* de grammairiens ! (pinaillage, pinailler, pinaillerie, pinailleur (et surtout pinailleuse…) reconnus par l'ATILF CNRS !). Rappelons-nous la licence d'Aragon:

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux.

Subtantivons donc joyeusement "pin-pon" sans espérer qu'il nous soit un jour automatiquement reconnu comme la substantifique moelle de cet œuvre… - Rem: Rabelais écrivait dans Gargantua, livre 24: « Bastissoient plusieurs petitz engins automates, c'est à dire soy mouvans eulx mesmes ». Première attestation en 1534 du mot "automate, adjectif", on le lui a bien copieusement substantivé par la suite et décliné en adverbe… Pourquoi se gêner ? Le petit garçon ne s'en soucie pas, lui: « Papa, z'entends les pin-pons du sarcutier !»
19-5.-↑ Paul Verlaine — La Bonne Chanson; « Le soleil du matin doucement chauffe et dore »
19-6.-↑ Ces deux dernières phrases empruntées à Sainte-Beuve. Eh oui, faut piquer parfois dans les références, ça relève le niveau général… (Port-Royal, t. 4, 1859, p. 497.)

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Le Dernier Chemin pour les Amoureux.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Le temps s'écoulait. L'enfant grandissait. Maintenant, il allait avoir dix ans. Ce serait bientôt le collège.

 Le Club du Jardin Courtois était actif, dynamisé par Nathalia et le troubadour Adam de la Halle. Le garçon le tirant à hue vers l'écologisme qu'il sentait si urgent d'émuler dans le Val Grisette. La fille tirant à dia vers la poésie. Jean-Loup avait acheté d'occasion et sur ses deniers une machine duplicatrice façon ronéo sur quoi les adolescents tiraient un bulletin qu'ils distribuaient, à bicyclette et à pied, dans les villages. Le prof en surveillait le contenu avec vigilance, prévoyant que le bulletin, à côté de poésies classiques, commencerait à prendre une tournure engagée dans la lutte écologiste. Il craignait que ce mélange des genres ne tournât vinaigre et montât au nez des Villeneuvois et des pedzouilles d'alentour. Mais jusqu'à présent, il avait su tenir la bride et modérer la fougue des adolescents.

 Pour son malheur, la goinfrerie des hommes, insatiablement avides de richesses et désireux de piocher pour ça sans retenue dans les ressources de la nature, comme s'ils voulaient n'en laisser aucune moindre molécule à leur propre descendance, allait compromettre cette réussite provisoire…

Booseveld, le Voleur de Chemins…

Quand il faisait un cadeau, ça n'était pas gratuit: venait toujours après la facture. Pour l'écolo de service, à qui l'on venait de faire une fleur en écartant l'idiot de village du ramassage scolaire, il devait être entendu qu'il ne s'opposerait plus aux entreprises de Booseveld dans la campagne, là où le bougre considérerait légitime d'en faire son pré carré. Ambition, convoitise, cupidité insatiable étaient ses emblèmes et Mère Mirette contait avec délectation comment, pendant la guerre, il avait fait pognon des choux et kartoffels des nazis, laissant crever de faim, dans son propre village, des enfants de prisonniers de guerre français, tout en profitant de la chasse aux Juifs pour racheter à bas prix de grosses résidences de Villeneuve et du Val Grisette. Citoyen belge, il avait bénéficié de mesures de délocalisation de leur jeunesse rurale vers la France, son pays étant devenu trop petit… Non mobilisable dans l'armée française, il était passé au travers de la guerre sans dommage et s'enrichissant.

Spéculant sur ses nouveaux biens, il avait remembré autour de ses fermes des terres immenses. Dans lesquelles dépendances, plastronnant tel un Carabas, le marquis de Tréfontaines jugeait non rentables les chemins, les haies, les remises à gibier, les poiriers du bord des routes qui avaient abrité les attelages tirant jusqu'aux années cinquante de lourds fardeaux sous les soleils de plomb, donnant à l'automne le poiré (20-1↓ ) . Le cidre de poires qu'Olivier de Serres, le génial agronome créateur, à Villeneuve-de-Berg, dans les Cévennes, de l'agriculture moderne et de la poule au pot d'Henri IV, évoquait déjà en l'an 1600 dans son traité du "Théâtre d'Agriculture", ce poiré qui pouvait être bu quotidiennement ou distillé; tandis que les meilleurs sujets donnaient des fruits au sirop appréciés l'hiver. Il est vrai que ce cidre parfumé n'était plus préparé que par quelques ruraux pour l'usage de leurs intimes. L'alambic ne se voyait plus que dans les fêtes folkloriques et la jeune classe s'adonnait en toute inconscience — et dans le meilleur des cas !— au Coca-Machin et autres sodas trop sucrés… D'année en année, les poiriers étaient coupés, les chemins se dénudaient, les bosquets flambaient, les vergers arrachés laissaient place au maïs subventionné, le paysage désolé passant du bocage verdoyant aux étendues décharnées livrées sans manteau à la hargne des météores climatiques…

— Dring ! Dring !
Ce matin du dimanche, Jean-Loup était réveillé dès l'aube par un coup de téléphone impérieux. À son grand étonnement, il recevait du Laerez un appel "amical" se souciant de sa santé, de celle de son épouse et du charmant bambin… Le prof était impatient de savoir l'énormité du service qu'on allait lui demander. Il s'apprêtait au pire vu que le maire des Brandes était intervenu pour obtenir l'éviction de La Carotte. C'était encore plus désespéré ! Revenant des morilles au bois de la Garenne — le bois des écologistes qu'il pillait chaque printemps — Tartuflette avait vu arriver dans la cavée des Brandes deux énormes trente-six tonnes à remorques porteuses de montagnes de gravats de plâtre. Booseveld était aux commandes de l'un d'eux: il avait commencé, bien sûr sans l'autorisation du maire concerné, son voisin, le comblement du chemin creux.

 L'opération était menée comme une blitz-krieg (20-2↓ )  et deux heures plus tard, le travail était très entamé ! Tartuflette avait essayé d'attirer le Laerez sur les lieux mais l'animal se débattait et lui filait entre les doigts comme une anguille tant il lui démangeait d'exercer ses obligations et prérogatives de police communale ! Le Tartuflette faisait donc l'aller-retour incessant de la cavée à la mairie pour tenir l'autorité au courant des progrès des dégâts: la mort minutée du chemin creux des Brandes !

La Cavée des Brandes s'orientait Nord Sud, venant de Tréfontaine et se prolongeant, après descente au fond du vallon des Nuées, par une remontée brutale de la cavée de Crèvecœur vers La Gagnée, le village des bois… Le chemin creux menacé était donc exposé plein sud. Le premier printemps y était enchanteur. Jean-Loup y menait son Philou pour s'y réchauffer au milieu des touffes de violettes rendues opulentes par le lessivage des phosphates épandus dans les champs. Parmi les coucous et autres primevères des bois, les scilles avaient résisté au piétinement, et sous quelques pruneliers encore noirs, ils aimaient guetter l'instant où la ficaire jaune étoilée et la modeste adoxa aux tiges graciles perceraient les mnies. C'était un paradis pour les petits lapins: il fallait balayer le dormant de grès des petites crottes rondelettes des connils avant de s'y pouvoir asseoir et Philou s'en amusait… Ce site charmant si accessible aux vieux des Brandes avait donc été condamné par Booseveld — sans d'ailleurs l'avoir fait décider par son conseil municipal — au chef que le chemin appartenait par moitié aux Tréfontaines et pour l'autre aux Laerez… (20-3↓ ) 

Jean-Loup demandait en quoi il serait compétent quand Le Laerez, au bout du fil argumenta:
— Votre association de protection de la nature pourrait faire quelque chose pour stopper ça ?
— Vu l'urgence, et compte-tenu de la nécessité d'en décider en assemblée spéciale, je n'ai pas l'autorité nécessaire et je transmets au président Lozari, mais je peux, si vous vous rendez sur place, vous servir de témoin et prendre quelques photos qui pourraient vous être utiles en cas de procès ?

Ainsi fut-il décidé mais le maire était atterré de se confronter au Booseveld qui passait pour colérique. Il battait donc le rappel auprès de ses fidèles des Brandes: Le Pisse-Goudron, cantonnier, son compère Pousse-Cailloux, l'ancêtre Laplotte — fusil à l'épaule; on n'sait jamais… — et son crétin de fils amateur de foot qui arrivait avec sa trompette de stade, scandant sur un ton monocorde le rythme de l'illusoire apophtegme: " On a Gagné !"… Le vieux Boudoche, désormais confiné au coin de cheminée et qui aimait chauffer ses lumbagos sur les cailloux du chemin creux suivait sur sa canne: « Bon Dieu, c'est comme si j'avais le train d'arrière qui se désagrège !» (20-4↓ ) 

Le Diascorn avait été sollicité mais se récriait: « Un dimanche matin ! Perdre mes clients d'après la messe ! Vous n'y songez pas, vous souhaitez ma ruine !»; mais il laissait filer Soubrette qui en profiterait pour faire pisser le chien… La petite troupe régaillardie par la présence du porteur de fusil et la mini-Marseillaise en trompette de foot avait fini par s'ébranler au moment ou le Tartuflette, tout essoufflé, annonçait entre deux hoquets que Booseveld en était à sa quatrième rotation et qu'il aurait fini avant midi… Le Pisse-Goudron poussait au cul Le Laerez qui faisait exprès de ne pas avancer malgré que le Pousse-Cailloux le tirât par le bras droit et le footballeur musiquant à perdre haleine par la manche gauche… Jean-Loup, pas fier de devoir affronter son "bienfaiteur" du syndicat intercommunal, suivait derrière, la Condorette 24x36 au poing, prêt à mitrailler la scène et guettant le déhanchement callipyge de Soubrette à la silhouette accorte et qui gloussait tout le temps, lorsque Tartuflette, rattrapant après boire l'avant du cortège, lui pinçait les fesses au passage…

Quand on arriva sur les lieux, la partie basse — il est vrai peu profonde — de la cavée était comblée et, le Portugais de Booseveld, aux commandes du plus puissant tracteur du canton muni d'une lame niveleuse avait déjà poussé cinquante centimètres de terre des champs sur les plâtras… Fini le premier printemps ! Finie l'épine noire avec ses neiges d'avril ! Fini le tapis fragile des adoxas et des violettes opulentes ! Jamais plus on ne verrait ça: en une demi-journée, un pécore convoiteux, pour gagner quelques sous de plus à la coopérative du maïs, avait privé à tout jamais les vieux, les jeunes, les bébés de toutes les générations futures de la lézardière la plus douce où s'escargoter du vent aux premières caresses de l'année… Tous s'étaient arrêtés stupéfiés par le spectacle du Portugais fier comme Artaban (20-5↓ ) , exultant au commandes du monstre auquel il semblait se fondre, homme de fer maîtrisant des centaines de chevaux-vapeurs et jubilant, lui l'humilié permanent, d'être enfin le surhomme du jour, craint et admiré des badauds…

Le marquis de Tréfontaine, camion de tête, apportait l'ultime cargaison parachevant le comblement de la cavée supérieure et Le Laerez, carabinier de la chanson, était bel et bien battu, pris de vitesse et déjà entamait sa retraite de Russie. Bérésina suprême, lorsqu'il passa devant l'estaminet, Booseveld avait déja garé ses deux mastodontes devant le garage du Pédago et trinquait "sa" tournée avec ses ouvriers et les "sortis de messe" auxquels, bon prince comme devant, il invita de se joindre le corps expéditionnaire des vaincus…

Il faut sauver le Vallon des Nuées !

Le maire des Brandes, humilié qu'on ait pu tourner en dérision son autorité sur l'article D161-15 du Code Rural ( Nul ne peut, sans autorisation délivrée par le maire, faire aucun ouvrage sur les chemins ruraux ) ressassait sa rancœur contre le marquis de Carabas du coin ! Il lui était cependant lié par son appartenance au parti de droite ancré dans le canton; ce qui expliqua qu'il ne donna pas suite à l'affaire de la Cavée malgré de nombreuses réclamations de ses ouailles. Mais son amertume allait avoir l'occasion de s'accorder une douceur en prenant prestement sa revanche sur le « Belge arrogant !». En fait, le ressortissant wallon avait, peu de temps après la guerre, alors qu'il n'avait plus crainte d'être mobilisé, troqué la flamme des Saxe-Cobourg-Gotha contre le bleu-blanc-rouge de la république de la sécurité sociale et des primes à l'hectare.

Depuis plusieurs années, Booseveld, jalousant de son acolyte Dreckveld la réussite financière, envisageait de faire du val des Nuées une "exploitation modèle", aplanissant tout le relief, arasant, écrêtant, comblant, déblayant, débosselant, décabossant, lissant la topographie locale, comme son Portugais-niveleur savait si promptement le faire, dans un gigantesque effort cartésien de rationalisation moderne du paysage: dessous les ordures, dessus cinquante centimètres de bonne terre, dessus le maïs ! On pouvait même, envisageant de gonfler de quelques mètres l'altitude future du Val des Nuées, espérer gagner quelques millions de plus sur les fameux "déchets inertes"… Il s'y voyait déjà arpentant de sa belle démarche de sénateur les hautes rangées d'épis bien gonflés ! Il avait tout négocié, tout acheté, tout remembré sauf… une pièce de trois ares appartenant au Laplotte des Brandes. C'était une ancienne carrière de sable à lapins que le laboureur tenait de famille et à quoi il s'accrochait comme une tique parce que les maçons s'en fournissaient fréquemment pour garnir l'espace d'entre-parements des murs — avec un peu de chaux, procurant un modeste revenu au vieux grippe-monnaie; et comme il fallait respecter l'accès au lopin, le marquis de Tréfontaine ne saurait outrepasser les lois républicaines en en bouchant le chemin. Acheter ou mourir !

Bien entendu, dans sa vision physiocratique grandiose, cet émule des Du Pont de Nemours, des Quesnay, des Gournay du grand siècle ignorait tout de la géologie locale, méprisant négligemment que le valon affleurait la grande nappe phréatique du Soissonnais, celle qui alimente tout le Nord de Paris. L'empoisonner par lessivage pluvial de trente mètres d'ordures était un crime contre l'humanité. Mais de toute façon, l'eût-il su qu'il l'eût prestement ignoré en vertu du principe: « Après moi le déluge, quand les bébés commenceront à mourir de leur biberon, je serai déjà loin !» Le Laerez qui devait instruire le permis d'entreprendre ne serait d'ailleurs pas davantage embarrassé par le problème; il saurait faire plaisir à un ami de la même coterie… Mais le père Laplotte s'accrochait à son bout de terrain.

Mais maintenant que le Marquis avait bouté du camouflet au nez du Laerez, la donne était changée. Celui-là qui, pour turlupiner les écolos — lesquels venaient d'arrêter la décharge des Broues — aurait savouré la joie d'autoriser sur sa commune un juteux dépotoir, celui-là désormais s'était juré de laver l'injure de la cavée; et lui qui d'ordinaire se revanchait sur le plus faible allait de ce pas s'attaquer à plus gros que lui ! Dans l'ombre, par derrière, en catimini, en tapinois, comme une couleuvre… Jamais de front ! Trop dangereux !

À cette époque, il redoubla de prévenance envers les écolos. Il mit Jean-Loup dans le secret du tas d'ordures du thalweg des Nuées. Convoquant l'ADVG en "cellule de crise", on suggéra à Lozari de retourner voir son ami de collège, le gaulliste efficace du dépotoir Dreckveld, en lui proposant d'envoyer, en grande pompe médiatique, son candidat au conseil général pour inaugurer la plantation de trois poiriers symboliques de l'adhésion environnementale grandiose et toujours renouvelée, ranpataplan!… du candidat et du maire des Brandes, sur une sablonnière récemment acquise par le conseil municipal. Le but ultime étant de protéger, du même coup, le paysage contre une nouvelle poubelle géante. L'idée amusa le haut fonctionnaire, heureux d'entendre, au bout du fil, la voix de son ami des bancs de l'école. En quelques coups de téléphone, l'affaire fut dans le sac. Le Laerez n'eut guère de mal d'obtenir de Laplotte la cession des trois ares litigieux, garantissant par contrat au grippe-billets l'exploitation du sablon; même le vieux larron proposa, ayant compris que l'acquisition ne mettait à l'abri que la partie "Téfontaines" du vallon, de vendre une pièce située sur Les Brandes, ce qui bloquerait tout projet vers l'aval. Le maire n'eut qu'un signe à faire à ses conseillers pour obtenir la décision d'achat, profitant de l'occase pour faire accroire à ces gogos que c'était à dessein de réaliser cette machiavélique et brillante stratégie, qu'il avait outrepassé leur volonté en revendant, l'an passé, un bout de chemin au Laplotte… Restait plus qu'à organiser les flonflons: cette fois, le pisse-copie du journal local put rendre compte de l'évènement, exhibant le Laerez bombant le torse au côté du candidat gaulliste au conseil général…

Lozari qui avait, sans compter, dépensé son temps et usé son téléphone, demanda un défraiement par l'association. Ainsi était le destin des derniers hussards noirs de la République: consacrant généreusement leur vie à des œuvres mutualistes, ils étaient obligés de s'abaisser à tendre la sébile pour faire rembourser leurs dépenses… La caisse de l'ADVG étant vide, c'est la mère Mirette et Jean-Loup qui se cotisèrent, pas dupes du fait que la gène de Lozari provenait aussi des critiques réitérées que son épouse opposait à son engagement écologiste. Les appels répétés de l'institutrice pendant les réunions avaient quelque chose de touchant; Jean-Loup imaginait la pauvrette noyée derrière ses piles de cahiers à corriger, tremblante de solitude, apeurée d'être dans le soir tombant agressée par l'un de ces SDF qui passaient quotidiennement la clôture pour s'alimenter dans les poubelles de cantine. Telle était le sort des derniers instits, ces serviteurs qui avaient bâti la République !

Il faut sauver la Cavée de Crèvecœur !
Le Dernier Chemin pour les Amoureux…

À la fin de la fête des Poiriers, Jean-Loup avait attiré le journaliste vers l'ex-cavée des Brandes et, lui montrant des photos de l'ancien état des lieux, avait expliqué la rouerie du nivellement et la confiscation du terrain — désormais labouré — et du paysage par le cambroussard Booseveld. Lequel, dans leur dos, nullement complexé, assistait à la consécration de la sablonnière et les regardait photographier les lieux sans état d'âme affiché… Le prof avait traîné le gazetier vers la cavée de Crèvecœur, lui expliquant que les pièces de terre, l'une à gauche, l'autre à droite, encore que sur deux communes, appartenaient au même Carabas, l'invitant à conclure: le pigiste traduisit d'un éclair: « Ça vous pend au nez que le gaillard va vous combler ce chemin creux de la même blitz-krieg qu'il vous a faite sur l'autre versant !» Jean-Loup proposa que dans son journal, le reporter fît une brève campagne pour le sauvetage des chemins ruraux en voie de confiscation par le lobby rural. On prônerait leur sauvegarde pour la pratique des sports non compétitifs en milieu naturel. Ensuite, on organiserait une manifestation agreste avec deux classes du lycée… La population locale y viendraient, candidat gaulliste en tête et les maires invités, pour défricher cette cavée, afin d'y créer d'urgence une trace ouverte aux randonneurs et aux chasseurs. La mini-manif, pacifiste en diable, serait festive, ajoutant le plaisir du barbecue champêtre au travaux d'une foule bigarrée d'écoliers mêlés d'adultes bénévoles… Il y aurait une moisson de photos à récolter et un candidat conseiller à mettre en tricot de corps, la faucille gaulliste à la main, en manchette de couverture. L'idée du tricot de corps plut au reporter et l'idée de la campagne pour les sports d'hébertisme au directeur de la feuille locale qui était un adepte du trekking au Népal rêvant, sur les épreuves de son canard, aux panoramas du Tour des Annapurnas… Ils démarrèrent en flèche, le pigiste pour les lignes que ça représentait et le dirlot pour les ventes, sans crainte des représailles du syndicat céréalier qui n'était pas des meilleurs annonceurs !

Le projet plut aussi au Laerez qui fut adepte du "prévenir plutôt que guérir" et eut en outre l'initiative d'intéresser au projet de protection départementale des chemins ruraux, un sien collaborateur de travail, Monsieur Merlin de la DDA, coutumier des problèmes quotidiens des petites municipalités. Lozari fut enthousiaste et sa joie faisait plaisir à voir d'annoncer qu'il associerait une classe de poupons au nettoyage des menues brindilles. Jean-Loup lui fit promettre de contracter à cet effet une bonne assurance, mais en général on était couvert, dans les activités de plein-air, sauf faute grave de surveillance, par le ministère. Lozari jura qu'il assumerait une vigilance redoublée pour la sauvegarde des benjamins. On choisit un jour de semaine d'avril pour profiter du plein effectif de deux classes de collège, ce qui était rendu possible par les fameux "Dix pour cent pédagogiques"; le Vélocirapteur fut mis au courant longtemps à l'avance et Le Moualc'h, Monsieur le proviseur, dit qu'il lui démangeait d'y faire un saut pour les encourager…

Le Jardin Courtois de la Haie de Crèvecœur.

Nathalia avait sauté sur l'occasion de couronner le sauvetage du "dernier chemin pour les amoureux" par un Jardin Courtois dont le jeu parti consisterait en une recherche des trouvères soit d'un poème de leur facture, soit d'une bribe classique contenant: ou bien le mot "arbre" ou encore le nom d'une essence spécifiée comme "le chêne, le hêtre, etc…". Il fut donc décidé, en accord avec l'ADVG que les travaux cesseraient vers quinze heures pour laisser place à un bref tournoi de poésie et au temps du retour à la Villeneuve.

La journée se déroula à merveille; il n'y eut pas d'accident parmi les enfants. Le candidat gaulliste fut adorable; il accepta de se mettre en tricot de corps pour la photo mais éclata de rire quand on voulut lui mettre entre les mains la faucille, pouffant: « Ah, mes gaillards, j'vous vois v'nir; mais vous ne m'aurez pas avec la faucille main droite et l'marteau main gauche ! » Le soir, il en riait encore…

Le repas fut une joie car trois femmes s'étaient longuement dévouées pour tartiner quelques centaines de sandwiches, avec la délicatesse de se procurer quelques pièces de viande halal pour les rares enfants musulmans de la partie. C'étaient les deux épouses d'instituteurs et la mère Mirette. La note fut élevée pour les donateurs, toujours les mêmes pigeons… Mais la récompense vint dans le journal local: une page entière était consacrée à l'ADVG, à son œuvre de défense des chemins ruraux et au "Jardin Courtois". Mini-Mas, plus iroquoise que jamais, se redressait de toute sa menue taille avec à ses pieds, son gigantesque trouvère ayant un genou en terre et lui baisant le bout des doigts. La photo, en couverture couleur dans le journal, fit sensation dans la Villeneuve et au lycée. Nathalia parut en page centrale, en couleur aussi, avec le superbe poème que Jean-Loup lui avait, pour l'occasion, dédié, sans accepter, bien sûr, de jamais s'agenouiller, malgré les exhortations amusées des adultes présents mais sous l'œil noir de Louisette…

Le plus joli, le plus inattendu de l'affaire vint assez longtemps après: l'invité du Laerez s'était accordé avec le candidat gaulliste et le pigiste pour baser une partie de la future campagne du conseiller général sur la protection des sites. Ce fut un succès et l'homme fut élu. Il n'eut de cesse, avec monsieur Merlin, qu'on rebaptisa pour l'occase "l'Enchanteur", de faire mettre en chantier un vaste plan de randonnée équestre et pédestre du département, moyen subtil de mettre un terme à la goinfrerie des Carabas de tous azimuts dont les dégâts faisaient de plus en plus souffrir les amoureux de la nature !

Le Jardin Courtois de Crèvecœur…

Corinne dite Calliope «à la belle voix », muse de l'éloquence chanta le "Temps du Muguet" où elle excellait. Puis Lozari fit écouter "La Claire Fontaine" de la fraîche voix de ses poupons du primaire. Enfin, le trouvère Adam mit un genou en terre pour réciter à sa dame Mélusine, Mini-Mas, un fameux poème de Pierre de Ronsard: L'Ode à la forêt de Gastine:

Couché sous tes ombrages verts,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers
La forêt d'Érymanthe :

Car, malin, celer je ne puis
À la race future
De combien obligé je suis
À ta belle verdure,

Toi qui, sous l'abri de tes bois,
Ravi d'esprit m'amuses ;
Toi qui fais qu'à toutes les fois
Me répondent les Muses ;

En toi habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flamme sacrilège !

Sur quoi Nathalia fit sa comédie habituelle de la jalouse qui est brimée de n'avoir pas de troubadour digne d'elle et questionna Jean-Loup sur l'éventualité de lui dire un poème de son cru; et c'est à cette occasion que le prof, tirant piteusement un papier de sa poche, le lut aussi bien que possible malgré qu'il se sentît mal à l'aise dans ses entournures; cependant, le poème fut plébiscité…

La Haie de tes Yeux

Pour toutes les saisons de tes chers jolis yeux
Pour poser leur soucis je planterai un orme
Un chêne un merisier pour tes jolis yeux bleus
Un horizon d'amis puissants et multiformes

Au printemps de tes yeux un merisier qui neige
En voile de mariée qu'on épouse à seize ans
Un poirier séculaire et blanc comme la Meije
Un vieux mari fidèle au bout de deux cents ans

En été de tes yeux je veux un robinier
Qui me fera rêver au parfum de tes larmes
Il foliolera quand tu pourras nier
Que l'automne à tes yeux enlèvera leur charme

En hiver de tes yeux j'irai planter un chêne
Où graver à jamais l'amour de tes yeux bleus
Pour toutes les saisons que tes regards m'enchaînent
J'irai planter la haie des beaux géants heureux (20-6↓ ) 


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 20:   ( Sauter les notes de section 20 )
20-1.-↑- Le poiré
1600 [éd.] poiré (O. de Serres, Théâtre d'agric., Paris, Jamet Métayer, p.247). Dér. de poire*; suff. -é*.
- Olivier de Serres
Olivier de Serres (1539-1619) est un autodidacte français qui fut l’un des premiers à étudier de manière scientifique les techniques agricoles et à en rechercher l’amélioration de manière expérimentale. De ce point de vue, on peut le considérer comme le père de l’agronomie.
- Poiriers à cidre
Poires à cidre. Nb: le nom de [Belle Andrine] (orthographe inconnue) prononcé par des personnes du Val d'Oise Est n'apparaît pas dans la documentation…
La poire destinée à faire le cidre ou poiré ne peut être mangée crue, car elle emporte la bouche, ni cuite, car elle manque de goût. Elle est donc exclusivement réservée à cet usage. Les variétés qu'on recherche le plus, sont celles qui ont la chair cassante, juteuse, sucrée, parfumée, âpre. On cite surtout les suivantes : poires de Croixmare, de Navet, de Souris, Harpanne, Carisi, de Cerciaux, d'Oignonnet, de Branche, Masuret, de la Tour, Saugier, d'Angoisse, de Chemin, de Carole, de Crapau, de Fer, d'Entricotin, de Maillot, de Roux, Grosse Malice, Sabot.
- Protection des poiriers des bords de chemins
- Le Feu bactérien ou Erwinia amylovora, nouvelle maladie des poiriers et rosacées
Synonymes: Micrococcus amylovorus Burrill 1882; Bacillus amylovorus (Burrill) Trevisan 1889; Bacterium amylovorus (Burrill) Chester 1897; Erwinia amylovora f.sp. rubi Starr, Cardona & Folsom 1951; Classement taxonomique: Bacteria: Gracilicutes. - Dès l'apparition de la maladie dans les vergers du Val d'Oise, les services de protection phytosanitaires se sont chargés de l'éradication de la peste par arrachage de vergers entiers; évènement douloureux pour les arboriculteurs, quoique indemnisé. Les poiriers de bord de routes ont parfois bien résisté. La survivance de vergers abandonnés ou mal soignés peut constituer une dangereuse source de ré-infection à grande échelle. Ci-dessous des adresses où se renseigner. Voir encore:
- Wikipedia: le Feu Bactérien
- Lutte contre le Feu Bactérien (bonnes photos)
- Institut National de la Protection Végétaux
- Protection des végétaux d'Ile-De-France
20-2.-↑ Guerre éclair, comme en 1939/40, celles menées par Hitler contre la Pologne, la France, l'URSS, avec un indéniable succès…!
20-3.-↑ - Entretien des chemins ruraux:
- Code rural art.161-15 à 19 sur les chemins ruraux
- Téléchargement gratuit du Code Rural
- Particuliers entretenant un chemin rural (CR art. 161-11 et 12)
Extrait art. 161-11: "Lorsque des travaux sont nécessaires ou lorsqu'un chemin rural n'est pas entretenu par la commune et que soit la moitié plus un des intéressés représentant au moins les deux tiers de la superficie des propriétés desservies par le chemin, soit les deux tiers des intéressés représentant plus de la moitié de la superficie proposent de se charger des travaux nécessaires pour mettre ou maintenir la voie en état de viabilité ou demandent l'institution ou l'augmentation de la taxe prévue à l'article L. 161-7, le conseil municipal doit délibérer dans le délai d'un mois sur cette proposition."
- Entretien des chemins ruraux: droits et responsabilités du maire
Le pouvoir de police spécifique des maires sur les chemins ruraux (mission de conservation des chemins ruraux)
Extrait: voir le site… "Cette police spéciale est expressément confiée au maire par l’article L 161.5 du code rural qui précise : "l’autorité municipale est chargée de la police et de la conservation des chemins ruraux". L’article R161.11 du code rural précise en outre que "lorsqu’un obstacle s’oppose à la circulation sur un chemin rural, le maire y remédie d’urgence. Les mesures provisoires de conservation du chemin exigées par les circonstances sont prises, sur simple sommation administrative, aux frais et risques de l’auteur de l’infraction et sans préjudice des poursuites qui peuvent être exercées contre lui". En cas de dommages causés aux chemins ruraux par des tiers, notamment par des propriétaires riverains ou par leurs propriétés (ex. écoulement des eaux) leur responsabilité sera recherchée en application des règles de droit commun. L’article R 161.14 du code rural précisent notamment "il est expressément fait défense de nuire aux chaussée des chemins ruraux et à leurs dépendances ou de compromettre la sécurité ou la commodité de la circulation sur ces voies". L’article R 161-14 énumère ensuite toute les infractions susceptibles d’être sanctionnées. En cas d’infraction le maire pourra utiliser son pouvoir de police spéciale pour adresser des injonctions à des particuliers. Il peut mettre en demeure un riverain de réaliser des travaux de réparation nécessaire, l’avertir que faute de travaux réalisés dans un délai raisonnable ils seront réalisés d’office par la commune, aux frais et risques du contrevenant. Le montant de la somme due sera recouvré par le receveur municipal (émission d’un titre de recette par le maire)."
20-4.-↑ Bon, voilà le train d'arrière qui se désagrège! (Goncourt, Journal, 1886, p. 582).
- Voir la référence.
20-5.-↑ Fier comme Artaban; Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre. Fier comme Artaban est synonyme de fierté poussée à l'extrême, voire d'arrogance. Artaban était : Le nom donné à différents rois Parthes de la (dynastie des Arsacides). Le nom d'un héros de "Cléopâtre", roman en 13 volumes de Gautier de la Calprenède, publié de 1647 à 1658. De la fierté légendaire des premiers, et de celle romanesque du second serait née cette expression. (extrait; tout l'article: cliquer ci-dessous:)
- Fier comme Artaban
- Les Artabans de l'histoire dans Wikipedia
- Pour: "s'escargoter", c'est un mot de Françoise Dolto (1908–1988) (pédiatre et psychanalyste française); relevé par Claude Duneton; Le Figaro, 13/11/2008 "Les mots de Dolto "
20-6.-↑ "La Haie de tes Yeux"
© Christian Jodon sur www.sos-valdysieux.fr ; "Poèmes Populaires, La Forte En T'Aime";
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Diatribe d'Élisée contre la "Vraie Vie"
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Le Pique-Assiette convivial.


Il était sur les lieux dès l'aube, avant tout autre… Certes, il avait faim; mais ce qui l'avait le plus attiré, c'était le caractère de l'entreprise qui l'avait amusé, emballé, conquis, là où les fêtes champêtres, d'ordinaire, le désenchantaient. Là où il détestait la férule, la tâche collective librement choisie l'enthousiasmait. « C'est un extrême malheur d'être sujet à un maître !» aimait-il dire, répétant à l'envi le célèbre adage d'Étienne La Boétie. À noter qu'ayant lu Bonnefon dans le tréfonds de sa bouquinerie, il se gardait de prononcer "La Boécie" « Comme les blaireaux bourgeois du XVIème !» Mais au contraire avec le "t dur" comme rimant avec "partie" (21-1↓ ) .

Il s'amusait, lui qui vivait esseulé, de pique-niquer au milieu des enfants, petits et grands. Fervent adepte de la "convivialité" selon Illich, il était ravi de profiter d'une occasion de "convivialité" selon Brillat-Savarin… L'idée l'emballait que, sans doute, l'instit dégoterait derrière ses fagots une fraîche bouteille du canton de Beaujeu… En attendant, il avait fourbi son goi (rien qu'une serpe italienne d'acier au manche de cuir…) pratique pour élaguer les branches basses, les ramasser de la pointe bien recourbée, voire apte, bien affûté, à débiter des branches grosses comme le bras: le type même de "l'outil convival" du philosophe de Cuernavaca (21-2↓ ) .

Élisée avait avancé la trace qu'il frayait dans la cavée de Crèvecœur quand arrivèrent les scolaires. Derrière le pionnier, il restait surtout à transporter des menus bois morts ou vifs déjà segmentés par un bûcheron chevronné. On les portait au bas de la tranchée sur un feu de broussailles allumé dans les frimas du petit matin par l'ermite; ou bien, les plus belles bûches étaient désignées aux garçons costauds qui les rangeaient en petits "stères" bien carrés là où ils serviraient de siège aux autorités, lors du goûter, avant d'être, sans doute, acheminés à la grotte sur le porte-bagage du vélo vert…

Les petits portaient des menues brindilles essayant vainement de ravir les gros bois aux collégiens. Lesquels ne laissaient pas faire, ayant reçu consigne de ne pas surcharger les poupons et de les protéger contre les expositions dangereuses. Tout se passait dans la bonne humeur et tous peinaient avec dévouement dans la joie de revenir aux travaux des champs dont la plupart de leurs ancêtres avaient la pratique quotidienne. On respirait à pleins poumons un vent doucement venu de Sud-Ouest; la décharge des Broues n'était plus qu'un souvenir hideux. Cependant, placé de son propre chef à l'avant-garde pionnière, "l'homme aux stères" avait un motif d'agacement: la fille, là ! Depuis une heure qu'on était arrivé, elle restait plantée comme un piquet, mains dans les poches, semblant préférer grelotter plutôt que d'apporter la moindre contribution à la tâche collective… Il allait signaler la gréviste à Jean-Loup !

Élisée en proie à l'immigration;

À l'heure du pique-nique, la gréviste n'était pas la dernière à se ruer sur la bouffe ! N'eût été la présence des huiles, Élisée qui sentait que la pécore lui boutait la moutarde au nez, faillit gâcher la fête en la renvoyant à son piquet de grève. Il aidait les femmes à la distribution et manqua lui planter sa fourchette dans la main quand elle l'avança vers le buffet… « Chacun son tour, et selon son travail !» dit-il en la fixant d'un regard si noir qu'elle hésita mais, saisissant le moment ou le troglodyte se retournait pour attraper les cornichons, elle saisit deux sandwiches, l'un au jambon, l'autre au fromage et courut se protéger dans le buisson…

Le Pédago qui avait pigé toute la scène trouva promptement la parade pour adoucir l'homme austère… On s'était approvisionné en sodas pour les jeunes, mais les adultes avaient droit à un Beaujolais Villages: le ciel s'éclaircissait pour Élisée !

Jean-Loup n'était pas tombé, à Villeneuve, dans un de ces établissements scolaires à problèmes qui commençaient, au sortir de la grande pantalonnade de mai 68, à poser de sérieux problèmes. "Sous les pavés la plage!", bucolique voire rigolo quand le fiston posait le pavé sur le bureau du papa ministre. La poubelle renversée sur la tête d'un recteur d'académie: ça passe mal ! Les bagnoles ras-l'bol qui brûlent: sale antécédent ! "Interdit d'interdire!" Là, mille regrets. Même l'anarchiste underground comprenait que le bébé qui naît est un adorable tube digestif, hurlant la nuit pour le biberon, hurlant matines pour changer les langes merdeux: fallait bien qu'on ne le laissât pas continuer cette vie jusqu'à l'âge du mariage ! Contraintes: manger le jour et caca su'l'pot ! L'homme était soumis à des obligations d'éducation parce que son cerveau trop développé demandait un apprentissage là où l'instinct suffisait aux bêtes. Là où minet savait d'instinct qu'il fallait gratter entre les laitues du potager pour y faire sa crotte, au risque d'éclabousser ses ténias échinocoques sur la grosse blonde paresseuse… L'homme, lui, ne pouvait l'ignorer l'échinocoque, sous-peine de mettre en péril ses petits en les nourrissant naïvement des bonnes salades du potager familial ! Ça ne s'invente pas… Il fallait bien l'apprendre un jour d'un prof de sciences !

 « Moi j'fais c'que j'veux; chui un homm'libre !» disent les cons. Mais la liberté ne peut être que celle qui s'arrête où commence celle du voisin ! Il faut bien le comprendre par son prof de morale ! Finies les simagrées, les momeries, pitreries, les bouffoneries ! Mais en attendant, les cicatrices de toutes ces mystifications sédimentées dans les cervelles scholastiques avaient fait des dégâts irréparables…

On interrogea la pimbêche qui avait repris son piquet de grève: « Moi, dit-elle, j'vole pas l'pain des ouvriers ! Y'a pas d'raison que j'fasse à l'œil le travail d'un cantonnier alors que trois de mes frères sont au chômdu ! Nous, les Portugais, on est des travailleurs acharnés; mais on vole pas l'travail des prolétaires !»

La fille s'appelait Maria Dias di Tonta. Le nom prononcé par le prof fit tilt! dans la caboche du chemineau: « J'y suis, j'la r'connais ! C'est la fille du portugais de Booseveld, celui qui conduit le tracteur !»
— Celui du tracteur à niveleuse de la cavée des Brandes ?
— Exact ! Le type s'appelle Jesús Bartolomeu Dias di Tonta ! Il a six mômes, tous plus pernicieux les uns que les autres ! Lui même, à force de fayoter près de son patron a remplacé l'ancien maître de culture qui, du coup, s'est suicidé sur la tombe des ancêtres au cimetière. Il s'était enfermé la tête dans un sac plastique pour ne pas salir… Il a sali quand même ! En laissant une lettre de désespoir: il n'arrivait plus, ayant perdu sa place, à nourrir sa femme et sa fillette !
— Sûr que les mômes Di Tonta sont méphitiques, dit l'prof. J'en ai connu certains. Quand je suis arrivé au collège, en septembre 68, j'avais une classe de cinquième dont je ne pouvais rien tirer. Les petites filles devant: frimoussettes mais terrorisées. La terreur ? Dernière rangée, au fond de la classe, les garçons les plus crétins: au milieu de cette brochette, le Di Tonta. Bien sûr, j'étais amené à poser des questions pédagogiques, du genre "Quelle était la couleur du ch'val blanc d'Henri IV ?" Personne ne répondait; mais parfois, au premier rang, une petite mignonne levait, avec un regard rempli d'épouvante, sa menotte. Alors le Di Tonta se dressait et les mains en cornet hurlait "Fayote !" Voilà mai 68: "Interdit d'interdire!"
— Je suppose que vous lui avez mis vot'main sur la gueule ?
— Pas du tout; je suis contre ça depuis que j'ai assisté à une scène de torture en Algérie… Mais l'eussé-je fait que le lendemain les terminales, porte-voix braillant toute la matinée dans la cour: "Assemblée générale ! Assemblée générale !" rameutaient tout le lycée au gymnase et déclenchaient une grève, une pétition, et t'aurais même eu des collègues pour la signer !
— Beau bordel, m'sieur l'proviseur ! Alors quoi, rien ?
— J'ai décrété la "bonne note". Chaque fois qu'un élève levait la main pour répondre, fut-ce une ânerie, je mettais la "bonne note" inscrite dans mon cahier: et c'était un vingt qui entrait dans le calcul de la moyenne trimestrielle. C'étaient surtout les petites filles qui répondaient; les garçons, trop lâches, avaient peur de se faire traiter de pédés, de jaunes et de casseurs de grève dans les couloirs. Mais petit à petit, les plus intelligents s'y sont mis et les cancres, le Di Tonta en tête, se sont éliminés d'eux-mêmes… Bien sûr, leurs cons de parents m'ont reproché en assemblée générale de "favoriser les filles"; j'ai tenu bon… Et quelques décennies plus tard, des inspecteurs d'académie qui commençaient tout doucement, sans s'presser, à comprendre ce qui se passait dans les classes, sortaient de leur nuage et nous écrivaient des bouquins du genre "Allez les Filles !", comprenant que désormais, les hormones mâles n'étaient plus la panacée intellectuelle qu'on avait longtemps crue (21-3↓ ) 

Élisée que l'homélie pédagogique avait excédé retourna vers la pétasse gréviste en lui disant: « Et toi-même, travaillant comme tu travailles, t'imagines faire quoi dans la vie ?»
— Vot'vie j'm'en fous ! Regarde plutôt la tienne où elle t'a m'né ! Moi, c'qui m'intéresse, c'est pas la vie des scribouillards qui s'abrutissent à étudier en attrapant des scolioses sur leurs cahiers… Moi, la vie qui m'intéresse, c'est la vraie vie !
— Et c'est quoi ta "vraie vie" ?
— C'est la rue, la liberté, l'amour, le sexe, le plaisir, la fête, la télé, la radio, le vrai langage, celui des gens, pas çui des profs…
— Tu vas t'nourrir comment tout c'temps-là ?
— J'travaillerai…
— Comme tes frères… À l'ANPE ?
— On verra bien: l'aventure…

Effectivement, Élisée se souvenait de l'avoir vue sortir du champ de maïs rajustant sa mise et suivie par un pensionnaire de la maison de retraite de Tréfontaines. Paraît qu'elle se contentait d'un paquet de pipes… Enfin, c'était ce que prétendaient des jeunes gens du petit pont de la Grisette qu'elle fréquentait assidûment…

Élisée reprit: « Ta "vraie vie", j'vais t'dire c'qu'elle sera. Ou bien tu trouves un bonhomme honnête qui t'épousera quand il t'aura engrossée: ta vie de jeune fille: finie. Plus de liberté; finies les amours libres: des culs à torcher, les couches à laver. Quand ton macho t'en aura fait six pour pouvoir rouler en BMW sur les allocs, tu n'seras plus qu'une petite vieille prématurée. Ou bien tu tombes sur un salaud qui t'laissera à seize ans, sans boulot, sans abri avec ton pantin dans l'tiroir: et là, sûrement qu'ça sera l'aventure après quoi tu cours si vite: toute ta vie à faire la boniche, pas vraiment "l'aide familiale": pour faire ça, faut être sortie diplômée d'une école ménagère. Or t'aimes pas les études, pas la classe, pas les profs ! Ou bien, troisième cas, tu tombes sur une ordure. Cette fois, après un dressage en règle (ces types-là sont des brutes), tu s'ras collée au trottoir. Bonjour le sida, la déchéance rapide et la mort dans un état squelettique: la voilà ta vraie vie  ! Et j't'ai pas causé d'la drogue et d'son esclavage; de la déchéance alcoolique et du delirium tremens; du cancer du sein d'une bonne femme qu'a pas la Sécu pour n'avoir jamais cotisé ! La v'là ta vraie vie, ma pauv'fille…»

Se tournant vers le prof, il ajoutait:« Dis donc, pauv'révolution ! Avec des immigrés comme ça, ça s'ra pas pour demain, "l'homme nouveau" du Che !»

Jean-Loup qui avait tout écouté et s'était bien gardé de couper le Philosophe des Terriers dans sa diatribe contre la "vraie vie" était un peu pris de pitié pour la gamine qui, aussi antipathique fût-elle, avait quelque chose de dramatiquement vrai. Nos entrepreneurs, surtout les paysans mais aussi les petites entreprises comme, entre autres, nos gargotiers, servaient de pompe à immigrés alors qu'il y avait deux millions de chômeurs en France. C'est que pour faire du pognon, fallait des bonshommes qui crevaient de faim dans leur pays; ceux-là étaient prêts d'accepter un salaire de misère pour des semaines de bien plus de trente cinq heures. Les "trente cinq heures" de la solidarité avec les chômeurs, ils s'en foutaient ces gars là ! Les immigrés de première génération étaient des esclaves: ils bossaient comme des dingues. Pour améliorer leur sort, leurs femmes pondaient des mômes à perdre haleine qui payaient l'électroménager, la bagnole, le pavillon… Deuxième génération: ces p'tits Français tout neufs de par le droit du sol allaient à l'école. Révoltés par la vie médiocre et laborieuse des parents, il leur fallait des postes de PDG. Certains, intelligents et courageux, y parvenaient, grâce à l'école républicaine. La majorité avaient vite fait d'opter pour la "vraie vie", les petites combines: travail au noir, deal de drogue, pour les plus costauds: le foot (21-4↓ ) … Là aussi, peu d'élus ! Tout ça grossissait un jour les comptes des ASSEDIC pendant que notre patronat continuait d'importer des immigrés de première génération…

Comment briser le cercle vicieux: les peuples migrateurs explosaient démographiquement ?

Qu'est-ce qu'on allait faire de Philou ?

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 21:   ( Sauter les notes de section 21 )
21-1.-↑ La Boétie - Œuvres complètes Bonnefon 1892; (texte en partie corrigé, le reste brut d'OCR). Extrait de Bonnefon:
"Quelque spécieuse qu’elle semble tout d’abord, cette question est une question d’actualité, depuis que la municipalité parisienne a donné à une rue le nom du penseur périgourdin." (...)
"Dans la deuxième syllable, le t doit être prononcé dur. Les preuves abondent pour soutenir et faire prévaloir cette opinion, mise en avant par le D. Payen. 1° C’est une tradition constante: Bayle (au mot Bongars) et Mercier de Saint-Léger (Notes manuscrites sur La Croix du Maine) en font foi. La Monnoye est on ne peut plus explicite la-dessus: « Son nom, écrit-il, qu’on prononce communément La Boécie, se doit prononcer La Boétie, comme rimant avec partie; c’est ce que j’ai su des gens du pays. » L’usage actuel du Périgord est de le prononcer de la sorte, et l’on pourrait aisément rapprocher quelques noms propres modernes de cette même région, dans lesquels la prononciation du t est identique (1). On peut aussi le conclure de la présence simultanée de deux t dans quelques transcriptions fautives (2), et de la traduction latine Bocthus, (1) En Périgord, comme le remarque l’abbé Audierne à propos de la prononciation du nom même de La Boétie, le t dans la syllabe lit est toujours prononcé durement. Pour rendre le son doux, c’cst le z qu’on emploie (ex. 2 La Poucis, ancienne terre des Salignac-Fénelon, en Périgord), ou les deux ss (ex. : La Roussir, château des environs de Sarlat). Il serait facile de multiplier outre mesure les exemples:… "
21-2.-↑Outil convivial selon Illich (Wikipedia; la page complète)
Bref extrait: "Le concept d'outil convivial est introduit par Ivan Illich dans "La convivialité" (Tools for conviviality, 1973) « pour formuler une théorie sur une société future à la fois très moderne et non dominée par l'industrie ». Il nomme conviviale « une telle société dans laquelle les technologies modernes servent des individus politiquement interdépendants, et non des gestionnaires ». Il qualifie ces individus d'austères, dans le sens de Thomas d'Aquin, qui fait de l'austérité une composante d'une vertu qu'il nomme amitié ou joie. Les outils conviviaux sont alors les outils maniés (et non manipulés) par ces individus dans cette société.
Illich prend soin de signaler qu'en Français convivialité a un sens particulier inventé par Brillat-Savarin, utilisable dans un contexte très précis, qui ne peut être confondu avec le contexte également précis où il l'emploie dans son essai."
Nb: Autrefois, la serpe était appelée goi, usage courant. La différence entre une serpe et une faucille peut être minime, mais la serpe aura généralement une lame plus large, tandis que la faucille aura une forme plus arrondie, presque circulaire. Cf: www.jardindeco.com
21-3.-↑Allez les Filles! Roger Establet
   avec Christian Baudelot, Allez les filles, Paris, Le Seuil, 1992 ; nouvelle version, 2006.
21-4.-↑ "La majorité avaient vite fait d'opter pour la vraie vie"
Oui, bon ! Je me doute que l'accord surprend; mais j'ai opté pour la syllepse avec une ellipse: on devrait lire: "La majorité de ces p'tits Français avaient vite fait d'opter pour la vraie vie" en faisant la syllepse (qui ne s'entend pas, ici; mais toute la journée, dans tous les bulletins de journaux télévisés, on entend des phrases du genre: "La totalité des soldats est morte pendant l'assaut !" Ben non! une "totalité", ça ne meurt pas: c'est un rapport mathématique: "100%"; ceux qui "meurent -ent", ce sont bien les pauvres petits troufions)… Donc: syllepse; ils ont bien mérité ça ! Alors on dira: "La totalité des soldats sont morts pendant l'assaut !" De là à dire: "La totalité sont morts pendant l'assaut !", j'accepte que ça choque les "formalistes". Mais c'est pourtant ça qu'est vrai dans le contexte de la bataille… Syllepse, que de crimes on commet en ton nom! ( et encore plus en t'ignorant, contre le bon sens français et sa juste rhétorique !)

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La Provocation…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
« Quant au sous-prolétariat, cette pourriture passive des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre et se livrer à des menées réactionnaires… »  (22-1↓ ) 

La Menace…

Duruy était ce matin-là en mairie. Prof au collège depuis quelque temps, il envisageait de faire construire un pavillon dans un de ces lotissements qui défiguraient les faubourgs de Villeneuve. Louston, le maire engagé dans les affaires avec son premier adjoint qui était, en tant que premier agent immobilier à la ronde, le plus nocif des pollueurs, saurait bien lui faciliter l'obtention du permis de construire. Il avait pris rendez-vous à l'hôtel de ville pour un entretien avec l'édile auquel soumettre son avant-projet. Étant correct et d'une ponctualité militaire, il faisait le pied de grue sur un palier mal éclairé, plein de recoins et de courants d'air…

De temps en temps, une porte claquait; la secrétaire faisait la navette entre son bureau et une salle de réunion. Elle l'avait mis au piquet comme un mauvais élève et ne s'en occupait plus; il toussa ! « Monsieur Duruy, dit-elle, Monsieur le Maire est en conférence; je lui rappelle votre rendez-vous !» Cette fois, en ressortant, elle laissa la porte entrebaillée; Duruy reconnut une voix. C'était Rosenschwein, le dirlot du collège dont il saisit quelques mots: « …commence à nous les casser avec son ADVG; va falloir qu'on s'en occupe » Le sigle de l'association de Cuisance le fit sursauter puis tendre l'oreille !… Il y avait là trois personnes et Louston répondait: « Pas moyen de le torpiller à l'Académie ?»
— Non ! L'Inspecteur le soutient… expérience pédagogique… le proviseur aussi…
— On va lui coller la Carotte dans les pattes! Ça lui f'ra un adversaire digne de lui ! dit la troisième voix en riant grassement…
Louston sortait déjà entraînant Duruy qui eut du mal à identifier le troisième comparse mais il lui parut que c'était le maire de Tréfontaines. Rosenschwein fut surpris de le voir, à peine gêné, lui serrant furtivement la main…

Incursion dans la tabagie de l'assommoir…

Comme l'esprit chrétien se perdait dans nos campagnes, notamment sous l'influence éducative du porno du samedi soir, on leur avait enseigné, pour combler le vide intellectuel que représentait cette rupture avec le passé, la religion de l'argent. Bien leur en fasse et le grand Sigmund les en bénisse ! Mais comme ils n'étaient pas intelligents, ils se montraient incapables de ces vastes escroqueries qui consacrent la réussite sociale d'un ministre d'État… Aussi devaient-ils confiner leur ingéniosité à de modestes combines peu fructueuses qui frisaient laborieusement les limites de la légalité. Trop dénués de génie pour faire de grands voleurs tels ces politiciens illustres qui vous détournent une autoroute pour desservir leur maison de campagne ou un TGV pour amener les touristes au pied de leur cathédrale — et surtout de leurs gargotiers !—, ils se contentaient avec une modestie touchante, de petites entorses à la sécurité sociale, se faisant régler un taxi médicalisé pour faire les courses à la supérette, se mettant en congé de maternité à la fin des vacances, ou grapillant les allocs en se payant un troisième marathon de bête à deux dos; et tant d'autres babioles innocentes peu rémunératrices et modérément coûteuses à la collectivité… Des médiocres, quoi !

Leur grande spécialité était le travail au noir. Par ce biais, ils évitaient, tout en profitant au max des services sociaux, d'y cotiser. Cette petite rouerie leur procurait, bien au-delà d'un modique grappillage, une jouissance subtile et délicieuse: l'illusion qu'en bernant le fisc ils étaient enfin plus malins que les autres… Pour bureau de placement: le boui-boui ! Pour l'affichage des bonnes affaires: le beuglant ! Celui qui construisait une cloison sifflait le départ du plombier et de l'électricien. Lesquels, boulot à peine achevé, indiquaient les peintures et tapisseries au bricoleur. Lequel, sitôt fini, repassait le flambeau de la combine au pousseur de tondeuse; qui mettait en relation le bûcheron… Qui rappelait promptement le maçon pour une nouvelle extension… Et ça repartait de plus belle ! Jamais d'ennuis: on traitait couramment dans le dos des gendarmes qui ne méprisaient pas de prendre un p'tit noir sur le zinc, une oreille tendue vers la voix qui, au milieu du brouhaha, évoquerait le casse commis par untel, le viol perpétré par un père, l'heure de passage du dealer, et surtout, bon pour les RG, les rumeurs de grève des chauffeurs de cars scolaires ou des agents de cantine du lycée… On écoutait, on laissait dire: ne pas sévir ici pour ne jamais tarir les sources !

Aussi les grands concussionnaires d'État sur qui se fonde l'autorité de nos républiques trouvaient-ils en ces intouchables de fervents électeurs, notamment du fait qu'ils étaient d'opiniâtres abstentionnistes… Pourquoi gâcher l'ouverture de la pêche, la dernière journée de chasse, les premières morilles ou les poireaux à repiquer… Tous des pourris, comme on l'avait vu aux guignols de la télé !

Ventres dorés ni prébendiers non plus que nantis du régime n'étaient désormais menacés dans leur escarcelle par cette roture, tourbe du peuple et lie avinée qui se satisfaisait avec une tant poignante humilité de ses minuscules rapines qu'elle était le meilleur soutien du système. D'abord par sa passivité militante, attisée par les vapeurs de l'alcool, garantes du calme social… Mais surtout parce que ce consensus mou des potentats clientélistes avec cette vermine sous-prolétaire en faisait les meilleurs zélateurs du statu quo et les dénonciateurs empressés de tout ce qui, ayant des velléités révolutionnaires, menaçait de rompre l'équilibre de leur précieuse insignifiance en les mobilisant pour l'action ! (22-2↓ ) 

Jean-Loup qui avait besoin de factures pour motiver le déblocage de ses emprunts ne pouvait entrer dans leurs combines: il était donc rejeté par l'estaminet ! De plus, il était écologiste et révolté contre un système qui pillait les ultimes richesses naturelles de la petite région: il était donc une menace pour l'union sacrée de l'immobilisme ! En s'opposant aux billevesées des physiocrates attardés recyclés dans le capitalisme industriel: les paysans stercoraires, bousiers modeleurs de collines d'ordures, il bouleversait l'ordre social établi et menaçait d'écroulement cet édifice de détritus et de mesquinerie ! Il était devenu "l'homme à abattre" en obtenant la fermeture du fumant tas d'ordure des Broues, lequel asphyxiait leur progéniture; mais ceci était inscrit dans "l'ordre des choses" et :« On n'peut rien y faire !»

Souvenirs d'Algérie.

Mourir à vingt ans dans le Djebel Gontas n'était pas son fort; tout ce qu'il souhaitait, c'était de ramener sa section complète au cantonnement. Il avait compris que le grand vent de l'Histoire allait souffler sur l'Algérie comme il avait soufflé sur les autres colonies maghrebines et d'ailleurs, sur l'Indochine, sur les empires espagnols, portugais, hollandais, anglais… Il comprenait par contre l'attachement du million de Français nés en Algérie, leur patrie natale, cette terre où ne vivaient qu'un demi-million d'arabo-berbères au moment de l'intervention de 1830… Terre à laquelle les Français avaient beaucoup donné: les institutions, l'école moderne, la santé pastorienne avec un Institut, des hôpitaux, une faculté, les voies ferrées, les routes, les aéroports, la poste algérienne, des ports, les barrages, des mines, des usines, les cultures modernes — la vallée du Cheliff que Léon l'Africain décrivait au XVème siècle comme"…un grand fleuve, qui sourd aux montagnes de Guanseris, (...) descendant par les plaines désertes…" était devenue un jardin d'Eden verdoyant rempli des plus beaux vergers d'agrumes de la planète — cette Algérie à laquelle les Français avaient donné le sang de leurs fils mourant du paludisme à l'âge tendre, quand leurs pères construisaient les villages aux rues carrées, défrichaient les marécages, donnant à ce pays le pétrole et le gaz du Sahara immense et jusqu'à son nom: "l'Algérie"…

Ainsi devinait-il, avec amertume et tristesse, que son copain de service militaire qu'il avait côtoyé depuis son incorporation, pendant l'école du soldat, les pelotons de brigadier, maréchal des logis, puis à l'école d'officiers d'artillerie… serait un jour un "réfugié politique" chassé de son pays natal jusqu'en métropole. S'il se résignait à voir partir les derniers lambeaux d'une France grandissime — le prix à payer pour l'émancipation des peuples — l'exil futur de Laurent Whallberg, l'étudiant en droit de la fac d'Alger, l'angoissait… Il n'en parlait pas pour ne pas l'attrister ni lui paraître prématurément défaitiste. Mais il savait dès le début que c'était là l'implacable sens de l'Histoire…

Le Bou Maad était une petite montagne assez aride séparant la vallée du Cheliff de la mer. L'armée avait entrepris de la percer de routes sous la protection de petites sections d'artilleurs. De temps en temps, l'état-major décrétait un ratissage de thalweg en fonction de renseignements aléatoires… Ce jour-là, les sections de Jean-Loup et de Laurent étaient postées au confluent inférieur de deux petits vallons convergents avec l'ordre d'y cueillir quelques fellouzes rabattus par les paras, largués sur les pitons. Toute la zone était interdite aux Français car les T6 avaient ordre de faire feu sur tout ce qui bougeait dans le polygone de ratissage. Jean avait posté une demi-section à droite, en tirailleurs, "en éventail", de façon à boucher l'espace à l'est. Le MDL Weismuller était un jeune du contingent sérieux comme tout appelé alsacien. On aurait pu compter sur son courage et son dévouement dans les pires coups durs. Y avait-il une difficulté de compréhension avec des germanophones habitués à parler encore leur langage régional ? Lorsque Jean-Loup avait ordonné: « Postez vos hommes en tirailleurs sur le flanc ouest du thalweg !», le sergent avait compris qu'il fallait progresser pour un ratissage et non se mettre à poste fixe. Au handie-talkie SCR-536, le lieutenant entendait qu'il perdait progressivement contact avec sa demi-section. Ayant appelé Laurent pour lui demander de prendre le commandement de ses hommes postés, celui-ci décida d'accompagner Jean-Loup dans la zone interdite. Les deux sous-lieutenants s'engagèrent donc sur un sentier dégagé entre le thalweg et le plateau cultivé avec le radio porteur du walkie-talkie SCR-300 de 17 kilos capable de communiquer avec l'avion; mais à aucun moment le radio ne trouva la bonne fréquence…
  Le T6 était un petit chasseur conçu dès les années trente pour entraîner les pilotes débutants. Il s'était montré utile pendant la seconde guerre mondiale et les guerres coloniales à cause de sa vitesse relativement faible, à peine supérieure à 300 km/h, qui lui permettait de se faufiler dans les reliefs tourmentés… De 1956 à 1959 la France en avait acheté près de sept cents aux États-Unis. À partir d'avril 1956, un système d'escadrilles légères de cet appareil intervinrent dans tous les types d'opérations (observation, photographie, reconnaissance armée, bombardement, mitraillage, entraînement standard des pilotes de chasse) avec un armement de roquettes et de mitrailleuses. Les jeunes pilotes recevaient des ordres drastiques de nettoyage au sol de tout ce qui bougeait dans la zone interdite et les officiers du contingent ne l'oubliaient pas, s'inquiétant mortellement pour la demi-section Weismuller.

Le T6 était pourvu d'un moteur central bruyant et embarquait un observateur auquel rien n'échappait… Justement, il vint tourner au-dessus des trois jeunes gens. Ils étaient repérés. L'avion repartit pour une nouvelle boucle et commença son piqué dans leur direction. Ils comprirent dès lors qu'ils étaient dans la ligne de mire du chasseur. Whallberg avait saisi le radio à bras le corps et l'aplatissait au sol dans un sillon à peine tracé du champ qui bordait le chemin, couvrant de son corps celui qu'il savait être un père de famille... Mais Jean-Loup qui avait pigé qu'il était déjà dans le collimateur du pilote sentit que s'il se jetait au sol, ça serait compris comme un "aveu de culpabilité" et que la rafale partirait impitoyablement. Vite, le foulard rouge; le nœud ! Plus vite ! Saisir le foulard à bout de bras ! À deux mains ! Faire face au pilote en lui présentant le signe de reconnaissance ! Faire front ! Adieu la vie ! Le T6 est à cent cinquante mètres et va raser le groupe à quelques pieds dessus sa tête… Une seconde, deux secondes… Dans un souffle extraordinaire qui manque le jeter au sol, l'avion fauche l'air comme un immense cimeterre sifflant, fracassant… Vivants ! Le pilote a compris ! Hourra la vie !

  Whallberg se relevait: il embrassa Jean-Loup: « Tu nous a sauvé la vie !». Weismuller récupéré, on allait sabler le champagne... Le T6 fit encore une boucle: de l'autre côté du thalweg, un fellah en djellaba blanche, affolé par le hurlement du piqué, sortit de sa mechta et se prit à courir. Le pilote se plaça dans l'axe de sa course. Les mitrailleuses claquèrent. L'homme s'abattit (22-3↓ ) 

Dieu que la guerre est jolie…

Pour être un grand criminel et jouir de l'impunité, l'histoire a montré que le plus sûr chemin est celui de la politique. Abattez une crapule qui vous tire violemment du sommeil pour vous dépouiller du maigre fruit d'une vie de labeur: la justice vous expédiera, dans l'indifférence générale, au couperet. Envoyez à la mort un million d'hommes dans la force de l'âge et votre épopée enveloppera de nostalgie des générations de cons !

« La mort d'un million d'hommes importe peu pour un homme comme moi !»…

Il en va de la réussite dans le crime comme de la réussite en affaires. Les investissements modestes rapportent peu sauf parfois la faillite; et le meurtre ne bénéficie de la gratuité que lorsqu'il a porté sur un nombre suffisant d'êtres humains.
Tuez un homme: c'est un crime ! Tuez-en vingt-six millions, ça restera, en dépit des revers, un moment de gloire !
L'assassinat ne supporte pas l'amateurisme. Le meurtre n'a rien à faire de l'artisanat.
Aussi les hommes d'état de ce siècle ont-ils travaillé à se donner la dimension historique en accumulant assez d'armes nucléaires pour exterminer cinq ou six fois toute l'humanité. La consolation de Jacques Bonhomme étant qu'après le bouquet final, il n'y aura plus de livres d'histoire pour en cultiver la gloriole…

« Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais je sais qu'il n'y aura plus beaucoup de monde pour voir la quatrième. !»…Albert Einstein 

La mort du fellah lui rappelait l'histoire de la mère. Lorsqu'on met, pendant une guerre, un moyen de meurtre légal entre les mains d'un homme qui serait, en d'autres circonstances, doux et civilisé, on déchaîne en lui des instincts de bestialité abjecte. La peur ni le danger pressant ne sont pas même indispensables pour justifier leur déchaînement…

C'était août 44. La campagne de France battait son plein. Nos libérateurs gagnaient du terrain. Leur tactique était donc de paralyser l'ennemi tant pour empêcher sa contre-offensive que pour le prendre au piège. Il y avait des dépôts de carburant disséminés partout en France. Ils constituaient un objectif prioritaire pour l'aviation alliée. André D. était un jeune pilote de Marauder B26 recruté par les Américains à Blida lors de leur débarquement d'Alger du 8 novembre 1942; formé aux États-Unis aux méthodes de pilotage moderne, son carnet de vol de la campagne de France portait, dans la colonne "objectif", la mention: "oil, oil, oil…" indiquant que la destruction des sites de stockage d'hydrocarbures avait été une cible constante des bombardiers légers de nos libérateurs.
 Dans la forêt de Chantilly, entre Montgrésin et la Table Ronde, se trouvait un important stockage et la forêt fut détruite le 8 août 1944. Lucienne, la midinette au chômage, la femme de prisonnier de guerre, la mère de deux petits enfants de huit, dix ans… avait failli mourir sous sa maison écroulée. Deux semaines plus tard, se rendant à Stains par le train, elle avait frôlé la mort lors du mitraillage de la locomotive en gare de Survilliers. Au retour, pendant la libération de Paris, sur une route de plaine entre le Plessis-Belleville et Ermenonville, elle avait été mitraillée par deux bimoteurs à double fuselage Lockheed P-38 Lightning et n'avait gagné sa survie qu'en se jetant dans un fossé rempli d'eau, de boue et de ronces (22-4↓ ) … Les mêmes, nos libérateurs adorés, en haut de la côte de Montgrésin, avaient ôté la vie d'un paysan sur sa faucheuse qui faisait la moisson…

  Mettez entre les mains de jeunes gens des engins de mort si amusants à piloter, surtout quand la cible est un gibier sans défense: vous aurez de ces actes d'héroïsmes dont la mère avait été victime lors de la libération… Et dont un fellah probablement innocent venait d'être la victime sacrificielle.

 Jean-Loup se consola d'avoir, dans l'histoire, gagné son salut d'un geste: dénouer assez vite son foulard rouge de reconnaissance. On s'amusa bien, le soir au mess, de se dire qu'une fois de plus, on devait sa vie et sa liberté au drapeau rouge…

« La guerre ne rend pas les hommes plus nobles... Elle en fait des chiens... Elle empoisonne l'âme. » Terrence Malick; Dialogue du film américain "La Ligne rouge"

Nuages précurseurs…

Duruy, le collègue sympa et Marie-Lou accueillirent Jean-Loup dès la salle des maîtres pour lui raconter le coup de la mairie. Ils le priaient de redoubler de circonspection, éventuellement de songer à suspendre ses activités pédagogiques expérimentales. Le PEGC dit qu'il ne manquerait pas d'y réfléchir et d'évoquer le problème avec le proviseur Le Moualc'h dont il appréciait la bienveillance et le discernement. Puis on retomba sous le rouleau compresseur des tâches quotidiennes qui pleuvaient en avalanche… Mais on avait accusé le coup. Espérer et attendre… Wait and see !

  Les premières agaceries vinrent des plus insignifiants, heureux de se signaler dans la malfaisance autant qu'ils étaient impuissants à se manifester dans la réussite scolaire. Jean-Loup avait vu arracher ses plantations des trottoirs jour après jour. Les giroflées violiers des murailles qu'il avait tendrement semées, éclaircies, repiquées dans l'espoir d'embaumer la ruelle étaient arrachées, une à une, et placées ostensiblement devant sa porte d'entrée. Guettant un jour, il eut vite fait d'identifier les rieurs: La Carotte et Donald le Syndactile… Lesquels poussèrent les efforts d'imagination jusqu'à salir sa voiture des noyaux crachés de cerises volées aux jardins du maire; de faire déféquer le chien à la nuit tombante sur le seuil et d'y poser le sac d'ordure familial; boucher la serrure au chewing-gum; tirer la sonnette la nuit ou appeler au téléphone depuis la cabine publique pour réveiller Louisette qui partait aux aurores… Bref, le répertoire éternel des cancres impuissants à réaliser de grands forfaits.

Un niveau de culture plus haut, c'est Booseveld qui manifesta son hostilité mal rentrée par des petites perfidies, insinuations publiques relevant plus d'une malignité de paysan que d'un machiavélisme intellectualisé. Il répandait des allégations fâcheuses pour les écologistes censés d'être "tous des cocos"; ce qui manquait gravement de nuances, l'ADVG groupant des adhérents d'obédiences variées, voire adverses… Mais ça portait parfois, le dimanche matin, au pied du petit clocher octogonal du XIIIème siècle… Il fit, de parfaite mauvaise foi, courir le bruit que c'était Cuisance qui, seul, avait évincé La Carotte du car scolaire et qui avait gravement compromis la carrière du chauffeur menacé par sa faute d'être mis au chômage… Avec une sournoiserie calculée, il s'associa au Laerez des Broues pour empêcher Lozari de trouver une salle de réunion dans toutes les mairies d'alentour; l'assemblée générale de l'ADVG s'en trouva retardée jusqu'à ce que le Président obtint de l'inspection d'académie, l'autorisation de la faire au préau d'école. Faisant alors appel à ses inclinations naturelles à la scélératesse, Booseveld convoqua le directeur en son hôtel de ville et le tança de haut, le menaçant, s'il continuait à manigancer avec les "écocologistes", de réduire sérieusement sa contribution municipale aux dépenses des écoliers… Il évoqua la femme de ménage du groupe scolaire — laquelle lui devait d'être également rémunérée dans sa mairie et à son service personnel — qui se plaignait d'avoir dû balayer et ranger des chaises après la réunion ! S'élevant enfin à une réelle grandeur dans la rouerie, il atteignit à la forfaiture, quoique médiocrement, en refusant aux écologistes le panneau électoral auquel ils avaient droit, un candidat s'étant présenté pour la première fois aux cantonales. Frustré de s'être fait morigéner par la Préfecture, il atteignit au sublime de la cautèle et à l'acmé de la méchanceté, en tant que président de l'ACCA, en privant souverainement les chasseurs adhérents de l'ADVG de leur permis et de leur adhésion à l'association de chasse communale…

Au collège, Rosenschwein n'était pas en manque de malignité. Le Moualc'h avait autorisé Cuisance à placer au préau un grand panneau d'affichage pour la promotion du "Jardin Courtois". Toute les semaines, muses et trouvères y collaient des poèmes, compte-rendus de sorties, affichettes d'associations écologistes… même le Proviseur avait demandé qu'on y collât la liste des émissions de science et de littérature qu'on pouvait, en élèves soucieux de culture, préférer; c'était un lourd travail pour Jean-Loup qui, de plus, en distribuait un exemplaire à chacun de ses élèves au nombre de deux cents.

Rosenschwein ne passait jamais devant sans manquer d'envoyer à la cantonade une pique, une allusion, une félonie contre le club des poètes; il avait son petit succès assuré si le pion Lespineux (le fournisseur de La Carotte), la Khozgot et sa superbe coryphée clitorophile ou l'escogriffe Beauserfeuille et ses affidés syndicalistes tournaillaient dans les parages. Certains élèves, témoins de la médisance, restaient interdits, n'y comprenant goutte; d'autres, mis à la coule dès la porte du collège par les cancres, en faisaient leur boni, et moyennant quelques enrichissements, en bâtissaient une malice rigolote pour la prochaine cantoche. Ainsi naissaient rumeurs et calomnies…

Cynique, gourmand de bons mots effrontés, d'aphorismes classiques qu'il collectionnait, d'adages impudents, faiseur de mots insolents par quoi il aimait brocarder ses subordonnés, Rosenschwein n'épargnait pas Jean-Loup dans les conseils de classe, surtout lorsque les représentants de parents d'élèves tendaient une oreille complaisante. Le club avait sérigraphié un macaron "ADVG" qui pouvait se coudre au T-shirt ou à la manche. Lorsqu'une élève entrait, porteuse du macaron du club du "Jardin Courtois", siglé: "l'ADVG" (pour la défense du Val Grisette), le dirlot se penchait vers la prof d'Anglais (sa préférée) et lui glissait à l'oreille, avec une discrétion calculée pour être partagée du proche entourage: « Encore une candidate pour l'IVG »; et ça faisait rire la voisine…

Toujours à l'affût d'une entourloupette, d'une crasse traîtresse, il avait bourré l'emploi du temps de Jean-Loup d'heures de math que le prof abhorrait, l'éloignant sciemment de sa passion pour l'écologie et gaspillant, a contrario, les talents de l'agrégée gynarchiste aux sixièmes au lieu de les consacrer à la biologie génétique des grandes classes… Comme le prof protestait, il jubilait de lui répondre: « Monsieur Cuisance, vous êtes PEGC; vous l'avez voulu ! Si vous n'êtes pas content, allez ailleurs ! D'autres, plus concernés, attendent à ma porte ! En attendant, comme professeur d'enseignement général des collèges, vous êtes taillable et corvéable à merci !» Mauvaiseté qui allait droit à la rate, sinon au cœur, de la victime; laquelle descendait de paysans depuis des dizaines de générations; lesquelles, des corvées et du bon Turgot, se rappelaient tout jusqu'aux tréfonds de leurs chromosomes…

Ce jour-là, Jean-Loup arrivant par la cour, avait surpris Rosenschwein tapant amicalement sur l'épaule du Donald et réprimandant avec indulgence La Carotte: « Allons, vous n'avez rien à faire dans l'enceinte du collège; sortez et ne revenez plus !» Se demandant à quoi correspondait ce laxisme, le prof mesura la déloyauté du dirlot en découvrant le panneau d'affichage du club complètement vandalisé…

La "Poussette"…

La Carotte ni Donald n'ayant inventé la poudre, ils avaient toutefois une invention à leur actif: un "jeu mortel", concurrent du jeu du foulard et dérivé d'une pratique picaresque bien documentée par la télé: le "car jacking".

Certes, on s'était déjà bien amusés, entre deux pétards, avec des p'tits jeux classiques. On avait asticoté les copains de Cuisance: Adam l'Écologue et Nathalie, le groupe à bicyclette, en les suivant à la trace pendant leur distribution de petits journaux, se tenant à distance respectueuse… Dès que les collégiens tournaient le coin de la rue, on rafflait tout ce qui dépassait des boîtes à lettres… On empilait ça dans la besace de Donald, cramponné à La Carotte, et on filait à la halle pour y devancer les lycéens; on éparpillait quelques tracts sous le chapiteau et le gros du paquet, préalablement compissé dans le caniveau, finissait à la corbeille municipale. Adam l'Écologue ni Nathalia ne se découragèrent mais ils étaient furieusement contrariés… N'était-ce pas l'environnement de tous, y compris le paysage des idiots de village, que l'on défendait ?

Ayant arraché impunément les affichettes écolos du panneau du Jardin Courtois au collège, un peu frustrés de n'y plus pouvoir accéder, ils avaient retourné leur espièglerie contre les panneaux du candidat écologiste aux cantonales. Tartuflette qu'ils avaient rencontré collant les affiches du parti d'extrême droite pendant une de leurs expéditions leur avait même appris un truc marrant. Ce qui rendait un panneau utile, c'était qu'il soit tourné vers la rue: parfois, c'était le cas du candidat écologiste; notamment lorsque Jean-Loup et Adam l'Écologue étaient déjà passés… Alors, il fallait le détacher du support et tourner le panneau des écolos vers le mur ! Le jeu était d'autant plus rigolot qu'il fallait y repasser plusieurs fois pour voir si "ç'avait mordu"…

À la petite école, certains parents avaient adhéré à l'ADVG et cousu le macaron militant à l'épaule, au bonnet de leur enfant. Malheureux ! Ne l'avaient-ils pas ainsi désigné à la taquinerie des deux crétins qui désormais les prenaient pour cible de leur rosserie: sarcasmes, quolibets, allusions blessantes pleuvaient sur les victimes. Bientôt, on améliora la technique: on se mit à tourner en cyclomoteur autour des jeunes proies impuissantes, on klaxonnait, on accélérait jusqu'à risquer la chute et le palmipède tendait le bras pour arracher le bonnet au macaron. Les pauvres mères de familles durent en passer par les ciseaux à découdre… Quant aux pères naïfs qui l'avaient collé dans leur voiture, après avoir trouvé des clous tordus judicieusement placés dans la roue avant gauche, fallait qu'y s'magnent de gratter l'pare-brise !… Ce qu'ils faisaient toutes affaires cessantes…

Jusqu'ici, c'était resté bon enfant… Jusqu'au jour où le Donald et La Carotte, plantés devant la télé de Dreckveld, assistèrent à une leçon de car jacking.

Dieu que la guerre était jolie à la télé ! La Carotte et Donald s'était incrustés chez Dreckveld qui, pour l'heure, se sentait frustré de tendresse de la part de ses paroissiens pour les avoir trop bénis à l'huile de vidange ! La Télé ! Y'avait qu'le choix: intolérance, dureté, colère, irascibilité, brutalité, démesure, exacerbation, férocité, viol, défloration, coups et blessures, sauvagerie, sévices, torture, mise à mort, hémoglobine, éclatement d'organes, corps déchiquetés, brûlés vifs ou noyés, étouffés, transpercés, troués de rafales… ! Nom de Dieu ! Qu'c'était bandant ! On haletait, on palpitait… Ah, qu'on aurait voulu y être ! Moi kung fu moine de Shaolin: "Clac, clac! Moi Bruce Lee en Jeet Kune Do. Pan ! Prends ma botte dans les couilles ! Moi Jackie Chan: tu m'crois saoul mais pan ! mon coude dans l'estomac, digère connard ! Et vlan, mon balayage de pied dans ta gueule, mon éventail dans les mirettes, mon coup de bâton sur la nuque, mon épée dans l'bide, mon sabre pour ta carotide ! " Déguste, Cuisance !" Moi sumotori: "Badaboum, badaboum! Quatre cent deux kilos sur ta gueule !" Moi judoka, moi karateka, moi ninja, moi hanshi du kendo ! Tue ! Tue ! Tue-le !

Sur toutes les chaînes gueulements, provocations, défi, voie de fait, torgnoles, enlèvements, kidnappings, salves et rafales… Les plus dignes: description des enquêtes et procès sur les grands criminels avec tous les détails: comment épouser des connes, les couper en morceaux, les brûler dans sa cuisinière ! Youpi ! Comment capturer un p'tit garçon, l'égorger, le planquer sous son plumard et réclamer une rançon aux parents ! Comment tuer sans laisser d'traces ! Comment échapper aux juges en faisant disparaître les témoins ! Bon dieu qu'il fallait être nigaud dans c'pays pour finir ses jours en tôle  Ma parole, fallait vouloir s'abriter d'ses copains !

Fini ces minabl'instits et leurs leçons du dimanche soir ! Vive la Télé, sanctuaire de la Vraie Vie ! Vive l'Apologie du Crime !

Justement, ce soir-là, nos deux envoûtés se délectaient devant une leçon ( avec démonstration pratique ) de "car jacking"; comment avait-on pu vivre jusqu'à là sans connaître ce truc-là ? Les deux obsédés de la petite lucarne aspiraient l'écran comme des têtards en train de sucer le téton d'une vouivre des marais. Ah, si un enseignant eût pu les voir en classe ainsi captivés par sa leçon, qu'il eût été heureux ! Mais fallait s'y faire; désormais, on n'étonnait plus les jeunes classes avec Vercingétorix jetant son épée aux pieds du Grand Jules au travers d'une image dessinée ou projetée par la lanterne magique; la seule chose attrayante, c'était d'le voir après le triomphe de César, se faire égorger en direct dans son ergastule ! Avec plein d'hémoglobine, SVP, m'sieurs-dames du ciné !

; Le but du car jacking est de voler une voiture en état de marche en capturant sa clé et si possible les papiers du véhicule… Le bon moment est donc…? Les bambins en chœur: « Quand elle roule !»
— « Bien les petits. Si j'la tape par derrière, qu'est-ce qui se passe ?»
Chœur des cancres: « Faut faire un constat !» Donc le conducteur de la bagnole tamponnée — pas une caisse pourrie bien sûr, faut choisir, mes petits — il descend pour constater les dégâts de son derrière. Comme on est sur une chaussée fréquentée, il laisse tourner son moteur, va au cul d'sa tire, se penche pour voir la casse et hop ! V'là sa tire qui s'tire toute seule ! C'était un truc ! Un truc pour le faire sortir: un complice du tamponneur est descendu, est monté à droite; si l'épouse y est, il a alpagué la mémé par son fond d'culotte et l'a j'tée dans les orties du bas-côté; il est au volant; les deux bagnoles démarrent en trombe. Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Adieu Venise, adieu gondoles ! Faudra économiser plusieurs années pour en racheter une. Maître Corbeau, honteux et confus, jura mais un peu tard… Chœur des cancres: « Qu'on le couillonnerait pus !».
— « Mes petits, quelles précaution le tamponneur doit-il prendre !»
— « Euh ! Ben ! M'sieur, faut pas qu'y tape trop fort sinon faudra qu'y répare la bagnole !»
— « Voilà ! Bien, Palmipède, t'as tout compris. Vingt sur vingt !»
— « Merci, M'sieurTélévision, z'êtes bien utilitaire !»

Voilà nos deux salopards qui gambergent ( une fois n'est pas coutume ): comment faire le car jacking quand on n'a pas d'bagnole ? Bien sûr, les "vrais", z'en piquent une… Mais nous, pôv'amateurs ? Faut bien qu'on débute ! C'est là que Donald eut une idée féconde: « Et si on f'sait l'car jacking avec ta mob ?»
Ce qui fut organisé promptement aux dépens des gamins des Broues dont certains, aux beaux jours, préféraient au ramassage scolaire, l'air pur et le trajet direct en vélo… Cependant, la géométrie des bicyclettes, toute en hauteur au contraire du pare-chocs des bagnoles, déçut, ainsi que des incompatibilités rotatoires incompréhensibles entre les roues arrière/avant des poursuivis et des pousseurs... C'est là que le Palmipède atteignit au génie dans la malfaisance: « Comme on n'a pas de pare-chocs pour pousser, tu rases le mec en le doublant; moi, sur ton porte-bagage, je tends l'bras et j'le pousse dans l'dos: t'as pus qu'à accélérer… !»
— « Ouais, nickel; et si on appelait ça "faire la poussette", comme dans le Galibier ?», répondit La Carotte… Le jeu donna quelques résultats intéressants, quelques mioches ayant bouffé la verdure du bas-côté. Mais ça ne rapportait pas un radis; de plus, on n'eut guère le temps de perfectionner la technique, les parents, les édiles et les instits ayant cette fois réagi vivement. On essaya de se montrer bon perdant en proposant à la petite-fille du Laerez de lui faire une vraie "poussette Galibier" — ce qu'elle accepta avec empressement pour remonter les Broues, la côte étant crève-cœur — mais ça n'avait plus rien de marrant et on ravala sa déception en piquant les cerises du Laerez et en recrachant les noyaux sur sa voiture…

;Philou descendait du car; comme il passait devant la mairie, on lui bazarda quelques vannes bien grasses et bien senties. Pénards !

L'altercation…

Ce qui devait arriver arriva le soir même.

Chaque soir, il sortait vérifier la fermeture de ses portes et fenêtres donnant sur la rue. Il sortit comme le soleil déclinait à l'Ouest, composant un chromo de nuages roses dont on aime dire qu'ils promettent le vent… Il était épuisé par une journée de classe complémentée de quelques travaux de terrassement. Il ne souhaitait que de s'endormir tôt dans l'air frais du jardin, des prés et des bois miraculeusement sauvegardés à trente kilomètres des portes tentaculaires… Sa fenêtre resterait ouverte mais l'ambiance serait calme et l'on n'entendrait rien du brouhaha des moteurs qu'on subit obsessionnellement jusqu'en banlieue des grandes villes. La paix, quoi…

  C'était sans compter les deux idiots des Broues qui pétaradaient ce soir-là sur deux cyclomoteurs trafiqués… Ils se mirent à tourner large autour de Jean-Loup en échangeant des propos "entendus", complices, comme si c'était un aparté auquel le prof était faussement supposé ne rien entendre:
— « La nature… Les tit'fleurs… c'est mignon !»
— « Le tit zozio… Les tits mignons… c'est chou !»
— « Ouais ! Tout ça, c'est bon pour les villages de tantes… !»
Justement, encore que la moutarde lui montât au nez, c'était bien le parti de ne pas comprendre que Jean-Loup s'était fixé, se souvenant du rapport de Duruy qui avait cru reconnaître Booseveld menaçant: « On va lui coller la Carotte dans les pattes! »

Mais les galapiats de village, encouragés par la passivité du prof et humiliés de son mépris, choisirent de ne pas s'en tenir là… Tournicotant toujours plus près, ils en vinrent à le raser, à le frôler. La rue du vieux village, tout droit sortie du moyen-âge, étroite et bien tortue, ne comportait pas de trottoirs, que des bas-côtés non-déambulatoires larges comme une main où les plus diligents multipliaient roses trémières, giroflées violiers et géraniums bulbeux… Or les deux salopards arrivaient par derrière et l'homme se sentit menacé au point qu'au premier passage, il se jeta sur l'étroit ruban latéral… mais au second, il tendit le poing à la verticale comme un "écarteur" de cycliste… La Carotte, premier sprinter, l'évita gracieusement d'un coup de guidon qui l'envoya tout étalé comme une crêpe sur la chaussée. Heureusement car, dans la violence d'un choc, l'instit aurait eu le bras cassé. Mais déjà l'arsouille se relevait furieux, la lippe haineuse, se jetant sur Jean-Loup poings en avant. Mal lui en prit. Avant d'être enseignant, son adversaire involontaire avait été aspirant sous-lieutenant dans un école d'artillerie où on lui avait enseigné quelques rudiments de close-combat. Jean-Loup qui était jeune et rendu plus vigoureux par les travaux de terrassement, maçonnerie, manutention… l'écarta par quelque manchette bien coupée qui l'envoya sur le cul illico. Le galvaudeux, s'il avait eu deux sous de bon sens, se fût relevé formulant quelqu'excuse dont le prof aurait eu la sagesse de se contenter pour arrêter l'altercation: « Pardon, m'sieur; j'le f'rai plus !» Point final ! Mais non ! Fou de hargne, le minus de vingt-trois ans qui jouait les caïds de hameaux redoublait d'agressivité. Son "honneur" de gouape lui commandait de montrer qu'il était le maître en violence. Redoublant de pugnacité, dix fois se relevant pour partir les poings en avant sur le prof, il récolta un échantillonnage classique des droites, des gauches, des uppercuts et des crochets…; ces derniers lui imprimant un gracieux mouvement de toupie pendant la chute, il reçut à l'occasion quelques coups de pied au cul bien centrés…

Vint enfin le moment où, à peine abasourdi, un peu hébété mais pas complètement groggy, il resta le derrière dans le caniveau, invectivant toujours l'adversaire sans la moindre trace de repentance… De l'autre côté de la route, le Palmipède observait prudemment la scène, peu empressé de s'en approcher…

La soirée n'était pas terminée pour autant. La famille fut tirée du calme retrouvé par des coups de sonnette furibards… C'était un groupe clairsemé de la famille qui, pour l'occasion, n'avait pas refilé la corvée de Carotte à la grand-mère mais venait réclamer des comptes avec une momie embobinée de compresses et de sparadrap. Ceci sur le ton de la famille prolétaire outragée et avec moult véhémence, poussée au cul qu'elle était par quelques uns des plus gratinés du bistrot; Jean-Loup y reconnut le Tartuflette, le père Laplotte avec son crétin de fils amateur de foot et son Palmipède qui en rajoutaient, menaçants, loin derrière. Il dut plaider la légitime défense, mais sans cesse la mère criaillait d'un ton strident, découvrant que son fils était diabétique, hypermétrope et ambidextre et que c'était une honte d'avoir ainsi battu un plus petit que soi… En arrière-garde, Tartuflette et Pisse-Goudron acquiesçaient, criant vengeance… Ayant décrit les quolibets et les virevoltes, les volte-face rasantes, les pirouettes frôleuses, les retournements impromptus, les tête-à-queue vicieux, les voltes et les zigzags génialement rageurs, le prof estima qu'il avait suffisamment démontré qu'il était l'agressé, non l'inverse; il brisa là.

Ce n'était qu'un commencement. Les jours suivants, il trouva dans sa boîte à lettres force papiers bleus de la gendarmerie lui intimant sans fioritures de se présenter d'urgence "pour affaire vous concernant". Il fut reçu sans ménagement par des gens plutôt hostiles qui recueillirent d'une oreille critique et d'un doigt hésitant sa déposition. Enfin, plusieurs jours après, on lui signifia que le maire de Villeneuve avait témoigné qu'il avait également reçu la plainte de la momie, qu'il l'avait conduite pour autopsie chez le médecin voisin, lequel, nonobstant le fait que La Carotte était notoirement connu comme un oisif militant, lui avait délivré… un arrêt de travail de huit jours. La momie avait donc, munie de ce sésame, porté plainte et le gendarme, rempli de componction, explicita au prof qu'il encourait une peine correctionnelle pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement. Jean-Loup comprit alors que la peine correctionnelle obtenue, la famille prolétaire pourrait fructueusement poursuivre le bourgeois meurtrier en procédure civile pour y obtenir des dommages et intérêts. Cette fois, c'est lui qui fut groggy… Il se voyait déjà dans l'obligation de vendre "Les Gais Combats" pour faire une rente à l'idiot de village, Louisette divorçant et recevant la garde de Philou… et, cerise sur le gâteau, la perte, avec la virginité du casier judiciaire, de son statut d'enseignant… Il titubait presque en sortant de l'austère bâtiment…

Il repensa aux propos de Booseveld: « Ça lui f'ra un adversaire digne de lui !»
 Il lui sembla bien que le clan des "proxénètes de la nature" aient eu sa peau (22-5↓ ) 

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 22:   ( Sauter les notes de section 22 )
22-1.-↑ Eh oui ! C'est de Karl Marx. Le fondateur (avec Friederich Engels) du communisme savait distinguer les citoyens appartenant au "prolétariat", lesquels acceptent de sacrifier généreusement une partie de leur force de travail à la collectivité, de limiter leur liberté là où commence celle des autres; et la tourbe des cours des miracles. Il nommait "Lumpenproletariat" (soit: le prolétariat en haillons) la pègre, au sens fort du texte. Comme exemple, on pourrait prendre l'utilisation que l'occupant nazi de Paris a fait de certaine canaille locale pour traquer, torturer voire éliminer des francs-maçons, des résistants, des juifs…
Référence: Karl Marx: "Manifeste du Parti Communiste" page 45; Editions Sociales, 1977.
Au passage, remarquer l'amusant glissement de la traduction qui, de 1966 à 1977, fait passer le "lumpenproletariat" de "racaille" au grade de "sous-prolétariat". - Télécharger ici le PDF du texte original (extrait)
22-2.-↑ Prébende: (Larousse): du latin praebendus, qui doit être fourni; revenu attaché à une situation lucrative. De même, "prébendier" ici, celui qui jouit d'une situation lucrative. Entaché d'ironie péjorative; a servi entre 1936 et la guerre, aux détracteurs crypto-fascistes (mais aussi à d'honorables écrivains), pour stigmatiser les grands fonctionnaires de la 3ème République du Front Populaire. Références: les citations de l'ATILF:
- Voir: "prébendier" dans l'ATILF
Il est amusant de reprendre ici des "anathèmes" de cette époque: "À cette insinuation qui faisait de lui un ventre doré et un prébendier, Mr Josserand fut d'abord interloqué (Aymé, Mais. basse, 1934, p.31)." et: "Hier soir, le ton de la radio officielle [de Vichy] était celui du delirium tremens. On dénonçait en effet à l'indignation des prébendiers et nantis du régime, menacés dans leur escarcelle, le Rassemblement national populaire, proclamé à Paris (L'OEuvre, 4 févr. 1941); et encore: "Les fonctionnaires (...) accusaient sans ambage les militaires de se vautrer dans la concussion et l'abus d'autorité, mais les militaires le leur rendaient bien. Les commerçants considéraient quant à eux tous ces prébendiers comme autant d'hypocrites imposteurs et pillards. Céline, Voyage, 1932, p.184.
22-3.-↑ Petit extrait de Wikipedia; (ensemble de l'article: cliquer ci-dessous…). "Durant, la guerre de Corée et même celle du Viêtnam, les T-6 furent utilisés comme avion de contrôle aérien avancé, pour guider les chasseurs-bombardiers sur leurs objectifs au sol. Ils furent aussi abondamment utilisés par l'Armée de l'air, comme avions de lutte contre la guérilla, pendant la guerre d'Algérie et pour la formation au pilotage élémentaire (par ex. à Cognac en 63/64). Au cinéma, des T-6 maquillés servirent entre autres à simuler les chasseurs japonais Mitsubishi A6M et bien d'autres chasseurs."
- Wikipedia: North-American-T-6-Texan
- Aviation en Algérie (le T-6 décrit par un ancien parachutiste)
- Récit côté français: une intervention de T-6
- Récit côté djounoud algériens: le T-6

22-4.-↑ Double fuselage portant 2 moteurs: le Lightning P38.
- Compléments: Wikipedia Lightning P38
Court extrait: "Avec un important rayon d'action, il est utilisé dans le Pacifique. C'est avec cet avion que le lieutenant Lanphier abattit le Mitsubishi Ki-21 qui transportait l'amiral Isoroku Yamamoto au-dessus de Guadalcanal.
Son armement était, dans la nacelle, de 1 canon de 20 mm, 4 mitrailleuses Browning M2 de 12,7 mm
Parmi les nombreux pilotes de P-38 ou dérivés, on retrouve le pilote-écrivain français Antoine de Saint-Exupéry, qui disparut en Méditerranée près de l'île de Riou (Marseille, Provence) avec son F-5B-1-LO le 31 juillet 1944. Il y eut aussi les deux pilotes américains de la Deuxième Guerre mondiale ayant abattu le plus d'avions ennemis : Richard I. Bong et Thomas McGuire."
22-5.-↑ -  ou "eussent eu" sa peau; je choisis la syllepse; "le clan" n'est qu'une entité: "l'ensemble ou la totalité"; ceux qui font le mal, ce sont bien les "proxénètes de la nature"

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Diatribe d'Élisée contre les poètes modernes
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Jean-Loup découvrait Élisée occupé à trier son "rayon poésie" alors que, désireux de lui faire faucher sa pelouse, il s'approchait de la grotte d'Ali-Baba, ayant enveloppé, comme argument diplomatique propitiatoire, une bouteille de Beaujolais dont le nom gracieux, subtilement, dépassait d'une échancrure du papier journal: "Juliénas". 


L'esthète troglodyte avait posé un bouquin sur ses genoux et reposait un instant, lisant — anachronisme charmant — un opuscule de poésie moderne à la lueur d'une chandelle… Il leva les yeux et, sans transition, l'apostropha:
— « Non, mais! Écoutez-moi ça! Non mais, mon bon maître, ouvrez vos esgourdes et n'en perdez pas une triple croche: c'est d'la poésie modernicole!
— Pour poète cavernicole, s'empressa de rimer Jean-Loup sans calmer l'emballement du papivore. »

— Ecoutez ça ! « Tu causes, tu causes, dit Laverdure,… !» (23-1↓ ) . Ça vous fait l'honneur de tomber d'la dernière averse, ça débarque ignare, ne sachant pas d'mémoire quat'vers de poésie classique et vous tenant des discours méprisants du style: "Victor Hugo hélas... Ces vieux birbes barbus barbants... Ces grands-pépés gâteaux gâteux qui cherchent à faire accroire qu'la poésie c'est des vers, des pieds, des rimes, des rythmes, une musique, une métrique, une mnémonique... Les dinosaures ! La poésie, c'est pas ça: c'est un distillat d'esprit, un condensat d'intellect, une quintessence de mentalité, un état second, un pipi de Sainte Vierge, des sensations oniriques, d'inspiration vaporeuse, des effloraisons de tétrahydrocannabinol, des évanescences de trichloréthylène, le génie du parler gratuit, du gloser sans rien dire, du clabauder sans signifiance, du jabotage verbeux, du verbiage baveux… »
Alors, se penchant jusqu'amener au ras des mollets du prof la chandelle, il marmonait, tout gouleyant de salive: « Juliénas ! Juliénas !…» Puis, redressé comme un ressort par l'indignation: « Ça jacte, ça glose en toute fausse humilité des…:
— Tenez ! Regardez… Moi ! Voilà c'que j'fais, moi, c'que j'élabore, et que reprennent en choeur les médias prouvant que seul, moi, j'ai raison ! J'ai raison car je suis "moderne" ! Fi ! de ces rimailleurs de mirliton qui tricotent laborieusement des ronds de iambes passéistes pour exalter leurs bons sentiments !»
Élisée souffla, approchant la chandelle du fardeau de son "bon maître". Il claqua la langue en répétant à mi-voix le mot magique se profilant dans l'emballage journalistique... Il poursuivit:

— « Ça ! Des borborygmes abscons qui n'sont qu'la prolongation attardée des vagissements colériques du nouveau-né. Lequel n'est, à sa naissance, qu'un tube digestif impérieux et avide, encoléré d'attendre et braillard, inéduqué... Inéduqué donc excusé. Mais quand ça s'prolonge dans l'âge adulte, alors là, ça d'vient d'l'anarchisme pathologique ! Rien à voir avec le fourriérisme... Alors, c'n'est plus qu'un égocentrisme orgueilleux prolongeant l'état d'arrogance excusable chez l'poupon merdeux, insupportable chez le rectum impérieux devenu adulte. Un seul remède: le laisser déféquer dans les médias reconnus compétents pour ressuyer, entre deux pages de propagande capitaliste, ses parties basses et ses pets foireux ! (23-2↓ )  Il avait mis un signet pour retrouver la page; la main sur le cœur, il déclamait:

Ta Chair dans ma Chair... 

Mieux me laisser, poire, moi ! t’aimer
Vaut plus que confire ta chair qui va
Péter la joie maintenant que j’assume
Dans le fond de ma gorge, profonde!
La chair de ta chair de poire qui me féconde et me
Colle à la peau! »
«Attendre que ça se passe ?  Dans cinquante ans, il ne restera rien de leur grand œuvre, qu'un éclat de rire général de ceux qui, éternellement, réciteront de mémoire:

« Dites-moi où, n'en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu'humaine ?
Mais où sont les neiges d'antan ? »
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Georges Brassens met Villon en musique, grâce à YouTube: ( Attention ! Pour revenir ici: cliquez l'onglet "La Forte en T'Aime" ou fermez l'onglet YouTube)
(D'autre part, vous pouvez, après avoir lancé la chanson dans YouTube, cliquer l'onglet "La Forte en T'Aime" pour suivre les paroles dans la colonne de gauche tout en écoutant…)

- Brassens chante Villon grâce à YouTube: autre accès
- Idem; autre accès: descendre dans la page; retour par flèche en haut à gauche


Jean-Loup fut touché parce qu'il le disait de mémoire… Le poète cavernicole continuait:

«Tous ces poèmes qu'ils auront gardé en mémoire et dans leur cœur comme des feux d'artifices éblouissants de la plus subtile des langues, celle de Ronsard, Voltaire, Verlaine, Nerval, du grand Anatole et du gigantesque Hugo:…

Demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai, vois-tu je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps… »
Cinquante ans ? Qu'est-ce que je disais… Sitôt pondu, sitôt oublié. Inutile de naissance… Avorté de conception… Jamais un béjaune d'école n'en récitera deux mots. Pour apprendre des poèmes, les descendants de Vaugelas iront les chercher dans la langue anglaise:

« I wandered lonely as a cloud
That floats on high o’er vales and hills,
When all at once I saw a crowd,
A host, of golden daffodils ;
Beside the lake, beneath the trees.
Fluttering and dancing in the breeze. » (23-3↓ ) 
— « Et même les Poètes du Lac seront effacés par les laquais du capitalisme: nos rappeurs qui ramassent du fric en insultant la France. Nos borborygmaniaques français sont devenus complices de "l'invisible main" d’Adam Smith! ».

Jean-Loup qui s'était secrètement essayé aux poésies nouvelles, si touché qu'il fût par le discours du barde traditionaliste, ne se sentait pas en parfaite harmonie avec son philosophe des halliers. On ne pouvait refuser aux générations futures, sous prétexte qu'elles arrivaient à la bourre d'Aragon et de Lamartine, un droit fondamental: celui d'expérimenter. Après tout, au milieu d'incroyables fiascos montés en "neiges d'antan" par des snobs appointés au nombre de mots, fabricants de gloires médiatiques éphémères autant que de fric éternel, cette liberté d'innover avait un jour engendré un La Fontaine, un Hugo, Rimbaud, l'Apollinaire, Prévert, Aragon… Encore fallait-il supporter l'épreuve du temps avant de baptiser ça "poésie"; pour l'instant, ce qu'on pond aujourd'hui, attendons pour en faire une omelette… Sûr, ça supportait mieux l'expression "d'expérience poétique" !

« Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche » (23-4↓ ) 

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août…»

Jean-Loup expliqua comment Louis Aragon avait inventé de nouvelles rimes en coupant les phrases inopinément: "lavande où" rime ainsi avec "mois d'août". C'était donc une innovation poétique séduisante… Bien sûr, Aragon, lui, avait jà reçu le baptème du feu… Il était désormais le plus grand poète du XXème siècle, rien qu'avec les "Yeux d'Elsa" !

Mais son pote anachorète avait rapproché le bougeoir du fardeau: l'heure était venu de dépuceler la rigolotte… Élisée sortit le tire-bouchon:
— «  Juliénas, nous voilà »!
On trinqua à la gloire de la langue française, la plus délicate de toutes… On en était sûr encore qu'on n'en connût pas d'autres… Et la langue, celle d'Élisée, claqua de satisfaction…

Mais trois jours plus tard, le poète troglodyte rattrapa le prof à son retour du collège, et il lui fit remarquer, riant de son propre fourvoiement:

Mieux me laisser, poire, moi ! t’aimer
Vaut plus que confire ta chair qui va
Péter la joie maintenant que j’assume
Dans le fond de ma gorge, profonde!
La chair de ta chair de poire qui me féconde et me
Colle à la peau! » (23-5↓ ) 

Longtemps après, Élisée récitait ce poème par cœur, tout réjoui de s'être laissé piéger par un acrostiche aussi voyant… « Encore que, à la bougie… Avec l'obsession du Juliénas à mes pieds… J'étais excusable !»


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 23:   ( Sauter les notes de section 23 )
23-1.-↑ Raymond Queneau qui ajoute: « Tu causes, tu causes, dit Laverdure, c'est tout c'que tu sais faire ! » "Zazie dans le métro"
23-2.-↑ Egocentriste: sans doute hapax. Au pire, néologisme! " Nous sommes des égocentristes et c'est presque inévitable" (Duhamel, Cécile, 1938, p. 88). Cf: Emploi subst. Personne égocentrique. L'égocentrique est conservateur de son cher moi irritable, toujours dressé en défensive contre un monde dont chaque approche est une menace pour un idéal fixé et jaloux (Mounier, Traité caract., 1946, p. 350). Dans l'ATILF:
- Emploi substantif de l'adjectif "égocentrique"
Égocentriste par Wikipedia:
- Égocentriste par Wikipedia
23-3.-↑ « Grande solitude que celle de Wordsworth, qu’anime un puissant désir de poésie, mais qu’obsède un sentiment d’inconsistance. Solitude d’une conscience à qui il échoit de se prendre en charge, qui ne trouvera de matière pour sa poésie que dans la profondeur de sa mémoire. Il se trouve acculé à une réinvention du geste poétique qui demande tout à la fois d’assumer une vie et de se définir une éthique. La tâche, pour le moins nouvelle, le paralyse. Cette stérilité est d’autant plus embarrassante qu’elle renforce le sentiment d’inutilité du poète qui peine à trouver sa place dans une société en mutation, désormais industrielle et marchande. La Grande Bretagne est le pays qui connaît le plus précocement sa révolution industrielle ; le pays d’Adam Smith et de Watt acquiert dès la fin du XVIIIe siècle un degré d’avancement inégalé en Europe. Et sans doute ce climat propice au progrès, où les mentalités évoluent, où se redéfinissent les rôles de chacun, a-t-il inconsciemment travaillé le poète. Un malaise qu’il a exprimé dans « Resolution and Independence », un poème de 1802. (...) Il est rendu à son inutilité au sein d’une société dont il n’assume pas le nouveau fonctionnement, à la terrible contradiction d’un indéniable talent dont rien n’atteste la vraie valeur. » Maxime Durisotti, extrait de:
- Maxime Durisotti, Wordsworth
23-4.-↑ Le poème de Louis Aragon:
Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche
En entier sur:
- Un jour, un jour… Louis Aragon
23-5.-↑ - "Mieux vaut péter dans la colle". Acrostiche de l'auteur (pas plus fier que ça, d'ailleurs… Reproduction avec la mention: "© Christian Jodon, site sos-valdysieux.fr". Merci)

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Georges Brassens sur YouTube: "L'enterrement de Verlaine" ( Poème de Paul Fort )

- Georges Brassens chante Villon et Verlaine grâce à YouTube; autre accès
- François de Montcorbier dit Villon, né en 1431 à Paris, disparu en 1463

Le Partiment des Nixes…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.

 (24-1↓ ) C'est quoi, ces trucs-là ?

Chamaillerie sémantique entre Élisée et Nathalia…

Le jour du "Dernier Chemin pour les Amoureux", Élisée achevait à peine sa véhémente objurgation contre la Di Tonta, "gréviste à la vraie vie", qu'il entamait une chicane avec Nathalie. Encore qu'il éprouvât une sympathie colorée de respect pour la jeune fille, pas flagorneur pour deux sous, il dépréciait méprisamment sa conception du "jeu-parti".
— « Vous appelez ça "jeu-parti" mais ça n'est qu'une déclamation poétique. Vous pouviez appeler ça des "Floralies" par évocation des fêtes romaines à la déesse Flore, si adorablement peinte à la Renaissance, par le "Petit Tonneau", Sandro Botticelli. Vous auriez distribué des Fleurs d'argent: la Violette, l'Églantine pour les sonnets, le Souci pour les ballades, l'Œillet pour l'encouragement, le Laurier de Vermeil ou le Liseron d'Or… »
  Nathalia rétorquait du tac au tac:
— « Eh! dites donc, l'érudit, vous nous prenez pour des poètes chevronnés ! Mais nous ne sommes que des grimauds frais émoulus de maternelle. Vous, le vieux renard dans son terrier de bouquiniste, voilà des décennies que vous affûtez vos connaissances au fil des lectures. Vous auriez mieux à faire de nous donner un cours sur le "jeu-parti" que de nous critiquer. Considérez plutôt le mal que nous avons, à l'heure du match de foot et du tatami, de racoler quelques garçons pour en faire des troubadours. Quant à leur faire débattre en vers à l'impromptu sur des sujets philosophiques, je dirai que ça passera en seconde urgence, quand il sauront orthographier la conjugaison du verbe "chanter", le pluriel de vingt et cent et la "ballade" qu'on compose en faisant une "balade" ! Si, pour l'instant, on leur donnait un peu de goût pour la poésie, ça n'serait-y pas "l'enjeu-parti" le plus gratifiant ?»

— « C'est juste, gracieuse damoiselle, concéda le bouquineur troglophile. D'accord pour donner un cours de "jeu-parti". Mais vous, il me semble que vous saviez déjà ce qu'était le "partiment" ?»
La "damoiselle" apostrophée ne paraissait pas plus que ça pressée de répondre; aussi, pour la tirer d'embarras, poursuivait-il rapidement:« C'est une dispute rimée entre deux poètes. Chacun développe sa thèse sur un sujet préalablement choisi et qui comporte deux réponses. Par exemple, on cite souvent la controverse, le "partiment" de Pierre Trencavel d'Albi, et de Raymond Cornet. Ils doivent défendre une des alternatives à :« Est-ce mieux de vivre fou parmi les sages ou sage parmi les fous  » Alors, Trencavel choisit d'incliner à "vivre fou parmi les sages"; Cornet penchera pour être un "sage parmi les fous ". Et c'est en strophes rimées qu'on en débattra… »
— « Pigé, dit la damoiselle. L'agrégé de Français nous en avait déjà parlé. Eh bien, je vous propose de nous faire un exposé et à la fin, que vous et moi débattions en rimes sur un sujet donné !» Mais elle hésitait, se sentant mal assurée pour rimer à la volée sur un sujet survenant à l'improvisade. Elle demanda d'en fixer elle-même le sujet afin de préparer ses vers par avance. Bafouiller n'aurait que des inconvénients: lasser très vite les jeunes muses et faire pouffer de rire les troubadours…»

Après réflexion, elle proposa au Poète des Profondeurs le sujet suivant: « Qu'est-ce qui est préférable pour un homme: être un époux fidèle adoré par son épouse ou bien l'amant volage de plusieurs femmes légères » Elle ne s'étonna guère de voir son aîné se jeter sur la seconde option et se contenta très bien de la première. Mais elle exigea, pour en préparer sa versification, une certaine forme: la controverse alternerait des quatrains de vers octo ou hexasyllabes à rimes embrassante  (24-2↓ ) . Sitôt dit, sitôt accepté par Élisée.

Des Nuages noirs sur le Jardin Courtois…

Quoique doté par un médecin véreux — très engagé dans la spéculation immobilière de Villeneuve  — d'un fort utile arrêt de travail, encore que "technichien-de-surface" militant-chômeur, Ramsès II La Carotte n'était pas inactif…

La momie "Ramsès II La Carotte" en congé de maladie  …




Momie

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Débordant d'initiatives, il avait tenté, avec un succès mitigé, de réintégrer le ramassage scolaire du lycée. Il se sentait reconsidéré de monter désormais la garde aux portes d'un collège, attendant impatiemment la sortie de la Gréviste Di Tonta. Laquelle syndicaliste s'était découvert une attirance compassionnelle pour cette victime de l'odieuse oppression bourgeoise. On la trouvait, à peine franchie la porte du collège, accolée bouche à bouche à une momie, manifestation militante supposée attendrissante de la "Vraie Vie" contre le goulag des pions ! Provocation courageusement révolutionnaire ! Estampillée, d'ailleurs, par le grand boxon soixante-huitard… 

Quant à la Momie-Carotte, elle entendait démontrer aux foules estudiantines à quel point ce facho de Cuisance, juste retour des ergastules de la Villa Sesini, sur les hauteurs d'Alger, et nostalgique de la gégène, s'était défoulé lâchement, de toute sa taille, sur un pauvre "enfant" diabétique ! Moyennant quoi, plus il se montrait et faisait orale publicité comme batteur d'estrade éprouvé, plus le prof était tranquille en classe et respecté des imbéciles, y compris des collègues enseignants… Même la Khozgot le saluait bas et l'escogriffe Beauserfeuille en rajoutait… Et lorsque Cuisance, arrivant en retard, fit un simple geste du doigt pour montrer la sortie à la Momie qui s'enfuit tout penaude, il trouva le pipelet et Rosenschwein qui l'observaient derrière la vitre de la loge et qui, échangeant un regard entendu, en lui faisaient un large sourire… Lequel en disait long sur la soudaine considération que l'instit avait, en trente seconde et un pointant l'index, gagnée !

Le mercredi était le jour de fainéantise des cancres, occupés dès l'aube — chantant matines à dix heures — à se procurer un pétard au prix de quelque entourloupette ou à s'inventer parmi la plaisante variété des tracasseries, mauvaisetés ou bassesses, des perfidies, des turpitudes et perversions, ce qui, de la taquinerie la plus rigolote à la scélératesse la plus vache serait digne d'occuper leur "Vraie Vie".

C'était le jour d'arrivée du journal d'annonces local. C'était gratos: premier jeu, piocher large dans les énormes piles déposées au seuil des échoppes et les jeter à hue et à dia dans l'auguste geste du semeur… sous l'auguste halle du Treizième Siècle… Ensuite, on pouvait travailler sur le fonds. La page excitante était celle des pédés: une page entière (et même, les bons jours, ça débordait de prosélytisme sur la page nécrologique !) des petites réclames gays, lesbiennes, bisexuelles, tous-azimuts, pour polyvalents, pédophiles, zoophiles, voyeuristes, exhibitionnistes, bref ! Tout ce qu'il était intéressant "de téléphoner". La Carotte regrettait toutefois qu'on n'y fît que rarement publicité pour la scatologie, la nécrophilie ou le sadisme… « Les plus poilantes… !» Alors, suivant la bonne fortune du jour: décès de la grand-mère de province, voyage d'affaire du vieux au Sri Lanka, croisière d'entreprise de la mère en Gambie, stage de formation des parents aux Trottoirs de Manille, instance de divorce à Bangkok, la joyeuse bande squattait tel ou tel pavillon, tel garage, telle cabane de jardin: tout étant bon pourvu qu'on y disposât d'un téléphone. Commençait une longue traque aux sites pornographiques, chacun-chacune s'étant spécialisé dans un "genre"; on était déjà, ayant assimilé le vocabulaire, très crédibles et on obtenait des contacts éducatifs… et fort congruants à la "Vraie Vie"

Mais à la longue, ça devenait répétitif. C'est alors que, dans un violent effort épistémologique, la Gréviste Di Tonta proposa de téléphoner au prof de science; ce qui fut voté d'enthousiasme mais provoqua certains défaitismes au moment de choisir l'exécutant. La Portugaise anti-jaune vit rouge et dit: « Tas d'dégonflés, moi j'fonce !». Jean-Loup était sur son toit, altitude dix mètres, à réparer une souche de cheminée foudroyée. Il dut descendre de son perchoir pour répondre et c'était dangereux. Jusque là, ça baignait dans l'huile pour les conjurés. Pour le mieux, le prof aurait bien pu se tuer…
 Il avait l'ouïe fine et dès les premiers mots il reconnut la Di Tonta; elle l'avait suffisamment tanné lors du "Dernier Chemin pour les Amoureux"… Ses théories hautement séditieuses lui avait laissé leur diapason dans l'organe de Corti… Elle attaquait:
— « Bonjour, Jean-Loup ! C'est ta petite sex-hôtesse habituelle qui te téléphone pour ta petite gâterie du mercredi !»
  Le Prof, un peu estomaqué du culot de la goton, se résolut à rester calme et à "jouer le jeu", ayant flairé dès la première seconde que de simple passade ça pouvait virer à la persécution téléphonique; au contraire, en montrant dès la première seconde qu'il avait localisé l'épidémie, il pouvait lui donner la douche froide et faire tomber l'euphorie:
— « Bonjour, ma charmante élève, Mademoiselle Di Tonta, n'est-ce pas: qu'est-ce que je peux pour votre service ?»
  S'entendant dévoilée d'emblée, toute autre eut raccroché vite fait, s'en serait couru à la maison se prendre la tête entre les mains pour connaître à fond sa leçon de science nat du lendemain. Mais la maritorne avait tant d'aplomb qu'après quelques bégaiements elle trouva l'audace d'en remettre une couche.
— « Jean-Loup, dit-elle, dérogeant sans respect au vousoiement réglementaire qu'elle pratiquait en classe, je voudrais que tu me dises si… la forme de mon visage te plaît ?»
  L'Instit qui s'attendait au pire eut un soupir de soulagement: elle n'avait pas mis la barre trop haut !
— « Charmante élève, j'aime tout à fait l'ovale de ton visage. J'espère avoir bien répondu et maintenant, je te prie de m'excuser mais je suis en plein travail !» Il s'était aperçu, en raccrochant, qu'il avait, lui aussi délaissé le vouvoiement administratif mais ça lui parut de bonne diplomatie. Il était embarrassé, n'ignorant pas les méfaits du magnétophone, mais il n'y eut pas de suite désagréable. Au contraire, le lendemain, il fut surpris de voir la Di Tonta ( toujours à la bourre d'habitude ), qui entrait la première et le saluait d'un « Bonjour, Monsieur !» de bon aloi adorné d'un sourire enjôleur. Il se sentait presque adoubé dans la "Vraie Vie"; aussi, n'étant pas sûr qu'elle sût sa leçon, il ne l'interrogea pas pour ne pas casser l'armistice. Après tout, il marquait un point sur La Carotte, un adversaire "à sa hauteur"!

Vers quatre heures, les sonneries d'alarme du collège retentirent et se pointa à la porte de la classe un Rosenschwein rubicond, essoufflé, baigné de sueur qui lui intima l'ordre de faire sortir en bon ordre les élèves dans la rue: « Jeunes gens, vous rentrez chez vous par le plus court chemin; ceux du ramassage attendent le car sur le trottoir du collège !» Le prof le suivit dans le couloir pour l'entendre expliquer qu'il venait de recevoir une alerte à la bombe. Jean-Loup éclata de rire: « La Carotte, Monsieur le Directeur; pas de raison de s'affoler !»
— « Sûr, dit le patron, mais je préfère vous faire sortir par précaution. » Ce qui fut fait dans le plus grand calme…

La Gendarmerie, cette fois, talonnée par l'Académie, prit la chose au sérieux, commençant à comprendre les risques encourus par la société à prêter l'oreille aux voyous tout en incriminant les enseignants. On rechercha Ramsès II La Carotte. On ne tarda pas à trouver la momie au pied d'un énorme poteau Forclum de béton. Armé d'un chaîne de bicyclette, l'idiot de village s'escrimait à fustiger l'énorme bitte EDF avec une violence inouïe qu'on n'aurait pas attendue d'une momie, même pharaonique. Il hurlait en cadence, scandant ses coups d'invectives ahanées: « Cuisance ! Cuisance ! Cuisance !» Cette fois le brigadier-chef Brunoy comprenait qu'il avait à faire à un dément… On le coffra pour quelques heures, le temps d'une douche froide. Par la suite, on le surveilla et l'on en fit rapport au procureur.

Jean-Loup eut la faiblesse de commencer à le prendre en pitié, connaissant la façon dont des adultes présumés responsables, l'avaient bassement manipulé. Cependant, il restait furieux et angoissé par la situation où cet imbécile l'avait mis, se conformant avec une prévisibilité déconcertante aux anticipations de Marx: « Quant au sous-prolétariat, cette pourriture passive des couches inférieures de la vieille société, (...) ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre et se livrer à des menées réactionnaires… » Cette "mécanique", lisiblement dirigée contre l'écologiste du coin, était trop révoltante…

Au fort de l'action, Jean-Loup se remémorait l'imprécation de Booseveld: « On va lui coller La Carotte dans les pattes; ça lui f'ra un adversaire à sa hauteur… » Il s'était dit en son for intérieur qu'il était l'agressé, bien dans son droit de se défendre; que le voyou voulait prouver tant aux autres qu'à soi-même que n'étant rien intellectuellement ni moins encore socialement, il était le fier-à-bras des hameaux… Il fallait donc, coûte que coûte, empêcher le rossard de se forger une légende à ses dépens… Il était aidé par l'incroyable teigne du malandrin, lèpre hargneuse de la société, indécrochable malgré les horions. Il allait donc au charbon mais songeait déjà: «Tout est perdu, fors l'honneur». Et s'imaginait d'écrire un jour à sa mère: « De toute chose ne m'est demeuré que l'honneur et la vie qui m'est sauve  »… Obligé de vendre "Les Gais Combats", voire emprisonné pour servir une pension à l'idiot de village agresseur de son bébé, l'amour de sa vie. Il l'engraisserait d'une rente providentielle qui l'ôterait définitivement à la responsabilité de sa famille de tire-laine, et qui même pourvoirait à leur après boire ! Contraint à la prison et au chômage, divorcé, privé de la garde de son poupon bien-aimé, il tomberait dans la déchéance morale et la décrépitude physique des sans travail et des sans logis…

C'est alors qu'à l'instance de son avocat, il se décida d'écrire au procureur de la République en portant plainte pour faux témoignage.

Le Partiment de Nathalia et d'Élisée.

Élisée rappela les définitions du "Jeu-parti", de la "tenson et du partiment" comme promis puis s'étendit mollement sur les nix et les nixes, spécifiant qu'il ne fallait pas les confondre avec leur homophone : la "Nyx", déesse de la nuit grecque…
— « Les nix , dit-il, ce sont des ondains, des ondines, génies et nymphes des eaux dans la mythologie germanique et nordique. Ne les confondez pas avec Nyx, déesse de la nuit… !» Et comme il n'est pas facile aux potaches de collège d'entendre l'orthographe, il leur épela les trois graphies (24-3↓ ) 

— « Oyez ! Oyez, bonnes gens, le partiment de Nathalia joutant contre Élisée. Trouvère et trobaïritz débattront en vers octosyllabes et quatrains. Ainsi chicaneront-ils de l'éternelle philosophie: « Qu'est-il mieux pour un homme ? Premier "dit" défendu par la trobaïritz Nathalia: "Mieux vaut être un époux fidèle adoré par son épouse". Ou bien, deuxième alternance: "Il vaut mieux être l'amant volage de plusieurs femmes légères"; ce sera le "contredit" du trouvère Élisée des Profondeurs. Pour la courtoisie, c'est la trobaïritz qui commencera. Oyez ! Oyez, bonnes gens, oyez !»

Ainsi tambourina le troubadour Adam de la Halle, et n'aurait plus manqué que de trompeter haut et clair pour que ça soit comme au cinoche…

Le Partiment de Fidélité ou d'Inconstance

Ainsi la Dame commença:

Le partiment de l'Épouse fidèle
Ou La Joie des amours constantes.

Le soir où nous ferons alliance
Tu m'enlèveras mes atours
Et tu te griseras d'amour
Sans souci de la convenance

Répons de l'Homme:
Les Nixes nicettes de Val Grisette
Ou La Félicité de l'Inconstance

Ce soir de griserie prolixe
J'irai vers la Grisette
Y faire la causette
Pour charmer et niquer les Nixes

La Dame
Tu m'aimeras en permanence
Et sans un brin de désamour
Et je resterai pour toujours
L'objet de ta concupiscence

L'Homme
Le soir avec des cris de Strix
J'irai par les roseaux
Hululant sur les eaux
Tripoter et niquer les Nix

La Dame
Pour montrer ma reconnaissance
A jamais tu n'auras débours
A te faire faire des mamours
Toujours avec ma complaisance

L'Homme
Un jour qu'en vain je ne préfixe
J'irai aux nénuphars
Me présenter sans fard
Pour séduire et niquer les Nixes

La Dame
Sans jamais de belligérance
Tu seras caressant toujours
Je serai mi-soie mi-velours
Pour témoigner mon allégeance

L'Homme
Un soir trop courbatu de rixes
J'irai déculoté
Sans changer de livrée
Retrousser et niquer les Nixes

La Dame
L'hiver mâle de luxuriance
Tu n'auras jamais les doigts gourds
Quand aux soucis nous seront sourds
Au creux de notre complaisance

L'Homme
L'hiver chassant le Trionyx
J'irai bander mon arc
En érotomaniaque
À la mare où niquer les Nix

La Dame
L'été feras par prévenance
Et seras dans l'esprit glamour
Le plus ardent des troubadours
Et t'en ferai réjouissance

L'Homme
En été dans les Tamarix
J'irai rêver d'amour
Et sans aucun atour
Chatouiller et niquer les Nix
 (24-4↓ ) 



Comme il s'y fallait attendre, à tout moment les garçons s'esclaffaient. Seule la frimousse de Mini-Mas, la Fée Mélusine, restait fermée, réprobatrice. Comme le partiment s'achevait, elle se leva vivement, criant: « Moi, moi ! Je veux être le Juge du Partiment !» On fit droit à sa requête. Elle attribua la palme à Nathalia disant que tant pour la forme, assez régulière, avec toujours huit pieds, c'était bien fait; et que pour le fond, c'était moral encore que, par moment osé; mais on pouvait l'accepter d'une bonne épouse.
  Quant au Troubadour, il avait bafoué les bonnes manières en utilisant un langage des banlieues qui n'avait rien à voir avec la Cour d'Amour ! Elle jetait: « Mais vous nous prenez pour qui ! On n'est pas des "Vanikétamère" ! Gardez votre langage pour la pègre des banlieues !»
Gentiment, le Poète des Taupinières s'excusa concédant: « Navré de vous avoir choquée, charmante petite Mademoiselle. Mais sachez que vous avez devant vous le seul poète qui, après Mallarmé, ait achevé un poème en X. Ça n'est pas si facile et reconnaissez que j'ai pris un peu de peine pour vous (24-5↓ ) … Et sachez encore que les jeux du Moyen Âge se terminaient parfois par des échanges d'injures homériques… » La poupée lui répondit que son poème était immoral et bon pour les "obsédés sessuels" mais qu'elle prenait acte que c'était un amusant poème pour les rimes en X.

Élisée se rendait compte qu'il était allé trop loin pour d'aussi pures oreilles; mais il s'était amusé d'entendre rire les garçons. Et, gagné pour perdu, au moins l'homophonie conjuguée à leur faiblesse en orthographe, avait-elle permis que les ingénus passent à côté du pire… Ça aussi, ça l'amusait.

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 24:   ( Sauter les notes de section 24 )
24-1.-↑ Chez les Troubadours, la tenson est une discussion dialoguée en vers où chacun des deux troubadours soutient son opinion. De plus,  dans le partiment (qui est une forme de tenson) on pose comme sujet de la discussion une question à deux solutions contraires: chaque poète défend une des deux thèses de son choix. Par exemple, on pose le problème: « Vaut-il mieux vivre fou parmi les sages ou sage parmi les fous ». Et chacun des débateurs défend l'alternative qu'il choisit… Ce sont les poésies dialoguées de même espèce qu'on regroupait sous le titre de "Jeux-partis". On voit que nos muses du "Jardin Courtois" on effectivement pris un peu de liberté avec ce terme…
Les nixes? ce sont des ondines, génies et nymphes des eaux dans la mythologie germanique et nordique. Ne pas confondre avec Nyx, déesse de la nuit des Grecs. (Nb: on peut se contenter de savoir ça; la suite de cette note pour les curieux…)
Sur les formes de poésies du temps des troubadours, un bon ouvrage:
- Acheter l'ouvrage: Histoire des Jeux Floraux de F.de Gélis chez Slatkine; Nb: entrez "Jeux Floraux"dans la case "Recherche"
Histoire critique des jeux floraux, depuis leur origine jusqu'a leur transformation en Academie, 1323-1694. (Première édition: 1912). Disponible: Oui; Prix chf ht: 100f suisses; Slatkine Lieu d'édition: Genève; Parution: 01.01.81; Format: in-8; 436 pages relié 1 volume.
   Court extrait page 54:
"C'est encore aux Lois d'Amour que nous emprunterons la description de la Tenson et du Partiment. « La Tenson est une discussion dans laquelle chacun soutient son opinion. Cet ouvrage procède quelquefois par nouvelles rimées, et alors il peut avoir vingt ou trente strophes, ou même plus; d'autres fois par couplets, et dans ce cas il n'en a guère que six à dix. Il se termine par deux tornades dans lesquelles les deux partis élisent un juge qui termine le plaidoyer.»
« Le Partiment est une question à deux solutions contraires dont on donne le choix à un tiers, pour soutenir celle qui lui plaira.»
Entre ces deux genres, l'analogie est grande, on le voit, et la différence, s'il en existe, d'autant moins sensible que tous deux s'écrivaient sur des couplets de même facture et se chantaient sur les mêmes mélodies. Aussi avait-on pris l'habitude de les désigner, ainsi que toutes les poésies dialoguées de même espèce, sous le titre de Jeux-partis. Le Jeu-parti où Raymond Cornet discute avec Pierre Trencavel, d'Albi, peut servir de modèle: le premier de ces interlocuteurs invite un rival à choisir entre l'éventualité de « vivre fou parmi les sages ou sage parmi les fous ». Trencavel opte pour la première solution, Cornet soutient la deuxième, et la discussion ne tarde pas à s'envenimer. Suivant l'usage adopté, les deux adversaires se lancent alors les plus grosses injures à la tête et se livrent à d'outrageantes personnalités.
A bout d'arguments, Cornet propose de soumettre le différend à Arnaud Daunis, « fleur des bons Troubadours », mais le poème s'arrête avant que le juge du concours soit intervenu.
Autre exemple : Guillaume Gras propose à Raymond Cornet cette question : « Vaut-il mieux être riche avec insolence ou pauvre avec modestie? Faire le bien malgré ses vices, ou pratiquer la vertu sans pouvoir rendre service à l'humanité? Gras choisit la richesse, Cornet la pauvreté. Après un violent mais infructueux débat, Gras demande l'arbitrage de Guillaume de Fontanes. Cornet accepte, mais à condition qu'à Guillaume de Fontanes on adjoigne son frère Jean La décision des juges, formulée en deux couplets, ne laisse pas que d'être originale: Guillaume de Fontanes prend parti pour l'adversaire de son client et se prononce pour la pauvreté; Jean se range à l'avis contraire et préconise la richesse.
Le Jeu-parti est, comme on voit, un reste des tournois poétiques qui se pratiquaient dans les anciennes Cours d'Amour; il a conservé, de ces temps primitifs, une sorte de rudesse sauvage et de brutale naïveté." (...)
Sur François de Gélis:
- Renseignements biographiques sur François de Gélis
Bref extrait de cette page: "Gélis François; de François Urbain Marie dit François d'Hers; 5 décembre 1852 à Lisle-sur-Tarn (Tarn) - 12 août 1936 à Villenouvelle (Haute-Garonne) (...) Académie des jeux floraux: mainteneur"
- L'Académie des Jeux Floraux
Bref extrait de cette page: "L'Académie des Jeux floraux (occitan, Acadèmia dels Jòcs florals) est une société littéraire fondée à Toulouse au Moyen Âge, sans doute la plus ancienne du monde occidental (...) (…en 1323 par plusieurs poètes (Clémence Isaure…) qui se réunirent pour former ce qu'on appela le Consistoire du Gai Savoir). Elle doit son nom aux jeux floraux, fêtes célébrées à Rome en l'honneur de la déesse Flore. Lors de concours qui ont lieu chaque année, les membres de l'Académie, appelés « mainteneurs », récompensent les auteurs des meilleures poésies."
- Important PDF par Isabelle Luciani, sur les Jeux Floraux
Bref extrait de ce PDF: "Le mythe fondateur de Clémence Isaure semble apparaître à la fin du XVe siècle dans l’enseignement d’un jurisconsulte, Guillaume Benoît ; il s’impose au XVIe siècle (Cf. Isabelle LUCIANI, « Littérature et espace public : la mémoire négociée des Jeux floraux (XVIe siècle – première moitié du XVIIe », dans Les Voix de la nymphe aquitaine. Écritures, langues et pouvoirs. 1550-1610 (...)"
- Accès au livre de Gélis sur Google-Books


24-2.-↑ Dans le premier quatrain ci-dessous, les rimes sont alternées ou croisées:
C'est le printemps, vient-en Pâquette
Te promener au bois joli
Les poules dans la cour caquettent
L'aube au ciel fait de roses plis…
Guillaume Apollinaire

Dans le second, elles sont embrassées (ou embrassantes):
Pâle étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d'azur au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine ?
Alfred de Musset

Dans le troisième, elles sont plates ou suivies:
Du palais d'un jeune lapin
Dame belette, un beau matin,
S'empara: c 'est une rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Jean de La Fontaine

Les octosyllabes sont des vers de huit pieds (premier quatrain).
Les dodécasyllabes ont douze pieds: on dit: des "alexandrins". (Musset)
On voit que La Fontaine avait une métrique changeante qui fait souvent son charme.

- Une École de Poésie
- Le Portail de la Poésie de Wikipedia
- Intéressante page de poésie de Wikipedia
24-3.-↑ Dans le dictionnaire du CNRTL: "Plusieurs dict. du xixe s. enregistrent le masculin "nix", "génie des eaux, chez les Germains" (Lar. 19e). Prononc.: [niks]. Étymol. et Hist. 1. 1832 nix masc. «génie des eaux» (Raymond); 2. 1844 nixé (Th. Gautier ds La Presse, 1erjuill., p.[1]); 1852 nixe fém. (Nerval, Lorely, p.6). Mots all., Nix masc. «génie des eaux», Nixe fém. «nymphe des eaux». Fréq. abs. littér.: 11. Bbg. Colomb. 1952/53, p.426."
- La définition des "nixes" dans le CNRTL

24-4.-↑ Les mots du Partiment: - Nixes nicettes: voir note 1; expression inventée par Guillaume Apollinaire
- Strix: différentes espèces de chouettes et, p. ext., tous les rapaces nocturnes.
- Trionyx: Assez grande tortue carnassière des eaux douces d'Amérique du Nord, d'Afrique et d'Asie du Sud-Est
-  je ne préfixe: je ne fixe pas par avance; cf CNRTL: préfixer: vx. Fixer par avance selon la loi (un terme, un délai). Préfixer un délai. (Dict. xixe et xxes.). Les dates de ces remboursements échelonnés ont été préfixées (Davau-Cohen 1972). B. - Rare. Fixer d'avance.
- luxuriance: d'après CNRTL: ici: Caractère (d'une personne, d'un animal dont les formes épanouies donnent une impression de vigueur). Le plus souvent: Caractère luxuriant d'une plante, de végétaux. La luxuriance d'un massif d'hortensias.
24-5.-↑Sonnet en X de Mallarmé sur le site de Mathieu Girerd
Sonnet en X, Mallarmé

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore

Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser ses pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)

Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,

Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli formé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor.

"J'extrais ce sonnet, auquel j'avais une fois songé, d'une étude projetée sur la parole : il est inverse, je veux dire que le sens, s'il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poésie qu'il renferme, ce me semble) est évoqué par un mirage interne des mots mêmes. En se laissant aller à le murmurer plusieurs fois on éprouve une sensation assez cabalistique. C'est confesser qu'il est peu "plastique" comme tu me le demandes, mais au moins est-ce aussi "blanc et noir" que possible, et il me semble se prêter à une eau-forte pleine de rêve et de vide."
Mallarmé, Lettre à Henry Cazalis (Juillet 1868)

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Origine des images animées:( À noter que j'ai dû programmer moi-même le déplacement du sujet, tous les dessins et animations "sur place" étant à créditer à de (très) bons dessinateurs dont les noms ne sont pas fournis. Merci à eux ! cj)
Pour ceux qui sont amusés par les images GID animées; on les trouve sur Google (ou autre moteur de recherche) en tapant "GIF animés". Celui-ci vient de la collection quigif.com; pour s'y rendre, cliquer ci-dessous, une des URL:
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Jean-Loup aux prises avec la Justice.

"Dura lex, sed lex" (25-1↓ ) 

Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
La Convocation.

Jean-Loup fut étonné de la rapidité avec laquelle arriva la réponse du Procureur; mais c'était une convocation… Mauvaise ambiance… l'incarcération se rapprochait ! Il dut bien se rendre à la convoc; il prépara photos et témoignages et partit comme un chien battu. C'était un mercredi pluvieux…

  Il y avait une sacrée trotte jusqu'au chef-lieu; il pesta contre les ralentissements. D'année en année, on mesurait à vue d'œil le flux de béton des lotissements et, parallèlement, le mascaret rageur des bagnoles… Ne manquerait plus qu'une collision pour couronner la journée ! Au Palais de Justice, il fallait ramer ferme pour gagner le bon port… Un huissier le fit asseoir entre quelques voyous menottés, leurs gendarmes et des robes noires. Il l'annonça au Proc et, le temps d'un entrebaillement de porte, une voix grave et forte intima de faire attendre…

Une fois de plus, il remémora sa chienne de vie. Le bébé de cinq ans qui comprenait l'angoisse de la situation: le déchirement du père qui part mourir sous les drapeaux… Exode… Retour dans les wagons à bestiaux… Le père prisonnier de guerre; la mère chômeuse; chaque nuit l'alerte, la descente angoissée au sous-sol dans le bruit écrasant du stream des bombardiers et les claquements de la flack nazie… Le froid. La faim. La peur. Un jour, la mort: vingt minutes de terreur sous la maison détruite… Et puis, c'étaient ses dix ans: la Libération, le 8 mai 1945, le retour du père… La faim pire encore: il faut rebâtir la France dévastée: « Serrons-nous la ceinture, ça ira encore mieux ». Bidault, le "chevalier sans beurre et sans bidoche" des chansonniers qui , eux, ressuscitaient la défunte gaieté avec leur "Ploumploum, tralala" ! Ah ! Jean Nohain ! Mais aussi les études si dures: le train toujours en retard à cause des ponts détruits par les Allemands en retraite. Les locomotives détruites par les Alliés qui paralysaient les approvisionnements de l'ennemi…

« Bon sang, qu'c'est long cette attente !» Le couloir est froid et enfumé. Quel voisinage ! Qu'est-ce qu'il me veut, celui-là. J'en ai pas assez bavé pour la France ? »

Pas drôles les études. Quoi, sept ans à passer au lycée ? Quoi, quatre à souffrir de claustrophobie dans une école normale d'instits ? C'est pas possible ! Je vais sortir de là-dedans avec la barbe de mon grand-père ! Et puis, tout juste réchappé de cette école de rigueur, l'armée ! Pas de chance, et pas de cadeau pour le fils de prisonnier: comme par hasard, on est en pleine épidémie de guerres coloniales… L'empire gigantesque des capitalistes du XIXème siècle barre en couille ! D'ailleurs, tous les empires s'écroulent ! Dien Bien Phû ! Ça tombe mal, c'est à ce moment-là qu'on m'appelle pour le service militaire. La Toussaint Rouge: de mieux en mieux ! Tizi Ouzou ! « Les yeux sont crevés, les corps vidés de leurs entrailles et bourrés de cailloux. Les testicules ont été coupés, et les pieds, dépouillés de leurs chaussures, sont zébrés de coups de couteau. » (25-2↓ ) … Et le journaliste, par pudeur, ne décrit pas tous les détails... Fallait voir les photos ! Les parties génitales enfoncées dans la gorge pour étouffer les survivants de l'embuscade !…

« Bon sang, qu'est-ce qu'il fait; il a dû tomber sur Mesrine ! Le couloir est glacé. Ma foi, quitte à me retrouver sous les verrous, autant le plus tard possible ! Qu'est-ce qu'il me veut, pourquoi m'avoir fait déplacer ? »

Une histoire étrange de son noviciat d'officier de réserve à Châlons-sur-Marne lui revint en mémoire. Il essaya de la chasser mais elle revenait avec insistance au moment où il se disait que les troufions survivants qui voyaient tel spectacle d'horreur étaient peut-être excusables de succomber à une folie de revanche… dont parfois des civils avaient pu souffrir ! Dès le 15 janvier 1955, dans l'Express, François Mauriac avait dénoncé des sévices commis en Algérie par l'armée française. Ces pratiques inquisitoriales révulsait profondément Jean-Loup. Aussi, lorsqu'au moment de monter dans le train des permissionnaires vers la gare de l'Est, il avait vu, pendue à l'étalage de presse une manchette énorme où JJSS (25-3↓ )  dénonçait son expérience de lieutenant rappelé en Algérie, il s'était jeté dessus avec curiosité. Installé dans un wagon de seconde pour ne pas y faire de fâcheuses rencontres, il allait en faire une de taille… Ayant déplié en grand son hebdo, l'attention fixée par sa lecture, il présentait au voyageur d'en face, sans bien s'en rendre compte, l'énorme manchette dénonçant les tortures à côté du visage bien connu du directeur du journal. Horreur ! Ayant replié sa gazette, il découvrait la tête du passager, lequel, quoique vêtu de civil ne donnait guère le change: c'était le colonel commandant l'école d'artillerie ! Dans l'œil du haut gradé, il pouvait lire en clair la réprobation; mais comme il voyageait incognito, l'homme ne dit rien et ne le rappela pas lorsqu'il trouva son salut dans la fuite… Mais l'affaire ne s'arrêtait pas là.

Comme la fin de la formation arrivait, le commandant de promo fit rassembler sur le terrain de Mourmelon la totalité des aspirants sous-lieutenants.
 C'était son copain de chambrée, son co-équipier du Bou Maad, Laurent Whallberg, l'étudiant en droit de la fac d'Alger, qui tenait la vedette. Dans une vaste clairière d'un bois ravagé toujours par la mitraille de 14/18, le brain-trust de la promo dont le pied-noir paraissait tout-à-coup être une cheville ouvrière, avait organisé une sorte de psychodrame à la Moreno (25-4↓ )  son ami était le personnage central: le "bougnoule". Il avait revêtu, pour faire plus vrai, une djellaba dénichée dans on ne sait quel souk de Châlons. Il parlait avec un talent qui le rendait crédible, un français petit-nègre mâtiné d'accent de Bab El-Oued des plus drôlatiques. En face de notre cabot, un autre élève-aspirant tenait le rôle du lieutenant de renseignement.

  Le dialogue fut plaisant; on devinait qu'il commençait par des saluts aimables:
  Le lieutenant: « Sabah el khair !»
  Le pied-noir "djellabelisé": « Sabah el noor. Marhaba !
— Assalam’alaikoum !
— Inshaallah ! Alaikoom assalam ! Ahlan wa-sahlan !
— Al hamdu lillah !
— Matha toreed ?» dit "l'indigène" (25-5↓ ) .

 Ça ne pouvait pas durer ! Petite confrontation entre la curiosité et la mauvaise foi:
 « Asre’a ! As-tu vu des fellaghas ? Hrou ia Djounouds ? Kam ?
— Marra ! (une fois)
— Kam; combien ?
— Lusto Adri ! (je ne sais pas)
— Mata; quand ça ?
— Lusto Adri ! (je ne sais pas)
— Ouara; où çà ?
— Honak ! (Par là ! il indique vaguement une direction: presque le tour d'horizon)
— Tu t'fous d'moi, halouf !» (ça se gâte; le lieutenant le traite, sans précaution oratoire, de cochon, l'injure suprême…)

Ensuite, c'est une dégringolade de coups de bâton de marche du militaire sur une djellaba manifestement rembourrée; ça pleut d'une manière tellement bon enfant que, mon Dieu, si c'est ça la torture en Algérie, y'a pas d'quoi… fouetter un chat ! C'était bien là qu'on voulait en venir: dédramatiser le problème et présenter les violences militaires comme la fessée de papa au chenapan qui a mis le doigt dans la confiture. Combien sont-ils dans la clairière où étaient tombés, pour la victoire, cent ou mille poilus du million qui se sacrifiaient jusqu'à la victoire pour que la France reste forte et digne; la France des droits de l'homme, le flambeau de la liberté ?

Le commandant de la promo les fait rapprocher, peut-être deux cents apprentis officiers. Il explique que, là-bas, on sera peut-être confronté à des scènes de brutalités pas belles à voir… et que notre devoir sera d'accepter … « Parce qu'on ne fait pas la guerre sans casser des œufs et que si l'on suspecte un adversaire de connaître la planque des bombes et des grenades, le malmener va permettre de sauver la vie des copains, des civils, des enfants…» Évidemment, dit comme ça… Rompez les rangs !

Une fois terminée cette séance d'adoubement, on retombait sous la houlette du chef de section, le capitaine Grossermann. C'était un Alsacien strict mais sympa qui s'était engagé pour l'Indochine, et avait, à vingt ans reçu la rosette pour avoir, à Dien Bien Phû, ramené son chef de section dans les lignes françaises en le transbahutant sur son dos; c'était lors de la perte de la colline Eliane 2. Blessé lui-même, il l'avait ramené à la petite infirmerie de campagne où s'illustrait par son courage l'inoubliablée Geneviève de Galard. La convoyeuse avait pu ramener le blessé à Hanoï dans le C-47 sanitaire de la Croix-Rouge, lequel devait être détruit en bout de piste lors de son ultime voyage, le 27 mars 1954, laissant l'héroïne prisonnière de ce piège.
 Grossermann, la bleusaille qu'il dirigeait l'admirait comme un héros de la pire bataille que l'armée française ait dû soutenir pendant cent soixante dix jours, face aux Viets, petits hommes courageux bien armés par les Russes et les Chinois…

Et voilà qu'il avait entraîné sa section dans un bosquet de pins noirs d'Autriche pas trop rabougris, au pied desquels poussaient d'énormes touffes de bolets parmi les bromes et les fétuques ovines. Les ayant resserrés, c'était son tour de faire une allocution à sa sextion; et voilà ce qu'il disait.

« Messieurs, vous avez entendu comme moi les conseils qu'on vous prodiguait comme un devoir à remplir envers votre pays. Je me permettrai de vous dire que je ne suis pas d'accord avec ce point de vue. Aimez votre patrie; remplissez vos devoirs envers elle: inutile pour ça de la salir par la torture. Vous avez aussi un devoir à remplir envers l'humanité: faire disparaître de la surface de notre belle planète la guerre et toutes les formes de cruauté. Ne torturez jamais. N'acceptez jamais qu'on vous ordonne de le faire. N'acceptez pas de le voir faire silencieusement, sans rien tenter pour l'arrêter. Sachez que lorsque je servais mon pays en Indochine, j'ai été lieutenant de renseignement et que je n'ai jamais torturé. On peut obtenir des renseignements sans torturer. Voilà. Rompez !»

  Ah ! Comme ils l'avaient aimé, ce jour-là, l'homme aux trois galons ! Après la honte que leur avait inspiré le psychodrame du colonel, l'allocution du capitaine avait réalisé dans leur conscience une catharsis qui leur rendait leur propreté, leur droiture, leur espérance en l'humanité… Ah, ce jour-là !… C'est ce jour-là qu'il l'avait méritée une deuxième fois, et "pour de bon", sa rosette, cap'taine Grossermann !

Jean-Loup qui avait lors compris qu'il y avait encore, dans l'armée de métier, des militaires imprégnés de grandeur républicaine avait maintenant des fourmis dans les jambes. « Bon Dieu ! Mais qu'est-ce qu'il est long ! Parole, c'est la bande à Bonnot (25-6↓ )  qu'il a épinglée ! Qu'il me donne l'adresse de la prison et j'y cours me constituer prisonnier, qu'on en finisse !»

Direct du Droit !

La porte du proc s'ouvrit; il en sortit une secrétaire, portant sous le bras un gros dossier, suivie d'un substitut compassé et l'on entendit la voix grave et forte qui disait: « Mademoiselle, vous photocopiez ce dossier et vous le portez sur le bureau de Monsieur le Substitut. Merci… Ah, faites entrer le suivant !» C'était son tour; il s'était dressé, l'angoisse l'étreignait: le moment de la mise en cabane arrivait. Il entra et d'emblée, reçut au visage un formidable direct du droit, à hauteur des yeux. Plus tard, d'ailleurs, il appela le phénomène "le direct du Droit". Là, carré dans son fauteuil, le Proc… c'était Laurent Whallberg, le pied-noir en djellaba de Mourmelon. Dans la fulgurance d'un éclair, il comprit pourquoi, pendant son attente, ses souvenirs avaient tourné autour de cet épisode de sa vie de troupier: la "voix grave et forte"! Sans comprendre qui était derrière cette voix, sa mémoire auditive d'ancien pianiste avait inconsciemment réalisé la réminiscence ! Et vlan ! Reconnaissant Laurent en pénétrant dans la pièce, il avait eu l'impression de prendre en plein visage un "direct au menton" ! Et le représentant du Droit, c'était donc Laurent, le sous-lieutenant du Bou Maad qu'il avait vu se jeter sur le radio pour le protéger de son corps au moment du mitraillage par le T6. Et voilà qu'il était partagé entre un restant d'angoisse et la joie de revoir son copain, celui pour lequel il avait anticipé la tragédie du retour: Laurent était bien là et il n'était pas malheureux, il avait "réussi" !

Et maintenant Laurent, content de son effet, s'était levé et prenait l'ancien sous-lieutenant dans ses bras disant: « Jean-Loup, la bonne surprise, c'est bien toi ! Dis, te souviens-tu du Bou Maad ? Te rappelles-tu le T6 et comment tu nous a sauvé la vie en ne perdant pas ton sang froid ? » Dans la détente nerveuse qui chassait l'angoisse, Jean-Loup en avait presque les larmes au yeux: « Toi, Laurent ? Ici et si près de chez moi ? Satisfait de vivre et d'avoir réussi: quelle joie de te revoir en pleine forme et en sécurité !»

  En pleine forme, certes il l'avait toujours été. Après le Bou Maad, moisissant dans l'inaction relative, le pied-noir, un géant barbu taillé en statue de Praxitèle, avait demandé à faire un stage de parachutiste. Son ambition: quitter les rappelés râleurs et traîne-savates. Faire partie de l'élite. Être le fer de lance de l'armée gardienne du sol natal ! Plus tard, compromis dans le putch des généraux, il avait dû se réfugier en Espagne. Revenu à la faveur des amnisties de 1962 et 64, il avait gravi les échelons comme son intelligence le lui permettait. Il était là, disant que c'était l'heure de se rendre au mess en entraînant Jean-Loup au Café du Palais. Au moment du kawa, le Prof eut loisir de lui expliquer l'affaire, lui montrant photos et témoignages et comment une poignée de crypto-potentats locaux avaient manipulé l'idiot de village. Laurent dit qu'il devait réfléchir à la suite à donner, qu'il lui fallait séparer sa sphère professionnelle de ses amitiés et que Jean-Loup devait ne pas lui en vouloir s'il était amené à le sanctionner. Ils se quittèrent dans un courant d'air…

Jean-Loup n'était qu'à demi rassuré. En effet, il n'ignorait pas qu'un fossé politique existait entre Laurent et lui. Le Pied-Noir avait gardé, de la bataille d'Alger, des accointances détestables. Le prof se souvenait de leur dernière rencontre, rue Michelet, le jour de sa quille. Le para l'avait reconnu et entraîné boire une anisette avec quelques paroles aigres-douces: « Alors, toujours "salopard mendésiste" ? Tu sais, les ratons, on leur en a fait baver dans la kasbah !» Le colosse d'Alger avait une belle occasion de se venger de la lecture de "L'Express" dans le train des permissionnaires… "L'abandon des colonies" n'avait été que trop prôné par Mendès-France soutenu par la clique de JJSS… Il pouvait avoir un ressentiment douloureux et brutal de la perte du pays natal. Pour Jean-Loup, c'était un mouvement de l'Histoire contre lequel on ne pouvait rien de plus qu'en face d'un un tsunami planétaire… Pour le para pied-noir, pas d'alternative: se battre, se battre, se battre ! Ce que Jean-Loup eût fait, sans doute, s'il fût né là-bas.

Le temps passa; longtemps. La vie coulait trop vite. Par moment, Jean-Loup pensait au procureur de la kasbah ! D'autres fois, il se disait que Laurent "laissait pisser le mérinos" pour donner du mou aux passions…

  Un jour, la sonnette retentit. Descendant précipitamment de l'échafaudage, Jean-Loup se trouva face à face avec le brigadier-chef Brunoy. Le chef de brigade descendait de sa bicyclette. Le prof le fit entrer, lui servant un rafraîchissement pour calmer une soif attrapée à monter la côte des Brandes qui en avait épuisé plus d'un… Le militaire ne le fit pas attendre: « J'ai une bonne nouvelle pour vous !» disait-il; et il avait l'air d'être sincèrement heureux de la lui apporter. Poursuivant: « Plutôt que de vous faire délivrer un papier bleu, j'ai choisi de vous l'apporter moi-même. Et comme je sais que vous êtes écologiste, j'ai tenu à le faire à bicyclette !». Cette parole alla droit au cœur de l'instit qui, depuis qu'il avait été chapitré par un gendarme lui remontrant les conséquences de la correctionnelle, ne pouvait voir se profiler un képi sans raser les murs… Le chef de brigade lui tendit une lettre du Procureur: « Affaire classée sans suite !» La justice avait compris: le voyou qui portait plainte était l'agresseur. L'agresseur du père après avoir été l'agresseur de l'enfant, presque un bébé, dans un lieu qui aurait dû être un sanctuaire du respect de l'enfance: le car du ramassage scolaire.

Il s'ensuivit une légère controverse entre le gradé et Jean-Loup. Le Chef de Brigade encourageait le père de famille à porter plainte pour abus de procédure contre La Carotte. Le prof lui expliqua ce qu'il savait de la manipulation du voyou par des infra-tyranneaux de canton, sans trop s'engager ni sans citer les noms… Il dit que poursuivre l'idiot insolvable serait donner satisfaction à ceux qui avaient voulu faire d'un demeuré le "digne" adversaire d'un professeur de collège ! Lequel prof, c'était notoirement connu du bistrot des Brandes, recevait régulièrement de grosses enveloppes bourrées portant pour adresse: "Monsieur le Lieutenant Cuisance, Chef du Détachement de Réserve". Intitulé qui faisait bouillir de haine quelques pseudo-prolos avinés de chez Soubrette ! En vérité, il en était arrivé à se laisser gagner de pitié par la momie lamentable et cependant victime de sa propre agressivité et de sa propension à se laisser manipuler…

Se mettre à dos un bistrot… La vraie tuile !

La nouvelle eut vite faite le tour des chaumières. C'est que La Carotte avait été informé du rejet de sa plainte dès potron-minette (25-7↓ ) . Il faut savoir que dans ces villages ruraux — quoiqu'ils soient presque encore aux portes de Paris — une vieille tradition consistait à fagoter entre familles rapprochées des mariages de cousins éloignés. Si bien que lorsque tu marchais sur la queue d'un de leurs clébards à l'entrée d'un village, ça se mettait à aboyer dans toutes les basses-cours des villages environnants. Ces assaisonnements de mariages consanguins avaient des inconvénients: la luxuriance des hybrides en pâtissait visiblement. Par contre, goupiller des grandes frateries de croquants permettait de les fédérer, le moment venu, pour orchestrer des mauvais coups contre ceux qui n'étaient pas du clan. Accommodé d'un peu de solidarité paysanne, notamment contre les jacobins parigots-tête-de-veaux, ça procurait des synergies efficaces contre les mal-aimés, en général ceux qui venaient de villages situés hors du canton et à plus de huit kilomètres quatre cent quatre-vingt-quatorze mètres; j'vous pass'les décimètres !… La "Maison de la Viticulture", comme l'avait surnommée le Troglodyte, était le temple où se ressourçait la fraternité de ces grandes accointances, dans ces flambées de ferveur éthylique qu'on aimait tant…

Ça fonctionnait à fond dans les jours qui suivirent la décision de justice. La Carotte commençait à réapparaître sous la momie. On devinait des morceaux de peau blafarde entre les bandelettes. Sa santé revenait aussi. Il avait regagné en audace. Avec son Donald syndactyle, il montait à nouveau la garde au pied du calvaire, dévisageant Jean-Loup et l'enfant descendant du car avec un regard haineux… Rentrant un soir accompagné de Lozari pour arranger une assemblée de l'ADVG, ils redécouvrirent le visage du gnome enfin délivré des bandelettes pharaoniques et tellement empreint d'acrimonie et d'exécration, de rancoeur et de cruauté, qu'en tournant sa clef le prof murmura vers l'instit : « Bon Dieu, quelle gueule !» Par malchance, le vent portait vers le calvaire et l'idiot l'entendit. Ce fut l'étincelle mettant le feu aux poudres. La momie partit en trombe vers le bistroquet; c'était justement l'heure d'affluence… Lozari ni le prof n'y pensaient plus lorsque leur attention fut attirée par une rumeur. Une des psalmodies leur parut être « Cuisance !», si bien que l'instit dit: « J'ai l'impression qu'on vous appelle ». Ils sortirent et scrutèrent la rue: les hurlements venaient de la terrasse du bistrot. On distinguait les beuglement de la Carotte: « Cuisance, pédé ! Cuisance, pédé !»… Derrière, en basse, était le chœur des encouragements parmi lesquels on reconnaissait les registres du Dix-Cors, de Tartuflette, du Pisse-Goudron et de son fidèle Pousse-Caillou; et d'autres…

Jean-Loup fit un pas vers le bistrot mais Lozari le retint par la manche: « Arrêtez ! Je veux bien vous servir de garant. Mais si vous êtes amené à le rosser une deuxième fois, il aura tous les pochards du canton pour témoins. Il y en a même qui, paraît-il, auraient juré votre mort. N'allez pas leur donner une occasion de revanche. Faites le sourd: cette gracieuse cour des miracles va bientôt se fatiguer et délayer sa vindicte dans les vapeurs d'aldéhyde éthlylique… Vous aurez la paix !» On fit marche arrière, la fuite étant parfois le contraire de la lâcheté et le mépris pire encore que l'offense ! On traita tranquillement d'affaires associatives et quand Lozari repartit, la rue était calme et le bistrot endormi.

Cependant, l'affaire n'était pas terminée. Booseveld avait gagné un point. Non seulement il avait désigné l'idiot des Broues comme ennemi juré de l'enseignant, mais il avait syndiqué par ricochet l'assommoir des Brandes. Jean-Loup n'y perdait pas grand chose car c'était rarissime qu'il y entraînât un ouvrier, un copain. Mais il dut demander à Louisette de ne plus se fournir à la petite épicerie de Soubrette. Mais Louisette s'en moquait. Lors de sa dernière visite, elle avait été mordue par le klebs: un berger allemand, au moment où elle tirait un pot de moutarde de l'étagère. Non seulement la Soubrette ne s'était pas excusée, mais elle l'avait incriminée d'avoir "excité son chien" ! Donc l'épouse avait décidé de faire ses courses dans un supermarché au retour du travail. Tout n'était pas rose de s'être mis à dos le Temple de Bacchus. Désormais, les langues déliées par une tournée générale du Dix-Cors, les éthylocrates allaient se disperser dans tout le canton , vers leurs pénates, et y répandre l'histoire, enjolivée de mille façons… Demain, à l'entrée des cours, leurs cancres allaient se faire valoir en en remettant une couche. Et l'histoire du « Cuisance, pédé !» de La Carotte allait se répandre comme traînée de poudre au lycée de Villeneuve…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 25:   ( Sauter les notes de section 25 )
25-1.-↑ Dura lex, sed lex ou "La loi est dure, mais c'est la loi". La loi s'impose dans toute sa rigueur. Voyez la liste de locutions latines courantes de Wikipédia:
- Wikipedia: les locutions latines.
25-2.-↑- Palestro, le vendredi 18 mai 1956...(Tizi Ouzou); compte-rendu dans le Forum du 9° R.I.Ma.
Extrait: "(…) Du 2 au 4 mai, les premiers bataillons débarquent à Alger et font mouvement immédiatement sur la Grande Kabylie, dans le secteur de Tizi Ouzou, à Bordj Menaiel exactement, où le colonel Viguié a établi le P.C. du 9° R.I.C. et les attend. Ces éléments débarquent en Algérie, sans aucune préparation particulière de combat pour affronter une guérilla ou des actions subversives. Aussi, le colonel Viguié donne à l’encadrement ses directives d’instruction sur une très courte période. Du 6 au 10 mai, il y a une remise en forme de la troupe par entraînement physique, marche, tir, instruction sur la sécurité en stationnement et en mouvement, défense d’un stationnement, sûreté d’un mouvement, exercice de patrouille, embuscade et contre-embuscade. Cependant la préparation à cette nouvelle forme de guerre n’est que très peu assimilée par les marsouins et les cadres issus du contingent ou de rappelés. (…) Le vendredi 18 mai, à l’heure prévue, la 2° section part en patrouille de reconnaissance et de pacification vers Ouled Bou Lemmou, à 6 km au nord-ouest de Palestro, pour un circuit prenant toute la matinée et qui a déjà été en grande partie reconnu les jours précédents. Outre l’aspirant Artur, la patrouille est composée de deux sous-officiers: les sergents Serge Bigot et Alain Chorliet, et de 18 marsouins. (…) Ce n’est qu’en début d’après-midi, qu’un des soldats retrouve d’autres corps. Poussant un cri, il appelle le lieutenant Poinsignon qui arrive au pas de course. Il regarde le soldat qui est tout pâle, prêt à défaillir. S’approchant des rochers qui entourent le village, le lieutenant Poinsignon voit exposés, comme dans un suprême défi, les corps suppliciés de quinze soldats français. Les yeux sont crevés, les corps vidés de leurs entrailles et bourrés de cailloux. Les testicules ont été coupés, et les pieds, dépouillés de leurs chaussures, sont zébrés de coups de couteau. D’un geste, le lieutenant Poinsignon appelle ses chefs de section et leur ordonne d’empêcher leurs hommes d’approcher et de découvrir le charnier. Il craint que la vue des victimes n’éveille chez ces jeunes soldats des instincts de vengeance aveugle contre les populations locales. (…) Le douar, bien entendu, a été abandonné. Les mechtas sont vides. Les femmes et les enfants ont fui vers le Guergour. (…) Ce sont ces villageois qui ont (…) dépecé les corps de ces jeunes soldats français. Peut-être certains l’ont-ils fait, mus par de violents sentiments anti-français. D’autres par obligation vis à vis des chefs F.L.N., pour que les villageois endossent le crime, qu’ils en supportent les conséquences, (…) pour qu’ils soient les premières victimes des représailles françaises afin de servir la propagande mensongère du F.L.N. sur le plan international. Le lieutenant Poinsignon a très bien compris cette machination des crimes dus au F.L.N.. Poursuivant ses recherches, le lieutenant (…) ce que le lieutenant Poinsignon a trouvé, et que les états-majors de Bordj Menaiel et de Tizi Ouzou déduisent, il semble que l’on ait affaire au commando “Ali Khodja”, qui sévit depuis quelques mois dans le secteur de Palestro. (…)
25-3.-↑ Jean-Jacques Servan-Schreiber, aussi appelé par ses initiales JJSS, né Jean-Jacques Schreiber le 13 février 1924 à Paris, mort le 7 novembre 2006 à Fécamp (Seine-Maritime), était un journaliste, essayiste et homme politique français. Reçu à l'École polytechnique en 1943, il rejoint de Gaulle avec son père et choisit la filière américaine en étant formé comme pilote de chasse dans l'Alabama. Il ne participera cependant à aucun combat aérien. Terminant Polytechnique à la Libération, il n'exercera jamais son métier d'ingénieur. Très brillant, il est engagé au Monde par Hubert Beuve-Méry en personne et devient à 25 ans éditorialiste en politique étrangère. En 1953, il fonde le journal "L'Express" à 29 ans (avec la journaliste Françoise Giroud) et parvient à s'entourer de femmes et d'hommes prestigieux (Albert Camus, Jean-Paul Sartre, André Malraux, François Mauriac, etc…). Il est rappelé pour l'Algérie, en tant que lieutenant et sera mis sous les ordres du colonel Roger Barberot, adjoint du Général Jacques Pâris de Bollardière, seul général français ayant refusé la torture en quittant son poste de commandement. (...) Dès janvier 1955, l'écrivain François Mauriac publie un article dans l'Express intitulé « La question » (Ndlr: la torture), alors que le journaliste Claude Bourdet signe « Votre gestapo d'Algérie » dans France-Observateur. Deux autres journaux prennent aussi une part active à la campagne contre la torture, Le Monde et Témoignage chrétien, qui publie notamment les effarants témoignages des premiers rappelés à leur retour en France. (...) Des sites à visiter, pour qui s'intéresse:
- JJSS, Jean-Jacques Servan-Schreiber; "Lieutenant en Algérie".
- Regrettables comportements lors de querre d'Algérie.
- Contrition d'un Général…
25-4.-↑ Psychodrame a la Moreno. Forme de thérapie utilisant la théâtralisation dramatique au moyen de scénarios improvisés, et permettant la mise en scène de névroses. Le psychodrame est aujourd’hui utilisé en thérapie de groupe, en thérapie familiale ou en thérapie individuelle. Selon le Dictionnaire International de la psychanalyse sous la direction d’Alain de Mijolla, Calmann-Lévy, 2002, il s'agit d'une « Méthode d’investigation des processus psychiques utilisant la mise en œuvre d’une dramatisation au moyen de scénarios improvisés mis en scène et joués par un groupe de participants. » Inventé par Jacob Levy Moreno, psychiatre et psychologue américain d'origine roumaine, dès les années 1930-1932. Article extrait de Wikipedia; tout l'article:
- Psychodrame - Wikipédia
25-5.-↑ Les amabilités (traduites "à peu près"): Le lieutenant: « Bonjour !»
Le pied-noir "djellabelisé": « Bonjour à toi, bienvenue !»
— La paix soit avec toi !
— Si Dieu le veut ! La paix sur toi en retour ! Bienvenue !
— Merci à Dieu !
— Qu'est-ce que tu veux ? dit "l'indigène".
25-6.-↑ Jules Joseph Bonnot est né à Pont-de-Roide (Doubs) le 14 octobre 1876. Sa mère décède le 23 janvier 1887 à Besançon alors qu’il n'a que dix ans. Le père de Jules, ouvrier fondeur, analphabète, doit alors assumer seul l’éducation du garçon. Les études de ce dernier se passant mal, il abandonne vite l’école. Extrait de Wikipedia; la suite de cette page, cliquez ci-dessous:
- Jules Bonnot, anarchiste ou voyou ?
25-7.-↑ CNRTL: à potron-minet: Vieilli, familier. Le point du jour, l'aube, le petit matin. "Mais les trains étaient déjà tous partis ou arrivés, et les cheminots n'en attendaient plus d'autres avant potron-minet (Queneau, Pierrot, 1942, p. 199)". Surtout en locution adverbiale: À potron-minet, dès (le) potron-minet. À la pointe du jour, de bon matin, de très bonne heure. "Le maréchal commençait de ferrer dès potron-minet, dans cette magnifique indifférence à l'horloge caractéristique du vieux temps" (La Varende, Normandie en fl., 1950, p. 170). Rem. On note la forme potron minette: "Une fois dans la forêt, la voiture fut jetée dans le taillis où Jeannot galoperait dès potron minette, et Tainchebraye sauta à cheval" (Id., Nez-de-cuir, 1936, p. 106). (...) NB: Amusante étymologie: "Étymol. et Hist. 1835 (Ac.). Locution issue par substitution de minet «chat» à jacquet «écureuil», donc de (dès le) poitron-jacquet: «dès l'aube» (1640, Oudin Curiositez); poitron (fin 12e s., Audigier, éd. O. Jodogne, 23) représente le bas latin posterio «cul»." Conclusion: "à potron-minet" c'est "à potron-jacquet" l'heure où l'écureuil, encore pas apeuré par l'homme, montre son petit cul… Rigolot, non ? Pour consulter la rubrique du CNRTL, cliquez ci-dessous:
- Définition de "à potron-minette" dans le CNRTL



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Diatribe d'Élisée contre la "Main Invible"
qui a ravagé la planète en trois siècles…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
« Le produit du sol fait vivre presque tous les hommes qu'il est susceptible de faire vivre. Les riches choisissent seulement dans cette quantité produite ce qui est le plus précieux et le plus agréable. Ils ne consomment guère plus que les pauvres et, en dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, quoiqu'ils n'aspirent qu'à leur propre commodité, quoique l'unique fin qu'ils se proposent d'obtenir du labeur des milliers de bras qu'ils emploient soit la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs, ils partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent. Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants ; et ainsi, sans le vouloir, ils servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce. »

— Adam Smith [1759], Théorie des sentiments moraux, Léviathan, PUF, 1999; p.257

Ratiocinations…

Étant plutôt introverti, Jean-Loup avait tendance au rabâchage interne de ses soucis. Heureusement, les travaux de réparation des "Gais Combats" le ramenaient constamment au concret, lui évitant de se laisser asphyxier par la mélancolie. Juché au sommet d'un échafaudage haut de dix mètres, il était occupé à lisser une ruellée… Il faisait frais mais la présence d'une bruine était particulièrement favorable à la prise du mortier. Il ressassait ses retrouvailles avec Laurent Whallberg, l'ancien camarade de guerre, retrouvé sous l'aspect d'un terrible censeur qui, de plus, avait conservé contre lui l'amertume d'un fossé d'incompréhension politique… Sans doute avait-il interprété le réalisme historique de son copain de chambrée comme un lachâge. L'immense amertume de ceux qui perdent dans un bain de sang le droit du sol natal était justifiée. « Alors, toujours "salopard mendésiste" ?» L'interjection mi-figue, mi-raisin par quoi, l'invitant dans un café de la rue Michelet, il l'avait apostrophé, lui avait couru dans la tête pendant les mois d'attente de la décision… Les paroles bien pesées du Proc: « … séparer sa sphère professionnelle de ses amitiés … Jean-Loup devait ne pas lui en vouloir s'il était amené à le punir » lui avait procuré du malaise. Il savait l'homme dur, fermé aux idées progressistes, sans doute à l'écologisme et mesurait les dangers de son aigreur. Mais pouvait-on souscrire à l'outrecuidance d'un malfaiteur de vingt-trois ans qui ne reculait pas à torturer un enfant de huit ans se rendant à l'école et qui pleurnichait ensuite d'avoir été battu ? Jean-Loup avait pu s'apitoyer du saucissonnage de la momie mais, après tout, lorqu'avec son palmipède ils l'avaient provoqué, ne suffisait-il pas, à la première claque, de dire: « Pardon, M'sieu; j'le f'rai pu ? » Six syllabes qui eussent changé la face du monde… épargnant celle du galapiat ! Pour se laver le cerveau de tous ces mois de contrariété, Jean-Loup s'en était ouvert au Poète des Terriers. Ça n'avait pas été triste car de poète à philosophe, il n'y a qu'un pas…

Préparer Malville…

L'algarade du troquet des Brandes faisait son effet au lycée. Le prof observait des petits groupes d'adultes, principalement parmi les personnels de service et dans la cour, des copinages de clocher regroupant des minus habens qui ricanaient sur son passage, mais point trop ouvertement. Ce qui l'amusait, c'était la considération qu'il semblait avoir acquise auprès des cancres lorsque La Carotte était venu, tout geignard, montrer son embaumement à la sortie du collège. Les plus arrogants à la mine jadis gouapeuse, s'écartaient pour lui laisser le passage dans les couloirs, nouveauté divertissante. De voir la caïd de village plaintif et dolent avait rendu les insolents circonspects… Mais l'histoire du « Cuisance pédé !» parvenue du bouiboui de paroisse les travaillait visiblement et leur donnait des idées.

Les plus cons des adultes eux-mêmes lui dégageaient une avenue dans les couloirs et c'était une jubilation pour l'instit de voir s'écarter Rosenschwein et son bignole, ou mieux, le Rouget qui la ramenait toujours mais s'écrasait maintenant au risque de rester crocheté à la rangée de porte-manteaux… D'où le bénef pour les gnomes d'étudier sur le vif l'antiquité égyptienne !

Les plus diligents dans la félonie furent les sbires de l'escogriffe Beauserfeuille. Désormais, ces travailleurs laborieux redoublèrent de zèle à tondre le gazon deux fois par semaine sous les fenêtres de Jean-Loup… Lequel avait fait inscrire, aux fins de porter le scandale sur la place publique, un mot d'avertissement aux familles dans les carnets de correspondance des mioches… Mais Rosenschwein, mis à la coule par la Khozgot qui, décidément, "tricotait aux portes", fit ramasser tous les livrets et découper le mot litigieux par sa secrétaire. Cet incident amusa tellement les sixièmes qu'ils en firent grande publicité… Il fallut bien que la clique syndico-précarisée s'amendât et fît tondre le mercredi ! Ne croyez pas cependant qu'ils n'y avaient jamais pensé !… Mais ce n'était que partie remise pour les cégétistes qui allaient bientôt trouver manière à casser de l'écolo…

En ce temps-là, paraît-il que "la France n'avait pas de pétrole, mais qu'elle avait des idées"… Or il ne fallait pas gratter beaucoup la calvitie d'un énarque pour en faire jaillir du nucléaire. On décida donc de hérisser la France de bâtiments immenses et hideux qui transformèrent le pays de Rabelais en cible privilégiée pour les fusées transcontinentales de l'adversaire. Lequel était, bien sûr, dans ces esprits féconds, l'Urss. Car, précisément, les déchets de fonctionnement des centrales électonucléaires contiennent le Plutonium… On faisait "d'un bétonnage deux coups": à gauche, le courant; à droite: les bombes atomiques estampillées: "Souvenir de Paris; bonne santé Brejnev". À cette époque, un savant Français que les Ricains nous avaient fauché — c'était l'un des pères de la bombe atomique de Reggane (26-1↓ )  — était revenu dans l'hexagone spécialement pour nous dire: « Ne construisez pas le Superphénix. Cette centrale nucléaire est spéciale: elle contiendra des tonnes de Plutonium; or, ce transuranien restera radioactif pendant au moins 250.000 ans — plus de 125 fois l'ère chrétienne de Jésus jusqu'à nous — et il suffit d'un millionième de gramme pour cancériser un homme » Le liquide caloporteur étant constitué de sodium liquéfié qui s'enflamme à l'air spontanément en cas de fuite (les pompiers ne savent pas éteindre un incendie de sodium de cette taille !), le tableau était assez affreux pour horripiler toute personne sensée qui se donnait le mal de comprendre ce qu'était la machine.
Duchamp Fontaine
Les écologistes avaient donc décidé de manifester sur le lieu prévu de sa construction, avant la première coulée de béton.

  Ils apposaient donc de grandes affiches pour inviter la foule des Français, tant prompts à contester en toutes circonstances les décisions les plus judicieuses, à venir manifester, début juillet, contre cette entreprise si ostensiblement démente. Adam de la Halle ne fut pas des moins actifs dans ces campagnes de collage. Il s'était fait la main aux cantonales et n'était pas près de céder sa place… Il encolla donc d'affiches "Non à Malville" le panneau écologiste du préau. Le résultat fut négatif. Encouragés par quelques profs technocrates, franchouillards, nostalgiques des grandeurs antiques du Pays des Droits de l'Homme, anxieux de vivre un jour à la bougie au fond des grottes, soucieux de pouvoir se goinfrer de confort, et partisans d'atomiser le goulag; encouragés par les cégétistes locaux, eux-mêmes poussés au cul par la section régionale des EDF,… les plus actifs des nullards y allaient de leurs feutres à tout va, couvrant d'insultes et de fautes d'orthographe le panneau officiel. À tel point que Le Moualc'h, soucieux de ne pas laisser voir ce chef d'œuvre d'arte povera (26-2↓ )  au Velociraptor, avertit Jean-Loup avec précaution qu'il allait faire démonter ce "championnat de taggage" promptement. Et il assura, avec un clin d'œil, qu'il allait "tenter de le brader au Pompidolium" pour y faire pendant à la pissotière de Marcel Duchamp… Plus inspiré eut-il été de le garder pendant vingt-cinq ans dans un cagibis poussiéreux: il l'eut alors vendu au plus haut chez Christie's de New York (26-3↓ )  lors de la démolition du monstre, plus coûteuse encore que son édification !

Diatribe d'Élisée contre la Main Invisible
Jean-Loup qui, dans les affres de l'attente
 du décret du Proc, avait conté son malaise à l'Élisée, s'était entendu synthétiser, par un discours plutôt original sur la colonisation, l'histoire de l'humanité dans les deux siècles passés…

« Le XIXème siècle avait été, pour l'Europe, celui de l'épopée industrielle propulsée par la machine à vapeur, l'électricité et le moteur à explosion. Fallait bien trouver deux choses: des matières premières quasi gratuites pour fabriquer industriellement de la merde et un vaste marché de cons pour la gober… On ne songeait guère alors à mobiliser les petites fille du Pakistan pour mouler des briques et les petits garçons, enchaînés au métier à tisser pour qu'ils n'aient pas de mauvaises pensées, à nouer des tapis. Pas b'soin ! Y'en avait bien assez chez nous… Sans compter leurs pères, ces cambroussards qui s'exilaient volontairement des campagnes pour venir grossir les files d'embauche des manufactures dans une concurrence cinglante… Comme le grand Friedrich (26-6↓ )  nous l'avait cafté, les Anglais nous avaient précédés mais on allait bon train derrière ! Conquérir de l'écosystème planétaire, hectare par hectare, c'était gagner en ressources biologiques et minières; et en parts de marché. D'où les chiffonneries, brouilleries et empoignades genre Fachoda entre Européens, sous les yeux médusés des aborigènes qui comptaient les points… Que ces chamailleries se poursuivent ensuite en Europe: 1870, 14/18, Deuxième Guerre Mondiale… et pendant ce temps-là, les souris dansent et rigolent de voir s'entre-bouffer leurs prédateurs. Suivant une règle récurrente des grandes religions, les parents ayant mangé les raisins verts, ce sont les enfants qui devront avoir les dents agacées. µ

  « Les fils de prisonniers de guerre en Prusse orientale expédiés comme viande de charcuterie chez les fins bouchers du FLN ? Pleurnichez pas ! Engueulez plutôt vos parents qui ont marché dans la combine capitaliste au son des flonflons militaires pour bomber le torse et bander comme des boucs d'avoir le deuxième empire colonial de l'Histoire ! »

Sur ce panorama synthétique indiscutable des trois siècles précédents, Élisée disparaissait dans une galerie consacrée à la philo et à la politique. Il revenait avec deux bouquins: "La Situation de la Classe ouvrière en Angleterre en 1830" de Friedrich Engels, et la "Richesse des Nations" d'Adam Smith.

  « Lisez déjà le premier. Vous reviendrez quand vous l'aurez achevé pour avoir l'autre !» C'est ce qui se passa. Le prof lut ainsi quelques bouquins édifiants qui vous ouvraient la cervelle comme lorqu'au fort d'un rhume, trois gouttes d'éphédrine vous débouchent les narines. Tout à coup, on respirait et l'on avait l'impression de comprendre l'histoire de son siècle ! Il lut notamment l'enquête du fils à papa rhénan qui, par compassion, avait étudié sur place et décrit l'état indigne dans quoi l'épopée capitaliste de XIXème avait confiné le prolétariat anglais. On mesurait le génie du bonhomme qui avait préféré, au confort douillet des milliards du père, l'austérité de la collaboration avec Marx pour fonder le socialisme moderne… Aussi passionnant que lorsqu'il avait lu le "Germinal" de Zola.

Ainsi le Philosophe de Champignonnières l'avait-il soutenu dans son attente fébrile… Mais le Prof se doutait bien que, quoique le sujet l'interessât, ce n'était pas seulement pour la joie de lui servir gratuitement d'assistante psychologue que l'ermite avait entrepris de le dessiller sur les guerres coloniales. C'est que tous deux n'avaient encore pas épuisé l'exploration des dix crus du plus sensuel des vignobles. Brouilly, Côte de Brouilly, Régnié, Chiroubles, Juliénas, Chénas, Moulin-à-Vent, Morgon, Saint-Amour et Fleurie avaient encore bien des dessous charmants à leur faire renifler. Élisée dont ces noms chatouillaient les papilles de senteurs de fruits rouges ni Jean-Loup pour qui c'était l'évocation des doux paysages des terroirs n'étaient près de renoncer d'en tâter  (26-4↓ ) … C'est donc avec un Régnié qu'il gravissait le raidillon de l'Ali Baba politologue.

  « Ecoutez-moi ça: tout le libéralisme de boutiquier que nous fait endurer le capitalisme depuis trois siècles repose sur un fétu de théorie: ( Élisée secouait un Adam Smith dans tous les sens… )
« Les riches (...) ne consomment guère plus que les pauvres et, en dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, (...) quoique l'unique fin qu'ils se proposent d'obtenir du labeur des milliers de bras qu'ils emploient soit la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs, ils partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent. Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants ; et ainsi, sans le vouloir, ils servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce."

Voilà ce qu'on nous fait gober depuis trois siècles pour justifier l'asservissement des masses et le pillage de la planète au bénéfice d'une infime oligarchie. »

« Tout d'abord, on reconnaît, sans les nommer, l'existence des "classes sociales": les riches et les pauvres; mais alors que Marx base toute l'histoire des peuples sur la lutte des classes, ici, c'est le contraire: plus les riches se goinfrent, plus les pauvres en bouffent ! Z'ont qu'les os à ronger ! Mieux qu'ça: une distribution égalitariste des richesses n'en donnerait pas plus aux faméliques: on nous dit: « même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants ". Avouez que quand ces cochons de pauvres font une de ces grèves si dérangeantes pour les voyageurs du RER, ce ont vraiment de sales jaloux, d'exécrables égoïstes… « Non au droit de grève !» fait-on brailler au blaireaux sur les grandes chaînes de télé… Des milliers de bébés meurent de faim chaque jour sur la planète: où est-elle la "main invisible"qui prodigue si généreusement la"même distribution des nécessités de la vie… " dont Adam Smith se gargarise ? D'une part, les riches qui n'agissent que pour" la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs … "; de l'autre les parents qui voient dépérir dans leurs bras des morpions aux membres gros comme des fils de fer. Soyez contents les crevards puisque les riches " ainsi, sans le vouloir, (...) servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce " Quand un de vos merdaillons calanche, vous n'avez qu'à en chier un autre puisque vous avez la chance d'avoir des riches qui vous "donnent des moyens à la multiplication de l'espèce." Avouez que les ratons qui crèvent de faim et immigrent clandestinement chez nous sont de sales racistes profiteurs… puisqu'Adam vous le dit; puisque le théoricien fétiche unanimement référencé par les "libéraux" vous le gueule dans les portugaises ! Et si on analysait la finesse du mécanisme par quoi la gougnaferie des riches produit le bien-être des pauvres ? Intéressant de savoir: y aurait plus qu'à appuyer sur le bon champignon pour que le bonheur des prolétaires redouble ? P't'être qu'ils boucleraient enfin leur gueuloir en fin d'mois ?»

« La mécanique, nique, niqué, niqueurs… " ! Les riches (...) sont conduits par une main invisible "» C'est quoi la "main invisible?" Le hasard ? Un peu aléatoire, non ? La providence ? De plus en plus hypothétique, improbable, incertain ! Ça y est, j'y suis; mais oui, mais c'est bien sûr ( kêkqu'j'étais con !): mais c'est le Bon Dieu ! Cette personne, je l'adore ! Ô comme je voudrais qu'elle existât ! Mais en attendant, fonder le bonheur de l'humanité sur un Bon Dieu qui a supporté que l'humanité, de Caïn à Hitler, passant par le Poléon et tous les Césars, passe son temps à se cravater mortellement, à coup de galets éclatés, à coup de sagaie, à coup de bombe atomique… ! Un peu aventureux, hasardé, incertain, problématique, précaire et risqué, non ? Tiens, si tu veux, la "main invisible?" d'Adam Smith, pour ce qui concerne " les moyens (de) la multiplication de l'espèce ", j'fais davantage confiance à la " main d'ma sœur dans la culotte d'un zouave !" Ça sera toujours moins dangereux que l'explosion démographique que nos "libéraux" smithards nous ont organisée pour élargir le marché des smicards… Pitié, j'ai soif !» Jean-Loup se sentit honteux de l'avoir fait attendre; mais le Régnié avait eu le temps de rafraîchir à l'ombre de la grotte: 12 à 14 degrés…

« Bon ! Maintenant, deux siècles après ces bonnes paroles, voyons les résultats: pour l'Homme actuel, pour la planète, pour nos descendants… L'Homme est-il heureux ? Non ! La guerre n'a cessé de ravager le monde depuis deux siècles: on est passé de la guerre en dentelle de Louis XV à la bombe thermonucléaire. Tu regardes dans un vieux Quid si tu veux des chiffres. Je n'en citerai que trois ou quatre. Quatorze/Dix-huit: un million de Français. La Deuxième: les populations d'abord. Les Juifs: Shoah de six millions et demi de personnes. Barbarossa: vingt six millions et demi de Soviétiques dont, pour les jeunes soldats morts au front: six millions et demi, autant que ceux de la Shoah juive… Depuis la fin de la guerre: deux cents conflits qui ont fait davantage de victimes que la guerre mondiale. On n'arrête pas le progrès. Des guerres coloniales qu'on gagnait avec une canonnière à teuf-teuf, on est passé à la fusée intercontinentale… Conclusion: « Les riches (...) partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent ». C'est vrai: les riches déclanchent des guerres de plus en plus performantes et font du pognon dessus; les pauvres les finissent… au cimetière avec une minable couronne sur le ventre et des héritiers faméliques !

La planète ? Éventrée de tous côtés: on a épuisé bientôt tout le pétrole, tout le gaz, tout le charbon: en trois siècles, on va avoir consommé tout le carbone que la Terre avait enfoui et stocké dans le sol. En l'enterrant pendant trois milliards et demi d'années, elle le rendait inoffensif pour l'effet de serre. En en libérant la quasi totalité en trois siècles, est-il plausible que ce soit sans conséquences ? La population explose; elle réclame de plus en plus de confort; les déserts progressent, les océans montent, les violences météoriques augmentent… Les chasseurs ont exterminés le pigeon migrateur de Virginie et des milliers d'espèces; les pêcheurs sont en train de vider industriellement de leurs poissons nos océans; les forêts tropicales disparaissent à la cadence d'une Belgique par an; nos paysages se couvrent du béton des autoroutes, des TGV, des banlieues sordides et criminogènes, et des plaies de l'exploitation industrielle: zones sinistrées par la pollution guerrière, les tirs d'essais nucléaires, les sous-marins pourrissants, les usines électonucléaires éventrées… Youpi ! Allez les cons ! Entreprenez ! Ravagez ! La "main invisible " va nettoyer tout ça et vous faire cadeau d'une belle planète toute neuve… Et vous savez pas, la Providence, le Hasard, le Bon Dieu feront bien les choses pour vos descendants ! Tranquilles ! Profitez ! Bouffez tout ! Enchiez tout ! Les pélicans englués de pétrole fuyant de vos putains de plate-formes "off shore" vous disent merci ! Merci Adam Smith ! Merci la "main invisible !»

La souricière.

Dring ! Impératif, le téléphone sonna tellement tôt que l'aube pointait à peine. Il décrocha sans rien dire ! Surprise: la "voix grave et forte" disait:« Allo Jean-Loup, c'est toi ? » Laurent; le Proc ! Qu'est-ce qu'il peut me vouloir de si bonne heure. C'était pour lui dire qu'il serait contacté prochainement par une agréable dame brune qui lui demanderait un service qu'il serait bien avisé, Laurent le lui conseillait, d'accepter. Pensant qu'il s'agissait de renvoyer l'ascenseur, le prof mal réveillé trouva la force d'articuler: « Pas de problème, j'aurai à cœur de faire ça pour toi, si tu me le demandes ! et j'en profite pour te remercier, encore que je puisse mal imaginer qu'on ait pu faire autre chose, d'avoir classé l'affaire de l'idiot de village sans suite !» Mais à sa grande surprise, le Proc se défila: « Ne me remercie pas; comme je te l'avais dit, je répugnais à mélanger mes affaires de service avec l'amitié. Aussi avais-je repassé ton dossier à un substitut; c'est lui qui, sans m'en aviser, a pris la bonne décision. Heureux pour toi. Moi, je quitte la région. Je gagne une ville de la côte qui me rappelle Alger. Je suis nommé Procureur général »… Ça n'étonnait pas Jean-Loup: Laurent était brillant à tous points de vue. Ils n'entendit plus jamais parler de lui.

Peu de temps après, à la sortie du collège, il fut effectivement contacté par une très jolie brune qui se présenta comme un officier des Renseignements Généraux. Ils eurent d'abord une discussion assez longue et presque inquisitrice de la part de la femme sur l'ADVG. L'écologie semblait être la spécialité de l'officier. Après cette entrée en matière assez longue, elle lui demanda sans plus d'ambages d'accepter, en tant qu'officier de réserve, d'être un "honorable correspondant des RG" dans son groupe écologiste local, voire départemental. Patatras ! L'ascenseur, c'était donc ça. Il piqua du nez vers le sol, embarrassé, plongé dans un conflit cornélien aigu. Obéir à Laurent ? Trahir sa confiance et son amitié ? Il n'en eut pas besoin. Comme il disait à cette dame à quel point il la trouvait charmante — point besoin de se forcer, c'était un petit Tanagra ! — et à quel point il avait envie de la satisfaire, malgré qu'il considérât que, somme toute, les RG, c'était un peu "l'espionnage des Français par les Français", malgré qu'il craignît de devenir une sorte de "taupe" vis-à-vis de ses amis et malgré qu'il eût appréhension de les décevoir… Arrivé là, la personne se montra charmante moralement comme elle l'était physiquement: elle lui dit de ne pas s'embarrasser davantage et qu'elle le dispensait d'atermoyer plus longtemps. Ils se quittèrent en bons termes. Cependant, Jean-Loup se sentait mal à l'aise. Il se voyait pris dans une sorte de filet, petit poisson écologiste entre les mains d'un réseau qui se resserrait… Une souris dans la souricière !

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 26:   ( Sauter les notes de section 26 )
26-1.-↑ Ce savant était Lew Kowarski (prononcer "Lou"). Notre citation est un condensé; ne la reprenez pas telle quelle…
Extrait de Wikipedia: Les essais aériens à Reggane : Article détaillé : Gerboise bleue . Le premier essai nucléaire français, Gerboise bleue, est effectué le 13 février 1960, sous la présidence de Charles de Gaulle. Toutefois, c'est au début d'avril 1958 que Félix Gaillard, premier ministre sous la présidence de René Coty, décide que ce premier essai aura lieu au début de l'année 1960 et que le site de test sera localisé au Sahara. Un champ de tir a été créé à Reggane, au centre du Sahara algérien et à 600 kilomètres au sud de Bechar. Les tirs ont été effectués à partir d'une tour située plus précisément à Hamoudia, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Regganne. Ensemble de l'article, cliquer ci-dessous:
- Reggane dans Wikipedia; les essais nucléaires français.
26-2.-↑ Condensé de Wikipedia: "Arte Povera (de l'italien : « art pauvre ») est un mouvement artistique italien, qui, au départ de Turin et de Rome, est apparu sur la scène internationale dans les années 1960. C'est une « attitude » (plutôt qu'un mouvement, terme que les artistes d'Arte Povera rejettent) prônée par des artistes italiens depuis 1967. Leur comportement consiste à défier l'industrie culturelle et plus largement la société de consommation, selon une stratégie pensée sur le modèle de la guérilla. Ce refus de l'identification se manifeste par une activité artistique qui privilégie elle aussi le processus, autrement dit le geste créateur au détriment de l’objet fini. Processus qui consiste principalement à rendre signifiants des objets insignifiants (tel par exemple le célèbre urinoir immortalisé par Marcel Duchamp sous le titre de Fontaine ). Arte Povera utilise des produits pauvres (d'où son nom) : du sable, des chiffons, de la terre, du bois, du goudron, de la corde, toile de jute, des vêtements usés, etc. et les positionne comme des éléments artistiques de composition". Remarquez qu'on ne saurait interdire d'utiliser l'expression sans majuscules… Article complet ci-dessous:
- Wikipedia: définition d'Arte Povera.
26-3.-↑ D'après Wikipedia: Christie's est une vénérable entreprise de ventes d'art de Londres et New York… D'après certains, le fondateur serait James Christie qui aurait mené la première vente à Londres le 5 décembre 1766. D'après d'autres sources, on aurait des annonces de presse pour des adjucations de 1759. Faites-vous une idée de l'Art Moderne:
- What's Christie's ? (Wikipedia en English…)
- Apprenez donc l'Art Moderne !
26-4.-↑  Le vignoble de Beaulolais:Cliquez, dégustez…
- Carte des crus du Beaujolais
- Beaujolais: bon guide
- Beaujolais dans Wikipedia
26-6.-↑ — Friedrich_Engels: court extrait de Wikipedia ci-dessous
Friedrich Engels, né le 28 novembre 1820 à Barmen (ville qui est aujourd'hui une partie de Wuppertal), et mort le 5 août 1895 à Londres, est un philosophe et théoricien socialiste allemand, grand ami de Karl Marx. Après la mort de Marx, il assure la rédaction définitive des tomes II et III du Capital, à partir des brouillons laissés par l'auteur. (…) D'une situation industrieuse à la situation de la classe laborieuse: Il est issu d'une famille d'industriels, son père ayant fait fortune dans l'industrie du textile. Il quitte le lycée d'Elberfeld pour raisons familiales en 1838. Tout en travaillant comme commis dans une société commerciale à Brême, il commence à étudier la philosophie en profondeur. Il se rapproche particulièrement de la philosophie de Hegel, qui prédomine alors dans la philosophie allemande de l'époque, au détriment de celle de Schopenhauer. En 1842 il s'installe en Angleterre, à Manchester, et travaille dans une société industrielle où son père a des intérêts. C'est là qu'il écrit en 1845 "La situation de la classe laborieuse en Angleterre".

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La Manif de Malville.
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
On a perdu l'Élisée

« Vous êtes PEGC ? Vous êtes donc "taillable et corvéable à merci" ! » Jean-Loup se remémorait, fourbu par huit heures de cours, les bonnes paroles de Lézardet, l'instit passé sous-directeur pour avoir longuement milité au syndicat et dans le parti politique opportun… Cependant que, dans sa tête, il fredonnait: « L'école est finie, que la joie vienne, mais oui, mais oui,… », Adam l'Écologue et Nathalia débarquaient dans sa classe. Les bras lui tombaient mais il se devait de montrer belle figure aux ados. Ils revenaient, un prof étant absent, de distribuer une poignée de tracts dans les villages. À bicyclette… Et ils étaient tourneboulés… Parfois, l'Élisée les aidait. Il mettait une pincée de papiers par ci, par là… À vrai dire, on ne savait jamais si ç'avait été distribué ou si ç'avait servi à un usage trivial. Cependant, l'avenir devait leur redonner confiance. Ce qui les embarbouillait ce soir, c'est qu'Élisée avait disparu… Personne cet après-midi, à la caverne d'Ali Baba qui n'était jamais fermée… La porte était inusuellement close.

Encore que partageux, le Philosophe des Terriers n'aurait pas aimé qu'on mutualisât son fonds de commerce ! Ergo, soucieux de préserver son maigre bien , il avait institué "l'impôt révolutionnaire" à la mode d'Élisée ! Il fulminait quotidiennement contre les "chieurs de bêton" — comme il disait, faisant traîner la bêê-te: le bêton c'est bêê-te !— qu'il avait aussi baptisés, en ses moments d'indulgence, "Proxénètes de la Nature" !… Bien sûr, il ne leur disait pas en face, sachant que ces bienfaiteurs de l'humanité, tout possédés qu'ils étaient par l'avidité du pognon mal gagné n'en était pas moins illusionnés, jusqu'aux tréfonds de leur bouffissure d'orgueil, de la fausse grandeur d'âme de ceux qui abritent pères de famille et progénitures… Imbus de leur fantasme d'importance, entichés qu'ils étaient de l'élévation de leur rôle social de bâtisseurs de cathédrales du XXème siècle — des silos à prolétaires, des gratte-ciels de bureaux d'affaires et d'apoplectiques champs de ruines industrielles… — « s'agissait pas d'leur écraser les ribouis à ces salopards… Vous auraient collé au cul leur cabinets d'avocats américains, lesquels ayant une longue expérience acquise dans la défense d'innombrables Al Capone étaient fin prêts à sévir encore plus pernicieusement contre lui qu'ils ne l'avaient fait ailleurscontre les polices fédérales !»

En cela Élisée avait tort doublement. D'abord, on ne traite pas les gens comme ça ! Ensuite, a contrario, Élisée pouvait tout se permettre étant insolvable. La justice ne s'intéresserait pas à lui: toute action contre ce clodo étant vouée à coûter plus qu'elle n'eût rapporté. Mais il avait des principes: traîter d'égal à égal et ne pas jouer les salauds de pauvres qui se permettent d'invectiver les riches, sachant qu'ils resteront impunis, sinon d'une tape dans le dos du style:« C'est pas beau mon p'tit ! Ça pourrait être dangereux !»

— « Non ! Vaut mieux leur coller "l'impôt révolutionnaire" dans l'cul et courir se mettre hors de portée. Après tout, les Corses, eux, font péter les villas de richards qui prostituent sans aucune vergogne les plus antiques, les plus respectés, les plus protégés, les plus incommensurablement somptueux des sites de l'île de beauté… "L'impôt révolutionnaire", pour nos cochons d'affairistes locaux, c'est encore gentillet !»

Ainsi raisonnait l'anarchiste cavernicole et cela déprimait un peu Jean-Loup, lui qui avait été, dans sa prime enfance, un doux petit chrétien, premier de catéchisme et parfois à confesse… Surtout, il se demandait si l'homme n'allait pas un jour, dans une crise de courroux hyperbolique, péter les plombs et commettre une violence qui jetterait le discrédit sur l'ADVG, justifiant aux yeux des foules réprobatives… ( et sournoisement conditionnées par la télé ), la répression de tous les écolos !

À titre de "dîme populaire", se levant très tôt pour la percevoir, il prélevait, dans des lotissement hideux — parce qu'hétéroclites: images disparates de l'individualisme petit-bourgeois — la "part de Dieu". Encore était-ce bien loin du "dixième" jadis dû aux frocards pour ces spéculateurs fonciers et immobiliers qui ravageaient les lisières de forêts millénaires dans le Val Grisette ! Un par ci, un par là, ça ne se voyait même pas ! Il avait acheminé sur le porte-bagage du vélo vert, des parpaings de 20, en quantité modeste, juste de quoi boucher l'entrée de sa grotte. Quand même, il avait bien fallu deux cents voyages, vu l'ouverture; mais on était loin des immenses richesses accumulées pendant des siècles sur le dos de ses ancêtres paysans dans des granges dîmières gigantesques, ventrues comme des cathédrales de la Goinfrerie Monacale… L'homme était patient. Ayant acheté le mortier, il s'était protégé des rigueurs de Borée autant que des malandrins matois, voleurs de pauvres et d'indigents. Jean-Loup avait fourni de vieilles portes et fenêtres changées aux "Gais Combats".

  Comme tous trois approchaient l'entrée de carrière, ils constatèrent que la porte était barricadée de l'extérieur et que, selon toute logique, Élisée était parti sans laisser d'adresse. Ils se perdirent en conjectures sans trouver d'explication plausible… Fallait-il alerter la police ? Ils jugèrent que la porte serait enfoncée, laissée pour telle, livrant le maigre trésor du bouquiniste à la merci de pillards plus riches que lui. À l'approche des vacances, il leur fallait préparer leur voyage collectif à l'autre bout de la France et ce n'était pas petite affaire… Ils oublièrent un peu vite !

Petits bourgeois, petit idéal: les deux mamelles de la france moderne…

Pour leurs débuts d'écologues, les ados reçurent comme un grand coup de règle sur les doigts. C'était le début des déceptions que procurait à cette époque, aux premiers écologistes, leur prosélytisme. Ayant vendu un premier exemplaire de leur petit journal, ils avaient dit que le second serait gratuit; ce qui fut le cas… Peu des habitants leur ouvrirent la porte. Adam se fit arracher une manche par un chien. La bourgeoise refusa de payer le vaccin antitétanique ! Certains leur claquaient la porte au nez, comme à des marchands de paniers… Même un blaireau fit plus fort que les autres, leur criant: « Je m'suis fait avoir la première fois, vous m'aurez pas c'coup-ci !
— Mais le deuxième est gratuit, comme promis !
— Fichez-moi l'camp ou j'appelle les gendarmes ! »
Les jeunes gens collèrent une centaine d'affiches dans les localités voisines: ils ne recueillirent aucun écho. Pas un mot aimable; pas une voix d'encouragement ! Aucune personne ne téléphona ni ne se présenta à l'adresse de l'ADVG… Les ados étaient effondrés, groggys (27-1↓ ) . Ainsi étaient-ils confrontés à l'un des phénomènes les plus étonnants du siècle: des dictateurs avaient entraînés derrière eux des foules fanatisées pour engendrer des millions de morts. La plus terrifiante des guerres se construisait désormais à grandes ponctions de milliards dans leurs impôts. Voilà la mort de leurs enfants qu'on programmait dans un conflit nucléaire. Nos petits bourgeois français, le cul bien calé dans leurs coussins devant leur match de foot ou leur soft porno pour mémé en rut ne daignaient pas faire le moindre effort pour comprendre. « On vous dit que si l'on construit le Superphénix, ça sera aux portes de Lyon comme mille bombes de type Nagasaki (le plutonium !) et des milliers de tonnes de sodium inflammables, sans pompiers possibles, à la moindre déperdition. On vous dit que l'enceinte de béton ne résisterait pas à la chute d'un avion de tourisme… La France hérissé de ces centrales devient le territoire le plus vulnérable du globe ! On vous dit qu'un accident de cette centrale, ce serait la pollution définitive de la biosphère, cette mince couche de terre, d'air et d'eau, le seul endroit connu de l'univers où puisse se développer la vie, celle de l'homme entre autre. Pendant 250.000 ans, 125 fois l'ère chrétienne, ça durera et la planète sera infestée de radioactivité ! Un millionième de gramme de plutonium tue un homme: vos descendants mourront par milliers de toutes formes de cancers… » Rien ! Pas un mot, pas un geste, pas un signe !

Nathalia sur la trace d'Ibn Hazm l'Andalou.

La petite équipe eut vite fait de se compter: Jean-Loup avec sa famille; Marie-Lou la Douce; le prof de physique PEGC sympa: Vital Duruy; deux ados qu'il allait falloir protéger ainsi que l'enfant: Philou ! Des centaines d'affiches, pour tout ça ! Les ados disaient: « Tant mieux s'ils en crèvent un jour »; et le Prof avait du mal à leur faire comprendre que le propos était inopportun: « L'écologisme, c'est l'humanisme du vingtième siècle. L'écologie, c'est la morale de l'An 2000 ! Confiance: nécessité fait loi; un jour, "ils" comprendront ». Nathalia rétorqua: « En somme, on est des pionniers de l'écologisme; et "eux", va leur falloir trente ans pour piger !»

 On prendrait le train avec des bicyclettes pour joindre La Tour du Pin à Morestel…

spii Depuis quelque temps, un jeune lycéen d'origine maghrébine tournait autour de la jeune fille. Il proposait d'aider à la distribution des tracts et l'on manquait de dévouements… Il était inscrit dans les tables du collège sous le nom de Nadir Ben Batekh mais son vrai nom était Nadir Ben Batekh ibn Hazm. Aussi préférait-il qu'on l'appelât Nadir Ben Hazm, patronyme sur quoi s'accordèrent les muses. Il prétendait être le descendant d'un poète andalou dont il affirmait qu'il aurait été le précurseur des troubadours occitans. Nathalia s'enquit de la véracité de cette allégation auprès de Magloire, l'agrégé de Français, qui lui confirma qu'il avait lu quelque chose là-dessus… mais qu'il ne donnait pas cher de la filiation ! Peu de temps avant sa disparition, on avait obtenu d'Élisée qu'il fouillât dans son rayon de littérature: il y avait découvert un exemplaire du "Collier de la Colombe", écrit, probablement en 1037, par Ibn Hazm. Lequel s'avérait être un psychologue, moraliste, un linguiste, un juriste, un historien et théologien atypique: comme si ses occupations d'homme politique près du calife cordouan ne lui suffisaient pas ! L'Andalou avait été chassé par des remous politiques; son protecteur ayant été assassiné, lui-même dépouillé de ses biens, réfugié chez des amis de sa famille à Jativa, l'ancien ministre s'était fait écrivain. Dans les années cinquante, son "Collier de la Colombe" avait été remis de mode par un islamiste français, Lévi-Provençal, qui avait formé la théorie que l'Arabe était l'inspirateur des troubadours d'Occitanie. Une studieuse étude comparative des œuvres d'Ibn Hazm l'Andalou et de nos poètes permettait en effet de rapprocher point par point l'érotique du "Collier de la Colombe" de l'amour courtois de notre Moyen-Âge. Même si les médiévistes grimaçaient, les similitudes expliquées par les voyages trans-pyrénéens de l'époque, étaient frappantes. Toute heureuse de s'être procuré l'ancêtre des ménestrels, Nathalia l'intronisa parmi les garçons sous le nom de troubadour Ibn Ben Hazm. Elle l'enrôla pour Malville…

Quant à l'écolo-trouvère Adam de la Halle, il amusait de plus en plus Élisée comme Jean-Loup. Géant tirant-poussant son Iroquoise menue dans les côtes, il était, davantage qu'un gentilhomme près de sa dame, le grand frère qui s'occupe tendrement de la petite sœur. La gamine lui avait dit:« Si tu viens chez ma grand-mère, je te montrerai la belle touffe qu'elle a dans son jardin… » (27-2↓ ) , parlant d'une boule de Statice latifolia bleue dite aussi "Brouillard de la Mer" (ce qui était également un nom de simili-muse revendiqué par Mini-Mas, puisque c'était un surnom de la Fée Mélusine)… Cette plante magique restant belle encore en fleur séchée jusqu'au milieu de l'hiver, et provenant des confins orientaux de Russie ou d'Iran, ça faisait rêver ! Elle allait s'épanouir en août et c'était le moment de lui rendre visite: convaincre la grand mère de laisser la fillette aller à Malville était un projet qui trottait dans la tête du "grand frère"… Cette fois, c'était sur un ton légèrement rigolard qu'il apostrophait la poupée sur l'antienne de: « Quand est-ce que tu m'emmènes voir la belle touffe de ta Grand-mère ?» L'accord pour l'épopée de l'Isère obtenu de haute lutte, c'est le prof qui, se sentant écrasé par la responsabilité de protéger trois ados et deux "poupons" au milieu d'une manif antinucléaire, voulut refuser; mais devant la mine déconfite du jeune homme, il se dit qu'il allait se brouiller avec celui qui, désormais, devenait une pierre angulaire de l'ADVG et du Jardin Courtois. Ne sachant comment s'en tirer, il accepta mais demanda à Marie-Lou la Douce de garder toujours sous sa vue son fils, Philou, et Mini-Mas. Les deux plus jeunes resteraient avec elle au camping sans se mêler à la longue marche… Il demanda, d'autre part à Vital Duruy, le "Rarissime" collègue assez idéaliste pour avoir répondu à l'appel anti-nucléaire, d'avoir toujours près de lui Adam de la Halle et Nadir Ben Hazm… Le prof de physique fut d'accord pour les freiner, les empêchant de se porter à l'avant où des échauffourées pourraient se produire.

On expédia par avance les bicyclettes, bien emballées dans les cartons fournis par la SNCF. Munis des autorisations parentales, pièces d'identité et de nombreux pansements, on traversa la France par le métro, par le train: geste nécessaire pour montrer que les écologistes se préparaient à la "frugalité supportable". Jean-Loup et ses amis avaient développé cette théorie par opposition à "l'American Way of Life". Celle-ci était manifestement une utopie, un rêve, une élucubration publicitaire, une escroquerie propagandiste illusoire impossible à réaliser, juste bonne à ébranler la confiance des Ruskofs en leur régime socialiste. Elle ne pouvait être qu'un miroir aux alouettes pour gogos nigauds dépourvus d'un embryon de jugeote. Comment la planète Terre qui, déjà, peinait à nourrir insuffisamment cinq milliards d'hommes, pourrait-elle un jour en nourrir copieusement neuf milliards ? Chaque jour elle se dégradait ! Chaque jour on voyait les enfants des pays sous-développés — "Surtout, dites bien: en voie de développement; faut pas humilier… et puis: "sous-développés", ça bat en brèche la ritournelle onirique de l'American Way Tralala" — des pauvres tendrons à tête de buchenwalds et jambes de fil de fer crever d'inanition sur le sein raplapla comme papier WC de négrillonnes misérables…

 La "frugalité soutenable", un jour ou l'autre on y viendra, plaise ou pas… Gueulement dans les cantines: « Écolos ! Salauds de nantis qui veulent priver les misérables… !» Etc, etc… Litanie des grands braillards qui se prennent pour des humanistes alors qu'avec le petit pois qui leur sert de cerveau, ils conduisent l'humanité tout droit à la déchéance… Préparer une société nouvelle compatible avec l'innombrable foule engendrée par des dictateurs avides de pouvoir — Plus y'a d'cons, plus mon armée s'ra nombreuse! — et l'incroyable accélération de la dégradation de la biosphère, c'est là qu'il était l'humanisme !

Allez donc faire piger aux pauvres la "frugalité suppostable" !…

 Sujet d'accrochage avec l'Ermite des Caves ( Tiens, au fait, où était-il passé, celui-là ), théoricien lui-même du "si t'as b'soin, tu t'sers", Jean-Loup peinait à lui faire comprendre que lorsque les océans auront noyé les basses terres et le soleil grillé les hauteurs, il sera difficile de mettre en œuvre ce partagisme sommaire, sauf à se partager les cailloux du désert… Il lui opposait l'exemple suivant de la "frugalité soutenable". « Élisée, calculez avec moi: une bagnole actuelle tient le coup combien de temps au rythme de 15.000 km par an ?
— Six ou sept ans !
— Soit, mettons sept. Une carrière de rond de cuir dure combien de temps ?
— Quarante ou cinquante ans, c'est selon…
— Donc 6 bagnoles plus une ou deux pour la retraite, disons sept bagnoles pour la vie d'un bonhomme; et pour un couple ?
— Si j'applique vos critères, voyons: 6 et 6 = 12 plus une ou deux: 13 ou 14 pour la vie d'un couple.
— Et vous, l'Élisée, vous en avez usé combien dans votre vie ?
— Moi ? À part une motocyclette, zéro bagnole, c'est bien connu !
— Vous avez tenu l'coup ?
— Bien sûr, j'm'en passe !
— Eh bien, la "frugalité soutenable" ç'eût été que ledit couple ne consommât, dans sa vie que sept bagnoles au lieu de quatorze !
— Et comment allez-vous vous y prendre, mon bon maître ?
— Connaissez-vous un système social qui aurait pour but de fabriquer toujours plus, de vendre toujours plus, donc de piller toujours davantage la planète (j'ai encore pas parlé des ordures !) pour enrichir une minorité d'oligarques ?
— Le capitalisme, je dirai le "libéralisme" et "à bas l'goulag !" pour gueuler dans l'sens du poil de chapka du moment !
— Juste; et qu'est-ce qu'on fait ?
— La révolution: tous les capitalistes au goulag: " Messieurs, par ici, on rouvre ! Distribution de chapkas et de bottes fourrées " On loue un établissement de "ressourcement par le travail" et on les remplace… par une légion de politiciens véreux, qui se goinfrent des augmentations d'indemnités à chaque rentrée parlementaire et mènent une politique de "croissance indéfinie" sur une planète exangue qui s'écrase sous la masse des cons: tout va mieux !
— Pas besoin. Sous la pression physique des contraintes d'une biosphère torturée par une humanité pléthorique en pleine explosion de gloutonnerie, on s'organise, par exemple à partir de l'ONU et d'autres organismes internationaux, par des réformes temporisées et progressives, pour créer une "société de frugalité raisonnable" égalitariste et solidaire. Rien que l'égalitarisme sera doux à ceux de la base qui sentiront qu'enfin, il ne seront plus le troupeau sacrifiés des esclaves qui travaillent sans jamais espérer profiter des produits de leur labeur !

  - Pour c'qui est des bagnoles de mon exemple ci-dessus, au lieu de les fabriquer dans la perspective qu'elles soient bousillées le plus vite possible pour que ce couillon de client les remplace au plus vite, on ferait du deux fois plus solide, du modulable standardisé où les réparations seraient simplifiées et compatibles entre les marques. Par échanges standard, elles seraient longtemps "comme neuves". Le couple en consommerait deux fois moins pour le même service. Un coup de recyclage: c'est la planète qui marque des points; la biosphère qui gagne, c'est l'homme qui prospère !»…

Aimez-vous les uns sur les autres Jean-Loup était travaillé par la disparition du Troglophile mais on arrivait à la Tour du Pin. Vite, récupérer les vélos, vérifier les patins de freins des jeunes, la solidité de l'arrimage des sacs à dos, et faire le trajet jusqu'à Morestel pour être au camping avant le coucher du soleil. Il y a sur ce trajet de longues côtes et des descentes dangereuses et Adam l'Écolo pesta plus d'une fois contre son idée d'emporter une poupée, même si c'était une charmante petite sœur…
  Les campeurs débordaient un peu partout sur les champs que les agriculteurs, prévoyants, avaient récoltés. Ayant établi leurs tentes bien regroupées sur un vaste terrain autorisé, les écolos fatigués du voyage avaient dormi presque sans courbatures. Une tente de trois pour la famille Cuisance. Une petite tente de bivouac pour Vital. Une de trois pour Marie-Lou et les deux filles. Une de deux pour les garçons. Marie-Lou garda l'installation et les deux plus jeunes . On explora l'agora où régnait une incroyable atmosphère ludique et cosmopolite. On voyait des petits drapeaux de tous les coins d'Europe. On s'approcha d'une foule qui entourait un musicien qui paraissait amuser la galerie avec un petit bandonéon et diverses objurgations qu'il adressait à la foule. On distingua ce qu'il criait:
— « Mes fils ! Cessez, sur cette Terre de vous flanquer des roustes ! Depuis le temps que le Bon Dieu vous l'dit, depuis qu'il vous a chassé du paradis terrestre, vous ne cessez de vous entre-déchirer. Même le doux Jésus n'y a rien pu. Et pourtant, vous a-t-il pas averti que vous jouiez aux cons avec votre inextinguible violence. Que vous disait-il, pourtant, il y a deux mille ans: "Mes frères hommes, arrêtez cette spirale de la cruauté; sinon, à force de vous foutre sur la gueule avec des triques, des galets éclatés, des piques, des lances, des mousquets, des bombardes, des obusiers, des grosses Bertha… Vous finirez par vous entre-détruire totalement à coup de bombes atomiques !" Eh bien, regardez, maintenant on y est ! D'ici quelques années, vous aurez à côté d'ici, l'équivalent de mille bombes de type Nagasaki qui n'attendront qu'un terroriste pour vous péter à la frimousse. Et ça sera la fin de l'humanité. Place aux poux, aux puces et aux cafards ! Finie la morgue des puissants ! Finie la servilité des esclaves ! Tous dans l'même sac ! Alors, allez-vous vous aimer enfin les uns les autres comme vous l'enseignait le Doux Jésus ! Ou continuer à jouer à la roulette des bombes nucléaires la vie des générations futures ? Aimez-vous mes frères ! Aimez-vous les uns les autres ! Et surtout, aimez-vous les uns "sur" les autres !» Un coup de bandonéon par là-dessus avec la "Chanson de Craonne" (27-3↓ ) … S'étant rapprochés, les écolos du Val Grisette reconnaissaient progressivement la voix; jouant des coudes sans manières, ils arrivaient au premier rang: surprise ! Élisée ! Il était là, le Clochard des Livres ! Il était parti longtemps d'avance et avait parcouru l'immense chemin sur le vélo vert ! Un peu amaigri, il paraissait svelte et en pleine forme; et il apostrophait Jean-Loup: « Alors, mon bon maître, qu'est-ce que vous dites de ma "frugalité supportable"; fait-on mieux que ma Rossinante ?»

  Il amusa la galerie toute la journée, interprétant une chansonnette dont il avait composé l'air, empruntant les paroles d'un poète picaresque autant que moine errant du seizième siècle dont il avait mis, pour le repos du voyage, un recueil à sa besace. Il s'accompagna au bandonéon.

Il n'est que l'ombre de la treille
Pour se rafraîchir plaisamment
Et n'y a d'ombre sa pareille
Ni qui tienne plus fraîchement,
Et si est saine grandement.
Puis troncs, branches, fruits et la feuille
(Mais qu'en leur saison on les cueille),
Tout est à l'homme secourable,
Et (qui est plus grande merveille)
Leur liqueur est très profitable.
Lorsque passa une superlicoquentieuse (27-4↓ )  suédoise en petit short callipyge, il feignit de suivre la Vanadis récitant avec force emphase les vers de son compère de vagabondage:
 

Cul enlevé trop mieux qu’une coquille,
Ô cul de femme! Ô cul de belle fille!
Cul rondelet, cul proportionné,
De poil frisé pour haie environné
Où tu te tiens toujours la bouche close,
Fors quand tu vois qu’il faut faire autre chose.
Cul bien froncé, cul bien rond, cul mignon,
Qui fais heurter souvent ton compagnon
Et tressaillir, quand s’amie on embrasse
Pour accomplir le jeu de meilleur grâce.
Cul rembourré comme un beau carrelet,
Qui prends les gens plus au nez qu’au collet.

Chaque soir, s'étant trouvé un hangar pailleux où bivouaquer la nuit, il sortait le petit manuel et en apprenait quelques vers, se disant qu'il pourrait, à l'arrivée, en amuser ses copains. Lesquels étaient heureux de se retrouver dans de telles circonstances. Et vivement s'esbaudirent "se tant est que faire le puisse". On pique-niqua et l'on but ensemble une bouteille de Brouilly à la mémoire du poète itinérant.

À la sieste, le Poète de la Pédale sortit son petit manuel d'Eustorg de Beaulieu, gentil moinillon, son compagnon de route. Il en lut quelques vers de circonstance:
 
Pour dormir et boire et manger, 
Prendre ébat et me soulager,
Je ne crains homme de ma taille
A qui ne présente bataille,
Fût-il aussi vaillant qu'Ogier.

Il n'est que moi pour engorger
Pain, vin, viande et puis chercher
Quelque étable fourni de paille
Pour dormir.

Je ne vaux rien à me charger
De souci, ni pour ménager
Et moins à rien où l'on travaille,
Fors que pour tirer la ventraille
D'un flacon, et puis me coucher
Pour dormir. (27-5↓ ) 
Le Devin de Faverges.

Du Nord au Sud, de Montalieu à Morestel, sur les petites routes, sur les grandes, un défilé immense avait commencé tôt ce matin. Le temps était idéal. On entendait des voix de tour de Babel: toutes les langues d'Europe était parlées dans une manif immense. Jean-Loup avait un poste radio capable de scanner les fréquences de gendarmerie. On était donc tenu au courant du déroulement des opérations des deux côtés de la belligérance. Sachant la distance parcourue sur telle et telle des routes, on pouvait non seulement suivre la progression des troupes pacifistes, mais, en évaluant la densité des marcheurs sur une longueur de dix pas d'un mètre, Adam l'Écolo put calculer approximativement le chiffre de soixante mille participants comme arrivait midi. Tout, dans la foule, se passait de façon bonasse; à peine vit-on un moment, un jeune homme au torse nu, transpirant abondamment, courir vers l'avant avec un bâton arraché dans la haie…

Quant aux écologistes, dans leurs manifestations, la hantise de leur service d'ordre était la présence de petits groupes de casseurs qui profitaient de l'anonymat de la foule pour se livrer à de menus actes de brutalité mesquine, cassant le matériel urbain et dévalisant les vitrines. On ne savait si c'était parce que les manifs marchaient trop longtemps: c'était souvent les vitrines de chaussures qui trinquaient… Parfois, ces petits groupes de voyous, écolos d'occasion sans honneur ni ferveur, s'en prenaient aux forces de l'ordre. Lors de la manif d'arrivée à Paris des paysans du Larzac, le service d'ordre écolo avait ceinturé un homme qui se fournissait en projectiles dans les casiers de bières vides d'un bistrot. L'hurluberlu visait les gendarmes. Fouillé proprement, on lui avait trouvé une carte d'inspecteur de police; le bruit courait donc avec persistance que la police elle-même se livrait à des provocations, mêlée aux manifestants.

L'avantage était double: la presse discréditait des contestataires pacifiques: bonne façon de manipuler l'opinion; et l'on justifiait l'intervention impitoyable des forces de police. Ayant rempli leur mission efficacement, les policiers qui avaient poursuivi à coup de matraque les calmes comme les provos méritaient alors une "prime d'engagement". Mécanique rôdée; simplement, on ignorait le niveau d'où provenaient les ordres. Qui serait-il donc incriminable lors des accrochages de Malville: le ministre, le préfet, le colonel des CRS ou des gardes mobiles ou les voyous ?

Élisée sur son vélo vert faisait des allers retours avec l'arrière, pourvoyant ses amis en vivres et boissons. Vital marchait tranquillement à l'avant du groupe du Val Grisette; il gardait un œil sur les deux ados qui ne bronchaient pas. Adam l'Écolo et Nadir Ben Hazm devisaient calmement.

Vital ! Jean-Loup aimait ce type. Pas seulement parce qu'il avait découvert en lui un prof d'égal statut; pas seulement parce que le gars lui avait tout de suite accordé sa camaraderie. Mais aussi parce qu'il avait, comme lui, passé de longues années de service militaire en AFN. Parce qu'aussi, c'était un sportif passionné. De là-bas, il avait gardé le goût de la marche et du parachutisme; il continuait de sauter dans un club. Comme lui, il était revenu lieutenant du contingent, s'était marié pendant une permission, s'était fait plumer par une arsouille de constructeur immobilier qui l'avait rendu victime de clauses régaliennes de révision de prix… Ils avaient sympatisé entre familles: leur fillette était adorable. En les regardant faire des pâtés, elle et Philou, on imaginait déjà les marier et voir trottiner leur progéniture… On en riait tous les quatre !

Depuis qu'on avait quitté Montalieu, Nathalia ne quittait pas la gauche de Jean-Loup, faisant un gracieux pendant à Louisette, l'épouse. On avait marché très longtemps et le petit groupe, mêlé à la foule immense s'approchait d'un hameau: le Devin de Faverges. On n'était pas trop loin du front de marche et l'on devait s'attendre à voir bientôt les casques des gardes mobiles qui l'an passé, s'étaient montrés bon enfant (27-6↓ ) . Alors arrivèrent des choses terribles…

Tout à coup de multiples détonations retentirent et l'on fut entouré de fumées irritantes; mais les grenades lacrymogènes ne tombaient pas sur la route; seulement dans les prés voisins. La salve avait surpris par sa violence soudaine et parce qu'on n'avait pas soupçonné la présence des militaires si proches. La main de Louisette s'était crispée dans celle de Jean-Loup et ses ongles se plantaient dans la chair. La surprise vint de ce que, tout à coup, la menotte de Nathalia avait saisi sa main gauche, la serrant très fort dans une geste de grande détresse. Il compris que d'un éclair, la fillette d'El Halia avait replongé dans le drame… Ne pas l'abandonner… Protéger ! Ils coururent vers l'arrière et se mirent dans le couvert d'un bosquet. Vital et les garçons les avaient suivis. Cette fois, les grenades pleuvaient dru et les anciens lieutenants s'accordèrent à dire que c'étaient maintenant des grenades offensives. La troupe étant loin, elles ne pouvaient avoir été projetées qu'avec des fusils lance-grenades. Ils les connaissaient bien, pour avoir utilisé le système avec les vieux Garand M1 des américains en Algérie. On montait au bout du canon un lance grenade; on chargeait avec une cartouche débarrassée de la balle. On posait la grenade. Le tireur était agenouillé, la crosse posée au sol absorbait l'énergie du tir; la portée était très augmentée par rapport au lancer manuel. Les deux femmes ne lâchaient pas Jean-Loup qui s'en trouvait entravé; elles tremblaient toutes deux comme des feuilles… C'est alors que l'attention du prof se porta vers Nadir. Le jeune homme le fixait étrangement avec une lueur de haine comme il en avait vu briller dans les yeux de La Carotte…

À voir la noirceur du regard du garçon, il lui revint en mémoire un texte du "Collier de la Colombe". Autant les troubadours français admettaient avec gentillesse que leur dame fût courtisée par d'autres, autant le poète Arabe était intransigeant. Il se remémorait la phrase des Occitans: « Si ma dame a d'autres soupirants, je ne lui en fais pas pour cela plus mauvais visage » Laquelle prouvait leur tolérance qui s'opposait à la férocité jalouse d'Ibn Hazm: « Je suis naturellement très jaloux » D'après certains exégètes, cette jalousie "découle du sens de l'honneur très aigu chez les Arabes" (27-7↓ ) . Jean-Loup, déjà sonné par le boucan infernal des grenades n'avait pas besoin de cette agression d'autant plus inquiétante qu'elle était silencieuse, inexprimée… Il tenta de desserrer l'étreinte de la menotte de l'adolescente mais plus il insistait, plus la jeune fille serrait: elle était pâle et tremblante…

Alors vint le malheur. Pris d'une sorte de folie furieuse, le jeune maghrébin se saisit d'une jeune perche morte dans le gaulis, la brisa pour en faire une longue matraque… Le prof se demanda si, menotté par les deux femmes, il allait être assommé sans pouvoir se dégager… Ce n'était pas ça; ce fut pire encore: l'adolescent était parti comme un fou vers l'avant de la colonne, sus au cordon de CRS. Vital qui s'était vu confier la surveillance du jeune homme bondit pour le ceinturer mais la courte distance fut franchie sans qu'il pût le rattraper. Déjà les fusils lance-grenade se rabattaient à l'horizontale. Si l'ado continuait de courir vers eux et si leur brigadier perdait son sang-froid, il allait prendre une grenade en tir tendu. Terrifié par la compréhension du danger, Vital avait fourni un ultime effort et bloqué le garçon dans sa course en s'interposant. Il avait sorti un grand mouchoir blanc et l'agitait vers la troupe… Trop tard, l'ordre était parti, la grenade vint claquer contre la poitrine du prof qui s'abattit. Jean-Loup arrivait derrière, en hurlant qu'on appelle l'ambulance: au sol, la poitrine ouverte par la grenade saignait abondamment mais Vital vivait encore. Les brancardiers purent le secourir sans que la CRS n'agressent davantage… Il décéda pendant son transport à l'hôpital !

Le malheur absolu était survenu… Déjà Jean-Loup se sentait écrasé de responsabilité; l'ère de la tristesse était arrivée…


 Alors le chevalier Malheur s'est approché,
Il a mis pied à terre et sa main m'a touché.
Paul Verlaine, "Sagesse"


© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 27:   ( Sauter les notes de section 27 )
27-1.-↑ Groggys ou groggies ? CNRTL, si excellent habituellement ne dit rien. Jean Girodet: "Pièges et difficultés de la langue française" a justement choisi "groggys" puisque le mot est francisé. Étymologie amusante et Histoire: 1916 (Le Matin, 4 août d'apr. Mack. t. 1, p. 261); 1922 boxeur groggy (Ex: "Un boxeur groggy dont rit la salle, parce qu'il a l'air de réfléchir s'il va tomber ou ne tomber pas" (Montherlant, Songe, 1922, p. 153). Empr. à l'angl. groggy, attesté dès 1770 comme dérivé de "grog", soit: caractérisant l'état d'ivresse et au xixe s. comme terme qualifiant les chevaux ayant une faiblesse des jambes les faisant tituber, puis, comme terme arg. et de sp., qualifiant des hommes étourdis et titubant après un choc ou des coups.
27-2.-↑ Statice latifolia; de belles images (n'oubliez pas de les "survoler" avec la souris)…
- Images dimensionnables de Statice
- Images fixes de Statice
27-3.-↑ La Chanson de Craonne est une chanson antimilitariste écrite en 1917. Elle a été écrite à partir de l'air de Bonsoir M'amour (Charles Sablon), chantée par Emma Liebel. Elle fut chantée par les soldats qui se sont mutinés (dans plus de soixante des cent divisions de l'armée française) après l'offensive très meurtrière et militairement désastreuse du général Nivelle au Chemin des Dames. (Au Nord-Est de Soissons; au Sud de Laon) Ces révoltes furent sévèrement réprimées, notamment par le général Pétain, nommé le 17 mai 1917 pour remplacer le général Nivelle avec pour mission d'endiguer l'effondrement du moral des soldats. Il y eut plus de 500 condamnés à mort (dont 26 effectivement exécutés).

- Refrain :
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme
C'est à Craonne sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés
- La Chanson de Craonne dans Wikipedia (avec les paroles).

27-4.-↑ supercoquentieux, -tieuse: ou supercocantieux ou superlicoquentieux: CNRTL: Mot burlesque, imité de superlicoquentieux « qui surpasse le coq », forgé par Rabelais à partir du latin super et de coq (1546, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, chap. 38, p. 263) attesté également: 1623 superliquoquentieux (Var. hist. et littér., éd. E. Fournier, t. 4, p. 324), cf. aussi superlicoquelicanticqué « sublimé, exalté » (Rabelais, Pantagruel, var. de l'éd. de 1542, v. éd. V.-L. Saulnier, p. 39, notes) et le latin macaronique « credo in superlycoustequansio Creature Ongnonnaris » (Rec. de poés. fr. des XVe et XVIe s., par A. de Montaiglon, t. 1, p. 205). Avec: * Macaronique, adj. (toujours dans le dictionnaire du CNRTL: www.cnrtl.fr/) Littéraire. [En parlant d'un genre parodique] Qui est composé de mots latinisés de façon à produire un effet divertissant ou comique. Langage, style macaronique; vers macaronique. "Je me souviens maintenant d'une chanson de l'époque qu'on fit en latin macaronique sur certain orage qui surprit le Grand Condé comme il descendait le Rhône en compagnie de son ami le marquis de La Moussaye. Condé dit: Carus Amicus Mussaeus. Ah! Deus bonus! quod tempus! Landerirette, Imbre sumus petituri" (Proust, Prisonn., 1922, p. 303)
27-5.-↑ De l'ombre de la treille
Extrait du "Blason du Cul", d'Eustorg de Beaulieu, 1495-1552 - Nb CJ: date de naissance imprécise…
Extrait étudié : Eustorg de Beaulieu (1505-1552) - D'un gourmand, ivrogne et paresseux
27-6.-↑ ils s'étaient montrés bon enfant: bon enfant, invariable d'après Girodet
27-7.-↑ Études sur la civilisation de l'Espagne musulmane; Par Rachel Arié; bref extrait:
"Les deux conceptions sont tout aussi diamétralement opposées en ce qui concerne la jalousie. « Je suis naturellement très jaloux », écrit Ibn Hazm pour qui la jalousie est la marque même de l'amour (Ibid p.325: NDLR: ss dte Le Collier de la Colombe). Elle découle du sens de l'honneur très aigu chez les Arabes. Tel troubadour accepte de bon cœur que sa dame soit courtisée par d'autres: « Si ma dame a d'autres soupirants, je ne lui en fais pas pour cela plus mauvais visage » in A.Jeanroy, 1934, 2 p112. " Source ci-dessous:
- Étude de Rachel Arié: "Études sur la civilisation de l'Espagne musulmane"

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Les Heures Noires…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Soir de Deuil à Morestel…


La nuit était déjà tombée qu'encore, depuis des heures, les grenades pleuvaient dans les rues de Morestel. Ça n'était plus les patates offensives tirées au fusil à tir tendu comme au Devin de Faverges. Ça n'était plus que des lacrymogènes… On entendait les courses-poursuites des ultimes manifestants fuyant les matraquages impitoyables des gardes mobiles… C'était le soir de l'immense manif internationale par quoi se fondait le mouvement antinucléaire international où l'on avait pu rencontrer les grands leaders écolos de France et d'Europe; Brice qu'on avait retrouvé au wagon restaurant, Pierre, le président de l'association nationale, des professeurs de faculté ou du Museum… C'étaient aussi les retrouvailles d'anciens militants qui avaient quitté le groupe local pour travailler ailleurs et qui, maintenant, représentaient un autre des groupes nombreux des AT… On aurait dû se réjouir de la réussite imposante de cette journée fondamentale et c'était la douleur, la tristesse et l'humiliation d'une répression qui n'avait plus de sens, les manifestants s'étant dispersés après l'algarade sans plus chercher l'affrontement… Mais il fallait justifier l'écrasement barbare de cette protestation universelle: légitimer la folie de la poursuite du projet contre le bon sens populaire ! On avait relevé de nombreux blessés. Parmi eux de jeunes Allemands.

 Le préfet local avait déclaré devant les médias: « Au secours, les Boches reviennent !» On les avait rencontrés, beaux jeunes gens et jeunes filles d'une autre génération — on aurait pu dire "d'une autre régénération" — doux beatniks indolents, amicaux, fraternels (28-1↓ )  ou étudiants studieux… Jean-Loup se rappelait en les voyant la définition qu'il avait trouvée du phénomène hippie fin des années soixante dans la presse parisienne où les "baba cool" étaient décrits comme une: " …mousse un peu triste et sale des grandes vagues idéalistes qui déferlent sur les plages de l'âme. " Ça n'était pas ça; et le prof, à leur rencontre, s'était juré de ne plus jamais dire: « les Boches !» ce mot de haine qu'il avait eu lui-même à la bouche lorsqu'il avait perdu son père, prisonnier de guerre, en juin 40… Désormais, c'étaient ses élèves qu'il réprouvait, qui avaient ignoré les affiches écolos, les avaient vandalisées pour aller se pavaner, fumant leurs pétards, sur des plages snobinardes… C'était cette nouvelle "régénération" d'Allemands qui marchaient désormais, main dans la main et sourire aux lèvres, avec le mouvement mondial écologiste, face aux CRS de la technocratie nucléaire… (Élisée disait "technocrassie" en faisant siffler les deux "ss" !)… Un jeune Allemand avait survécu aux grenades OF tirées à tir tendu. Il avait perdu sa jambe… Le juge lui avait dit: « Réjouissez-vous de la générosité de la France ! Vous êtes venus, une fois de plus, détruire notre bien national et la France vous renvoie chez vous muni d'une prothèse !» Cependant, rien n'était alors à détruire, le chantier n'était qu'un terrain vague…

  Ce soir-là, soucieux de ne pas rajouter au malheur un drame plus immense encore ( n'était-il pas respondable d'enfants et d'adolescents ?), Jean-Loup avait invité son monde dans un restaurant de Morestel et l'on assistait bien à l'abri, au chaud, devant un vrai repas, comme devant la télé, à l'inhumaine répression qui se déroulait sur le trottoir même… Pour faire plaisir et remonter un peu le moral de sa lamentable équipe, on but deux bouteilles d'un joli Moulin-à-Vent sans que le philtre magique parvînt à sortir aucun de son bourdon, de son accablement, de sa désespérance. On n'osait plus quitter la table, craignant de rencontrer une patrouille attardée par un zèle sadique… Les femmes somnolaient, Philou sur les genoux. Jean-Loup ruminait son immense chagrin et sa honte d'avoir entraîné Vital dans à cette horrible boucherie; rien, de toute sa vie, ne lui ferait oublier cette chute en enfer au fond d'une intense dépression, d'une mort vivante… Il allait falloir revenir à Paris, à la Villeneuve et retrouver la veuve et l'orpheline… Oh ! l'horreur d'avoir à leur annoncer la mort d'un Vital adoré, la mort d'un papa ! À cette idée, les larmes lui vinrent et la main de Marie-Lou se posa sur la sienne… Enfin fallait-il se lever car l'établissement fermait. On trébuchait, harassé par la marche autant que d'avoir abusé tant soit peu du nectar de Beaujeu !

Oh! si ma poésie était une rosée
Qui, s'épandant à flots sur votre âme épuisée,
Lui versât quelque peu de consolation
Et calmât vos douleurs avec son onction,
Je serais bienheureux! Quelle divine joie!
Ah! je prie ardemment pour que Dieu me l'octroie,
Et que tout ce que j'ai de ce divin nectar
Dont le Seigneur m'a fait une petite part,
S'épanche en amitié...
Maurice de Guérin (28-11↓ ) 
À trop soi forboire, Élisée titubait; et c'est à tâton, soutenu par l'Iroquoise, qu'il accapara la monoplace du défunt
 (28-2↓ ) … Le petit matin suivant fut le pire de leur vie: l'instit se réveilla en plein cauchemar… La journée débuta par un immense serrement de cœur en songeant au désespoir de la veuve, à l'incompréhension angoissée de la fillette ! À la réprobation générale des amis, de sa famille, de ses collègues et de tout un canton ! Quel pitoyable échec que d'être parti se confier, prosélyte pacifique et débonnaire, naïvement confiant en la constitution de la république, à la mortifère violence de mercenaires fanatisés, conditionnés à la haine de tout ce qui pouvait évoquer l'aspiration libertaire… Où étaient-ils ces matins de joie qu'il se récitait Verhaeren:

Ô ces matins de fête et de calme beauté
Rose dont la rosée orne les purs visages
Oiseaux venus vers moi comme de blancs présages
Jardins d'ombre massive ou de frêle clarté (28-3↓ ) 
Tout serait désormais laideur, papillons noirs, noirceur, deuil et mélancolie… C'était avec Hugo qu'il faudrait sangloter…  (28-10↓ ) 

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
(...)
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur (28-4↓ ) .
Retour "Niveau Blaireaux".

Élisée émergea de sa tente-cercueil désabusé, cassé de douleur, d'aigreur et d'amertume. Heureusement, il montra qu'il était l'ancien organisateur d'expériences de laboratoire, méthodique et capable d'initiative. Moyennant défrayement, le prof n'eut pas de difficulté à le convaincre de rester sur place pour des formalités de rapatriement du corps et des biens de Vital. Il fut à la hauteur de cette tâche, libérant Jean-Loup pour l'accompagnement des enfants au retour. On pédala sans joie, dans la jolie campagne toute bosselée qui sépare Morestel de la Tour du Pin. Enfin… la gare !…

Le retour par le train ne fut que brumaille, désenchantement et maussaderie. Chacun s'était refermé sur soi-même. Le maghrébin n'avait pas desséré les dents depuis que Vital, se jetant devant lui pour lui faire rempart de son corps, avait perdu la vie. Il était directement responsable du malheur, ayant perdu la raison dans une probable crise de jalousie furieuse lorsqu'il avait vu que Nathalia s'accrochait au prof pour chercher protection; mais comme il restait muet, on n'était sûr de rien. Aurait-il fait une crise d'agressivité par réaction à  ? Jean-Loup tenta sans succès de l'ouvrir par des propos rassurants. Il délégua alors Adam l'Écologue pour le sortir du mutisme. Rien n'y fit: on l'abandonna à son enfermement. Philou qui avait tout saisi du drame paraissait partager la désolation de ses parents. Seule Mini-Mas les réconforta un peu en disant qu'elle se réjouissait que son prof l'eût protégée en la laissant à l'arrière sous l'aile de Marie-Lou; celle-ci les avait menés dans une campagne tranquille éloignée du champ de bataille et sécurisante.

Bien sûr, on était plein de vague à l'âme en songeant aux compte-rendu de presse et de télé. Ce fut encore pire que ce qu'on avait craint… Ce fut une nouvelle épreuve. La presse était unanime à condamner… non pas la violence de la répression mais celles, unilatérales, qu'on imputait aux écologistes. On chargeait au maximum les victimes; et l'on sentait que les rédacteurs de manchettes étaient de ces blaireaux qui glosaient, profitant de l'occasion d'un mort, pour étaler leur haine du nouveau mouvement politique alors qu'ils n'étaient même pas sur place pour observer. Alors que, bien planqués dans leurs bureaux, ils avaient vaguement écoutés les bulletins radios qui diffusaient les communiqués préfectoraux… Alors qu'ils venaient de rater l'occase de leur vie: être, pour une fois, de vrais informateurs, d'authentiques journalistes… Tous criaient haro sur l'Écologiste avec l'unanimité hystérique de ceux qui, trop pétochards pour être sur place, cherchaient à justifier leur lâcheté, leur incompétence et leur complicité avec la technocratie au pouvoir en accusant l'écologisme d'être le meurtrier de Vital Duruy !

Par ailleurs, avec une infinie délicatesse dans laquelle on reconnaissait l'empressement des scribouillards à reconnaître qu'un accusé n'est qu'un suspect en "présomption d'innocence", Vital était présenté comme un casseur lanceur de bombes sur les CRS. Chose grave, sa photo paraissait en première page à côté des manchettes… Un journal du matin titrait : «Les desperados de la révolution. Les fossoyeurs du génie français ! La violence n'est justifiée que contre la violence.» Le rédacteur poursuivait: « Il serait bon que tous ceux qui en Italie, en Allemagne, en France, croient aux vertus de la bombe, de la mitraillette et du cocktail Molotov s'interrogent sur cet exemple. Enfants perdus du gauchisme, soldats désavoués d'une pseudo-révolution que la gauche ignore, il leur manque précisément l'essentiel qui donnait quelque justification au terrorisme des nihilistes russes: l'oppression du tyran. Car enfin ni la France ni l'Allemagne ni l'Italie ne sont des sociétés policières mais des démocraties à l'occidentale, le contraire du goulag soviétique, respectant le vote des citoyens; etc... » Un populaire journal du soir écrivait: « Non à la violence ! Si c'est ça l'écologie, alors, non à l'écologie !»

Il se dégageait de tout ça un odeur de sueur rance de gazetiers laborieux occupés, en manches de chemises, à piquer leurs infos à droite, à gauche, dans des agences d'état, parmi des officines vendues aux capitalistes, chez des collègues ayant, tout autant qu'eux, observé la manif depuis leur plumard. Il était vrai que ce fût un beau dimanche de juillet…

Assombrissement, consternation, découragement, dégoût et même un embryon de révolte qui, commençant à les titiller, les faisait sortir de leur apathie: voilà ce qu'inspirait la presse du lendemain-de-Malville, à ceux qui avaient risqué leur vie pour hurler à la face du monde le danger du plutonium, du sodium. Pour dénoncer l'imminence du terrorisme menaçant une industrie trop fragile qui vulnérabilisait la France pour toujours; et par delà, la biosphère… D'ailleurs, l'un de nos folliculaires enfiellés n'avait-il pas traités les écologistes massacrés par les grenades à tir tendu des lance-patates militaires de « Chiens hurlants du fanatisme ?» C'était dans la grande presse internationale de ce matin-là, le carrousel de l'hypocrisie… Eh bien, on allait leur répondre, on allait crier la vérité aux échos de l'Histoire ! (28-5↓ ) 

Grisaille, abattement, idées noires n'étaient pas écartés pour autant qu'ils étaient fouettés par l'injustice qui leur était faite. Il fallait désormais porter le désespoir et l'éternelle affliction chez la veuve et l'orpheline. Jean-Loup en était prostré. Marie-Lou la Douce vint à son secours: c'est elle qui serait messagère du deuil. L'instit lui fut reconnaissant mais il jugeait que ç'aurait été lâcheté de n'être pas au côté de la fillette confrontée au suprême malheur. Ils iraient tous deux…

L'Entrée en Enfer…

Ils trouvèrent les deux femmes dans un éplorement abyssal… L'épouse avait étalé la presse sur la table. En première page s'étalait la photo de son mari. Sous son nom, la manchette: « Malville… la violence… les despérados de la révolution » Avec la perte du mari aimé, c'était l'accablement de l'opprobre publique. La pauvre femme n'osait plus sortir de chez elle: elle se faisait insulter par le voisin électricien, par l'artisan maçon d'en face, par le conducteur de bus syndicaliste du coin: « Terroristes !» La fillette était isolée par les copines et sa tristesse se noyait dans les sanglots… Marie-lou leur fit part de leur déploration et Jean-loup expliqua la déloyauté de la presse, le mensonge de l'initiative de la violence par les écologistes, surtout pas venant de Vital.

Il expliqua doucement à la fillette l'admirable histoire du courage de son papa qui avait sacrifié sa vie pour sauver celle d'un jeune homme, le protégeant en lui faisant rempart de son corps contre les grenades offensives tirées avec un fusil. Il lui dit que dans son dernier souffle, c'était son prénom qu'il avait prononcé; dans un dernier effort il avait murmuré: « Ô ! mon pauvre ange, dire que je ne te reverrai plus !» Jean-Loup leur conta l'estime que toute la mouvance écologiste avait manifestée autour de son geste tellement sublime et la détermination de toute la mouvance verte à crier la vérité sur la mort héroïque de Vital, premier martyr de la cause écologiste. Il expliqua aux deux femmes que l'honneur de leur être aimé serait magnifié pour toujours et servirait à galvaniser la lutte des écologistes pour l'arrivée au pouvoir de ce nouvel humanisme. Il dit combien la philosophie écologiste au nom de laquelle Vital s'était battu serait celle qui, sans doute, sauverait l'humanité de la perte de sa biosphère et que le nom de papa resterait associé à son accomplissement final. Ils les quittèrent annihilées par la souffrance et l'angoisse du destin à venir… Jean-Loup sortit les larmes aux yeux, détruit par la prostration de la fillette. Il pensa au brigadier qui avait crié « Feu !» et le maudit à jamais; mais l'autre sirotait sa prime de risque devant le foot télévisé, avec la tartuferie pénarde du boulot accompli…

Philou monte en grade…

Enfin, il allait être "un grand". Il était valorisé d'avoir été choisi pour y aller, un peu plus jeune que d'autres. Il se rengorgeait d'être près de "Papa le Prof" ! Combien serait-il fier d'être le fils du maître !… Il préparait sa rentrée fébrilement, s'enquérant avec minutie près de l'enseignant des outils nécessaires au métier d'étudiant… Il serait fin prêt ! Philou entrait au collège !

Jean-Loup voyait arriver septembre d'un autre œil. Nostalgie, chagrin, malaise; un soupçon d'angoisse étaient son lot. Il avait préalablement rencontré Le Moualc'h et lui avait fait part de son immense navrement d'avoir perdu son meilleur camarade de travail. Ils étaient tous deux convenus des qualités du disparu et de la nécessité d'assister l'orpheline. L'instit avait signalé son intention d'abandonner l'expérience du "Jardin Courtois". À sa surprise, le proviseur se récria, disant que son collège était désormais cité comme celui où se déroulait une expérience mêlée de poésie et d'écologisme; que l'inspecteur d'académie lui en demandait des nouvelles à chaque convocation. Le prof eut un sentiment de gratitude pour son cher Velociraptor ! Sans enthousiasme, il promit de réfléchir.

L'atmosphère de la rentrée s'annonçait pleine de morosité malgré la présence de Philou. En préparant sa classe, il n'imaginait que des mines fermées. Il sentait monter le cafard et l'anxiété d'avoir à confier son fils chéri, le trésor de sa vie, aux fantaisies de la racaille. La joie de Philou, le matin de l'ouverture, le reconforta. Le soir, il trouva son fils en larmes. Dans les couloirs, la dissidence allait bon train. Trop lâches pour s'attaquer au père, les émules de La Carotte se défoulaient sur le fils. Le tendre innocent avait été bousculé par le fils de l'électricien, celui du maçon et l'avorton du conducteur de bus. On l'avait désigné, lui et son père, avec leur club d'écologisme, comme les responsables de la mort de Duruy; et le Velociraptor, dépassé par les jours de rentrée comme d'ordinaire, n'avait pas nommé de remplaçant. C'était la faute à Cuisance, l'écolo militant ! À la cantine, le tendron avait retrouvé Alyssa, la fille Duruy, et ils avaient pu faire front ensemble; mais les croûtons de pain et les injures avaient plu sur eux…

Dès le lendemain, Adam l'Écolo et Mini-Mas avaient accepté de surveiller Alyssa et Philou pour les soustraire à leurs agresseurs; mais les couloirs étaient grands et les horaires dispersés. Il fallut également compter sur les humeurs militantes de Beauserfeuille, l'escogriffe servant de concierge et de meneur cégétiste à la godille, qui désormais, quand le prof arrivait avec son enfant le matin, se tapissait au fond de sa loge et hurlait: « Terroriste, assassin !» À quoi il ajoutait, quand son humeur activiste le travaillait côté foie, un « Pédé !» terminal bien accentué ! Comme Jean-Loup s'était fait donner une heure de travaux manuels dans les cinquièmes, il devait charrier, à chaque cours, dans son vieux break, un abondant matériel qui lui servirait à fabriquer de menus appareils pédagogiques pour la pratique de Physique des plus jeunes. Le Ministère dépensait des montagnes de fric pour nantir au mieux les écoles, mais un ministre ayant introduit la physique en sixième, le matériel ne suivait pas… Comment expliquer aux bambins la nécessité, pour faire circuler un courant utile à l'éclairage, de raccorder un pile à un interrupteur et à une lampe dans son support, tout ça connecté en circuit fermé, si ce n'était par l'expérimentation ?… C'était ce matériel que les "grands" de cinquième fabriqueraient. Après le cours, remballer le matos n'était pas chose paisible, comme la veille à la maison; cela demandait du temps.

Alyssa et Philou étaient venus l'aider à la sortie du samedi, vers onze heures et demie. Le véhicule avait été rapproché de la classe, un préfa croulant (les profs du second cycle avaient, le lycée n'étant pas construit, accaparé dare-dare les belles classes neuves du collège: « Faut bien partager !»). Jean-Loup s'était donc attardé à remballer, si bien qu'au moment de franchir le portail, le sectateur Beauserfeuille l'avait fermé à clé… Et par le plus grand des hasards, il fut introuvable… Les deux chérubins avaient déjà les larmes aux yeux, se voyant prisonniers pour le week-end. Mais le prof avait d'autres tours dans son sac. Comme le lycée était en construction, un terrain vague restait ouvert dont il savait qu'il communiquait avec un chemin rural. Cahin-caha, dans un champ durci par le chaume et le soleil, il put sortir sous les yeux écarquillés du gnafron séditieux ressuscité d'on ne sait où…

L'échalas activiste n'allait pas se laisser abattre. Comme il fermait le portail du collège quinze minutes après la sonnette de sortie, histoire d'activer les profs mollassons, ( "ces faillots qui font du rab !" ) lesquels faisaient sortir les mômes en retard ( "les cars n'attendent pas !" ) les néophytes se laissaient piéger à l'intérieur. On voyait alors des poupons de sixième, de ceux qui avaient encore peine à gribouiller les leçons dans les cahiers de texte à l'heure de la sonnette, qui se précipitaient pour ne pas rater leur car, escaladant par grappes le portail, au risque de se faire quelque horion. Le péril était sans doute minime et l'épreuve pédagogique: on prendrait l'habitude de ne pas faire attendre le chauffeur de car, pressé de voir son match et son porno de la Une… Entre syndiqués, fallait bien les dresser ces p'tits cons… Le portail aurait pu en souffrir un brin. Justement, la poignée se fatiguait, le carré usé prenant du jeu. C'était le moment de le changer. On allait mettre ça sur la facture d'un couillon de parent.

Comme par hasard, c'est Philou qu'on captura le lendemain du jour où le bec-de-cane cassa. Le gamin était là, devant un Beauserfeuille solennel comme un proc de correctionnelle et l'intendant, un gros mou pléthorique qui suivait le mouvement des agents techniques par crainte qu'il s'en absentât le lendemain… Le Beauserfeuille pontifiait, s'en donnant à cœur joie... y mettait toute la sauce sur le thème: « V'là ç'qu'arrive quand on éduque son morveux à dégrader nos centrales nucléaires !» Philou était terrorisé; le pauvre grimaud de sixième était tellement bouleversé qu'il en avait pissé dans sa culotte… Il fallut que le père s'humiliât à comparaître devant ce tribunal improvisé après avoir cherché son poupon dans les couloirs pendant des heures… Ce qu'il fit avec quelques mots bien envoyés mais se méfia du fait que le justicier préféré de l'EDF s'était muni d'un témoin: le pachidermique gestionnaire ! Mais dès le lendemain, il trouvait dans son casier… la facture.



La Clitorocratie se civilise…

Alors il se déchaîna ! C'est Le Moualc'h, jamais dupe du machiavélisme de pacotille du bignole qui dénoua la machination, ramenant le roublard à son niveau de hiérachie en disant: « Monsieur le Concierge, j'en ai ras le bol de vous entendre jurer grossièrement depuis mon bureau tous les matins. Sachez que la CGT admet, aux prud'hommes, qu'il puisse s'agir d'une faute professionnelle. Et à bon entendeur salut !» Lequel "Salut!" équivalant à un "Rompez!" d'excellent aloi ne souffrant pas la réplique, surtout qu'accompagné d'une facture déchirée méprisamment et jetée au nez du plétorique rondouillard —  lequel se sentant complice restait coi — ça sentait fort le "rapport" expédié à l'autorité hiérarchique… Jean-Loup lui aurait baisé les pieds et ne tarissait pas de remerciements. Le batailleur prolétaire supprima le "pédé!" matinal; désormais, c'est à mi-voix qu'ils "causaient", entre agents du même monde, de terroristes et d'assassins… et de pédoques récidivistes !
  La lesbienne superbe qui avait voulu profiter des déboires du PEGC pour renforcer sa mainmise sur le labo de sciences nat était en train de payer le manque de solidarité de son équipe. Elle n'avait jamais voulu assimiler l'écologisme par fidélité au PC; mais, cette fois-ci, elle était bien obligé de reconnaître le sérieux de la cause verte. C'était l'inconvénient d'être intelligente ! Et son intelligence allait la perdre en l'obligeant d'atteindre la hauteur et l'opportunisme de la girouette ! Elle avait emprunté au club d'écologie le bouquin des Amis de la Terre "L'escroquerie Nucléaire". Jean-Loup avait obtenu de l'AG de l'Association de Défense du Val Grisette qu'on adhérât aux AT de France dont il avait fait partie à titre individuel dès les premiers mois de sa création par Alain Hervé (28-6↓ ) . Il y avait dans cette société, des types qui étaient des "pointures" scientifiques de première grandeur. Pierre Samuel (28-7↓ )  par exemple, co-auteur du livre prêté, sortait de l'Ecole Normale Supérieure; il avait été résistant durant la seconde guerre. En 1947, c'est à l'université de Princeton qu'il avait obtenu son doctorat de mathématique. Il devait être prof d'université à Clermont-Ferrand et Orsay. En mai 68, quoiqu'horrifié par l'extrémisme gauchiste, il avait milité avec des "rénovateurs" soucieux de réformer l'université. En 1970, il était co-fondateur d'un groupe écolo radical: « Survivre et Vivre ». Puis il adhérait au groupe modéré des « Amis de la Terre ». Il en devint président et laissa aux adhérents le souvenir d'un père fondateur amical et compétent.

Brice Lalonde, lui, était ce jeune homme élégant, lumineux d'idéalisme et d'intelligence, né en 1946, militant dès l'âge de dix-sept ans de l'UNEF et au PSU qui avait adhéré dès 1969 aux Amis de la Terre d'Alain Hervé. Toute sa vie passionnante devait alors être consacrée au militantisme écologiste. Jean-Loup et sa famille le rencontraient dans toutes les manifs écolos auxquelles ils participaient… D'une intellection brillant, cette forme d'intelligence synthétisante par lequelle la simplicité rayonne dans la complexité, il avait montré sacapacité de persuasion lors de la campagne présidentielle de René Dumont en 1974. Et il devait se présenter lui-même en 1981… Même que c'était l'ADVG qui aurait à organiser sa venue à Villiers-le-Bel. Il s'était ultérieurement déplacé au Val Grisette pour défendre le marais de Tréfontaines contre l'urbanisation et bien d'autres fois, contre "l'Autoroute des Lisières" et les dépôts d'ordures géants que Paris déféquait aux orées des forêts (28-8↓ ) 

Lorsque la lesbienne agrégée était tombée sur la liste des bouquins offerts en consultation gratuite aux curieux, son regard s'était figé sur le nom de "Pierre Samuel". Souvenir ! Mai 68: la manif de Denfert-Rochereau ! Lorsque « Dany le rouge » s'était retourné en disant: « Tiens, la chienlit communiste est là !», c'était la présence du Parti Communiste qu'il fustigeait, signifiant par là que "les cocos s'étaient raccrochés à la locomotive estudianine". La chienlit en question, elle en était, l'agrégée, portant bannière ! Mais dans le cortège, elle avait remarqué des écologistes et s'était liée d'amitié. Puis elle avait approché Pierre Samuel lorsqu'elle avait appris qu'en 1957, le prof un peu gauchiste à l'époque, avait écrit son bouquin: "Les Amazones, Guerrières et Gaillardes". Du coup, la bibliographie des écolos l'avait titillée au bon endroit et lui avait démangé une fringale de curiosité pour "L'Escroquerie Nucléaire"… du même auteur. Comme quoi l'intelligence la plus élevée peut parfois passer par le bas ! Ainsi répondait-elle scientifiquement à la fameuse quête philosophique: « Comment l'esprit vient aux femmes ?»… À sa manière: « Le Noûs passait chez elle par l'Epithumia (28-9↓ )  ! »

Elle avait donc répondu, pour sa malchance, à la question d'un élève de terminale sur les dangers potentiels du nucléaire, en utilisant la rhétorique samuelienne… C'était un frère aîné du Desmytter. L'intervention du garçon se poursuivit par une discussion familiale où le grand braillard de père promettait de pondre une note aux RG dénonçant "la gouine de sciences nat comme activiste antinucléocrate"… Ce qu'il fit avec zèle. Le jeune frère était resté muet mais il avait bonne oreille !

Quelques jours plus tard, l'enseignante avait dû migrer à son tour dans un préfa pouilleux. Ses protestations indignées furent vaines: la salle qu'elle occupait avec ses terminales au collège — en toute illégitimité, le collège étant le biotope attitré du premier cycle — cette salle étant mise en peinture pour une quinzaine de jours. Dès le lendemain, elle était accueillie au préfa par une banderole de graffitis géants où elle crut se reconnaître peinturlurée sous son plus mauvais jour: « Abas la gouine antinucléaire ! Au four crématoir !» L'attraction attirait tout le collège et tout le lycée; lotissements aidant, ça commençait à faire du monde dans le canton…

Jean-Loup fut surpris d'apprendre que l'agrégée était juive mais ne s'en étonna guère, ayant toujours défendu que l'expression "juive intelligente" était un pléonasme. Par contre il fut heureusement surpris de la voir contestée en tant qu'écologiste. Il observa que l'orthographe bien spécifique et quelques taches de peintures sur un jean dénonçaient le jeune Desmytter. Il s'en ouvrit à la collègue qui fit immédiatement le rapprochement avec la question posée par l'aîné… L'instit décida de faire une pétition de protestation contre l'injure faite au corps enseignant, attestant l'irréprochabilité de sa collègue; il recueillit de nombreuses signatures qui furent utile à l'amazone fragilisée par l'insulte. Puis, heureux de se voir remercier avec une grande effusion de confraternité, il en profita pour lui proposer de participer à l'expérience du Jardin Courtois. Mais la donzelle allégua l'énorme charge des programmes de terminale, notamment en biologie génétique, pour atermoyer. L'instit qui avait mis son nez dans les corrigés du bac ne put alléguer le contraire… Elle ne rendit jamais "L'Escroquerie Nucléaire": l'exemplaire étant dédicacé par Pierre Samuel… Le PEGC se consola en se disant que si la plus intelligente assimilait désormais l'écologisme, les cons suivraient plus tard. C'était bien vu. L'expérience montra qu'il leur faudrait un tiers de siècle…

La juive lui avait appris que son père, immigré de 1933, organisateur d'un réseau de résistance à Lyon pendant l'occupation, "au nez et à la barbe de Barbie", l'avait, toute gamine, confiée à une famille ouvrière. Avec un courage admirable, les ouvriers l'avaient assimilée et dissimulée, la traitant comme une fille de famille. Elle en gardait, pour cet humble milieu, une reconnaissance indéfectible. D'où son sempiternel engagement au PC ! Jean-Loup ne pouvait qu'approuver, ayant lui-même la haine de l'ingratitude… Mais ici, cette fois, elle s'était trouvée en face d'une population de gens simples qui ne lui pardonnaient ni son intelligence ni sa réussite sociale. Elle apprenait à ses dépens que la classe ouvrière est parfois composée de ceux qui, au fond de la salle, ont passé leur jeunesse à dormir, à brocarder les enseignants, à chahuter, à s'ennuyer le dimanche, tirant les sonnettes et fumant des pétards, en cours empêchant sans vergogne les bons de travailler dans les meilleures conditions. Arrivés à maturité, les vieux cancres ne pardonnent jamais aux anciens élèves studieux de l'avoir été. Le seul sentiment que ces bons élèves d'hier leur inspire, c'est de crever de jalousie devant les avantages que leur procure une réussite sociale si indiscutablement méritée… Et cela, il ne leur pardonnent jamais, les poursuivant de leur haine, les appelant — ce qui, dans leur milieu est suprême injure — "des bourgeois", les incriminant dans leur propre déchéance et les rendant responsables de leur échec social… Bavant de haine et crachant chaque matin au seuil de la belle maison, il ne leur vient jamais à l'idée que l'inégalité sociale est le fruit de leur propre feignantise… L'amazone naturaliste se tira de la discussion en expliquant que, comme Marx l'enseignait, il ne fallait pas confondre classe ouvrière et "lumpen proletariat". Jean-Loup eut beau jeu de lui répondre qu'il connaissait ça depuis l'âge des couches-culottes…

Philou fils de prof…

Les prof ayant fait front, soudés face à la vindicte populacière, Adam l'Écolo et sa gentille Iroquoise ayant veillé au grain, Alyssa et Philou semblaient trouver un semblant d'équilibre au milieu d'un marais d'élèves indifférents à la querelle écologiste mais toujours prêts à prendre parti contre un prof ou mieux, contre son enfant, plus faible, plus tendrement accessible à la douleur de l'humiliation… Les bons élèves n'avaient pas brillé de gratitude pour les bonnes notes de Jean-Loup; ils suivaient gracieusement le mouvement, se contentant de regarder faire… C'est que leurs parents, toujours prêts à évoquer l'incompétence des enseignants quand leur crétin sèchait les cours, expliquaient avec force étalages de fierté au voisinage, lorsque leur enfant brillait, que sa réussite était due très exclusivement à son ineffable — sous entendu: "autant qu'héréditaire"… — intellect… Parfois c'était vrai… Toujours, les maîtres y étaient pour bonne part; surtout dans les classes où, par malchance, le taux de cancres à l'hectare dépassait les bornes, rendant la pédagogie superfétatoire !

Un soir, Jean-Loup crut revivre les heures noires du car scolaire et de La Carotte. Il trouva son poussin effondré, prostré, sans voix, affalé sur son bureau couvert de larmes… Il n'eut pas de mal à se faire conter l'affaire, mais l'enfant en avait si gros sur le cœur que, cette fois, Jean-Loup sentit que sa crédibilité de prof et de père allait être engagée auprès de son bébé chéri.

La mère Le Strouilhdruz était la prof de travaux manuels attitrée. Les contribuables lui avaient payé une salle toute équipée d'accessoires où l'imposante batterie de cuisinières électriques flattait sa fatuité. De quoi la rendre nucléocrate jusqu'au bout des ongles… C'est que pendant que les lesbiennes de la rue de Varenne militaient à la Gay Pride, échangeant en public baisements goulus et caresses graveleuses, une arrière-garde de mémères androcentrées, cathos velléitaires, hétérosexuelles en diable (d'aucunes disaient "normales" mais Jean-Loup n'avait jamais voulu s'engager dans ces insinuations scabreuses…), secondées souvent, en deuxième ligne, par un quarteron de machos assermentés, développaient une mystique de femme au foyer tempérée d'un militantisme aigu à mettre cependant les mâles aux casseroles… Au moins pour la vaisselle !

Or donc, la dondon faisait ondoyer son popotin de civet en "pot au feu" et de macarons en "fondants chocolat". Tout ça tastant et goustant à grands renforts de doigts dans la sauce et de cuillères léchées… L'arrière-train profitait encore… Le Velociraptor n'était pas le moins empressé à venir jouer les gâte-sauces. L'œil intéressé par l'arrière-garde de la pimbèche se dandinant gracieusement de four en four, qu'elle inspectait avec souplesse dans une gracieuse courbette qui révélait bas à résille et jupon brodé, pas dupe de ces coquineries qui, bien au contraire le chatouillaient agréablement, l'homme de l'art l'avait promue maîtresse-modèle afin d'avoir l'occasion de l'évaluer souvent… Il lui envoyait donc, coup sur coup, force étudiants de ces lycées techniques qui préparent les sous-doués des collèges aux glorioles de la toque étoilée ! Dégoulinante de beurre salé comme de transpiration entre ses plaques chauffées au rouge, l'artiste de la queue de casserole s'était acquis un crédit dans le canton où les mères de familles répétaient la leçon de cuisine des morpions…

Ce soir-là, elle avait pris prétexte de la surcharge de travail infligée par son sacerdoce de maîtresse-modèle pour se tirer du collège avec une heure d'avance, laissant les mômes à la charge d'un blanc-bec échappé de CPPN  (28-12↓ )  qui se souciait de la pédagogie comme d'une guigne. Lequel s'empressa, le popotin s'éloignant à l'horizon, d'aller taper à la porte de la permanence. Là, glandeur de son calibre, le pion peinait à faire bosser une classe de quatrième fatiguée par une journée de somnolence… C'était le fournisseur bien connu de La Carotte. Tranquilos tous les deux, dans un recoin de couloir, il se roulèrent un pétard qu'ils échangèrent religieusement, jouissant des douceurs coupables du calumet de la paix… Soudain, une clameur provenant des sixièmes en classe de cuisine les sortit de leur nirvana ! Un instant, ils purent craindre l'accident: la poêle qui s'enflamme, l'eau bouillante sur les testicules, le chocolat chaud sur les godasses: fallait y aller; fallait courir… Le spectacle les rasséréna: rien de grave ! C'était le fils du prof qui trinquait; le prof ? Cuisance, celui qui a fait tuer Duruy ! Bien fait pour sa gueule à çui-là. Le problème, c'est qu'un intrus s'était glissé dans la salle, profitant de la désertion de poste de la Strouilhdruz doublée de celle du blanc-bec à pétards… Et le salopard, introduit avec force signaux d'appel par le fils de l'électricien n'était autre que le Palmipède, le "Fiancé de La Carotte" comme on l'appelait désormais… Il avait empoigné Philou par le col, l'obligeant à s'agenouiller et lui enfonçait la tête dans le four encore brûlant ! Le pauvre gamin se débattait mais l'autre, plus âgé, ne lâchait prise que par intermittence… L'arrivée du CPPN l'obligea d'arrêter. Mais le mal était fait.



Le lendemain de l'évènement, Jean-Loup s'en fut trouver Le Moualc'h. Après réflexion, le proviseur, tant agacé par la présence du bambin, source de futurs conflits préjudiciables à son avancement, que par le manquement de la Strouilhdruz qui désertait sournoisement son poste au mépris de la première obligation d'une enseignante: ne jamais quitter sa classe du regard, le brave Le Moualc'h décida que pour éviter les sanctions contre un infiltré dont il était, lui aussi, responsable, que pour éviter d'avoir à faire virer la Strouilhdruz, préférée du Velociraptor, il était préférable de virer la victime: Philou. Jean-Loup reçut une immense claque dans la gueule: quoi ? Lui l'instit laïc, le dernier hussard noir de la République, il lui serait impossible de faire profiter son fils de l'enseignement du collège où il se dévouait ! Mais son indignation dut se rendre aux arguments du proviseur: la raison commandait de soustraire l'enfant, dans son intérêt, à la violence des cancres. Le prof devrait désormais l'emmener chaque matin au collège Saint-Joseph, au chef-lieu voisin, dont Le Moualc'h connaissait le recteur qu'il rencontrait aux conférences pédagogiques départementales. Ils échangeaient souvent des élèves. Il fallait aller rechercher l'enfant chaque soir, après le labeur. De plus, c'était payant ! Philou interpréta son changement d'établissement comme une exclusion imméritée. Toute sa vie, il en voudrait à son père de n'avoir pas su le mieux protéger: c'était le statut de père protecteur et de professeur compétent qui s'écroulait. Toute sa vie, Jean-Loup devrait subir les reproches injustifiés de son enfant chéri…

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 28:   ( Sauter les notes de section 28 )
28-1.-↑ CNRTL: Beatnik, substantif. Jeune homme ou jeune fille manifestant, par leur tenue délibérément négligée, par leur vie errante, par leur conception générale du bonheur, leur révolte contre la société dite de consommation : "Les beatniks ressemblent aux milliers de saints hommes manqués, pouilleux, crasseux, fornicateurs, voleurs et ivrognes qui, aux Indes, sollicitent abusivement la charité publique. Ils sont la mousse un peu triste et sale des grandes vagues idéalistes qui déferlent sur les plages de l'âme. Le Figaro, 26 nov. 1966 (Gilb. 1971). Étymologie: Mot anglo-américain, beatnik formé avant 1960 aux États-Unis; mot hybride créé à partir de l'adjectif anglo-américain "beat" « éreinté, épuisé » (forme réduite du participe passé beaten du verbe to beat « battre ») et du suff. yiddish d'orig. slave "nik "(indiquant le lien d'une personne avec une chose précise, son engagement) d'où l'emploi de l'adj. beat en argot: « foutu, paumé » dans les syntagmes concernant les beatniks : beat jargon, beat generation, beat poet (Klein Etymol.; Webster's, s.v. beat, beatnik, nudnik). 
- Définition du "beatnik" dans le dictionnaire du CNRTL.
Autres sources: CNTRL (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/hippy) Hippie, Hippy, subst. et adj. I. - Substantif (nom). Adepte (jeune homme ou jeune fille), aux États-Unis puis en Europe occidentale, d'une éthique fondée sur le refus de la société de consommation qui s'exprime, dans la non-violence, par un mode de vie non conventionnel. "Un vrai hippy se recherche à travers le voyage (...) il nous enseigne la simplicité et la tolérance" (Le Spectacle du Monde, oct. 1969, p. 85 ds Foulq. 1971). "Le hippie se distingue par sa chevelure fournie et hirsute, ses vêtements bariolés, sa tenue négligée, son penchant pour la drogue, la « pop music », l'oisiveté, la mendicité, le vagabondage ou les petits métiers marginaux de style artisanal, et enfin son culte de la nature, de l'amour et de la liberté sexuelle. Le hippie pur n'est pas politisé" (Réalités, 3.70 ds Gilb. 1971).
28-2.-↑ À trop soi forboire, Élisée titubait;…" CNRTL: Fourbu, ue: participe passé et adjectif - Emploi adjectival du participe passé de l'ancien verbe "soi forboire" « boire avec excès, se fatiguer de trop boire » (1400, Arch. Nord, B 10354, fol. 19 ds IGLF), composé de for(s) et de boire. Forme participe de l'ancien verbe fourboire.
28-3.-↑ Emile Verhaeren: extrait de Wikipedia: "Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d'Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d'expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, (...) il parle avec lyrisme sur un ton d'une grande musicalité. Il a su traduire dans son œuvre la beauté de l'effort humain."
- Poème "La Joie d'Émile Verhaeren"
- Émile Verhaeren dans Wikipedia.
28-4.-↑ Victor Hugo: Les Contemplations; Nelson, 1856 (p. 253). « Demain, dès l’aube… »

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et, quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
3 septembre 1847.
Cité dans: - Circonstances du poème de Victor Hugo.
"De nombreux prétendants se présentent, mais elle fait la connaissance en vacances près du Havre de Charles Vacquerie, frère d’Auguste Vacquerie. Elle se marie avec Charles en l’Église Saint-Paul le 15 février 1843. Ils emménagent près du Havre au domicile de la belle-famille. Avant que Victor et Adèle Hugo les rejoignent un moment en mai, son père écrit dès le 17 février à Juliette Drouet : " Elle me quitte. Je suis triste, triste de cette tristesse profonde que doit avoir, qu’a peut-être (qui le sait ?) le rosier au moment où la main d’un passant lui cueille sa rose. Tout à l’heure j’ai pleuré (…) ". Peu de temps après, le 4 septembre, c’est le drame : le jeune couple se noie lors d’une sortie en bateau sur la Seine, à Villequier. " M.Charles Vacquerie, habile et vigoureux nageur, plein de courage et de sang-froid, a plongé et replongé pendant plus de cinq minutes, et a été vu plusieurs fois ramenant à la surface de l’eau sa jeune femme. Mais, hélas ! ils ont fini par disparaître tous deux comme entrelacés !…(…) Et la famille Hugo quel va être son désespoir ! Quelle atroce blessure pour le cœur de la femme du poète et du poète lui-même ! (…) frappé au même endroit que naguère Lamartine (…)" lit-on dans le journal de Rouen du mercredi 6 septembre 1843. Hugo apprend la nouvelle de ce décès le 9 septembre dans un journal à Rochefort, sur le chemin de retour d’un voyage qu’il faisait avec Juliette Drouet en Espagne. Il écrit le 10 septembre à Louise Bertin : " J’ai lu. C’est ainsi que j’ai appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte (…). O mon Dieu, que vous ai-je fait ! (…) Dieu ne veut pas qu’on ait le paradis sur la terre. Il l’a reprise. Oh ! mon pauvre ange, dire que je ne la reverrai plus ". Il ne se rendra sur sa tombe qu’en septembre 1846."
Quelques jolies images:
- Images: Victor Hugo et ses filles.
28-5.-↑ Texte des citations: n'oublions pas que nous sommes dans le roman, non dans la chronique historique. Les citations (aucun journaliste n'est nommément désigné) ne sont pas purement exactes; cependant, la tonalité générale est totalement réaliste et conforme à celle de la presse d'alors !
28-6.-↑ Alain Hervé. - Site personnel d'Alain Hervé.
- Bonne notice "Alain Hervé" de Wikipedia
28-7.-↑ Pierre Samuel: - Pierre Samuel: biographie de Wikipedia
- Le blog de Laurent Samuel: "Hommage à mon père". Très nombreux liens avec toute la nébuleuse écologiste.
- Vidéo sur Pierre Samuel; site Gaïa, très intéressant, très riche.
- Gaïa; Blog de LAurent Samuel; Autre chemin pour la vidéo Pierre Samuel.
28-8.-↑ Brice Lalonde. - Brice Lalonde sur Wikipedia.
- Se procurer les livres de Brice Lalonde.
- "Quand vous voudrez"; affiche de la campagne avec René Dumont; dessinée par Brice Lalonde.
28-9.-↑ Dans l'article Platon de Wikipedia (extrait): "Pour Platon, l'âme est un être apparenté aux Idées, au divin , qui a un mouvement propre. Elle est immortelle et se compose de trois puissances :
* l' épithumia, l'« appétit », élément concupiscible, désirant, le siège du désir (faim, sexualité), des passions.
* le thumos, la « colère », élément irascible, agressif ; ce pourrait être traduit par « cœur » ; il est cette partie de l'âme susceptible d'emportement, de colère, de courage.
* le logistikon, le « raisonnable », ou esprit, élément rationnel, immortel, divin ; c'est un « démon » (daimon). Dit aussi le Noûs.
Platon expose cette constitution « tripartite » de l'âme dans le Phèdre et dans La République. Le noûs, ou la raison, en tant qu'il a seul rapport à l'intelligible, est le plus noble des trois. Le second, caractéristique de la volonté d'enrichissement personnel, de bonne réputation, et des tentatives de prouesses qui en découlent, n'est utile que s'il se met au service de l'élément raisonnable, afin de maîtriser le troisième, qui mène irrémédiablement au vice. En d'autres termes, la vie bonne suppose que s'établisse, entre ces trois parties de l'âme, une hiérarchie : le noûs gouverne le thumos, qui gouverne l’épithumia. Chacune de ces parties possède ainsi une vertu, qui lui est propre : la sagesse pour l'esprit, le courage pour l'élément agressif, et la tempérance, pour l'élément désirant ; l'harmonie de ces trois parties est la vertu de justice."
- Wikipedia: Platon, le Noûs.

28-10.-↑ Sangloter qui ?… Dans un premier temps, j'avais écrit: "C'est plutôt Hugo qu'il faudrait sangloter"… Tout d'un coup, j'ose plus… "Sangloter Hugo…" ! Oui, comme vous dites ! C'est un verbe intransitif; mais quand il s'agit de Victor Hugo, on peut bien prendre un peu de "licence poétique", non ? Enfin… j'espérais !
28-11.-↑ Georges Maurice de Guérin, né à Andillac au château du Cayla le 4 août 1810 et mort le 19 juillet 1839, est un poète et écrivain français. ...
Maurice de Guérin dans Wikipedia

28-12.-↑ Manière peu pédagogique ni encore moins démagogique de désigner un élève que sa valeur intellectuelle reconnue de tous ses profs a orienté vers une classe spéciale. Les CPPN sont des Classes Pré-Professionnelles de Niveau accueillant des élèves de niveaux 4e/3e dans les collèges. Elles sont tenues par un enseignant héroïque, au profil de missionnaire, sacrifié à l'intérêt public. Il s'agit de faire attendre pendant deux ans la sortie du cursus universitaire d'élèves peu doués et pressés de se frotter à la "Vraie Vie"…

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Nathalia s'éloigne…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Retour à El Halia

Nathalia paraissait avoir souffert de la manif de Malville davantage que de normal. Jean-Loup, qui s'interrogeait toujours sur le comportement du maghrébin, se souvenait maintenant d'une plainte qu'avait émise la jeune fille à l'instant où le descendant prétendu d'Ibn Hazm le fusillait du regard… Il se souvenait que, figé par le regard noir de l'adolescent, il avait à peine senti le frôlement de la chevelure féminine contre sa joue. L'espace d'une seconde, Nathalia s'était blottie contre son épaule et avait susurré: « Mohamed ! Mohamed !». Elle s'était reprise très vite mais cet instant d'égarement épouvanté pouvait être interprêté comme une familiarité usuelle par Nadir ou Louisette. Laquelle avait d'ailleurs, un instant, paru surprise… De toute la durée du retour, la fille ne s'était pas décrochée de la main du prof. Si peu qu'il ait dû la lâcher, il avait dû placer la menotte dans la main de Louisette qui avait gentiment calmé la détresse où la jeune fille était plongée.

À partir du moment où l'on s'était réfugiés au restaurant, la jeune fille s'était rapprochée de Marie-Lou la Douce. Elle avait posé la tête sur l'épaule de la jeune femme, fermé les yeux, paraissant dormir, frissonnant par moment… Il avait fallu lui parler longuement, ce que Marie-Lou sut faire, comme à un bébé, pour l'obliger à manger. On avait essayé en vain de l'égayer en lui faisant tremper ses lèvres dans le Moulin-à-Vent, ce qu'elle fit en effleurant le verre légèrement, comme d'un baiser. Elle s'accrochait maintenant à la jeune femme et ne voulait plus la quitter. Elle dormit près d'elle d'un sommeil troublé, parsemé de cauchemars et de cris. La prof expliqua qu'elle était intriguée qu'une supplique, comme un appel au secours, soit revenue à plusieurs reprises dans ses songes: « Mohamed ! Mohamed !». Jean-Loup comprit alors le drame de la jeune fille. Brutalement traumatisée par l'éclatement formidable de la salve de grenades, Nathalia s'était soudain retrouvée dans le terrifiant massacre d'El Halia. Il expliqua ce phénomène à sa collègue. Laquelle ayant poursuivi quelques études de psychologie, lui réponduit tout de suite: « Je comprends! Ce qu'a fait Nathalia, c'est une régression temporelle. » L'impitoyable brutalité de la répression l'avait replongée des années en arrière, sur le tas de minerai de la trémie où Mohamed Dhallouk l'avait cachée, alors qu'elle n'était qu'une poupée de trois ou quatre ans.

Maintenant, c'était la prof qui expliquait qu'il fallait avoir pour la fille une grande capacité d'écoute; savoir, dans son silence, reconnaître les grandes acmés d'angoisse. Alors, il fallait la materner doucement, comme un bébé, pour la rassurer. Il fallait la faire parler, non de la brêche réouverte en elle, mais de choses banales et quotidiennes pour lui faire retrouver son équilibre égaré. Surtout, il fallait l'envelopper d'un rempart de tendresse pour interdire les résurgences incendiaires du souvenir terrible; pour éviter les émotions trop fortes venues du dehors. La prof conclut: pas de télévision ou alors, ni infos ni films de violence. Jean-Loup traduisit: « Autant couper le compteur tout de suite !» Tout ceci fut expliqué à la famille. C'étaient des parents lointains qui l'avaient généreusement adoptée. Ils ne manquèrent pas d'accabler les deux profs de reproches immérités: les enseignants répondirent que, normalement, ç'aurait dû être plus tranquille qu'une colonie de vacances. Ceux qui étaient rapatriés d'Algérie où ils avaient subi le massacre du 5 juillet 1962 (29-1↓ ) , le massacre d'Oran qui s'était déroulé aux dépens de la communauté française trois mois après le cessez-le-feu, les braves pieds-noirs acquiescèrent gentiment. Il n'était pas utile de leur prodiguer des conseils d'attention, hormis les avis spécifiques à la régression temporelle de Nathalia. La jeune fille parut retrouver son équilibre assez vite; mais son caractère semblait changer…

"Nadir n'était pas au zénith", comme en plaisantait Élisée. Il rasait les murs, l'œil noir, l'air méchant. On n'en tirait pas un mot. Jean-Loup fut obligé de recevoir le père. Il vint avec une femme couverte de burka qui ne laissait passer qu'un filet de regard. Haineux… Le prof s'entendit reprocher d'avoir failli faire tuer son fils dans une manifestation organisée par des terroristes violents… Il expliqua que son propre fils, son Philou, était à Malville, ce qui était à demi exact. Il argumenta que si personne ne tentait rien pour arrêter la folle entreprise du surgénérateur de plutonium, où qu'ils aillent dans le monde, lui, sa femme et son fils seraient toujours en danger de subir les risques de l'explosion du Superphénix suivie de la pollution généralisée de la biosphère… La manif de Malville ? Pas leur place aux enfants ? Mais quand la machine contenant mille bombes de type Nagasaki sera construite, alors, près de cette super-bombe en gestation, seront-ils à leur place les enfants de Lyon ? Et les enfants de Genève ? et les enfants de Nagasaki, lesquels, cette fois, verront, le jour où un vrai terroriste jettera un avion sur le monstre, leur biosphère entière détruite depuis le bout de la Terre ? Depuis les antipodes ? Le maghrébin semblait ne rien comprendre et finit par dire qu'il aller attaquer les organisateurs pour mise en danger de la vie d'autrui. L'instit avait prévu le pire. Il lui colla sous le nez une copie de son autorisation paternelle de participation. L'autre jura de consulter son avocat. On ne devait plus en entendre parler, sauf qu'au sortir du collège, une voiture démarra en trombe, toutes vitres ouvertes. On lui cria un « Halouf !» retentissant et l'épouse qui s'était dévoilée lui cracha habilement au visage… Ouf ! Ça s'était relativement bien passé. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles…

Dans la cour, les couloirs, on croisait de plus en plus souvent Nathalia en compagnie de Nadir. Ils semblaient se rassurer mutuellement de leurs frayeurs de l'Isère… C'était une bonne chose pour eux deux. De plus, le maghrébin s'ouvrait un peu: il lui arrivait de saluer Jean-Loup quand il le rencontrait. Furtivement… mais c'était un progrès. À quelques mois de là, Nathalia qui devenait un peu fuyante déclara tout de go qu'elle ne désirait plus s'occuper du Club du Jardin Courtois. Jean-Loup avait imaginé cette mort du club par désintéressement des participants, notamment des muses. "Souvent femme varie": François l'avait gravé de son diamant sur une vitre du château de Chambord… Souvent les jeunes manquent d'opiniâtreté ! Il avait pensé que pour lui ce serait un soulagement, une corvée de moins… Mais quoiqu'il ait envisagé lui-même de provoquer ce dépérissement, voilà qu'il était pris d'une vague nostalgie. Il était résigné à terminer son expérience pédagogique; mais il traîna des pieds tant et si bien que le club continua sur sa lancée et grâce à une bonne surprise. Il s'avéra qu'Adam l'Écologue et sa Fée Mélusine ne voulaient, en aucun cas, entendre parler de mettre la clé sous le paillasson. La relève paraissait assurée.

Le Dernier "Jardin Courtois"À quelques mois de là, Nadir et Nathalia traversaient la cour du collège la main dans la main. Adam les avaient surpris en train de s'embrasser dans un couloir sombre. Il l'avait cafté à son prof sur le ton de la plaisanterie amusée… Jean-Loup, pour continuer dans le même registre, avait questionné: « Et toi, ta Fée Mélusine, tu ne l'embrasses jamais ?» Le jeune homme avait éclaté de rire d'un bel esclaffement clair et franc qui en disait long sur les rapports de frère à p'tite sœur qu'il entretenait avec sa Mini-Mas… Chaque jour, le prof sentait Nathalia se détacher de ses centres d'intérêt antérieurs. C'était comme si la manif de Malville avait posé une borne dans sa vie. Avant Malville: la poésie. Après la manif: Nadir ! Jean-Loup la regardait s'éloigner avec un serrement de cœur qu'il n'attendait pas. Ce transissement que, probablement, ressent le père dont la fille se détache pour courir son premier amour… Encore que… Peut-être… Il se souvenait du geste de la fille, quêtant sa protection sous la pluie de grenades. Pendant une fraction de seconde, Nathalia avait rapproché sa tête de son épaule et sa chevelure longue et drue avait effleuré son visage. Et maintenant, quand il y repensait, Jean-Loup imaginait qu'il aurait pu, en cet instant foudroyant, sentir la tête fragile et douce se blottir contre son épaule et la chevelure féminine ruisseler sur sa main… Il se demandait alors si cette amitié qu'il avait tellement sublimée n'aurait pas pu devenir, dans cet éclatement dantesque, le simple amour d'un homme pour une jeune fille… Alors, il connut le vrai chagrin de voir sa fille s'éloigner de lui…

Quelque temps après, Nathalia qui semblait s'épanouir davantage revint un temps au bercail pour y organiser ce qu'elle appela le "Dernier Jardin Courtois", expression qui déplut au troubadour Adam de la Halle. Il précisa le nom de l'évènement comme étant le "Dernier Jardin Courtois de Nathalia", ce qui sonnait encore plus tristement… Nathalia-Erato, en tant que muse de la poésie amoureuse, choisit un thème de jeu qui, cette fois, ne serait pas un partiment. Il s'agirait, pour les troubadours, de mettre genou en terre en récitant un joli poème d'adieu. Chacun piocha les bouquins de poésie qui ne tarissaient guère d'un sujet qui avait mêlé beaucoup d'encre aux pleurs… Nadir Ben Hazm, notre descendant improbable de l'hispano-arabe, se regimba devant ce qu'il trouvait inapproprié à son cas: lui ne désirait pas faire d'adieu à Nathalia…Et pour cause ! La meneuse de jeu l'approuva, lui donnant licence de faire à son goût. Il répondit qu'ayant découvert un exemplaire du "Collier de la Colombe" de son grand ancêtre, il s'offusquait des traductions "brutes de sciage" de l'arabe au français, lesquelles brisaient l'essence poétique de l'écriture si renommée d'Ibn Hazm. On eut le plaisir d'en discuter et les jeunes gens demandèrent à l'agrégé de français, Magloire, de leur faire un exposé-discussion sur le sujet: "La poésie est-elle traductible. En traduisant un poème au mot-à-mot, ne perd-on pas l'essence de la poésie ? Peut-on apprendre un poème de langue étrangère dans une autre langue que sa langue d'origine ?". Ce qui fut fait. L'apprenti-trouvère estima qu'il devrait tenter de traduire un poème de son "arrière-grand-père" non pas "au mot-à-mot" mais suivant "son sens et son essence". On pensa comprendre. Nathalia l'encouragea.

Quelques semaines plus tard, Jean-Loup eut la surprise de voir venir à lui, aimable et non-complexé, le troubadour de Nathalia qui lui dit que, malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à récrire sous la forme de vers de français moderne, clairs et si possible poétiques, la traduction "brute" d'un poème d'Ibn Hazm qu'il avait extrait du "Collier de la Colombe". La fille lui avait soufflé de se faire aider par Magloire (qui l'avait évincé poliment "faute de temps"). On s'était alors rabattu sur le PEGC de service, toujours taillable et corvéable à merci (comme disait cette saloperie de Lézardet) ! Coup de chance, Jean-Loup ne rêvait que de récrire les œuvres du poète andalou selon les principes posés par ce jeu-parti. Ils s'attelèrent donc tous deux à la tâche… Au fur et à mesure que l'heure s'avançait, il s'avéra que le jeune homme, handicapé à la fois par l'immersion quotidienne dans une communauté maghrébine qui refusait d'assimiler notre langage par militantisme indépendantiste autant qu'à cause des difficultés du français, Nadir, nul en orthographe, en conjugaison et en grammaire ne pesait pas lourd malgré sa précieuse hérédité chromosomique… Si bien qu'après avoir manqué des heures à son propre Philou, Jean-Loup piétinaient dans la poésie d'Ibn Hazm. Le prof emporta l'ouvrage à la maison pour y consacrer une partie de son dimanche.
 
 Mes paupières ont donné des leçons aux nuages
Traduction mot-à-mot du poème d'Ibn Hazm

" Mes paupières ont donné des leçons aux nuages et ils
ont répandu une pluie générale et abondante...
Cette nuit, en pleurant ainsi, voudrait elle partager les
tourments que tu me fais endurer ou m'aider à veiller ?
Si les tenèbres ne prennent fin que lorsque
le sommeil aura clos mes paupières.
Nous ne saurions jamais voir se lever l'aurore et nous
serons en proie à une insomnie de plus en plus grande.
Il semble que les étoiles de cette nuit, alors que
la brume cache leur éclat aux regards ,
Soient comparables au secret tourment que me fait
endurer ton amour, ô objet de mes voeux, car ce mal
caché ne peut être décelé que par conjecture.
lbn Hazm; écrivain andalou (Xème / XIème siècles.).
" Le Collier de la colombe "
Telle était l'œuvre à transcrire "selon le sens et l'essence", en trahissant le moins possible le projet d'Ibn Hazm, dans un français moderne et si possible poétique, donc musical. Vint le lundi et cette fois, le fuyant Nadir, vif comme un pinson, l'attendait à la sortie d'onze heures et demie, pour lui demander le poème récrit. Il jeta un œil intéressé et un merci rapide; Jean-Loup se sentit payé de ses efforts mais… pas très cher !

La Dernière Cour d'Amour de Nathalia…

Marie-Lou la Douce était là. Élisée avait voulu se joindre au groupe malgré les protestations motivées de l'Iroquoise… On avait réussi à réunir un nombre maximal de Muses et de Troubadours. La belle journée qui se levait, cependant avait un goût d'amertume. Celui du départ au loin d'un être aimé. Jean-Loup n'était pas le seul en peine. Prenant son mal en patience, il avait décidé de donner l'occasion à sa petite troupe d'avoir le plus joli des cadres pour la dernière Cour d'Amour de Nathalia… Il avait choisi de la tenir sur la pelouse du Château de Chantilly. Ce palais princier qui avait vu passer Louis XIV et tant de grands personnages classiques lui paraissait, malgré la foule qui risquait de les gêner, le lieu idéal pour rêver de troubadours divaguant de créneaux en tourelles… On obtint de faire la sortie pendant un jour de classe, au titre des dix pour cent pédagogiques, ce qui permit de mobiliser Magloire. La sortie se ferait à bicyclette.

La traversée de la forêt fut belle et parfumée. L'humus des sous-bois foulés, exhalait une odeur insinuante de tabac de Virginie et de miel; comme si les feuilles du tilleul dominant diffusaient en fermentant la même essence que la tisane de fleurs. On respirait. Ô le bain d'oxygène pour des poumons frippés grisonnant des poussières de la classe ! On installa les bicyclettes sur un parking désert et l'on s'étala sur la pelouse pour pique-niquer tout en se reposant du pédalage. Quand Nathalia jugea qu'on avait suffisamment soufflé, elle prit la parole pour lancer ses jeux; mais Jean-Loup l'arrêta. Il avait sorti de sa besace une poignée de sacs plastiques et les distribuait aux plus diligents. On avait répandu quelques papiers gras, quelques reliefs de repas: on n'allait pas repartir tout à l'heure en laissant la place sale au nez et à la barbe du Connétable de Montmorency et de son bon roy Louis XIV ! Voilà nos républicains, profs en tête, en train de ramasser non seulement leurs propres papiers gras mais, pour l'honneur de Marianne, ceux des blaireaux moins délicats qui étaient passés avant eux…

Le descendant d'Ibn Hazm était visiblement frustré et ne faisait pas de zèle; au contraire, la poupée iroquoise se défonçait d'une manière exemplaire. Jean-Loup qui surveillait son petit monde levait la tête régulièrement. Il fut intrigué par un rassemblement de curieux qui paraissaient les épier: ce n'étaient que des employés en tenue du Château de Chantilly. Comme ils terminaient et se rasseyaient, les sacs pleins, pour souffler un peu, l'un des employés, plus âgé que les autres, vint vers eux. Il leur adressa la parole:« Mes enfants ! Merci ! je viens de vous voir faire, sous la direction de vos diligents professeurs, une chose inaccoutumée. Je viens de vous admirer nettoyant, après votre pique-nique, la pelouse que vous aviez souillée. Depuis des décennies que je travaille au château, c'est la première fois que j'assiste à un spectacle aussi réconfortant. Encore merci et bon après-midi ! » Le personnage vint serrer la main des profs et Nathalia se précipita pour en être… Enfin, comme il repartait, il se ravisa et, revenant sur ses pas, il reprit la parole: « Eh bien, pour vous remercier, je vous invite à visiter gratuitement le parc du château; et encore bravo !»

Alors, c'est Jean-Loup qui prit la parole pour une assez longue harangue. Il ressortait de son propos que l'an passé, ayant traversé Saugues, agréable petite ville de la merveilleuse Margeride, le pays même de l'écrivain Sabatier, l'auteur des "Noisettes Sauvages", il avait pu observer, sur une place latérale de l'Eglise Saint Médard, d'architecture romane héritée de nos ancêtres les bâtisseurs de cathédrales du Moyen Âge, un spectacle qui l'avait révolté. Une poignée de jeunes garçons assez typés pour être des immigrés de seconde génération, donc des Français mais sans doute d'une obédience non dominante, avaient transformé le portail latéral… en embut de football ! et vlan les paquets de violence contre les colonnettes du porche ! Il en avait référé en mairie… sans en jamais recevoir d'écho ! « Je suis républicain, disait-il, mais je vous supplie de respecter comme des trésors irremplaçables, les bijoux d'architecture que par miracle, les siècles nous ont livrés depuis le Moyen Âge !»

Ils entrèrent alors dans le parc même où Louis XIV avait bénéficié de la plus belle réception qu'un roi pût espérer. Ils s'installèrent derrière le pavillon de Sylvie, sous les cyprès de Louisiane, à la fraîcheur. Certains purent s'asseoir sur les pneumatophores qu'ils appelèrent "des genoux de cyprès" (29-2↓ ) ;…

Les Derniers Poèmes pour Nathalia…

Nathalia jubilait. Pour sa fête de départ, elle avait droit à une "vraie" cour d'amour, dans des ombrages où La Fontaine et Racine avaient sûrement dédié leurs vers aux "vraies dames"… Elle invita son troubadour à venir lui dire à genou le poème récrit de Ibn Hazm. « Afin de le rendre plus accessible, mon troubadour Nadir ben Hazm vous a retranscrit le poème en français moderne, pas "mot à mot", pas "à la lettre", mais "selon le sens et l'essence". Oyez bonnes gens !» Elle était fière de la scène qu'elle avait organisée car des visiteurs ordinaires s'étaient attroupés ainsi que des personnels du château… Manquait plus que Louis XIV ! comme disait Mini-Mas.

La Prestation de Nadir Ben Hazm

Mes paupières ont donné des leçons aux nuages
Réécriture du poème d'Ibn Hazm, XIe siècle

Mes paupières ont donné des leçons aux nuages
Et la pluie m'a bercé de ses tambourinages
Cette nuit, en pleurant veut-elle partager
L'affre de mes tourments ou m'aider à veiller ?
S'il faut que des lueurs blanchissent les ténèbres
Pour qu'enfin le sommeil endorme un peu mes fièvres
L'aurore à son lever je ne pourrai plus voir
L'insomnie pour toujours me tiendra dans le noir
Il semble que la nuit se cachent les étoiles
Et la brume aux regards les efface d'un voile
Pareilles aux tourments que tu me fais subir
Nul ne pourra jamais dans l'ombre découvrir
Que par hasard mes pleurs que je ne puis tarir

Ibn Hazm, poète arabe andalou, XIe siècle
   " Le Collier de la colombe "
Ibn Hazm, poète andalou, XIe siècle; "Le Collier de la colombe"
Réécriture par Christian Jodon (France) 2010
"Poèmes Populaires, La Forte En T'Aime" sur www.sos-valdysieux.fr
© CJ, SVP: Utilisation avec mention des quatre lignes ci-dessus.
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Après avoir entendu les troubadours réciter des poèmes ayant trait au départ, à la séparation et aux pleurs versés, arriva le tour de Jean-Loup.
La Dulcamara

Adieu l'écolière
Pour qui j'ai sublimée
Cette amour douce-amère
Que pour toi j'ai rimée

Je traîne mon boulet dans un désert hostile
Sous un âcre ciel gris qu'un vent méchant distille
Dans les matins sans joie remplis d'arbres tués
Des banlieues sordides aux murs prostitués
Près des rivières sales hantées de poissons morts
Mes réveils sans espoir où vivre est un effort

A l'orée des forêts chantent aux quatre vents
Les réveils éblouis de tes seize printemps
Tes yeux écarquillés cillent aux lumières
Des rosées pailletant les aubes clairières
Tes matins sont autant de rayons de soleil
Irisant une ondée sur des bourgeons vermeils

Il y a quelque temps tu t'étais approchée
Et ma vie à ta vie me semblait accrochée
Ta fraîcheur m'inondait et pendant près d'un an
J'eus les réveils joyeux d'un homme de vingt ans
Les réveils pleins d'espoirs et de chant du pinson
Des matinées de joie rythmées par ta chanson

Chaque jour me revient ton hypochoristique
Et ton regard noyé dans le flou artistique
Du flot de tes cheveux c'est le tendre regard
De la fille adoptive adorée sur le tard
Tiens l'hiver est venu et la neige à couvert
Mon front déjà chenu voit la fin du désert

Adieu l'écolière
Pour qui j'ai sublimée
Cette amour douce-amère
Que pour toi j'ai rimée

Christian Jodon (France) 2010; "Poèmes Populaires, La Forte En T'Aime" sur www.sos-valdysieux.fr
© CJ, SVP: Utilisation avec mention de la ligne ci-dessus. Merci
Nathalia S'en Va… de Francine Smolinski
Nathalia s'en va… (29-3↓ ) 
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 29:   ( Sauter les notes de section 29 )
29-1.-↑ Extrait de l'article de Wikipedia sur le massacre d'Oran: « Massacre du 5 juillet 1962.-  Le massacre du 5 juillet 1962, ou massacre d'Oran, se déroule à Oran, ville d’Algérie, le 5 juillet 1962, trois mois et demi après le cessez-le-feu de la Guerre d'Algérie, deux jours après la reconnaissance officielle[1] de l’indépendance, quelques heures avant sa proclamation. Il est le fait d’éléments armés algériens sur la population européenne (plusieurs centaines de morts et disparus) et sur des musulmans (bilan inconnu). L’armée française attend de longues heures avant de s’interposer. » L'article complet:
- Le massacre des Français d'Oran du 5 juillet 1962.
29-2.-↑ CNRTL: pneumatophore, adj. et subst. masc. a) Adj., biol. Qui contient de l'air. (Dict.xixe et xxes.). b) Subst. masc. a) Excroissance verticale des racines de certains arbres vivant dans des marécages comme le palétuvier. Palétuviers croissant dans le Mangrove et développant au-dessus de l'eau leurs pneumatophores ou racines aérifères (Plantefol, Bot. et biol. végét., t.2, 1931, p.438). ß) Vésicule qui sert d'appareil flotteur chez certains hydrozoaires leur permettant de monter ou de descendre. (Dict.xxes.). Nb de CJ: en somme, les racines remontent au-dessus de l'eau pour respirer…
29-3.-↑ Image du cul-de-lampe dessinée par Francine Smolinski, élève de collège à Luzarches.

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Le Tract d'Élisée.
« Ne craignez jamais de vous faire des ennemis ; si vous n'en avez pas, c'est que vous n'avez rien fait. »
Georges Clemenceau
Jean-Loup faisait sa comptabilité… Une compta plutôt inquiétante à laquelle s'adonnait le prof. Il dénombrait les ennemis qu'il avait pu se faire en protégeant l'environnement. C'était un cocasse cohabitation de gnomes et de grands d'ce monde qui avait tout d'un inventaire à la Prévert. On aurait pu dire: " à la Rabelais  tant c'était superlicoquentieux  (30-1s↓ )  !".

Tiens ! Le maire et ses adjoints: surtout des spéculateurs fonciers; comme les paysans planqués au conseil pour y être aux premières loges du P.O.S. Un seul combat: le fric des lotissements. Les pires étaient ceux de ces édiles qui, atteints de naissance — auquel cas ils étaient excusables !— ou par suite d'accointages assidus, se retrouvaient en phase terminale du Mal des Français ( bien partagé par François Ier le Verollez et son partenaire préféré… Charles Quint !)… Pénétrés de narcissisme, leur délire mégalomaniaque allait transformer en défiguration architecturale congénitale aux Trente Glorieuses la plupart des hameaux de France ! Les phases ultimes de leur Mal de Naples allaient laisser la "Douce France, cher pays de notre enfance" métamorphosée en une roséole de villages ruinés en leur centre et ceinturés de syphilides de banlieue urbaine…

Un binôme fameux: le pécore qui prend sa retraite et l'agent immobilier. Ce couple avait, pour l'un, soufflé toute sa vie des terrains au nez des pères de famille qui cherchaient à protéger leur couvée. La SAFER disait: "Priorité au paysan dont ce champ sera le fécond terroir ! La holding "Péquenot-Lotisseur" jubilait… Maintenant, ce que la SAFER leur avait attribué par priorité: « Le sol est "l'outil de travail" de l'agriculteur !», on le vendait dix ou cinquante fois plus cher en terrain à bâtir. Dès lors, gonflé d'orgueil, convaicu d'être le sauveur des prolétaires nécessiteux d'un toit et d'un emploi, l'édile de ce copinage avait entouré les villages d'un anneau de béton hétéroclite. Là, des maisons charmantes, par la magie de l'individualisme égocentrique des petits-bourgeois, avaient, dans un entassement disparate, plaqué un échantillon de banlieue parisienne hideuse sur les vieilles pierres moyen-âgeuses du cœur de village. Dans le centre ancien, les fermes traditionnelles s'écroulaient; elles étaient alors remplacées par des bicoques modernifiques. Tous les paysages de France avaient subi la défiguration d'adorables bourgades sorties intactes de la seconde guerre mondiale pour subir les "Trente Glorieuses" et leur corollaire: la dévastation des paysages verdoyants par la gloutonnerie de l'entité "propriété foncière / syphilis administrative"…

Le préfet — celui-là devait le maudire — il l'avait obligé à sortir le nez de son quotidien et le derrière de son fauteuil pour fermer un dépôt d'ordures illégal… Les RG: il avait refusé le rôle éminent d'espion "honorable" de sa propre association; dommage: au moins aurait-il fraternisé avec les Desmytter colleurs de banderoles sexistes… Avec la manif de Malville, il s'était mis à dos les électriciens, fanatisés par leur syndicat… Finir pourris dans leur moelle par le plutonium d'un Three Miles Island ou d'un Tchernobyl français, ils en voulaient dur comme fer… Les pompistes: on avait évité de boycotter celui de la Villeneuve parce que c'était une victime indirecte des marées noires… Ces catastrophes déclenchaient la colère des citoyens contre les sociétés pétrolières qui, non contentes de s'en mettre plein les fouilles en louant des épaves flottantes pour transporter leurs résidus pétroliers, obtenaient des juges la condamnation des associations de consommateurs organisant leur blocus !

 Il avait à dos la DDE parce qu'il avait fait circuler une pétition contre "l'autoroute des lisières", voie ouverte à la viabilisation de tous les terrains agricoles en bordure de forêt; de même que la DDA parce qu'il avait prôné la restitution des chemins ruraux volés par les paysans. À dos la Chambre d'Agriculture: articles fulminatoires, dans des canards nationaux, de son président parce que les écolos avaient mis en route une procédure de classement des derniers espaces verts du Val Grisette; lequel arrangement, cependant, aurait permis de conserver les derniers espaces ruraux à l'agriculture… en les interdisant de bétonnage ! À cul la DDASS parce qu'il avait eu l'audace de réclamer — depuis des mois sans réponse — les derniers cas de fièvre des marais et de douve du foie ayant été déclarés à Tréfontaines. Booseveld voulait urbaniser le marais de Tréfontaine et prétendait qu'il s'en dégageait des "miasmes pestilentiels" ante-pastoriens ! Le maire matois eut gain de cause: on construisit sur vingt mètres d'épaisseur de tourbe et les bicoques se fissurèrent. Alors, les néo-propiétaires de bicoques pourries bâties sur de la mousse se désolèrent… À cul les acheteurs qui se plaignirent que les écologistes n'avaient rien fait pour empêcher ça… !

À dos la SNCF: il s'était opposé "violemment" (encore une pétition aux termes bien "sentis": la "violence", j'vous l'dis, ma bonn'dame !) à une bretelle de raccordement du TGV avec la cathédrale d'Amiens, construite par Robert de Luzarches et qui massacrait au passage le pied de l'église… de Luzarches !

À cul les collègues scientistes pétris de lectures de Jules Verne: « Vive le JulesVernisme ! » À dos ceux qui voyaient dans l'écologie une doctrine philosophique menaçant les cupidités libérales ! À cul les petits artisans du bâtiment réunis chez Soubrette ! À dos les poivrots qui se faisaient embaucher par les précédents pour le furtif travail au noir ! À cul Tartuflette qui voulait sa mort à cause de la bite pédagogique; ainsi que le Dix-Cors dont l'épouse ne méprisait pas Jean-Loup… Et à dos tous les habitués du mastroquet parce que leur femme leur citait l'instit en exemple de celui qui se défonçait à reconstruire sa maison pendant que des soiffards le critiquaient au bistroquet… Et à dos les mêmes bonnes femmes parce qu'il était, décidément, fidèle à Louisette…

Il se demanda lors s'il devait compter La Carotte et sa fidèle épouse: "le Palmipède" parmi ses ennemis…

Il répondit d'abord par la négative. Si Booseveld lui avait affecté ces deux sous-cancres comme adversaires dignes de lui, ils les avait réfutés le jour où, encouragé par le brigadier-chef Brunoy à former contre eux une plainte reconventionnelle pour procédure abusive, il avait méprisé de le faire, expliquant que ces deux pâtes molles avaient été manipulées par leurs aînés. Mais tout de même. De sortie de collège en descente de car scolaire, les deux salopards avaient réussi à fédérer contre lui les tous ces nullards qui avaient la malchance d'être les fils et filles des primo-infectés ci-dessus énumérés… Et ça n'était pas confortable pour l'enseignant, cueilli au saut du lit par les lendemains qui chantent de "l'après Mai 68" !

Il en déduisit qu'au lieu de "négativer" en amoncelant ses ennemis, il devrait "positiver" en cherchant ceux qu'il avait enchantés… Après recherches, il trouva qu'il avait récemment passé un accord fort satisfaisant avec la Société de Chasse de Tréfontaines. Sur proposition de Booseveld, les écolos qui venaient d'acheter aux enchères à la bougie le "Bois de la Garenne" le loueraient aux chasseurs comme "réserve de chasse". Les protecteurs étaient heureux: pas de chasse chez eux; les chasseurs aussi: comme on les obligeait d'avoir une réserve non-chassable, ce serait le bois des naturalistes et ils auraient davantage d'espace chassable ailleurs. Condition: ce seraient les chasseurs eux-mêmes qui baliseraient le bois de vingt panneaux: "Chasse interdite: Réserve". Ce qui fut fait; et dès la première ouverture, les panneaux furent tellement criblés de mitraille qu'on voyait au travers et qu'ils se détachaient des arbres…

 Enfin, en cherchant bien, il trouva qu'il aurait dû avoir pour lui les putes du Chêne de la Justice. Ces Messieurs-Dames avaient pris comme lieu de confluence, un chêne bordant la grande nationale où, disait-on, Louis IX dit Saint Louis (30-1↓ )  aurait, au XIIIème siècle, rendu la justice. Les ONF voulaient le détruire parce qu'ils étaient en rogne contre la justice (…laquelle les condamnait lorsque des malappris, se promenant en forêt par grand vent, récoltaient une branche sur la tête )… Et la DDE craignait qu'il chût par tempête — bien pis encore et, de plus, sacrilège !— sur les bagnoles de la RN16. Les gardes forestiers l'emportèrent mais Jean-Loup pouvait dire qu'il avait défendu, dans le panache et fors l'honneur, le lieu de pélerinage ces Messieurs et Dames de l'École Péripatéticienne  (30-2↓ ) 

« Merde, se dit alors l'instit, j'avais oublié de comptabiliser Drekveld et son dépôt d'ordure… Avec les milliers de rats d'égout qui profitent là-dedans, là où jadis sautaient les petits lapins… Sa famille à rallonge avec pleins de types en train de pulluler comme des cafards dans tous les villages; avec des cousinages dans tout le département; avec les solidarités paysannes; avec les artisans qui travaillent pour lui; avec les administrations qui s'appuient sur un maire pas assez malin pour les contrecarrer… même s'il triche un peu ! Ses électeurs qui obtiennent du démagogue, urbi et orbi, tous les permis de chier du béton à hue et à dia ! Les agents immobiliers à qui, ad libitum, on ne refuse jamais une division, un lotissement ! Et voilà ! Looping the loop ! La boucle est bouclée  !»

Où l'Élisée sublime le Cul de Brigitte

Ce soir-là, une vive rumeur montait dans la rue, côté gargote. Passant la tête au-dessus du mur du potager, Jean-Loup put constater que l'incorrigible provocateur, le Philosophe des Tanières, était encore en train d'asticoter ses "anciens" de la cour d'école avec ses litanies révolutionnaires. Les copains, eux, n'avaient pas besoin de ça. Exténués par une journée passée à s'appuyer qui sur la pelle, qui sur le manche du balai, ils ne rêvaient que de siroter l'apéro dans la fraîcheur du soir. Mais l'Élisée stressait… C'est que bientôt, ça serait une fois de plus l'ouverture de la chasse. À chaque occurence, l'évènement le rendait furieux. On le privait de la ressource des petites cailles sauvages et des lapereaux pris aux collets… Il avait donc sorti de la musette un amusant volumen, pseudo-rouleau de papyrus à base de papier WC sur lequel il avait collé des feuilles de copie d'écolier.

Le "volumen" était confectionné comme un rouleau de Torah mais pas religieux pour autant… Les exhortations qu'il contenait n'avait rien d'un catéchisme ! Le papier s'enroulait à partir de la dernière page sur un umbilicus, une baguette de coudrier dont les deux extrémités (qu'il appelait les umbilici) avaient été arrondies en pommettes. Les bases du cylindre (les frontes) avaient été barbouillées de feutre rouge. Dans la main gauche, il tenait la baguette du début sur laquelle s'enroulait la lecture au fur et à mesure qu'il déroulait à droite. Il sortait ça de sa besace et le lisait à la clientèle de la terrasse depuis l'autre trottoir, arguant de sa liberté d'expression pour y tambouriner son numéro.

Diatribe d'Élisée contre la chasse qui l'empêchait de braconner.

— Déclamatoire:
« Octobre, sombres jours! Le zozio s'en revient lentement, laissant derrière lui brûler l'mousquet fumant...
Octobre tonnant! Octobre pétant! Octobre fumant mais Octobre libérant!
Octobre de Guerre de 14/18, moi mon colon, celle que j'préfère...
Octobre de blitzkrieg;
Nuit et Brouillard des p'tits oiseaux...
Ils sont là les prétoriens de l'automne, les paras d'la perdrix, les tenues léopard du Jeannot myxomateux.»

— Chanté et parlé:
« Les voilà, regardez-les bien..., les nostalgiques de la tranchée de Douaumont, du Chemin des Dames, de Dunkerque, de Juin 40, de Diên Biên Phù...
Les voilà, regardez-les bien… Fiers Gaulois à tête ron-on-de… Des montagnes à la ron-on-de...
Vengeurs!
Les voilà, regardez-les bien…, les rois sans divertissement de trente années de paix forcée, l'œil et la couenne léopard, sanglés de cuir et de plomb, le canon bandé vers le ciel, prêts à tirer un coup, deux coups.... Virils! »

— Déclamé:
« Les voilà, regardez-les bien…, les valétudinaires ventripotents bien débarrassés de leurs phantasmes et qui transfèrent l'énergie de l'instinct de vit sur l'instinct de mort...prêts à se sacrificier pour repousser l'assaut des perdreaux, des lapereaux, des zozios...
Les voilà revenus les chatouilleux, les chtouilleux de la gâchette, oppressés, conpressés, surpressés, surstressés par une société avilie, aveulie, ramollie, dévirilisée par les zippies, la chienlit, la drogue, la musique des tam-ams et les zintellectuels-de-goche!
Les voilà, regardez-les bien..., ils vont vous mettre bon ordre à tout ça dans un rite propitiatoire, un bain de sang, un holocauste, un génocide, une Shoa...
De lapereaux aveugles et de p'tits zozios.
Octobre! Sombres jours! L'Ecolo s'en revient piteusement laissant derrière lui l'arrière-pays sanglant. Finies les randonnées (sauf à plat-ventre et en gilet pare-balles)...
Finie la Nature: une "zone de guerre" un "théâtre d'opération", un "champ de bataille" ! Place aux vraizhommes: les tirailleurs, les ratisseurs, les râteleurs, les râleurs!
Les ratissages, les râtelures, les nettoyages, les bouclages, les embuscades, les descentes éclair en 4x4 et en quads, les postes de tir, les miradors, les contournements, les encerclements...
La guerre est déclarée !
Aux lapereaux aveugles et aux p'tits zozios…»

Conclusion (gueulée):

« Promeneur, randonneur, joggingneur, naturiste, naturalistes: Avis ! Interdits de séjour: vous les espions, les agents de l'ennemi, cinquième colonne, sales juifs, sales nègres, sales métèques et pour condenser: sales écolos !... La France aux Français, nom de dieu! Finis les pigeons d'argile: enfin du sang, du vrai sang bien rouge et qui pisse, qui poisse et qui pue ! »

Souffle court, langue sèche, il s'arrêtait. Presqu'à regret qu'il ait déjà fini ce discours qui, pour insultant qu'il leur soit, n'en était pas moins amusant et même supportable de par sa mise en scène, les copains attablés applaudissaient comme un seul homme… Même, Tartuflette, qui avait pris toute la conclusion au premier degré cria « Bravo, bis !»

  Le Pisse-Goudron qui avait été mis en verve lui lança: « Va t'faire mettr' chez la Bardot ! Va donc lui lécher l'cul, hé, fayot !»

  Grandiose dans sa feinte dignité, redressé sur son guidon à la Harley-Davidson, l'Élisée prenait un grand souffle pour leur beugler: « Ah, la Bardot ! Elle vous emmerde, hein ? J'vous l'dis: Brigitte Bardot ? La plus belle fille du monde avec son cul quand elle s'en servait pour gagner son pognon au cinéma; la plus jolie fille du monde avec son cœur maintenant qu'elle dépense ce fric pour protéger les animaux qui souffrent de la connerie et du sadisme humain !»

  Machinalement, il rangeait son volumen dans son sac... Tout à coup, il se ravisa: « Au fait, plus j'vous regarde, pardon, plus j'vous admire, plus j'vous vois là, rassemblés, entre hommes, pardon, entre "vrais z'hommes", entre mâles… Ça s'rait tout d'même pas ?… Voyons, votre haine de Bardot, ça serait-y pas la haine des femmes ? Sauf, bien sûr de celles qui vous servent de bonniches ! Est-ce que vous n'devriez pas être plutôt chez vos compagnes à remplir vot'devoir conjugal ? Ben, tiens, j'y pense, j'ai deux mots à leur dire à vos bonnes femmes et j'cherchais l'occase ! Manquez pas d'leur transmettre mes bonnes paroles, celles du Philosophe des Champigonnières, du Déterreur des Champignons de l'âme !» Ce disant, il avait ressortit sa Torah des Terriers, l'avait déroulée sur un bon mètre de papier-cul et braillait: « Silence, les mâles; mon message aux femelles de vot'race !»
Scribes



Diatribe d'Élisée contre les Femmes Frigides !


« Nous, Ecologistes réunis en assemblée internationale, départementale et locale... pour la sauvegarde de la dernière baleine et du pénultième zozio;
Considérant que:
Les valétudinaires déturgescents sont définitivement perdus pour le christianisme, l'amour du prochain, de la prochaine, et la pacification de l'écosphère;
Considérant que:
Les sujets non-totalement ramollis, les durs de dur, les bien-pensant, les bien-bandants, les turgescents-même-par-grande-sécheresse... n'ont aucune raison valable d'abandonner la satisfaction de leur phantasme sexuel pour réinvestir leur énergie hypothalamique dans l'assassinat de bestioles innocentes et utiles aux générations futures;
Considérant que:
La non-satisfaction de leurs bas-instincts incombe en toute responsabilité aux amies, aux âme soeurs, aux dulcinées, amoureuses et amantes, copines et maîtresses, épouses ou concubines, aux cocottes et aux poules de luxe, aux coquettes, aux célimènes, aux demi-mondaines, aux courtisanes, aux favorites, aux croqueuses, aux femmes entretenues, aux mignonnes, aux minettes, aux nénés, aux nénettes, aux poupée, aux pépées, aux pépettes, aux gonzesses, aux grognasses, aux maritornes, aux égéries et aux furies, aux harengères et aux mégères, aux viragos et aux pouffiasses de toutes races, toutes religions, voire de tous sexes...
  Aux trop-fessues, aux trop-ventrues, aux bedonnantes, aux criantes, aux chiantes, aux emmerdantes; aux frigides, aux gouines rentrées, aux lesbiennes polyvalentes; sans préjudice du sexe et des opinions politiques…
  Aux bien-pensantes, aux mal-pansantes, aux passantes trop vite passées, aux trop-pensantes trop longtemps restées, aux trop-pesantes trop cramponnées…

Arrêtons:
Désormais la chasse sera réservée aux valétudinaires ayant fait preuve publique de leur incoercible et irréversible déturgescence. À dater de ce jour, la chasse sera interdite à tout individu ayant manifesté publiquement ou en privé, fièrement ou honteusement, avec condescendance ou avec arrogance, la plus infime velléité de bander.
Les bien-bandants, les mi-voyants, les mi-pouvants, les tiers-monde, les quart-mondes voire les velléitaires périodiques, les saisonniers, ceux de la Saint-Sylvestre-exclusivement, de la Lune montante, descendante, rougissante ou du solstice d'été; ceux du quatorze-juillet et cætera:

Arrêtons:
Tous ceux-là auront obligation de réinvestir l'énergie de leur instinct de meurtre dans l'instinct de vit !
Faites l'amour, pas la guerre ! Aimez-vous les uns sur les autres !

Décret d'application:
Afin de rendre applicable la présente législation, le Ministre concerné n'attribuera plus de permis de chasse mais seulement un Permis de Débander en tenant lieu.
  A cet effet, l'impétrant devra faire preuve devant une commission paritaire de la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales et des Œuvres Diocésaines de son irréductible, inexorable, intraitable, irrécusable, irréfutable, péremptoire et inébranlable incapacité de bander.
  A cet effet, ladite commission aura tout pouvoir de mener à bien ses investigations en faisant appel au Syndicat des Cinéphiles Porno et à la CGT (attention ! j'ai dit: "Confédération Générale du Tapin"). Sera déclaré inapte à la bandaison tout valétudinaire qui sera demeuré inefficace après une mise à l'épreuve dont le protocole et l'échelle des mensurations restent à étalonner (on demande des volontaires). »
« Par décision des autorités compétentes, à Tréfontaines, le, etc, etc… »

Élisée reçut encore quelques applaudissements peu chaleureux et Soubrette traversa la chaussée pour lui offrir une bière: « De la part de Tartuflette qui vous remercie d'avoir dit du mal des juifs, des nègres et des métèques !» Le Socrate des Champignonnières s'en saisit avidement, dit merci d'un geste du goulot et la vida d'un trait disant, une fois vu le fond de la bouteille: « Mal compris, j'n'ai jamais dit ça; c'était à prendre au second degré !»

Le Tract d'Élisée

Encore qu'il préférât trinquer à muche-pot, le Philosophe des terriers était poussé parfois à se frotter au piètre aréopage de Soubrette. Après boire, Élisée devenait loquace. Ce jour-là, automne aidant, la chaleur, bref... l'estaminet. Jean-Loup l'écoutait vitupérer contre la chasse, comprenant très justement l'agacement du marginal contre une activité qui contrecarrait ses usages personnels tels que la pêche prohibée, le vol de poireaux dans les jardins ouvriers et le braconnage: « Tant que l'homme a tué pour se nourrir, il n'a prélevé que des quantités nécessaires et n'a pas déséquilibré l'écosystème! »

Cette fois, l'instit trouvait que ça allait un peu loin; mais comme l'anarchiste avait accepté de labourer un carré de potager, il supporta de l'entendre et alla même jusqu'à promettre — le labour n'étant pas achevé — de lui imprimer, sur la ronéo de l'association, un tract qu'il avait inventé de distribuer aux alentours. Échange de services... Mais l'instit jura que jamais il ne distribuerait ce papier, qu'il interdirait sa distributon par Adam l'Écologue et qu'il conjurait le rédacteur de ne jamais dévoiler son imprimeur…

Le Tract: « Appel des Écologistes aux Putains de Tout Poil
et de Toute Religion ! »


« Appel des Écologistes aux Putains de Tout Poil
et de Toute Religion »

« Ressortant avec clarté des congrès écologistes sur la protection de la Nature que la défection des épouses, légitimes ou surnuméraires, amies, copines, connaissances, fréquentation en tous genres, de toutes races humaines ou approximatives, et sans préjudice de l'âge, du sexe ou de la religion…; »
« Est seule responsable du déchaînement meurtrier automnal des sujets mâles en possession de leur "élan vital"; »
« Les Écologistes de tout bord en appellent aux putains de tous bordels. »
« Les professionnelles, les occasionnelles, les amateures, les saintes Nitouches (amen!); les celles qui-zy-touchent-trop, les populaires, les populeuses, les surpeuplées; Qui êtes légion ! »»
« Les mondaines, les de-luxe, les grandes bourgeoises, les Dames-Bovary, les Ladies-Chatterley, les Comtesses-d'O, Princesses-du-Q et de toutes les lettres de l'alphabet, les baronnes Dudevant par-derrière et Majestés du Derrière par-devant, les Dames du Temps Jadis et Toujours »
« Les paroissiennes sur le retour, les lesbiennes repentantes, les «qui-pilulent-laïque gratuite et obligatoire à treize ans», les «qui-pullulent-laïque gratuite et obligatoire pour pomper les allocs», les vieilles cochonnes, les petites salopes, les peloteuses, les tripatouilleuses, les b…, les s…; Qui êtes légion ! »
« Les payantes les gratuites, les fonctionnaires, les Affiliées de la Sécu, les retraitées qui souhaitent mettre un peu de beurre dans leur pinard, les libres, les enfermées, les maquées, les intellectuelles cyclothymiques, les femelles frustrées, les débordantes de vitalité; Qui êtes légion ! »
« Les saines, les sales; les saintes Nitouches (amen!); les vérolées, les vieilles filles languissantes; Qui êtes légion ! »»

« Mesdames; »

« La survie des dernières baleines et de l'ante-pénultième zozio ne dépendant plus que de votre bonne volonté, de votre dévouement bien connu et de votre ardeur à la tâche. »
« En deux mots, Mesdames, pour vous, Lysistratas écologistes enfin soumises à une juste cause, pour vous désormais, une seule devise: »

« Pour sauver la p'tite bête, pognez la grosse !»
Le Charivari.

Le succès du tract d'Élisée fut grand; mais c'était un scandale dont le poids retomba sur Jean-Loup et sa malheureuse famille: le bistrot des Brandes organisa contre eux un charivari (30-3↓ )  ;En effet, encore que Jean-Loup eut été réprobateur quant au projet du Troglodyte, les éponges à vin du Dix-Cors, pas futées pour faire neuf fois sept, avaient vite fait un rapprochement des termes "d'écologistes", du format du papier et de la typographie du tract pour déduire l'adresse de l'imprimeur. Cette fois, le Pédago était allé trop loin: « Mort au Pédé !» Le gargotier prit en main l'organisation punitive. Il avait déjà vu ça dans son enfance, en juin 40: un juif s'était réfugié dans son village. Sa présence pouvait amener les Allemands à tout incendier par rétorsion. Le bistrot avait alors organisé une "mômerie", sorte de chahut un peu poussé, où l'on avait, à grands cris de haine, d'injures, force menaces de dénonciation, débusqué la bête, ridicule avec son petit chapeau et sa pauvre valise, petit barbichu noir tout geignant, et on l'avait, en procession, reconduite à grand renfort de tambours, de trompettes et de cymbales en couvercles de marmite jusqu'au village voisin. Dix-Cors était mioche alors mais se souvenait parfaitement des modalités de cette égayante brimade. On allait faire la même chose aux Brandes, avec ce Pédé qui insultait de braves chasseurs qui ne lui avaient rien fait… On convoqua pour le lendemain soir, dans tous les villages d'alentour, les habitués du troquet et les sociétaires de la chasse, avec mission de charger les fusils (cartouches à blanc), et de fourbir toutes les fusées para-grêle et pétards à corbeaux disponibles… Les femmes, les enfants devaient venir munis de tous instruments bruyants ou musicaux qu'ils pourraient se procurer.

  Vers minuit; le téléphone sonna chez le prof. Inquiète, Louisette décrocha; mais une voix féminine insistait pour parler à Monsieur Cuisance en personne. Jean-Loup prit l'appareil. La voix féminine refusa de s'identifier; mais l'instit avait l'ouïe fine ; il reconnut la voix de Soubrette: « Méfiez-vous, il se prépare quelque chose contre vous. Éloignez votre femme et votre fils demain soir, enfermez-vous et ne répondez à personne. Bonsoir » On raccrocha. Avec Louisette, on décida de confier l'enfant à la famille pour quelques jours; mais l'épouse exigea de rester aux Brandes.

Le prof eut du mal à se libérer plus tôt le lendemain soir à cause d'une réunion pédagogique. Certaines collègues avaient contracté, en mai 68, la manie de la parlote et ne s'en affranchissaient pas; c'est qu'elles goûtaient alors cette sensation si délicieuse d'être écoutées qu'elles ne savouraient guère dans leur classe… Jean-Loup souhaitait ardemment qu'on leur fît subir une cure de désintoxication mais, en attendant, fallait se les farcir… Il arriva peu après Louisette: il y avait déjà un attroupement devant chez lui et il ne put refermer sa grille derrière sa voiture, les garçons de ferme de Dreckveld l'ayant bloquée.

Le Laerez était là mais regardait la scène à cinquante mètres, figé, mains dans les poches. Le bistroquet figurait aux premiers rang; même il aperçut des types plutôt calmes qu'il ne croisait que de loin en loin, sans problème. Il reconnut certains de ses élèves du collège, porteurs de trompettes de foot ou de cymbales improvisées. Un cri jaillit: « À mort le Pédé !» C'était Tartuflette ! Aussitôt la foule reprit-elle en chœur: « À mort le Pédé !». Puis vite, derrière, le thème fut repris et scandé par l'attroupement tout entier sur un rythme binaire: « À mort - le Pédé ! À mort - le Pédé ! À mort - le Pédé !» le hurlement de haine allait s'amplifiant. Les trompettes de foot s'étaient mise à scander, elles aussi, les tambours et les cymbales de casseroles à qui mieux mieux…

Alors un individu se détacha du groupe et Jean-Loup reconnut le portugais de Booseveld. Le Bartholomé Diaz di Tonta était un petit Portugais râblé comme un taureau de Camargue. Il gueulait: « Laissez-moi passer, jé vais l'butté cété pederasta !» Tartuflette exultait: il brandissait le cahier de Bénédicte ouvert à la page de la "bite pédagogique" qu'il n'avait toujours pas digérée, hurlant avec les loups de sa voix de fausset: « À mort - le Pédé !». Mais au contraire, les fiers-à-bras de Dreckveld avaient cramponné fermement le "Portugalais"; comme ils étaient baraqués, très grands, il le tenaient légèrement au-dessus du sol si bien que l'autre pédalait lamentablement dans le vide sans pouvoir progresser tant le plancher des vaches lui échappait…

Le concert des gueulements, trompettes et cymbales atteignait des paroxysmes, chauffant à blanc la meute des charivaristes à tel point qu'on imaginait qu'à chaque seconde, une étincelle allait libérer ce ramassis de racailles… Plusieurs fusils se déchargèrent vers le ciel… On balança, de l'arrière, des grappes de pétards à corbeaux qui explosaient dans sa cour… Certains jetèrent des feux de Bengale sous la voiture… Effrayant, hallucinant, terrifique, dantesque ! Jean-Loup essayait de faire face et de s'exprimer, articulant des propos lénitifs qu'il n'entendait même pas lui-même ! Il était tétanisé par l'imminence de sa fin prochaine qui paraissait inéluctable: on arrivait à l'instant du lynchage… La haine montait encore ! On lui crachait au visage ! L'un des plus teigneux était le Pisse-Goudron: « "On t'tuera, l'jour d'la révolution ! Ta baraque, on y foutra l'feu" »

« Pin-pon, pin-pon, pin-pon !» Dieu des Chrétiens ! Dieu soit loué ! Doux Jésus, ton doigt s'est enfin posé sur l'index de l'écologiste ! Dans la journée, le prof était passé voir le brigadier-chef Brunoy qui lui avait été si loyal récemment; il lui avait décrit l'appel téléphonique anonyme… Le gendarme l'avait assuré que le véhicule de ronde serait averti et dirigé sur les Brandes à la moindre algarade. Par ailleurs, Louisette était rentrée très tôt, par prudence. Elle avait laissé la grille ouverte pour que Jean-Loup puisse pénétrer d'un seul trait. Elle restait cramponnée au téléphone. Dès les premiers beuglements, elle avait appelé la gendarmerie au secours. Elle venait de sauver la vie de son écolo de mari…

Sixtine: le Doigt de Dieu

Le Retour des Crécerelles.

Au lendemain du charivari, Jean-Loup monta voir Élisée dans sa caverne. Le troglodyte commença par pouffer, s'esclaffer, rire aux éclats de la mésaventure du prof et surtout de l'erreur de cible dont il avait été victime à sa place. L'instit montrant son dépit, l'Élisée s'en donnait à cœur joie, riant à gorge déployée en pointant le doigt vers la figure défaite de son imprimeur… Et tant s'esbaudissait qu'il en compissait son froc et dut courir aux buissons… Cependant, quand Jean-Loup lui fit mesurer que, frustrés d'un lynchage auquel les gendarmes avait coupé court, la vindicte des poivrots pourrait bien se porter contre lui à la faveur de son isolement, il reprit son sérieux… Maintenant, il souriait "jaune" ! Tant que, traitreusement ce fut à Jean-Loup de rire de sa trogne qui s'assombrissait… Aussi se reprirent-ils à rigolbocher, pointant l'index moqueusement chacun vers la bouille de l'autre et leur rire fut tant communicatif qu'ils partirent du plus jovial fou rire de leur vie… Ce d'autant que le prof, toujours stylé, avait tiré d'un vague sac marin une rigolotte de Beaujolais nouveau et qu'ils la dégommaient dare-dare…

  La carrière avait été ouverte dans la corniche qui dominait la petite vallée. Au-dessous s'étendait une pente assez abrupte couverte d'une herbe rase constellée de fleurs jadis broutées par les moutons. Désormais, la prairie s'arborait assez vite. Ici, elle persistait encore. C'était le terrain de chasse privilégié de Falco tinnunculus, le joli faucon crécerelle… Nicheur des rochers, c'était dans l'herbe des prairies qu'il aimait cueillir les insectes, souris, lézards et plus au bas de la pente, les grenouilles qu'il chassait. L'Élisée aimait guetter sa quête: lorsqu'il avait repéré une proie de sa vue tellement perçante, il entamait un curieux vol sur place — l'anarchiste athée disait:"il fait le Saint-Esprit" — où ses ailes éployées gonflées par le moindre souffle d'air le maintenaient comme dans une sustentation surnaturelle… Puis il piquait d'un trait sur sa proie. Il était connu que ce bel oiseau, image idéale de la somptuosité de la liberté, régressait. La faute aux cultures végétales trop touffues comme les colzas, les maïs, les tournesols sous lesquels les bestioles trouvaient un couvert dissimulateur. Ici était sa parfaite niche écologique: c'était un larris (30-4↓ ) 

L'anar avait besoin de consulter un radiologue. Il pria l'instit, en échange d'un labour de jardin, de l'emmener à l'hôpital de Gonesse. Jean-Loup acquiesça. Sur la petite route traversant la Plaine de France, les talus étaient bien verts. Entre Val Grisette et l'hosto, l'Ornithologue de la Corniche dénombra douze faucons battant le saint-esprit en vingt-cinq kilomètres. Ils se réjouirent, disant que c'était grâce aux écolos que les chasseurs, les paysans, désormais, laissaient tranquilles les petits rapaces. Et Jean-Loup obtint même une concession du braconnier: ce progrès gagné par les écolos méritait bien qu'on abandonnât aux chasseurs quelques cailles et perdreaux d'élevage, non ? L'Élisée promit de rester un peu calme envers ces "sanguinolants" (accentua-t-il pour marquer l'imprescriptibilité de son l'abhorration) !  (30-5↓ ) 

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 30:   ( Sauter les notes de section 30 )
30-1s.-↑ superlicoquentieux: comme dit plus haut, c'est un mot de Rabelais qui dit, à partir de la "fierté du coq": supérieur à…
— Voyez, dans Google-Books…
À noter que ce qu'on désigne par "liste à la Prévert" pourrait, en oute antériorité, se dire: "liste à la Rabelais"…
30-1.-↑ Ainé des cinq fils de Louis VIII et de Blanche de Castille, Louis IX naît à Poissy en 1214 et décède à Tunis en 1270, Roi de France 1226-1270. Il régna d’abord sous la régence de sa mère (1226-1236).
- Saint Louis dans "Histoire en Ligne".
- Bel article Saint Louis de Wikipedia.
30-2.-↑ Extrait de Wikipedia: "L’école péripatétique, ou péripatéticienne, est l'école philosophique fondée par Aristote en 335 av. J.-C. au Lycée d'Athènes. Elle désigne également par extension ses sectateurs, tant juifs que musulmans. Elle tire son nom du terme grec peripatein, « se promener » : la légende dit qu'Aristote enseignait au Lycée en se promenant." Bien sûr, ici, les péripatéticiennes sont les Messieurs et Dames de la prostitution; et loin de faire leur marché en marchant, ils l'exercent bien plus bourgeoisement dans de confortables berlines et fourgonnettes aménagées. L'expression "d'École Péripatéticienne" n'est donc ici qu'un amusant moyen de rapprocher intimement Saint Louis d'Aristote…
- Article de Wikipedia: "L'école péripatétique".

30-3.-↑ Extrait de l'article de Wikipedia: "Le terme désigne aussi bien le défilé en lui-même qu'un bruit discordant généré par de nombreuses personnes, du tapage ou encore du bruit accompagné de désordre. Dans ce dernier cas on parle aussi de chahut. Le rituel est attesté dès le xive siècle. Il se tient à l'occasion d'un mariage jugé mal assorti (c'est notamment le cas des charivaris organisés lors du mariage d'un homme âgé avec une jeune femme) ou d'un remariage (notamment quand un veuf ou une veuve se remarie trop vite après le décès de son premier conjoint). Le charivari pouvait durer très longtemps, tant que les personnes mises en cause n'acceptaient pas de verser une sorte de rançon (...) Les autorités interdisaient la pratique du charivari qui troublait l'ordre public. (...) Un des charivaris les plus célèbres est celui qui fut organisé par le roi Charles VI, à l'occasion duquel périrent brûlées quatre personnes proches du roi, resté dans l'histoire sous le nom de "Bal des Ardents". Au XIXe siècle, le folkloriste Jean-François Bladé, dans la préface de ses Contes populaires de la Gascogne, a raconté en détail un charivari contre un couple dont le mari avait été battu en public par sa femme, et auquel, encore enfant, il avait activement participé, initié par sa propre nourrice. (...)". Voir tout l'article:
- Le Charivari rituel; par Wikipedia.
Le Bal des Ardents de Charles VI, le 28 janvier 1393. « Le Bal des ardents désigne un charivari (aussi appelé momerie), organisé par Charles VI et qui tourna à la tragédie et provoqua la mort de quatre compagnons du roi. Déjà très fragile mentalement, le monarque sombre définitivement dans la folie après cet épisode. (...) Le charivari étant formellement interdit par l'Église, Charles VI faillit mourir en état de sacrilège. (...) Un conte d'Edgar Allan Poe intitulé "Hop-Frog" (1849, Nouvelles Histoires extraordinaires) contient une scène similaire. » Extrait de Wikipedia: tout l'article:
- Le Bal des Ardents, 28 janvier 1393; dans Wikipedia.
30-4.-↑ Larris: « Vieux mot Gaulois qui signifie terre inculte, aride; terme Picard désignant les coteaux calcaires non boisés. En picard, les pâtis à moutons sont des Larris ( nombreuses variantes orthographiques: Larris; Larri; Larriz etc.). le mot, souvent écrit 'Lariz' est en usage dans les textes classiques du Moyen-Age en picard ancien. Ainsi les chevaux vont 'par chans et par larris' dans les plaines, les terres et les larris. La chanson de Roland nous rapporte qu'un chevalier a couvert "en sunt li val et li montaigne et li lariz et trestutes les plaignes". Le terme provient de la racine germanique "lar" [ ou "ler"] qui signifie "clairière, lande" à rapprocher du pré-indoeuropéen "ar" désigne "pierre". Le mot Larris prend bien ici une valeur de toponyme écologique. » Bonne définition donnée par le site:
- Les larris picards.
30-5.-↑ Réjouissant spectacle et retour de la vie imputable, en majeure partie, aux écologistes et notamment aux militants de la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux): le vol du Faucon Crécerelle (et merci à YouTube)
— Faucon crécerelle battant le saint-esprit…


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Trois Ans Après.
Diatribe d'Élisée contre l'Amitié…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Heureux, tu compteras des amitiés sans nombre,
Mais adieu les amis, si le temps devient sombre.
François Ponsard; Extrait de "L'honneur et l'Argent"
Diatribe d'Élisée contre l'Amitié…

 Après le tract d'Élisée, le hourvari des Nemrods, Jean-Loup pouvait mettre les chasseurs "au passif" ! Sans être sûr, pour autant, d'avoir mis les "Enchênés de la Justice" de son côté ? Il avait observé, en retrait du charivari, le Laerez, mains dans les poches… Le maire des Brandes, guère courageux pour s'attaquer au dépôt d'ordures de Drekveld était bien heureux, désormais, de respirer l'air pur, regardant faire la chienlit, mains dans les fouilles et comptant les coups… Le salopard municipal était bien arrangé, trop pleutre qu'il était pour affronter Booseveld, le voleur de chemins, d'en appeler aux écolos…

 Après le tohu-bohu qui avait frôlé sa mort imminente, aux fins de porter plainte pour "mise en danger de la vie d'autrui", l'instit avait demandé son témoignage à l'édile: lequel avait répondu qu'en tant que maire, « il se devait d'être solidaire du village !» Le dirlot des Brandes quant à lui, Lozari, se faisait fuyant. Comme une couleuvre, il lui filait entre les pattes sans qu'il ait le temps de mettre le pied dessus ! L'ayant finalement coincé, l'autre dit que son père était chasseur et que le rôle de l'ADVG n'était pas de dresser les chasseurs contre les écologistes et qu'il songeait à démissionner… La Mère Mirette ne s'arrêtait plus en sortant de la messe pour lui apporter quelque salade ou botte de radis: il se souvint alors d'avoir entrevu, dans sa salle à manger, un trophée de cerf couronnant la cheminée…


Comme Jean-Loup s'étonnait de ne pas avoir eu davantage d'amis pour le soutenir dans son entreprise écologiste, le Platon de la Caverne lui en fit une petite parabole:

— «  Aie un grand troupeau !
  Aie une bonne cave !
  Sois riche ! Sois puissant ! Sois craint ! Écrase les autres ! (31-1↓ ) 
  Sois amoral, bafoue la loi: pas d'amis pour ceux qui catéchisent ! (31-2↓ ) 
  Sois cynique: prends des amis quand ils te sont utiles; jette-les quand tu n'en as plus besoin ! (31-3↓ ) 
  Feins d'aimer, méprise du fond du cœur ! (31-4↓ ) 
  Aie une jolie femme, une épouse belle et jeune !  (31-5↓ ) 
  Abats le veau gras, fais bonne chère, aie table ouverte et reçois-y bien du monde ! (31-6↓ ) 
  Épate les blaireaux par tes bagnoles, tes étalages de luxe obtenus par le vol, l'usure, les spéculations !
  Tu auras des amis… »

— « Sois travailleur, frugal et sobre !  (31-7↓ ) 
  Travaille à être utile à l'humanité !  (31-8↓ ) 
  Sois bénévole ! Rends-toi utile en dénonçant l'aveuglement des hommes et les catastrophes à venir !
  Le jour où tu es attaqué, sali, battu, humilié, retourne-toi, appelle tes amis…
  "Hep! ohé! ohé! les amis ! À l'aide !"
  Alors tu connaîtras l'amitié (31-9↓ ) …!

— « Tu seras glacé par le silence ! Tu éprouveras le frisson des explorateurs polaires !
  L'horreur des grands déserts de glace te paraîtra plus humaine que ta solitude !
   Va donc, eh ! veinard! T'auras économisé un voyage dans le Grand Nord ! !»

À quoi Jean-Loup répondit: « On nous rebat les oreilles avec les fameux "procès de Moscou"… Mais lorsqu'il est mort, "l'Archange de la Révolution", il n'avait que vingt-six ans. J'ai visité, au cours d'une randonnée pédestre, sa petite maison, rue de la Chouette, à Blérancourt. Antoine de Saint Just avait été arrêté le 9 Thermidor An II. Il a été guillotiné le 10 Thermidor, le lendemain ! Quelle place ça pouvait-il laisser à ses anciens amis pour le juger ? Chouettes les "Procès de Paris" ! Joli procès que celui de "l'Archange" qui professait que "celui qui ne croit pas à l'amitié est banni" !»

— Que voulez-vous, rétorqua le Socrate des Champignonnières, l'amitié c'est comme le parapluie; ça a vite fait d'se r'tourner par vent d'tempête !…  (31-10↓ ) 

Celui qui dit qu'il ne croit pas à l'amitié, ou qui n'a pas d'amis, est banni. »
Saint Just. "Fragments sur les institutions républicaines".
Louis Antoine Léon de Saint-Just est un homme politique français, né à Decize (Nièvre) le 25 août 1767 et mort à Paris le 28 juillet 1794 (10 thermidor an II).
Saint Just dans Wikipedia
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 31:   ( Sauter les notes de section 31 )
31-1.-↑ « L'amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux. » Voltaire "Oedipe"

31-2.-↑ « L'amitié est une île d'éthique dans un monde sans morale où tous sont en guerre contre tous. » Francesco Alberoni; "L'Amitié"
- « Il y a peu de vices qui empêchent un homme d'avoir beaucoup d'amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités.  » Nicolas-Sébastien de Chamfort (1741-1794) "Caractères et Anecdotes"

31-3.-↑ « Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité. » Montaigne; "Essais"
- « L'amitié est un contrat par lequel nous nous engageons à rendre de petits services afin qu'on nous en rende de grands. » Montesquieu; "Lettre Persanes".
- « L'amitié se réchauffe quand on est dans les mêmes intérêts. » Marie de Rabutin-Chantal, Marquise de Sévigné
- « La société et même l'amitié de la plupart des hommes n'est qu'un commerce qui ne dure qu'autant que le besoin. » Madame de Sablé; "Maximes"

31-4.-↑ « Le mépris de l'homme est nécessaire à qui veut user et abuser de l'homme » François Mauriac; "Le Cahier Noir" Éditions de Minuit 1943

31-5.-↑ « Les amis font toujours plaisir; si ce n'est pas quand ils arrivent, c'est quand ils partent !» Alphonse Karr

31-6.-↑ « Un esprit général de convivialité s'est répandu dans toutes les classes de la société » Mot de Brillat-Savarin. (Goût des réunions joyeuses et des festins dans Littré - 1880).
- « La Table, c'est l'endroit de détente et de convivialité par excellence... C'est pourquoi, il faut également utiliser son imagination pour venir compléter les efforts de la cuisine. » Bernard Loiseau

31-7.-↑ « L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle « austère »… L’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote, comme pour Saint Thomas d’Aquin, elle est ce qui fonde l’amitié. » Ivan Illich "La Convivialité"; Extrait plus important: « J’appelle convivialité une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. » « L’homme qui trouve sa joie et son équilibre dans l’emploi de l’outil convivial, je l’appelle « austère »… L’austérité n’a pas vertu d’isolation ou de clôture sur soi. Pour Aristote, comme pour Saint Thomas d’Aquin, elle est ce qui fonde l’amitié. » « Un monopole radical s’établit quand les gens abandonnent leur capacité innée de faire ce qu’ils peuvent pour eux-mêmes et pour les autres, en échange de quelque chose de « mieux » que peut seulement produire pour eux un outil dominant… Cette domination de l’outil assure le consommation obligatoire et dès lors restreint l’autonomie de la personne. C’est là un type particulier de contrôle social renforcé par la consommation obligatoire d’une production de masse que seules les grosses industries peuvent assurer. » » Ivan Illich; "La Convivialité". Sur l'auteur:
- Wikipedia: Ivan Illich
- Autre site intéressant…

31-8.-↑ « C'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à personne. » René Descartes
- « C'est n'être bon à rien de n'être bon qu'à soi. » Voltaire
- « Les passionnés soulèvent le monde et les sceptiques le laissent retomber. » Albert Guinon
- « Les problèmes du monde ne peuvent être résolus par des sceptiques ou des cyniques dont les horizons se limitent aux réalités évidentes. Nous avons besoin d'hommes capables d'imaginer ce qui n'a jamais existé. » John F. Kennedy
- « Dans la vie, il y a deux catégories d’individus : ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se demandent pourquoi. Ceux qui imaginent le monde tel qu'il devrait être et qui se disent : pourquoi pas ? » Georges-Bernard Shaw
- « C'est l'imagination qui étend pour nous la mesure des possibles, et nourrit les désirs par l'espoir de les satisfaire .» Jean-Jacques Rousseau
- « Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie. » Johann Wolfgang von Goethe
- « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. » Winston Churchill
- « La seule chose nécessaire au triomphe du mal, c'est l'inaction des gens de bien. » (Edmond Burke.)
- « Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s’est toujours produit. » Margaret Mead
- « Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité. » Antoine de Saint-Exupéry
- « Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve. » Antoine de Saint-Exupery
- « La sagesse suprême était d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuivait. » Francis Scott Fitzgerald
- « Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres. » Lao Tseu
- « Eduquer, ce n'est pas remplir des vases mais allumer des feux. » Michel Montaigne

31-9.-↑ « L'amitié? Elle disparaît quand celui qui est aimé tombe dans le malheur, (...). » François René de Châteaubriand "Vie de Rancé"

31-10.-↑ « Celui qui dit qu'il ne croit pas à l'amitié, ou qui n'a pas d'amis, est banni. » Saint Just; "Fragments sur les institutions républicaines".
- « L'amitié est un parapluie qui a le défaut de se retourner quand il fait mauvais temps. » Pierre Véron


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Trois ans après. Que sont les amis devenus ?
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Le grand amour de Nathalia.

 Depuis leur retour de Malville, Nathalia s'était métamorphosée. De jeune fille studieuse avide de culture littéraire, elle était devenue midinette curieuse de presse people et encoqueluchée de minets mignards, minuscules chanteurs devenus fulgurants milliardaires grâce au polyvinyle et à la télé… Jean-Loup qui avait, un temps, gagné son amitié se sentait lâché… Cette transfiguration des petites filles de cinquième en adultes prématurées de quatrième ou troisième, adeptes de la "vraie vie", il la supportait bien de toutes les autres mais la ressentait comme une trahison venant de Nathalia. Il se sentait comme un prof déçu par une meilleure élève qui aurait raté ses examens, comme un père délaissé par une fille trop précoce séduite par un vil suborneur, et, pourquoi pas ? comme un troubadour congédié par sa dame… En tous cas, les hormones avaient parlé: c'était un échec pédagogique cinglant ! Elle ne connaissait plus que son Nadir ben Hazm dont il semblait que sa conduite à Malville, fonçant seul, en dépit de la lâcheté des autres mâles, sus aux gardes mobiles, ait ébloui la jeune fille… Ils avaient tous deux réussi à passer en seconde malgré leur échec au brevet… Elle portait son Nadir au zénith et on la croisait dans la cour du lycée, rayonnante, main dans la main avec son élu solaire… Même ils avaient été surpris dans un couloir désert par l'agrégée de Sciences Nat alors qu'ils échangeaient un baiser passionné…La lesbienne s'était empressée de les cafeter sur l'oreiller, un soir que sa soumise, Madame la Censeure, l'envoyait au septième ciel… Déception bien féminine que la supérieure vengea par une douce admonestation…

Les amis fidèles.

Dans sa rancœur, Jean-Loup eut un apaisement. Le "Jardin Courtois" avait survécu à la défection de son initiatrice. Au zèle de hiérophante de la prêtresse de l'amour courtois avait succédé l'enthousiasme militant de l'écologisme (32-1↓ ) . Adam de la Halle, mieux dit "Adam l'Écologiste" dynamisait à fond le petit club et d'un même élan l'ADVG. À Malville et dans le train de retour, il s'était lié d'amitié avec un des leaders les plus intelligents de Mai 68, ceux grâce auxquels le Grand monôme des tricards des facs turbulentes de Nanterre, de France et de Navarre qui ne désiraient, comme révolution, que de pouvoir tringler les filles dans leurs garçonnières semi-gratuites des cités universitaires, Mai 68 avait tourné au "brain trust", au grand "remue-méninges" universel mêlant Mao à Illich et Barry Commoner à Fourastié, Freud et Wilhelm Reich à René Dumont… Adam s'était bien compris avec Brice Lalonde qui venait seconder Alain Hervé aux Amis de la Terre et s'était laissé convaincre de faire de l'ADVG le premier groupe d'AT du département. L'avenir devait montrer à quel point le jeune lycéen avait été heureusement inspiré: c'est grâce à cette amitié bâtie sur le chagrin de la mort de Vital que le Val Grisette devrait un jour, Brice arrivé ministre, d'être protégé.

Autant le couple de Nathalia et Nadir pouvait inquiéter, autant celui du grand frère et de son Iroquoise respirait la santé physique et morale. Il était visible qu'au cours des années, l'amitié des deux jeunes gens se mouvait en tendresse… Les bisous de camarades s'égaraient de plus en plus souvent sur les lèvres de la jeune fille; mais c'était avec une délicatesse et une discrétion respectueuses de l'assistance et des institutions. Un vrai savoir-vivre… L'Iroquoise avait, comme toutes les filles, voulu changer de coiffure; mais le grand frère amoureux s'y était opposé. Ainsi, devenant jeune fille, la poupée se rapprochait-elle de son archétype Jeanne Mas qu'elle avait tant voulu imiter… Et les copains avaient pu lui conserver, quoiqu'elle se fût enfin décidée à grandir, son hypocoristique de "Mini-Mas" (32-2↓ ) 

Les excursions au "Jardin Courtois" s'étaient provisoirement espacées, surtout du fait des préoccupations de Jean-Loup, le responsable dont les déboires locaux déteignaient fatalement sur sa carrière. Certes, le prof avait eu le réconfort de découvrir que son cher Vélociraptor, l'inspecteur d'académie jadis tant redouté, avait apprécié au plus haut point son expérience pédagogique. De même, son cher Le Moualc'h, le proviseur, le protégeait-il paternellement des agressions des collègues et personnels anti-écolos du lycée. Mais il gardait une indéfectible rancune à la collectivité qui avait rejeté son fils pour "la paix des ménages"… Aussi se faisait-il tirer l'oreille par ses deux anciens élèves - désormais passés dans le second cycle avec les honneurs du BEPC - à l'heure de participer aux distributions de tracts à pied ou à bicyclette. Lesquelles permettaient aux deux ados de faire grossir les effectifs d'adhérents de l'ADVG-AT parmi les électeurs du canton; et, au Collège, d'étoffer le club de poésie.

Corinne dite Calliope «à la belle voix », muse de l'éloquence, celle qui gazouillait toujours, et son "Thibault de Champagne", le troubadour, avaient eux aussi réussi leur examen de troisième. Ils étaient restés de fidèles amis d'Adam et Mini-Mas et se joignaient le plus souvent à leurs excursions dans les villages ruraux de Val Grisette. La fille se destinait au journalisme et si possible au "Vingt Heures de la Une"… Elle apprit donc, près d'un correspondant local d'un journal national du matin, aux éditions régionales ciblées, comment rédiger un communiqué de presse. Répétitivement, avec patience et passion, elle inonda les services concernés par les évènements écologistes concernant le Val Grisette et les cantons limitrophes. Elle récrimina vivement auprès du plus grand quotidien parisien du soir parce qu'il s'obstinait à intituler sa rubrique d'écologie: "Régions". On lui répondit: "Notre lectorat n'est pas concerné par l'écologie". Elle cessa donc de s'y référer, préférant dépenser les maigres subventions du club à un abonnement à la revue "Écologie" du vrai journaliste d'avant-garde Jean-Luc Burgunder (32-3↓ )  qui, de Montargis, menait avec brio un combat qui devait le mener loin… Elle fit la connaissance, non loin de là, d'un autre journaliste de progrès, Pierre Pellerin, fondateur de l'Association des Journalistes pour la Nature et l'Environnement (32-4↓ ) . Il lui fit l'honneur de la recevoir, accompagnée de son Thibault de Champagne, fier d'être désigné comme le "compagnon" de la jeunette, et de Jean-Loup qui ne servait guère que de chauffeur de taxi. Elle posa des questions si judicieuses que Pierre Pellerin lui affirma qu'elle avait un bel avenir de reporter écologiste devant elle. Aux anges, la fille lui offrit alors, avec un clin d'œil à Jean-Loup, de devenir président d'honneur de l'ADVG-AT. L'écrivain esquissa quelques feintes et entrechats de retraite; mais la jeune fille se fit charmeuse puis suppliante. Enfin, il accepta; et l'on sentit que cet homme au grand cœur avait anticipé que peut-être, plus tard, il aurait la joie d'avoir été celui qui donnait sa chance à une grande éditorialiste écolo…

Ainsi le temps s'écoulait-t-il, donnant chaque jour raison aux écologistes, d'un Amoco Cadix à un Seveso, d'un Bohpal à un Tchernobyl, d'une famine au Niger à une répression dictatoriale au Chili, toutes catasrophes écologistes épuisant la planète de ses richesses et de sa virginité… Les hommes vivaient là-dessus comme des somnambules équilibristes sur un fil prêt à casser, ivres de tam-tams matraqueurs, de télé people, d'alcool et de drogue, conscients et désespérés, préférant se soûler pour s'aveugler plutôt que d'affronter pour infléchir, marque de la facilité et de la lêcheté, excusées par la dureté et la brieveté de la vie… Et leurs enfants dans tout ça ? N'auraient-ils eu à leurs yeux d'utilité que pour les allocs: le premier pour l'appart', le second pour la télé, le troisième "qui paie le plus" pour la bagnole…? « Bof ! F'ront comme nous: y s'débrouilleront !»

Cependant, Jean-Loup jubilait. Porteur d'un Beaujolais nouveau, il était monté à la librairie des terriers pour demander à l'Élisée son concours pour une vaste distribution de tracts de recrutement d'adhérents. Le goulot dépassant ostensiblement d'un sac de classe au sérieux trompeur attira irrésistiblement la main de l'assoiffé perpétuel. Mais comme il déchiffrait l'étiquette, il revint à la charge sur la fameuse visite au Familistère de Godin dont Jean-Loup avait fait la promesse que jamais, faute de temps, il n'avait honorée. La distribution promettait d'être longue et fatigante; aussi l'instit jugea-t-il que le moment était venu de prendre fermement rendez-vous. Lequel fut scellé par le dépucelage d'une nouvelle fillette de Beaujolais…

Comme ils étaient émoustillés par le nectar divin, le prof, fouetté un jour passé par la parabole d'Élisée contre l'amitié, lui fit le dénombrement des élèves qui désormais, derrière Le Moualc'h et Vélociraptor, poursuivaient d'un seul cœur le double idéal de l'amour poétique et de l'écologie. Alors l'Ami des Taupinières, montant sur un bloc de calcaire qui lui servait de banc, se redressant de tout sa taille et plaçant les mains en porte-voix hurla, derrière un cri de Tarzan qui retentit jusqu'au fond du Val Grisette: « Ohihohihohihoooo… Antoine de Saint Just, nous voilà !» Et comme le prof se levait en trébuchant pour partir, il l'embrassa et ils chantèrent ensemble: « Ce n'est qu'un au revoir mes frères… » Une fois de plus, Élisée frappa d'étonnement le pédagogue en reprenant au couplet: « For auld long syne, my dear, for auld long syne, we'll take a cup of kindness yet, for auld long syne… » Décidément, les ressources culturelles du Pic de la Mirandole des Petits Lapins l'étonneraient toujours !

Les Carottes sont cuites…

Du côté des "Dégénérés", comme Élisée les avait désormais baptisés, ça n'était plus la joie. La Carotte s'était signalé deux ou trois fois encore en déclenchant des alertes à la bombe au lycée: histoire d'en faire sortir un peu plus tôt la classe des CPPN - une sorte de "terminale prématurée" pour les plus faibles "dignes" d'achever leurs études à seize ans pour avoir à cet âge emmagasiné tout ce qu'un cerveau comme le leur était capable d'entrevoir ! La gendarmerie perdait son temps à le rechercher à chaque fois pour lui tirer l'oreille jusqu'au jour où il passa une nuit au cachot. Cette fois, l'adjudant Brunoy l'avait carrément "dans le nez" !

Le Palmipède, "Fiancée de la Carotte" comme l'avaient surnommé ses copains d'infortune, avait été l'un des sujets les plus caractéristiques voire des plus caractériels de la CPPN , cette classe pilotée par un instit qui officiait en hussard de la république avec un zèle apostolique et une patience d'ange… À seize ans, le Syndactyle s'était échappé de l'enseignement gratuit, laïc et obligatoire et nageait de bonheur au seuil de la "vraie vie"… Avec son pote, La Carotte, il avait concocté en cette époque bénie une distraction préférée. Dans une pétarade de pots d'échappement trafiqués qui, la nuit, réveillait sans vergogne tout un canton de braves travailleurs venus habiter Val Grisette pour son calme, ils se rendaient en catimini et par des voies détournées au Chêne de la Justice. Tapis dans les buissons, ils observaient lors, d'un œil envieux, le ballet des bagnoles qui, surtout aux jours brefs de l'hiver, s'arrêtaient pour un moment près des camionnettes des prostituées, au talus de la Nationale. Ils avaient conçu le projet de dénoncer aux épouses légères les trahisons de leurs maris frivoles. Ainsi eurent-ils l'occasion de cafeter Louston, le maire de La Villeneuve, venu bénéficier en plusieurs occurrences de l'expertise de la grosse Lulu. Ils le firent sous-forme d'un petit papier d'écolier glissé dans la boîte à lettre familiale du libidineux. « Madame la maire, vot mari se tape la grosse Lulu du Chaine de la Justice » Ce fut Louston qui, levé le premier, découvrit le billet et le montra à la brigade de Villeneuve. Mais ceux-ci alléguèrent vite fait que c'était aux gendarmes de Fesses-la-Jolie, sur quoi opéraient les prostituées, qu'il fallait s'adresser. Logique toute diplomatique ! Ceux-là, heureux de se distinguer en bien alors qu'ils venaient de laisser brûler tout un quartier de commerce sur le trottoir d'en face, mirent un certain zèle à épauler le maquereau de la grosse Lulu qui avait découvert de longue date le manège des chenapans trop repérables par leurs pétarades. Le souteneur déclarait leur vouloir faire la peau. Ainsi vit-on les gendarmes collaborer avec le mac, l'incitant à faire le guet puis lui tombant sur le dos à l'instant où il capturait les deux chienlits. Les pandores lui ôtèrent ainsi la joie de les rosser mais ainsi, le mirent à l'abri du juge… Celui-ci infligea, terrible !, aux deux minables, une punition minuscule: deux journées de service civique qu'ils passèrent à traquer distraitement les préservatifs usagés dans l'humus des sous-bois. Ils ne récidivèrent pas, non qu'ils eussent peur des gendarmes: ils en riaient longtemps après. Mais du proxénète qui les terrorisait: il leur avait promis la rossée de leur vie… et bénéficiait, pour cette affaire, d'un manque d'empressement de la police… Ainsi se vérifiait la loi de l'écologie devenue "loi morale" selon quoi, dans le monde des microbes de la putréfaction, c'est la vermine qui se bouffe entre elle…

  Donald le Syndactyle n'allait pas s'arrêter là dans ses explorations de la prostitution. Tout enfant, il avait éprouvé la joie d'être séduit par le compagnon habituel du cantonnier des Brandes: le Pousse-Cailloux. Lequel avait à son actif un certain nombre d'expériences génésiques qui lui permettaient d'apprécier les avantages de la syndactylie. Palmipède s'en était confié à La Carotte qui, non content d'en faire au passage son profit personnel, imagina de maquer son copain; ceci, bien sûr, en tout bien tout honneur, avec le consentement du mignon. Lequel s'en amusa après qu'une nouvelle expérience près de Pousse-Cailloux se fût révélée positive quoique moyennement rémunératrice. Le Pousse-Cailloux était autant pressé de confier ses fureurs intimes aux menottes du syndactyle que celui-ci de palper sa paye. Mais quand le client devait mettre la main à la fouille, il avait des hérissons plein les poches. Mesquinerie de sous-prolétaire qu'ignoraient apparemment les beaux Messieurs motorisés du carrefour Saint Louis… La Carotte lui suggéra d'aller se poster au Chêne de la Justice en profitant de l'obscurité complice des premiers soirs de novembre. La nuit qui tombait tôt rapporta très vite au jeune garçon un succès presque inattendu. L'argent ramassé fit la joie des deux complices. Une fidèle clientèle s'établit rapidement au carrefour des rendez-vous et l'on se disputa bientôt les commodités naturelles du Palmipèdele…

Le succès ne pouvait éternellement durer. Trop ignare pour se protéger, "le fiancée de la Carotte" contracta le sida dès sa première année de "vraie vie". Sa famille le rejeta. Devenu squelettique, il effrayait désormais ses clients. Il finit ses jours misérablement au service des immuno-déficients de l'hôpital voisin. C'était un ou deux ans après.

La Carotte défie le Code de la Route…

En tant que légataire universel informel d'un jeune homme très courtisé par les Pédés du Chêne de la Justice, La Carotte nageait dans l'aisance matérielle. Il songeait donc à améliorer son train de vie et à changer sa vieille mobylette pour un scooter de 50cm³. Avantageux par son prix, il l'était par la dispense d'obtenir un permis de conduire. Cependant, il fallait bien apprendre la loi ! En attendant l'emplette, il potassait laborieusement le pensum, ahanant douloureusement mot par mot, ligne par ligne, page par page. Parvenu à l'article des distances à respecter dans le dépassement des cycles par les automobiles, il découvrit que celles-ci devaient s'écarter d'un mètre du vélo en ville et d'un mètre cinquante en rase campagne. Il avait, par ailleurs, expérimenté les bienfaits de l’écarteur de danger pour vélo sur des enfants revenant de l'école des Brandes… Il les rasait au plus près de l'écarteur pour les pousser au fossé… Il avait imaginé d'en fabriquer un pour son utilisation personnelle sur la déviation de Villeneuve. Ses efforts désespérés de déchiffrage du manuel ne l'ayant pas autorisé à parvenir à l'article 45c du Code, il resta ignorant du contenu de l'arrêté du 18 avril 1988 définissant les conditions légales d'utilisation dudit accessoire de sécurité.

  Ainsi, lui qui n'avait jamais voulu apprendre du grand père l'art d'entamer un trait de scie, squatta-t-il son atelier pour y bricoler. Les bons vieux commencèrent à se réjouir de le voir se livrer à une saine activité jusqu'à ce que la vioque cherchât son balai. Elle dut se rendre à l'évidence que son manche avait servi de matériau de recyclage, passant, entre les mains du petit génie accessoiriste, du statut trivial d'ustensile de ménage à celui, bien plus noble, d'appareillage encadré par le Code de sécurité routière. Elle se contenta de remmancher son outil de vieille sorcière avec un bout de coudrier et ne pipa mot, histoire de ne pas arrêter le chômeur dans ses efforts de réadaptation professionnelle. Un jour, elle découvrit qu'un large bout de tissu manquait au tombant de sa nappe rouge. Cette nappe, elle y tenait, l'ayant jadis, jeune fille, brodée de ses mains au chiffre entrelacé de leurs initiales de jeunes mariés…

Elle se tut encore parce que le grand œuvre se terminait et qu'elle préférait ne pas en entraver l'inauguration, craignant également une rebuffade voire quelque mauvais coup du chouchou… Elle eut la satisfaction d'être la première à voir la machine sortir de son hangar. L'idiot de village avait parcouru tous les dépôts d'ordures de la région pour y trouver deux catadioptres dépareillés, l'un blanc, l'autre rouge. Il les avait laborieusement cloués vissés - dans le bon sens: le blanc vers l'avant, le rouge vers l'arrière, — quelle satisfaction pour la famille que de constater cette compétence !— à l'extrémité du manche à balai. Lequel, tronçonné avec précision au mètre cinquante réglementaire était fixé au porte-bagage par de robustes fils de fer. La machine prit son vol en vrombissant majestueusement, fauchant au passage un bouquet de fleurs aux parterres mais déployant son drapeau rouge avec une fierté teintée de militantisme… La vioque constata que l'écarteur était fixé du bon côté (le gauche) ! Elle eut un éclair de fierté… Mais quand elle vit tomber les fleurs, elle frissonna. La vieille se signa !

Arrivé au pont de la déviation, il descendit la rampe d'accès de présélection en direction de Vaysse-la-Jolie (que tout le monde, même les gendarmes, n'appelait plus à Villeneuve que "Fesses-la-Jolie". C'est sur son territoire qu'était le chêne de Saint Louis…) La Carotte désirait tester "pour de vrai" l'efficacité de son innovation. Il ignorait depuis toujours la signification du triangle de priorité absolue. Il se dit que son écarteur devrait en imposer au véhicule arrivant sur la Nationale. Il s'engagea malgré l'impératif coup de klaxon ! Le bout du manche à balai effleura la carrosserie de la bagnole, déséquilibrant notre crétin de village qui partit au talus en zigzaguant, dérapant, s'affalant lourdement… La tête porta contre le poteau du triangle jaune: il fut tué sur le coup !

  Tristesse dans les foyers… Consternation prostrée au bistrot des Brandes… Mines allongées… Jamais on n'aurait cru qu'il fût tant aimé des populations. Jean-Loup se dit qu'il n'aurait pas le quart du tiers de ce beau monde à son enterrement. Puis l'on se consola. Les paysans de chez nous sont rudes et prompts, au sortir de l'estaminet à renfourcher leur monture: l'avenir de la race était assuré et, juré ! le successeur de La Carotte ne saurait se faire attendre… On chercha un responsable, un automobiliste criminel: pas de témoin; le véhicule qui descendait la rampe derrière la victime s'était empressé, craignant d'être incriminé dans une sale affaire, de suivre le véhicule accrocheur parti en trombe. Un paysan dans son champ - sans doute un habitué du Chêne de la Justice - indiqua qu'il avait cru reconnaître la voiture du barbeau de la Grosse Lulu. Les gendarmes de Fesses-la-Jolie enquêtèrent avec leur diligence bien connue; mais le proxénète trouva sans difficulté trois témoins qui jurèrent - attestations de justice au format et photocopie de la carte d'identité à l'appui - qu'à l'heure de l'accident, ils étaient tous attablés au bistrot en train de taper une belote…

  Ainsi se confirmait la règle écologique énoncée ici plus haut !
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 32:   ( Sauter les notes de section 32 )
32-1.-↑ L'hiérophante est le prêtre qui, dans les religions à mystères instruisait les futurs initiés en leur montrant les objets sacrés. À traduire à peu près par… "dame du catéchisme".

32-2.-↑ Hypocoristique: Terme qui exprime une intention caressante, affectueuse, notamment dans le langage des enfants ou ses imitations.

32-3.-↑ Extrait du Blog de Jean-Luc Burgunder: « L'ouverture de ce blog s'inscrit dans une histoire de vie. On ne sort pas indemne d'une aventure de 20 ans de presse militante écologiste (1973-1992) (1). (...) Parallèlement, mon engagement politique a abouti en 1998, à être élu conseiller régional Vert en région Centre, où je suis devenu Vice-président délégué à la formation professionnelle et à l?apprentissage. Mandat et délégation renouvelés aux élections régionales de 2004. De plus en 2001, à Montargis (Loiret), après avoir mené une liste autonome aux élections municipales, avec presque 11%, je deviens conseiller municipal d'opposition à un maire UMP devenu député en 2002.
(1) C'est suite à une idée que j'avais lancée en avril 1972 de créer une Agence de presse écologiste, que le premier numéro hebdomadaire paraîtra le 5 janvier 1973 (APRE Hebdo). C'est au numéro 242 le 29 avril 1977 qu'il deviendra Ecologie-hebdo, puis Ecologie en 1979 et Ecologie-info en 1985. Au début des années 80 il deviendra mensuel. La diffusion est principalement nationale jusqu'en 1979 par abonnement puis en maisons de la presse durant 14 ans. Parallèlement Ecologie édite une vingtaine de numéros spéciaux thématiques dont « l'énergie solaire » et « éolienne » seront des best-sellers écolos des années 70-80. Deux livres ont marqué cette période d'édition : « Déjouons la publicité » qui sera à l'honneur sur le plateau d'Apostrophe chez Bernard Pivot et « L'arbre aux papiers » (papier recyclé) qui reçut le prix de l'environnement « Jean Sainteny ». Titre écologiste militant non subventionné, Ecologie-info arrête sa parution après la publication du numéro 406, pour raisons économiques en 1992. »
- Blog de Jean-Luc Burgunder
- Page de l'extrait ci-dessus de Jean-Luc Burgunder
- Une interview de JLB

32-4.-↑ Pierre Pellerin (journaliste) (Extrait de Wikipedia; réf. ci-dessous): (né en 1920 ; † le 1er janvier 2001) Il fut un journaliste et écrivain spécialisé dans la nature et l'écologie. Il travailla comme journaliste de presse écrite dans des revues animalières comme La Vie des Bêtes et Bêtes et Nature. Il était rédacteur en chef de Bêtes et Nature. Trésorier de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux) en 1966. Il fut aussi Directeur- fondateur de la revue L'Oiseau magazine de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux). Il a été Président de l'association des Journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie (JNE).
- L'article complet de Wikipedia avec la liste des ouvrages de Pierre Pellerin.
Extrait du site des JNE: Journalistes pour la Nature et l'Environnement: « L'association des Journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie (JNE) a été fondée en 1969 par Pierre Pellerin sur la base d'une sensibilité de ses membres aux problèmes d'environnement. Ce postulat n'a jamais été remis en cause, même si l'association a évolué, notamment en s'élargissant, depuis sa création. Les JNE regroupent aujourd'hui 290 professionnels de la presse écrite ou audiovisuelle, de l'information ou de l'écriture, tous spécialisés dans l'environnement, l'écologie, l'éco-tourisme, la protection de la nature, le cadre de vie ou l'énergie. L'essentiel des médias nationaux et des magazines spécialisés est représenté au sein de l'association, et c'est probablement ce qui, depuis le début, constitue sa force d'intervention et de médiation. »
- Présentation des JNE par Claude-Marie Vadrot

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Diatribe d'Élisée contre la Triade des Arts…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.

« Ce qui est certain c’est que la mort de la peinture au 20ème siècle a été orchestrée par Marcel D. (...) Quand une roue de bicyclette a été déclarée oeuvre d’art, la peinture a été envoyée aux abîmes. » Dans: "Paroles de...", Pierre Duchamp, Ars in Fine - Entrevue realisée par Nicole Deshayes, Art Scènes n°15

France ! Mère des Arts… Et du Bellay déplorait…

France, mère des arts, des armes et des lois, 
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois (33-1↓ ) 
et Jean-Loup le chantait, enjôlé qu'il avait été par l'enseignement classique de ses professeurs de l'école normale d'instituteurs qui, jadis, avaient organisé un voyage de promotion à Rome et Florence. Arrivé là, il était tombé attendri par le peuple affable des brunes Italiennes… Mais s'il avait défailli d'émotion, c'était devant les trésors antiques accumulés pendant des siècles par ce peuple génial. Lequel avait ensuite fécondé la Gaule pendant trois cents ans de "paix romaine" (la plus longue embellie jamais connue pendant toute l'histoire de France)…

Ô Donato Donatello, dont la prof d'arts disait, devant ton David du Bargello, que Dieu mourut de honte le jour où "Tu" lui montras ce qu"Il" aurait dû faire de l'humanité !
Ô Sandro Botticelli, génial "Petit Tonneau" dont ta Flore du "Sacre du Printemps" rendait amoureuse toute une promotion !
Ô Filippo Brunelleschi dont le duomo miraculeusement accroché au ciel nous comblait d'un" sublime étonnement !
Ô Michelangelo dont le colosse nous remplissait d'ébahissement à la question non répondue: « Mais comment a-t-il pu d'un coup maîtriser et l'éther et le roc ?»
Ô surhumain, splendide peuple de génies !
Ô superbe et fascinante Italie, vraie mère des arts, des Césars égorgeurs de Vercingétorix,… et des mafias cruelles !


Ainsi Jean-Loup devisait-il avec soi-même, slalomant des hanches, habilement, en vieux Parisien au parfum, sur le trottoir gauche de la rue Beaubourg, descendant vers la Seine, entre les cacas de chiens et les passants trop affairés pour zigzaguer… Écrabouillez donc ! Moi, j'connais l'ténia échinocoque !

  Il éclata de rire ! Admirables ! Imposantes ! Les trompettes souffleuses gigantesques étaient là, jaillissant d'un amas de poutrelles multicolores idéalement enchevêtrées, hurlant comme les chofars de Jéricho, tonitruant à faire écrouler les vieilles reliques du passé qui sont là, juste en face, quasiment de l'autre côté de la rue, "émerveillées d'être de telles merveilles et qui n'osent se l'avouer, comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer" (33-2↓ ) : la tour Saint-Jacques, la place des Vosges, le Pont Neuf, la Conciergerie et l'ineffable écrin de la Sainte Épine, l'Hôtel-de-Ville et puis Notre Dame de Paris… Taratata ! Balayons ces vieilleries: place aux Jeunes ! Place aux Cons !

Fi des Jean de Felin, Julien Ménart et Jean de Revier et de Rault, le tailleur d’images !…
Fi des Androuet du Cerceau, des Métezeau et autre Claude Chastillon !…
Fi des Guillaume Marchant et François Petit, Jean de Bologne, Pierre Francheville, et des Pietro Tacca; fi des Lemot !…
Fi de Pierre de Montreuil !…
Fi encore des Boccador, des Théodore Ballu et des Édouard Deperthes !…
Fi de mieux des Jean et Pierre de Chelles, Pierre de Montereau, Jean Ravy, Jean le Bouteiller; et de Raymond du Temple ! Fi de Jean-Baptiste-Antoine Lassus et d'Eugène Viollet-le-Duc !…


— « Merde ! s'écria Jean-Loup. Chi va piano va insano ! »

  Une jolie passante se retournait en pouffant de rire: il fut vivement piqué… Plongé dans sa philosophie, contre-plongé dans son admiration des hauteurs altières du Pompidolium, il venait d'en écraser une de celles qui, bon an mal an, avaient dû, depuis le temps des Androuet du Cerceau, communiquer à des milliers de Parigots d'insidieuses destructions du foie accompagnées de multiples métastases parasitaires… Tu deviens aveugle: c'est le kyste hydatique d'une seule petite larve du ténia du chien, pérégrinant tout au travers tes organes, qui s'est installée dans ton œil. Elle s'y transforme en une tumeur parasitaire où nagent par millions de nouvelles larves engendrées sans cesse par bourgeonnement des parois du kyste; lesquels vers forment un sable hydatique qu'un coup de bistouri malheureux répandra dans tout l'organisme… Développé dans ton cerveau, tu deviens fou… Savoir ça et ? t'aurais presqu'envie d'êt'con !

Justement, sur un banc du square Saint Jacques, une vioque esseulée baisottait goulûment son berger d'Arménie, un Gampr de quatre-vingts centimètres au garrot qui, au Kurdistan, lui aurait bien coûté un cheval, deux vaches ou dix moutons. On se demandait comment la pauvresse pouvait nourrir ce monstre. Une brève course du molosse derrière les pigeons pouvait répondre à ce questionnement. Mais une autre sous-race de mémé zoophile se manifesta qui, furieuse, apostrophait la vioque au chien, lequel, judicieux défenseur des statues de Rault, le tailleur d’images de la tour Saint Jacques, mettait de l'ordre en la volière merdifère et profanatoire… Bof! Somme toute, pas plus que l'tas d'ferraille là derrière !

Jean-Loup décrotta ses baskets à la bordure de trottoir, impatient de les plonger, à son retour, dans l'eau de Javel. Il allait au musée pédagogique. Il se rendait rue d'Ulm sans avoir jamais pénétré, rue Beaubourg, ce temple du modernisme qu'un président modernicolifique avait cru finaud de confier à un illustrissime italien (nul ne savait son nom), champion du high tech up-to-date made in U.S.A… Il redoutait de se trouver ridiculement désemparé devant les chefs d'œuvres. Ces rébus de conceptualisation éthérée que seule une diarrhée logomachique pouvait démystifier… Livré tout nu à cette "affaire de spécialistes, intimidante et hermétique", il en flippait comme dans un cauchemar ! On verrait ça plus tard. Fallait d'abord s'initier… Il rendit des bouquins d'écologie et repartit avec un traité d'art moderne; toute sa vie il n'avait eu qu'une soif: comprendre la folie de cette vaste tribu de singes mal améliorés, amateurs de guerres et de nouveautés… à tout prix, en tout genre…

Descendu l'escalier de la station Châtelet, enveloppé par cette odeur de pestilence qui rappelle aux touristes que le métro est, à cet endroit, connecté au grand collecteur des vomissures de la ville de Paris, Jean-Loup dut s'asseoir en attendant la rame. Bat'occase d'ouvrir, sous le sanctuaire même, le mode d'emploi du Pompidélirium. Il tomba immédiatement en arrêt devant la "Pissotière" de Marcel Duchamp, œuvre conceptuellement monumentale aux retombées artistiques incontournables et dont la logorrhée descriptive indiquait avec véhémence: « Une nouvelle manière de voir l’art. Pour le grand provocateur Duchamp, l’artiste n’est pas un « bricoleur  », seule compte l’idée. Ainsi, l’expression artistique ne passe pas par la technique. Aujourd’hui, cela semble une évidence pour tous (quoique…) ; en 1913, date à laquelle naît le premier ready-made duchampien, c’est une petite révolution. » (33-3↓ ) … Il lui revint en mémoire une phrase qui lui avait plu: « C'est dans l'Art que l'homme se dépasse définitivement lui-même. » (33-4↓ ) . Il comprit derechef le "concept" qui avait inspiré l'artiste: mais oui, bien sûr ! le spectacle de ce "ready made number 1" pouvait inspirer les dames puisant au plus profond de leur cerveau reptilien (kêk'chose comme l'hypothalamus…) la représentation sublimement conceptuelle de ce que pouvait être "l'homme qui se dépasse définitivement lui-même"… À Dada ? Oui, de ch'val, mesdames ! J'vous en prie: conceptualisez échafaudez, conjecturez, élucubrez, soupesez, mesurez, frissonnez ! Ah ! mesdames (et messieurs pourquoi pas), cette pissotière: le concept, l'abstraction, l'enfantement, l'engendrement, la genèse, la conception, la cosmogonie, l'intellection… Tu parles, tu gloses, tu t'marres et t'en pisses dans ton falzar ! Doit bien rire de sa farce, le potache… Niveau ? Non, pas vraiment quatrième;, disons: fin de cinquième: prépubertaire…

« Et même, pourquoi le "génial concept" n'aurait-il pas ému les messieurs, "interpellés quelque part" dans leurs tréfonds pituitaires (y z'en ont, eux aussi !), fussent-ils ministre de la Culture ou… président de la République ! Bref, avec l'érection du "centre" Beaubourg, l'immenculée conception avait changé de trottoir… !» Trève de rigolade: les gens commençaient à se demander ce qu'était cet escogriffe qui riait tout seul en lisant un porno de pissotière… et la rame arrivait à quai. Désenchantement !

Le Voyage à Guise.

Il importait de préparer l'excursion au Familistère de Godin. Et comme Jean-Loup souhaitait faire d'une pierre deux coups, il envisageait de visiter au retour le donjon de Vilfort-sur-Ailette. Ce vestige était réputé pour la restauration qu'en avait faite la municipalité soutenue par des subventions du conseil général. L'architecte des Bâtiments de France, non satisfait de rebâtir le donjon "à l'identique" avait tenu à organiser dans son parc une exposition d'art moderne. Jean-Loup, que sa curiosité avait plongé dans la lecture d'un ouvrage spécialisé, voyait une opportunité exceptionnelle à comparer une architecture utilitaire à des chefs d'œuvre basés sur la négation de "l'art pour l'art". Il réserva donc deux chambres d'une personne à l'auberge du Rond d'Orléans pour faire le voyage en deux jours. Il allait falloir déguiser Élisée en "civilisé" et ça n'était pas gagné d'avance.

Guise, Godin et l'architecture collectiviste…Élisée, piqué au vif, avait dégotté au fond d'une malle ce qu'il avait baptisé son "costard de premier communiant" et qu'on aurait plutôt dit "de mariage", "en velours potelé" ajoutait-il, ses propres formes s'étant arrondies depuis, son mode de vie ne lui permettant cependant pas de devenir rondouillard; et là-dedans, une fois défrippé par Louisette, c'était vrai qu'il ne dégotait pas si mal que ça. Jean-Loup pourrait le présenter dans un rabicoin de la grand'salle du Rond Point d'Orléans…

Ce voyage entre garçons menaçait d'être une corvée; mais l'Élisée, heureux comme un prince conduit par un chauffeur de maître, montrait une humeur primesautière et utilement babillarde. Gagnant Soissons par la grande nationale, Jean-Loup connut tout de Saint-Simon — « Pas le mémorialiste, un de ses cousins éloigné !» — dont la pensée philosophique avait inspiré le XIXème siècle, portant la réalisation de prouesses industrielles comme le canal de Suez, les chemins de fer, l'équipement de l'Algérie où elle inspira au Poléon III une politique plus généreuse au Royaume arabe. Laquelle pensée restait d'actualité à notre époque après avoir influencé les anarchistes: Fourier et Proudhon, et les fondateurs du communisme moderne, Karl Marx et Friedrich Engels qui lui prirent sa notion de "classes sociales"… À écouter deviser l'Élisée, on se demandait pourquoi Saint-Simon s'était effacé de la conscience nationale (33-5↓ ) !

Élisée devisait agréablement, donnant à l'instit une leçon de philosophie anarchistplutôt complète. Tous défilèrent, de Godwin à Stirner, passant par Hegel; Bakounine, Kropotkine… tous y passaient. C'était un déballage d'érudition qui en disait long sur les veillées du terrier, au milieu de l'étalage de bouquiniste… Les préférences allaient, bien sûr, aux Français, héritiers des Lumières, au baron d'Holbach, au "Contrat Social" de Jean-Jacques et surtout à Saint-Simon… De Proudhon, fils d'un tonnelier et d'une cuisinière, il se sentait proche. Il avait aimé sa maxime: « La propiété c'est le vol !» qu'il avait mainte fois prise à témoin pour invectiver les "chieurs de bêêton" du Val Grisette… Ou pour se servir en haricots verts aux jardins ouvriers ! Mais ce jour-là, Guise oblige ! il avait en poche le Fourier de Debu-Bridel  (33-6↓ )  qu'il avait indexé de maints signets prouvant la fidélité de son zèle… Il en fit quelque lecture à son chauffeur.

À Soissons, comme Jean-Loup s'apprêtait à prendre la déviation, l'Anar des Terriers s'insurgea disant que c'était crime que de passer près d'une cathédrale sans l'aller admirer. Et comme on s'était levé à la petite aube, le comptable de l'horaire s'inclina, tout heureux qu'on lui forçât la main. Ensuite, il fallut prendre la route pour Saint-Quentin.

Les paysages défilaient, plateaux céréaliers, versants boisés, vastes bois, bords de l'Oise… Jean-Loup n'était pas avare de son temps et flânait sur les petites routes pittoresques perçant la forêt de Saint-Gobain. On trouva une décharge forestière bien ensoleillée pour s'y reposer sur les grumes en buvant un café sorti brûlant d'un vase de Dewar (33-7↓ ) .

Toujours mâchouillant son sandwich (...!), l'Élisée lui lut un passage sur les gaîtés du Phalanstère fouriériste: « le Phalanstère est un lieu de vie luxueux, et en même temps l’unité de base de la production. Il comprend un immense palais prolongé par des bâtiments ruraux, au-delà de la grande route qui limite la cour d’honneur. En harmonie, l’industrie manufacturière est subordonnée à l’agriculture, elle même réalisée en lien avec les cultures et passions locales . L’ensemble immobilier est ainsi placé dans un décor champêtre bigarré et entrelacé, en raison de la recherche du meilleur terroir pour chaque espèce cultivée. (...) Les fêtes se succèdent pendant le séjour, avec des spectacles hauts en couleur dont l’excellence est rendue possible par l’importance donnée aux arts de la scène, à la chorégraphie et à la gymnastique dans l’éducation dès le plus jeune âge. A ce sujet, il imagine même qu'à intervalles réguliers, de grands écrivains viendront au monde pour exalter la réussite de cette communauté  (33-8↓ ) . » Alors on longea l'Oise et l'on parvint à Guise.

Le Familistère de Godin à Guise

Laissant à gauche les ruines pitoyables laissées par la grande guerre, du château des ducs de Guise, traversant l'avenue principale, Jean-Loup s'enquit de ce capitaine d'industrie qui avait imaginé d'enfermer ses ouvriers dans un silo à prolétaires bien avant nos maires des banlieues rouges de la ceinture parisienne… L'expression fit éclater de rire l'Anar Troglodyte:« Mon cher maître, apprenez que Jean-Baptiste André Godin était aux antipodes des crocodiles capitalistes du XIXème siècle. Il était avant tout philosophe et philanthrope anarchisant.
— Je comprends, dit l'instit, toujours prêt à savoir ses leçons; c'était un de ces "bourgeois philosophes" sortis tout droit de la Révolution de 1789…
— Que nenni, mon bon maître ! C'était lui-même un ouvrier, fils d'un serrurier de village, un de ces forgerons géniaux, autant capable de forger la grille du château d'un imigré revanchard que de rabouter le soc d'un Jacquou le Croquant (33-9↓ )  — On se demande, dit l'instit, comment un fils d'ouvrier de village aurait pu devenir chevalier d'industrie ?
— Ma grand-mère au lit disait à mon aïeul:« Oh, toi ! tu es mon godin !» (à quoi mon pépé répondait invariablement: « Et toi, tu es ma godiche »). Le Godin était le fameux poêle qui a réchauffé des générations de Français pendant deux siècles, avant l'pétrole et le Tchernobyl… C'était faire piètre honneur à un homme exceptionnel que de jouer les calembouristes sur son nom… Fils d'ouvrier, il avait eu bien du mérite à se former au socialisme et au saint-simonisme en autodidacte. Et parvenu au succès industriel grâce au génie de ses mains multiplié par son intelligence, c'est en fils d'ouvrier qu'il a construit, lisant Fourier, son phalanstère à lui: tiens ! nous y v'là: c'est son Familistère !»

On trouva difficilement à se garer à proximité du beau mausolée dressé, en 1888, lors de son décès, par ses disciples qui n'oublièrent pas d'y associer Marie Moret, sa fidèle épouse. L'Élisée détailla avec émotion les figures allégoriques de la famille et du travail encadrant le buste du Génial Ouvrier, surmonté lui-même de la superbe envolée d'une "résurrection de l'âme"; et là sa voix s'étranglait un peu tant on se prenait d'espérer que renaîtraient un jour de tels hommes… L'instit sourit à cette idée que le Philosophe des Taupinières émettait tout haut et celui-ci lui demanda des comptes. Le Pédago répondit: « C'est que je repense à la pissotière de Duchamp et que j'imagine que branchée par de tels fils de bourges, notre société est mal barrée pour nous rendre nos Godins (33-10↓ ) … !»

La Visite au Palais social de Jean-Baptiste André

On commença la visite par la Buvette des Economats; on déjeuna du plat du jour qu'on arrosa d'une demi-bouteille de Beaujolpif. On attendit la visite guidée pour accéder aux cours intérieures. Le Palais social était constitué de plusieurs pavillons de brique assez sobres. L'ensemble dégageait une cohérence qui rendait la simplicité des façades plus avenante que les agglomérats de barres d'immeubles ou le fatras foutoire des pavillons individuels de nos banlieues.

 La visite guidée leur apprit que Jean-Baptiste André Godin, soucieux avant tout de procurer à ses ouvriers des conditions d'habitation hygiéniques avait également voulu les faire profiter d'une économie socialiste douce faite de mutualisme et d'auto-gestion. Ainsi, supprimant le plus possible les intermédiaires, sa coopérative dispensait aux prix les plus bas les denrées d'une cuisine alimentaire, d'une boulangerie, d'une boucherie, d'une charcuterie, d'un restaurant. On disposait collectivement d'ateliers, de remises, d'étable, d'une écurie, d'une porcherie et d'une basse-cour.

Nul besoin d'aller se perdre en ville pour trouver un débit de boissons ou des salles de jeux, voire un café-casino: le Palais social y pourvoyait. Un théâtre avait une place majeure au sein du Palais social, Jean-Baptiste André étant soucieux d'éducation populaire permanente. Lequel théâtre était jumelé avec les écoles. Celles-ci étaient mixtes et fréquentées selon l'âge en huit niveaux: la nourricerie des nouveaux-nés ( la crèche); le pouponnat des deux/quatre ans; le bambinat des quatre à six; les troisième, deuxième et première classes des six/treize ans. Enfin, pour les quatorze ans au moins, l'apprentissage avec stages en la fabrique voisine. Détail amusant, Jean-Baptiste André avait, en ergonomiste curieux, fait conduire une mensuration statistique des enfants afin de construire le mobilier scolaire à proportion des âges: tout était pensé et le maître de forge anarchiste avait décrit ses théories dans plusieurs ouvrages (33-11↓ ) 

La lessive, la toilette des corps sont proscrits dans les appartements: l'humidité des logements était alors une cause d'épidémies de choléra, de phtisie… Jean-Baptiste André avait donc conçu de faire des cabinets de toilettes extérieurs et regroupés, pour centraliser la production d'eau chaude, avec une vaste buanderie collective et une piscine dédiée à l'éducation à la nage d'enfants qui grandissaient sur les berges de l'Oise. La santé était aussi préservée par une bonne aération générale et des parcs, promenades et jardins remplissant aussi des fonctions esthétiques et didactiques.

L'Élisée comme Jean-Loup se tenaient cois, médusés par l'ampleur du projet et l'accomplissement de cette utopie réalisée… Ils quittèrent les lieux avec au cœur, tempérant l'enthousiasme de leur découverte, l'inquiétude procurée par un détail qui paraissait mineur au guide mais dont Élisée cerna l'importance, une fois retrouvé le véhicule, en analysant finement: « Ainsi Jean-Baptiste André avait-il tenté de faire produire les légumes au meilleur prix dans des potagers collectifs; mais il avait échoué. C'était par la mauvaise volonté de ses "ouvriers-associés" qui avaient préféré qu'on leur distribuât, dans les espaces restés disponibles autour du phalanstère, des petits lopins de jardins individuels. Curieusement, voilà que le patron-socialiste rejoignait à marche forcée le prêtre progressiste, l'abbé Lemire et ses jardins ouvriers. Pas anodin ce fait: c'est l'individualisme des ouvriers qui avait fait reculer le collectivisme de l'utopie. Et d'ailleurs, plus tard, les appartements ouvriers avaient dû être vendus au profit de quelle migration si ce n'était vers des zones pavillonnaires,… »

L'instit lui coupa la parole , poursuivant: « … de ces amoncellements hétéroclites de mini-Trianons mêlés de miteux "Samsufi" qui avaient engendré ces banlieues sordidement laides de toutes nos grandes villes. Tu vas voir la cathédrale de Soissons: tu dois te farcir le spectacle horripilant de ce qu'un siècle de médiocre prospérité individualiste a déféqué de laideurs avant que tu puisses toucher à la sublime beauté créée par nos aïeux !»

Et l'Élisée lui coupait à son tour la parole pour corriger: « Amoncellements hétéroclites, disiez-vous ? Vous vouliez dire une dégueulification de micro-Trianons, vomipiquetée de samsufis bidonifères et trouducufiée de long en large par un salmigondis spaghettiforme d'autoroutes et de trajectoires d'envol, pertonitruant, tam-tamant, proutant, torturibeuglant à vous hyperplasier l'organe de Corti… Excusez-moi, mon bon maître mais j'trouve pas d'mots humains pour décrire l'inhumain, l'inhumanité, ni l'inhumanisme de "leurs" banlieues »…

Le dîner au Rond d'Orléans fut, aux frais de Jean-Loup, bien sûr, comme la nuitée, un enchantement paradisiaque tellement inaccoutumé pour le Troglodyte qu'il faillit abjurer sa religion de la Grotte… Mais il s'y mettait trop tard; peut-être que, dans une autre vie…

La Controverse de Vilfort-sur-Ailette

Au chanter matines —"les coqs s'épuisaient en fanfares" (33-12↓ ) —, Jean-Loup dut tambouriner furieusement à la porte du Diogène Amélioré, commençant à regretter sérieusement de s'en être encombré… Il avait presqu'achevé son petit déjeuner quand le "velours potelé" se profila à l'horizon de l'immense salle heureusement déserte. Le Sociologue des Terriers ne songeait qu'à s'empiffrer des indicibles gâteries de l'hôtellerie de luxe, bourrant ses poches de croissants et d'agréables petits pains suédois "faits maison", de pots de confiture et de morceaux de sucre… Jean-Loup était plus amusé que gêné de ces mômeries… On fila bientôt vers le donjon revisité.

Mais les conférences ne commençaient qu'à deux heures. Munis d'un petit sac à dos, ils eurent vite fait le tour du village, s'étonnant du flambant de son école, de la spaciosité de son stade et de la présence d'une piscine olympique… Puis, dans la forêt prochaine, il s'allèrent chauffer le dos à un empilement aléatoire de vieux hêtres, passant aussi quelque temps à chercher des champignons. Le donjon dominait la région. Ç'avait été un point fort des lignes de défense du Valois au bon vieux temps des guerres de cent ans, des pillages, des famines et des épidémies de peste… La Révolution en avait fait, comme de tant d'églises, tant de châteaux, tant d'abbayes, une lucrative carrière de pierres au statut des "biens nationaux" ! Pas assez pour dégoûter l'instit ni son Diogène Cavernicole de la liberté ni de l'égalité; mais ils gardaient tous deux une immense nostalgie des trésors du patrimoine national alors dégradés par le vandalisme de ceux qui, toujours, profitent des mouvements de foule, pour casser les vitrines… D'autres propriétaires avaient suivi; d'autres guerres avait accéléré la ruine: à bas les courtines, les échauguettes, les remparts… Alors, la municipalité de Vilfort avait racheté. Ensuite, un concours départemental, national, avait sauvé le donjon. Puis, un maire avisé, avait compris l'intérêt touristique et financier de l'affaire: il avait engrené la mécanique qui tournait désormais comme baignant dans l'huile.

La mécanique ? Rien que de très banal ! Les impôts locaux, nationaux constituaient une manne biblique dans quoi tout bon gestionnaire devait savoir piocher. On avait donc imaginé de faire du village, en même temps qu'un haut-lieu de l'histoire de France, un rendez-vous des gens de bon goût: entendez des "amateurs d'Art moderne". Notez la majuscule ! On allait donc, avec l'aide des subventions de sources multiples, salades fiscales ou sauces mécènes (33-13↓ ) , non pas s'enrichir personnellement, ça, pas question ! Mais collectivement… Le truc était si évident qu'il existait depuis toujours, à l'échelle individuelle comme à celle des commerces internationaux ! Primo: grâce à l'afflux d'argent, la commune — pour la bonne cause: soutenir en Mécène la création artistique actuelle — achète des "œuvres" aux créateurs. Secondo: elle les expose pour soutenir l'éducation des foules incultes qui affluent, attirées par une judicieuse publicité. Moralité ou bilan: c'est l'Artiste (notez la majuscule !) qui forme son prix. Celui-ci sera outré. Ce qui lui permettra d'en reverser une partie au commanditaire… Ça s'appelle une rétro-commission mais…chut ! faut pas l'dire… D'où la piscine olympique dans un village de cent-cinquante habitants. Laquelle prouvait cependant — bon an, mal an — l'honnêteté du maire !

C'était l'Élisée qui analysait la situation: « Remarquez, mon bon maître, que ça ne marche qu'avec des artistes vivants ! Pas question d'obtenir une rétro-commission du Douanier Rousseau ! D'où l'intérêt de l'Art moderne et son succès fulgurant. N'allez pas avoir le mauvais goût de vous interroger si la présentation comme "œuvre d'art" d'une pissotière "ready made" c'est — oui ou non — de l'Art. Béotien malappris ! Quelle niaiserie ! Quel manque de goût ! Quelle ignorance crasse ! Si l'ineffable potache à pu avoir une telle influence dans l'art, c'est bien parce qu'il permettait à tout un chacun de devenir "fournisseur" d'œuvre d'art ready made ou d'arte povera dégottée dans les poubelles de notre civilisation ! Un bon média, un bon scoop, toutes les outrances vous lancent; y'a qu'd'avoir du culot !»

L'heure était arrivée. Pour Jean-Loup, c'était l'instant émouvant d'entrer en contact avec l'Art moderne et de sortir de son incurable gangue de conformisme, de son imprégnation chromosomique au classicisme. Il était sincèrement ému; surtout que la demoiselle de service, guide imbue de sa mission et de la sacralisation de sa doctrine, était charmante. Pas un instant l'instit ne put imaginer que son compagnon pourrait être désagréable avec une telle personne; malheureusement, il allait avoir une démonstration digne du dieu Janus montrant une face souriante lorsqu'il s'adresse à la beauté artistique et une face grinçante lorsqu'il affronte la beauté humaine… Le parc du château avait été aménagé avec une sobriété intelligente à la mode des jardins du moyen-âge; mais au lieu d'être parsemé de statues classiques — « Même j'ai retrouvée debout la Velléda, Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, Grêle parmi l'odeur fade du réséda » (33-14↓ ) — il était orné de maintes "œuvres" d'Art moderne: mobiles grinçants et menaçants; personnages filiformes évoquant le Biaffra; ballots de ferrailles compressées au cube prêts à partir à la cornue Bessemer; pots de fleurs stérilisés par le ciment; Arte Povera d'une cloche à fromage géante et usagée d'où jaillit un rameau de bois sec transcendant à merveille: « L'élémentaire, le vital, l'énergie » ; igloo de sacs plastiques remplis de terre « incarnant la forme organique par excellence »; bloc de marbre crachant une laitue (à renouveler tous les matins, précise la jolie pédagogue !) et qui « figure d'une manière glaçante l'idée du marbre mortuaire qui gèlera un jour la vie, notre vie dans le néant »; vastes jarres de terre cuite « figeant dans le matériau la fluidité fondamentale du temps et décrivant plus largement la relation empathique de l'homme à la nature en général »; d'une sobriété géniale, un simple cercle de tuyau de pompier surmonté de deux tuyaux obliques en V renversé avec embouchure zinc « symbolisante de l'acte mental de purification des paroles que l'on sépare de leurs scories, grâce à un processus de transformation matérialisé par le circuit du tuyau » (33-15↓ ) ; Baignoire luxueuse remplie de barbelés rouillés « L’artiste n’ayant nullement sollicité la présence de cette baignoire (...). Les ruraux auvergnats, dont le sens de l’économie est toujours aussi vif, furent précurseurs en matière de recyclage et continuent de le pratiquer spontanément. La baignoire, usagée est devenue abreuvoir à bestiaux. Le cheval, coursier psychopompe (33-16↓ ) , dispute seul la nature livrée aux arbres, aux randonneurs, aux chasseurs, et aux bruyants adeptes des sports mécaniques que parfois un hêtre judicieux arrête (33-17↓ ) »…

Plus parlait la jeune personne, plus Jean-Loup était transporté comme dans un rêve, détaillant sa silhouette dont la ligne de dos, cambrée à merveille, la faisait ressembler non au cheval psychopompe avec lequel elle commençait à nous gonfler, mais plutôt à une gracieuse petite jument caracolant croupe en l'air sur les gazons moyen-âgeux du parc. De plus, chose qu'il savait apprécier entre tous ses charmes, elle possédait une paire de petits seins hauts perchés qui, de leur pointe à l'adorable cambrure, remuaient les âmes les plus élevées et les forçaient, malgré elles, d'adhérer aux paroles de sa voix d'or… Bref, Jean-Loup commençait d'affectionner l'Art moderne !

Ce qui l'agaçait cependant, le faisant, tout sursautant, à chaque pause du chemin de croix, sortir de sa douce torpeur, c'était la voix mi-miel mi-fiel de l'Élisée qui, d'une manière redondante paraissant frôler le gâtisme, posait à chaque fois les mêmes questions: combien ç'a-t-y coûté ?; quelle est la technique de l'artiste ?; cette œuvre a-t-elle une utilité ? À quoi la charmante créature répondait patiemment et invariablement par: "cher" ou "très cher", "ready made" ou "arte povera" et souvent: "art conceptuel" et bafouillait pour l'utilité entre le "Oui p't'êt ben" et le "non p'têt'pas"… Chose intriguante, le Michelange des Sauterelles avait sorti un petit calepin et un crayon et notait, à chaque génuflexion, le nom de l'œuvre, de l'Artiste, et les réponses aux trois questions. Les blaireaux suivaient, sérieux comme chat qui chie dans la braise, remplis de componction, de conviction, de gravité humble, de recueillement et de réserve, se gardant bien de questionner par crainte insigne de passer pour un ballot… L'Élisée, imperturbable, en rajoutait…

On arrivait au bout du calvaire. Alors l'Exégète des Terriers se surpassa.

« Mademoiselle apostropha-t-il; je vous ai écoutée religieusement et vous avez bien voulu répondre à mes questions avec une rare compétence. J'ai pu déduire que vous nous présentiez des objets immensément onéreux, d'un art conceptuel qui pourrait, à la limite, se passer de support matérialisé, tant qu'aussi bien vous auriez pu nous réciter votre logomachie absconse comme on récite une recette de cuisine devant n'importe quelle toile blanche, n'importe quelle pelouse ou n'importe quel bout de mur: ce qui est conceptuel n'est pas technique, n'est pas "bricolage" et surtout n'a pas d'utilité. Autant nous distribuer un mode d'emploi polycopié, voire un plan de montage sans nous mettre devant l'objet qui, étant sans utilité comme vous l'avez souligné, ne peut être qu'une manifestation de l'Art pour l'Art; ce qui est un comble aux antipodes de la philosophie duchampienne… De plus, vous avez oublié…
— Quoi, dit la belle didacticienne ?
— La pissotière ?
 La fille, pas embarrassée et qui avait compris à double sens répondait:
— Pour ça, faudra vous rendre au Centre Beaubourg. Seul le président Pompidou a pu se la payer…
— Oui ! À nos frais ! Mais, la ramenait l'Élisée, ma prostate a été aimable; elle s'est respectueusement inclinée devant votre savoir, mais maintenant ça urge ! Et même si la vôtre n'est pas signée Mutt, dénoncez-moi le p'tit coin et, à mon retour, j'vous f'rai une surprise et j'vous expliquerai "tout c'que vous n'avez rien compris" à l'Art dit moderne; d'accord ?»
Renseigné, il partit en courant. Il revint assez vite avec un air rasséréné et, rayonnant d'aise il annonça: « Chère Mademoiselle, désormais, la dernière étape de votre visite guidée pourra être votre pissotière. En effet, je l'ai signée: "Métt", accent aigu en place du "u"… ("é" pour Élisée); et datée. C'est donc une œuvre d'art et son importance n'échappera pas aux générations futures: elle sera la marque du lieu ou fut démystifié l'Art dit moderne car, si vous en avez la patience, je vais tout vous expliquer "tout, tout, tout sur l'oratoire du zizi": l'Art moderne et sa pissotière. !» À la grande surprise de Jean-Loup — et pour son plaisir, la fille acquiesça; même, quelques blaireaux voulurent écouter et, comble de la courtoisie, demandèrent la permission de rester; … et ne furent pas déçus !

Diatribe d'Élisée contre la Triade des Arts…

« Lorsque jadis, on tombait en arrêt devant un tableau, une sculpture, un beau bâtiment, on était rempli d'émotion. Cette émotion esthétique permettait de "stigmatiser la présence de l'Art". Aujourd'hui, peut-on ressentir une émotion devant une pissotière, même signée "Mutt, 1917"? Juste un éclat de rire !… Les Duchampistes hurlent, marchant à la queue leu leu du maître, leur refus de faire de l’art pour l’art, ayant pour but premier de faire de l'art table rase ! Or, l'art des tapisseries était fort utile pour réchauffer les murs des donjons; les statues bibliques était utiles à l'enseignement religieux et les cathédrales superbes utiles à y chanter son amour de Jésus… Loin d'être l'Art pour l'Art, c'était une nécessité physique et psychologique: élever son âme au-dessus des médiocrités simiesques. Faire gigoter son 1,8% de chromosome qui nous distingue du Bonobo ! Au contraire, voulant faire l'Art d'une pissotière, on fabrique de l'inutile, c'est-à-dire de l'art pour l'art ! Comment expliquer ces contradictions internes qui aboutiront un jour ou l'autre à l'éclatement de la bulle de supercherie ?

; La réponse est dans l'analyse de la structure des rapports sociaux sous-jascents à l'art classique et à l'art moderne: le monde change. Dans l'art ancien, seuls pouvaient percer les génies. Seuls les surdoués parvenaient à la renommée; dès lors ils étaient happés par les grands de ce monde: les Mécènes. La relation était simple: celle d'un fils à son père, celle de François tenant la main de Léonardo mourant au Clos Lucé… La relation Maître à Mécène, rare et bilatérale a été immensément fructueuse lors de l'épanouissement des arts classiques: Mécène et Virgile, Clément VII et Michel-Ange, Louis XIV et Le Nôtre, Ingres et le duc d’Orléans, Vincent et Théo,… les voilà « ces Mécènes dont les palais étaient pendant une suite de générations l'asile des beaux ouvrages  (33-18↓ )  »

Maintenant, la société a changé. Les classes sociales ont permuté: le bourgeois capitaliste chasse le royal mécène. Les médias se sont développés tellement à l'infini qu'à l'instant même où un hurluberlu emballerait le Reichtag ou le Pont Neuf avec des rouleaux de pécu, la Terre entière le découvrirait à la télévision: son visage apparaîtrait; le monde l'aurait vu, sa renommée serait faite sur un seul scoop et cinq minutes de télé ! Désormais, toute personne qui possède assez de culot pour monter une pitrerie médiatique sensationnelle peut se déclarer artiste: peu importe le talent. Pas besoin du talent. Le talent nuirait même: on serait déclaré "barbouilleur de chromos" ! Être artiste: avoir du toupet et une langue bien pendue. Suffit d'être bafouillard et dans nos écoles d'art qu'enseigne-t-on ? L'art de la logomachie.

N'empêche ! Notre artiste est un crève-la-faim; ça mâche tous les jours un logomâchique. C'est là qu'intervient ce qui sera le deuxième angle d'un triangle: le gargotier qui peut être aussi bien galeriste; l'homme d'art qui sera aussi le critique d'art: le médiateur. Contre une omelette: un tableau. À la galerie, si on est productif, on vous prendra vos tableaux par dizaines, pour une bouchée de pain; on les entassera dans des greniers; et le jour où votre nom tintera aux esgourdes des gogos grâce aux médias, les mêmes toiles achetées pour une guigne et deux œufs su'l'plat vaudront d'l'or. Pendant des générations, les héritiers vivront sur les trésors d'un galeriste avisé…

N'empêche, il faut un troisième sommet au triangle: celui qui a l'or pour acheter. C'est le parvenu capitaliste. Se faisant plaisamment passer pour un mécène, il ne l'est pas; car ce qui l'intéresse, ce n'est que le pognon ! La fameuse plus-value capitaliste, acquise le plus souvent sans rien faire. Laquelle apparaîtra au niveau des salles des ventes où les œuvres à la mode atteindront un jour des sommes pharaoniques… L'un de ces pharaons ne voulait-il pas se faire enterrer avec les "Iris" de Vincent ? Au moins l'aimait-il sincèrement; mais on mesure ici la bouffissure de vanité dont procède l'opération pécuniaire… Donc, ce qui fait bander le bourgeois accumulateur, acheteur des galeries, c'est la spéculation pognon. Les artistes sont même cotés dans les grandes salles de vente comme de vulgaires sicav. C'est le cas, entre autres, de ce génial Français: Jean-Jacques Audubon devenu premier peintre naturaliste d'Amérique du Nord au début du XIXème siècle (33-19↓ ) 
— Voilà cernée la première "Triade des Arts modernes": l'artiste, le médiateur, le capitaliste. Bien souvent, c'est ce dernier qui forme la cote du premier: il possède pour ça les médias et leurs "journalistes" ou plutôt "commentateurs": journaux, radios, télés et sites internet. Il fait monter les prix artificiellement grâce à ses propres médias: il n'a plus qu'à empocher la plus-value ! Ça y est, vous avez pigé ce qu'on impatronise prétentieusement sous l'expression "d'Art moderne" et de toutes ses déclinaisons, aussi labiles et illusoires que les chapelles qui les dégobillent… Chaque loufoquerie télévisée: un micro-cénacle, une pompeuse logorrhée, une nouvelle hérésie ! J'intronise ça de son nom véritable: tu es "l'Art capitaliste occidental du XXème siècle"… et tu es "fini", comme la société qui, sous prétexte de libéralisme, a pillé et rendu exsangue en trois siècles de boulimie notre planète !

— Cependant ça n'est pas tout: un deuxième triangle va se greffer sur le premier dès lors que le nom de l'artiste est universellement connu. Au sommet l'artiste; deuxième angle de base: la collectivité collectionneuse, innocente ou pas. On achète très cher avec des deniers publics, sous-couvert de soutenir les arts. En fait, on ne soutient que ce qui est déjà bien "dans le vent". Toujours les mêmes ! L'artiste formera le prix qu'il veut, sans intermédiaire; il pourra donc céder une rétro-commission aux acheteurs. On supposera que c'est pour la bonne cause de budgétisation des collectivités contractantes, espérant qu'il n'y ait jamais d'enrichissement personnel sur le dos des contribuables. Le troisième angle est toujours le critique d'art, galeriste ou autre médiateur qui pourra continuer d'être intermédiaire d'un vivant ou rétrocesseur d'un mort. Il sera toujours nécessaire pour accréditer la réputation de l'artiste et faire monter les prix; et rien ne l'empêche de jouer aux rétro-commissions… La deuxième Triade de l'Art moderne est cernée.

 — En conclusion, sous-couvert d'une écœurante logorrhée couvrant l'inexistance de ce qui, de l'aveu même des "artistes" n'a plus ni "technique", ni "objet" puisque n'étant plus que "concept", l'art capitaliste occidental se révèle n'être que l'une des pustule honteuses bourgeonnant sur la spéculation libérale. Bref, une escroquerie financière comme une autre. La bulle ne se crèvera pas si facilement, tant qu'il y aura des gogos pour baver des ronds de chapeau devant le débagoulage artistique verbeux des médias. Le dégobillage logorrhéique des Triades des arts occidentaux a probalement de beaux jours devant soi… Tant que ça ne berne que des riches: c'est supportable; quand ça se fait sur le dos des finances publiques — qui souffrent fatalement de la cotation — c'est un piteux scandale… Et quand ça se fait aux dépens de la naïveté gentiment niaise des citoyens, notamment des enfants, c'est révoltant !»

Jean-Loup, qui se doutait qu'Élisée allait avoir la gorge sèche et qu'il faudrait trouver une bouteille avant de reprendre la route, le tira par le "velours potelé", au regret d'avoir à quitter la gracieuse enseignante. Laquelle souriait, toujours affable. Le Théoricien des Arts menteurs voulut s'accrocher: il quitta la donzelle sur un dernier brocard: « Chère Professeure, merci pour votre attention; mais pour parachever votre collection, suggérez donc à vos édiles de s'adresser à la maison Manzoni: rien de tel qu'une "Merde d'artiste" en boîte de conserve pour forcer la réflexion philosophique. Je suggère que grâce à sa présence en tel lieu, vous puissiez dégourdir quelques rustauds de leur gangue de préjugés paysans et petit-bourgeois de "pousseurs de caddies" invétérés. Vous pourriez leur expliquer que ce Piero Manzoni dont l'œuvre majeure a consisté à mettre son caca en boîtes de conserve est un "artiste pionnier de l'Arte Povera et de l'Art conceptuel." (33-20↓ ) . Vous pourriez vous gargariser de cette précieuse substance pour en tirer quelque belle logorrhée du style (il prenait les intonations de Louis Jouvet dans "Knock") (33-21↓ ) : "Merde d'artiste en boîte de conserve, l'oeuvre la plus connue de Manzoni, est à juste escient rentrée dans l'histoire de l'art du XXe siècle. En effet, elle suscite, dans les cercles d'arts les mieux sophistiqués et parmi les aréopages philosophiques les plus pointus, des réflexions passionnées qui font preuve de l'extrême finesse de la pensée humaine. Cette œuvre nous interpelle quelque part à la dénonciation d'une société de consommation nauséeuse en passant par la référence à la conservation muséale pompidolienne et au conservatisme sottement rétrograde de l'art des vieilles générations jusqu'à l'affirmation du nihilisme où l'acmé de la finitude de la condition humaine et la vanité se substituent, s'autodétruisent et se subliment dans la conceptualisation de l'Art nouveau…". Voulez-vous qu'je vous l'gribouille en souvenir de moi-même ?
— Non merci, répondit en riant la fille. Je saurai bien le redire moi-même. Mon bon souvenir, messieurs !
— Bah ! repartit l'Élisée décidé à finir dans l'odieux malgré les exhortations de l'instit qui le tiraillait sur toutes les coutures du "velours potelé", chère professeureux, permettez-moi d'achever sur une note colorée que j'emprunterai à votre propre palette. Si j'en crois le grand Sigmund, l'amour de son caca serait, chez l'homme, l'image de son amour du pognon. Alors avouez que ce que vous avez baptisé de tous les noms couronnés par celui "d'Art moderne", vous pouvez vous l'rebaptiser aux yeux des siècles d'Histoire à venir d'Art Dada à: "l'Art Caca" ! Sur quoi il lui fit un large sourire qu'imperturbable dans la grâce de son inégalable cambrure, la beauté modernicole lui rendit… en tournant le dos…

Théorie Éliséenne de l'Art futur…

Il ne fallait pas s'attarder si l'on voulait que Louisette ait le temps de préparer l'omelette aux champignons avant son serial killer de vingt heures trente. À nouveau la campagne verdoyante des bois, des haies et de ces merveilleux champs cultivés, peignés, râtelés par des paysans poètes défilait, véritable tableau vivant témoin de l'esprit d'un peuple. Ça rassérénait après Vilfort ! Ayant fourni son compagnon l'Exégète des Taupes en Beaujolais-Village et refusé de trinquer, Jean-Loup ruminais la théorie des Triades de l'art. Ça lui paraissait cohérent, mais, le hic ! quoi mettre à la place ? Il s'en ouvrit à son co-voituré qui, après deux hoquets et un rot trivial accepta de répondre.

  « Cet art pour quoi je milite, je l'appelle "Art futur". Son principe premier sera la liberté de l'artiste. Il pourra toujours lancer des offensives dans des axes qu'il jugera géniaux. Seul bémol: les expérimentations resteront ce qu'elles sont: des "expériences artistiques"! Leurs créateurs seront des "expérimentateurs artistiques" en attendant que les siècles futurs les consacrent. Nul doute qu'une heureuse géologie enverra les imposteurs se sédimenter dans les abysses parmi les diatomées et les coquilles d'huîtres ! Ce ne sera plus la spéculation du fric qui fera l'art; ni les médias capitalistes aux mains des rois du pognon, non plus que les cotations boursières… On expérimente ce qu'on veut mais on ne se paie plus l'arrogance de faire accroire aux gogos à coup de matraquage télévisuel que pissotière dédicacée ni merde en boîte sont "œuvres d'art" !

Mon bon maître, un avenir pour l'art n'est pas difficile à imaginer. Reprenons le schéma des Triades et modifions-le pour obtenir un Triangle des Arts futurs. Faut bien garder l'Artiste ! mais place à la compétence. Réfléchissez, suffit pas de savoir viser en faisant sa crotte dans une boîte de conserve. Les techniques du dessinateur s'apprennent: comparez les mains tellement expressives des petites salopes de Manara et les pognes d'étrangleur des Demoiselles d'Avignon… Et même si tu pioches dans les figuratifs de l'Espagnol, Arlequin blanc ou son fils en Arlequin si adorable, t'auras rien d'aussi spirituel que "les mains" décrites par le Botticelli de la bande dessinée. L'art de manier la palette et le pinceau, c'est une réalité. La clairvoyance magique du sculpteur qui cerne au centimètre près, dans le bloc de rocher, en relief, sa Vénus de Milo, ses chevaux de Marly: c'est époustouflant de génie: il faut avoir le don dans la peau et en plus apprendre l'art du burin. L'inspiration architecturale, on l'a aussi dans les chromosomes: il faut maîtriser les techniques de construction, les calculs de fondations et de poutrelles, les lois d'urbanisme,… avoir le goût de l'intégration au pré-existant. Alors on va pratiquer un Art futur qui sera une Renaissance de l'Humanisme: créer les formes qui feront vivre dans le Beau non-seulement les monarques, mais les esclaves d'hier, les Citoyens de la république égalitaire d'aujourd'hui. Toute la ville deviendra une immense déclinaison du métro de Moscou: l'Art qui veut faire vivre les Ouvriers, les faire travailler dans un bain de beauté… Voilà un projet exaltant pour l'Art futur.

Refaire la Ville ? Sur quel modèle ? Venez-vous pas de visiter un génial phalanstère où a prospéré une communauté de dimension humaine dans un bonheur inconnu des Irlandais décrits par Friedrich Engels dans sa "Situation de la classe ouvrière en Angleterre en 1830". Faut lire ce bouquin quand on a visité le Familistère de Godin pour comprendre l'essence de l'Art du Génial Ouvrier. Lis-le ! Tu connaîtras la déréliction des sous-prolétaires exploités par l'industrie naissante. Tu toucheras du doigt la désespérance, l'abandon, l'abattement, l'isolement, le découragement, le délaissement, la faim et la solitude de l'ouvrier rejeté de la file des chômeurs… Alors tu sauras que l'Art a un but: réconforter l'humanité en lui rendant l'espoir en elle-même comme si l'Artiste disait au prolétaire: « Regarde le David de Donato Donatello; Dieu qui a fait l'homme n'a pas fait plus beau; vois comment toi, l'Homme, tu es capable de créer le Beau et de vivre dans la beauté »… Sûr, c'est pas en empilant des boîtes de caca dans des pissotières que tu rendras confiance à l'homme en lui-même !

— Mais alors, on va vous dire que vous voulez faire vivre l'ouvrier dans des camps de concentration ! dit l'instit… Même, les plus fûtés vont vous balancer du "goulag" plein la frimousse !
— Mon cher maître, dit Élisée, lisez l'bouquin ou relisez-le. La vie du goulag n'était guère pire que celle des Irlandais d'Angleterre au temps des premières manufactures de Liverpool ou Bristol… Mais je trouve qu'ayant visité Guise hier, vous avez la mémoire courte quand au confort matériel, moral, intellectuel, hygiénique et artistique procuré par cette unité de vie à son phalanstère. Êtes-vous rebuté par l'architecture de brique: elle est dans la nature géologique de la région. Ailleurs, vous aurez des Salines d'Arc-et-Senans de Nicolas Ledoux en calcaire du Jura. Il est bien connu que la Saline était pétrie de visions utopiques, comme Guise; et ça, sous Louis XV. Son architecture en faisait une œuvre idéaliste. Cette cité aurait pu acquérir l'indépendance et loger, comme le Familistère, ses ouvriers, les nourrissant, leur offrant des activités. À l'époque, c'étaient les théories de Thomas More qui avait imaginé dans son Utopia de 1516 une île idéale dont il avait inventé le nom "d'Utopie". Mot resté dans le vocabulaire universel et dans les espoirs socialistes. Pas étonnant qu'Henri VIII, le fameux Barbe Bleue d'Angleterre, ait décapité son grand chancelier !

 A Paris, en banlieue par exemple, vous aurez des immeubles de béton couvert d'un parement de calcaire lutétien; dans le Val de Loire, des maisons couvertes d'ardoise et dans la montagne du Goulet, des murs de béton cellulaire revêtus d'un parement de ce schiste qui avait rendu les villages si fabuleusement jolis; et cætera. L'architecture locale est dans le sous-sol local. C'est là qu'est la tradition. C'est là qu'on puisera la cohérence du nouveau et l'intégration au pré-existant. De l'harmonie naîtra la beauté. Aussi vrai que la laideur de nos ville est née de leur hétérogènéité, de leurs hybridations hasardeuse, de leur incohérence… Déféquer des Tours du Maine dans l'Haussmannien, voilà le non-art, le non-urbanisme et le malheur de Paris et surtout: des Parisiens. En plus, l'un commence, les blaireaux suivent…

L'Art futur sera un art cohérent, tourné vers un humanisme renaissant et incorporant à un urbanisme renouvelé la notion du phalanstère (amendée si besoin)… La ville sera faite de l'ensemble des petits villages familistères où la vie communautaire, sans être une discipline de caserne, sera à l'échelle humaine des villages d'antan. Là, tous les arts tendront à améliorer l'environnement de l'Homme pour l'aider à se laver l'esprit au quotidien du stress professionnel et de l'angoisse existentielle…

Le nouveau Triangle de l'Art ? L'Artiste, le Grand Urbaniste de l'Utopie et le Citoyen…»

Ainsi parlait le Zarathoustra des Musaraignes quand se profila sur l'horizon de chromo d'un ouest rouge et gris le clocher rassurant des Brandes: on était dans les temps pour finir le Beaujolais avec l'omelette aux champignons, secret de l'art véritable, celui de la "physiologie du goût" (33-22↓ ) 
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 33:   ( Sauter les notes de section 33 )
33-1.-↑ "Les Regrets", Joachim Du Bellay (1522-1560):

France, mère des arts, des armes et des lois


France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.

Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.

— Les Grands Classiques, site précieux entre tous…
33-2.-↑ Le "Pater Noster" de "Paroles"; Jacques Prévert
33-3.-↑ « Marcel Duchamp, figure incontournable de Dada (mouvement artistique et littéraire né à Zurich pendant la première guerre mondiale qui rejette la culture occidentale, refusant de faire de l’art pour l’art, et dont le but premier était de faire table rase) est le père du ready-made. C’est quoi cette bête ? Une nouvelle manière de voir l’art. Pour le grand provocateur Duchamp, l’artiste n’est pas un « bricoleur », seule compte l’idée. Ainsi, l’expression artistique ne passe pas par la technique. Aujourd’hui, cela semble une évidence pour tous (quoique…) ; en 1913, date à laquelle naît le premier ready-made duchampien, c’est une petite révolution. » NDLR: notez l'importance des points de suspension du "quoique..."; jamais point ne pesa si lourd: chacun d'eux dit ou répète: « Quoiqu'il paraîtrait qu'il existât, aux dernières nouvelles, si je suis bien informée, quelques dinosaures qui, en des régions restées sauvages, l'île du Docteur Moreau peut-être, se seraient attardés… » L'article est cependant intéressant, cliquez ci-dessous:
La Pissotière de Marcel Duchamp du Centre Pompidou
33-4.-↑ « C'est dans l'Art que l'homme se dépasse définitivement lui-même. » Simone de Beauvoir "Privilèges" Gallimard
33-5.-↑ "Peut-être dans une étude complète et détaillée de l'anarchisme faudrait-il faire une place assez importante au positivisme comtien et à l'évolutionnisme darwiniste. Mais ce sont là des influences qui ne sont intervenues que dans l'évolution ultérieure de la doctrine et qui ne semblent pas avoir tenu un rôle déterminant." ("L'anachisme" Henri Arvon, PUF Que Sais-je ? n°479; p.19)
33-6.-↑ Jacques Debu-Bridel, Fourier (1772-1837), Genève, Trois Collines, 1947
33-7.-↑ Vase de Dewar: j'aurais dit "Thermos" si ce n'avait été un mot déposé; encore qu'on se demande pourquoi on se priverait d'utiliser un mot grec accaparé par un fabricant…
— Vase de Dewar; schéma dans Wikipedia
— Définition dans le dico CNRTL (un trésor!).

33-8.-↑ La théorie des passions et du Phalanstère de Fourier(extrait de Wikipedia, lien ci-dessous):
— Charles Fourier, l'article de Wikipedia
Un extrait: « Charles Fourier estime que l’attraction passionnée, cette impulsion donnée par la nature antérieurement à la réflexion, et persistante malgré l’opposition de la raison, du devoir, du préjugé, s’exprime en chaque être humain par l’intermédiaire de douze aiguillons. Il appelle ces aiguillons les douze passions radicales. Le libre essor de celles-ci conduit à satisfaire le besoin d’unité, ou unitéisme, gage de l’harmonie universelle des humains entre eux et avec la nature. Il distingue ainsi :
 * cinq passions sensuelles, tendant à épanouir les cinq sens physiologiques ;
 * quatre passions affectives, tendant à former spontanément des groupes : ambition, amitié, amour, famillisme ;
 * trois passions organisatrices, tendant à harmoniser entre elles les neuf précédentes : cabaliste ou goût de l’intrigue et du calcul, papillonne ou goût du changement, composite ou goût pour l’assemblage des plaisirs des sens et de l’âme qui engendre l’exaltation.
Dans le cycle de l’humanité de 80 000 ans présenté par Charles Fourier, la huitième période qu’il considère comme la première phase d’Harmonie rompt avec le système de domination au profit d’un système d’association domestique et agricole. Grâce à l’abondance générée par le libre cours laissé à la productivité naturelle des humains, le Phalanstère est un lieu de vie luxueux, et en même temps l’unité de base de la production. Il comprend un immense palais prolongé par des bâtiments ruraux, au-delà de la grande route qui limite la cour d’honneur. En Harmonie, l’industrie manufacturière est subordonnée à l’agriculture, elle même réalisée en lien avec les cultures et passions locales . L’ensemble immobilier est ainsi placé dans un décor champêtre bigarré et entrelacé, en raison de la recherche du meilleur terroir pour chaque espèce cultivée. Charles Fourier nomme une telle organisation agricole l’ordre engrené pour le distinguer de l’ordre massif, celui de l’agriculture traditionnelle qui présente cultures et forêts en grandes masses séparées. Plus loufoque encore, certaines transformations écologiques qui devraient se réaliser : des hommes chevauchant des poissons pour se déplacer, des fontaines naturelles de limonade...
La planète est librement et constamment parcourue par de grandes bandes composées principalement de jeunes hommes et femmes, accompagnés d’adultes d’âge mûr passionnés d’aventure. Ils assurent les travaux d’ampleur exceptionnelle, et leurs passages successifs dans les phalanstères de la planète suscitent en particulier les intrigues amoureuses qui rendent la vie en Harmonie digne d’être vécue. Logés au dernier étage dans les caravansérails, ils sont nourris par les phalanstériens avec les mets et préparations très gastronomiques que l’organisation en séries passionnées permet de produire en grande quantité et sans effort. Les fêtes se succèdent pendant le séjour, avec des spectacles hauts en couleur dont l’excellence est rendue possible par l’importance donnée aux arts de la scène, à la chorégraphie et à la gymnastique dans l’éducation dès le plus jeune âge. A ce sujet, il imagine même qu'à intervalles réguliers, de grands écrivains viendront au monde pour exalter la réussite de cette communauté.
Dans un phalanstère, les journées d’activité sont longues, les nuits sont courtes. Les phalanstériens ne connaissent pas la fatigue due à la monotonie des tâches, au non-respect des rythmes naturels, aux dissensions générées par l’absence de choix des compagnons de production et à la hiérarchie non fondée sur le talent. Bien au contraire, s’activer successivement dans de nombreux groupes passionnés est une joie de tous les jours, qui conduit la vieillesse à être belle et attirante. Ainsi la considération et l’affection des plus jeunes lui échoient-elles naturellement. »
Un autre article intéressant:
Le Fouriérisme dans cosmovisions.com
33-9.-↑ Jacquou le croquant d'Eugène Le Roy. Résumé du livre:
— Jacquou le croquant d'Eugène Le Roy. Résumé
Il faut vouloir connaître et lire aussi Émile Guillaumin:
— "La Vie d'un simple" par Émile Guillaumin
Bref extrait de Wikipedia: "Émile Guillaumin n'a pas quitté le travail de la terre mais l'a transcendé. Fermier de trois hectares dans le département de l'Allier, il a fait partie du petit groupe de paysans qui a créé le premier syndicat paysan pour défendre les métayers contre les grands propriétaires. Et surtout, il a été un grand écrivain, avec de nombreux romans dont le plus célèbre est La vie d’un simple qui a obtenu quelques voix au jury Goncourt. (...) C'est après la lecture de Jacquou le Croquant qu'il se lance dans l'écriture de La Vie d'un simple, véritable livre à succès, bien qu'il n'ait pas obtenu le prix Goncourt 1904 en dépit du soutien d'Octave Mirbeau. À partir de là, il partagera sa vie entre la culture de la terre et l'écriture (les faits sociaux y tenant une large part) ; mais aussi au syndicalisme agricole et à la vie politique. La publication de La Vie d'un simple fut un événement à la fois littéraire et sociologique. Pour la première fois en effet, un paysan accédait à la littérature et consacrait un roman à sa propre culture. La Vie d'un simple, salué par Octave Mirbeau et Lucien Descaves, connut un succès exceptionnel. Si exceptionnel et si étrange que Daniel Halévy entreprit un voyage dans le Bourbonnais, où résidait Guillaumin, pour vérifier s'il s'agissait bien d'un authentique agriculteur. Dans ses Visites aux paysans du Centre Halévy raconte : « j'arrive à l'heure de la traite et le surprends dans son étable aidant sa jeune femme qui tire le lait des vaches. Il vient à moi. Quel paysan ! Démarche lente, un rien penchée, visage immuable et grave ». Vrai paysan, Émile Guillaumin l'est en effet, avec ses trois hectares de terre et ses trois vaches, exploitation minuscule alors assez courante. Daniel Halévy, familier des militants ouvriers parisiens, grâce aux Universités populaires, ignorait qu'il pouvait exister dans les campagnes des travailleurs manuels sachant lire, aimant lire, voire écrire, et qui luttaient pour l'amélioration de leur condition sociale. Au début du XXe siècle, les métayers du Bourbonnais se constituaient en effet en syndicat et Guillaumin sera toute sa vie un militant-syndicaliste paysan."
33-10.-↑ Ascendances: on en discutera à perdre haleine, qui dans les chaumières, qui dans les salons: Marcel Duchamp (Bref extrait de Wikipedia): "Né le 28 juillet 1887 à Blainville-Crevon en Seine-Maritime, Marcel Duchamp est le fils du notaire de Blainville-Crevon, et le petit-fils d'Émile Frédéric Nicolle homme d'affaires avisé et artiste, qui enseigna l'art à ses petits-enfants. Il est issu d'une famille de six enfants, dont le sculpteur Raymond Duchamp-Villon (1876-1918) et les peintres Jacques Villon (Gaston Duchamp, 1875-1963) et Suzanne Duchamp (1889-1963), mariée au peintre Jean-Joseph Crotti."
— Ascendance de Marcel Duchamp - Wikipedia
Autre site intéressant: "La quête du plaisir est l’origine du dilettantisme artistique et c’est pourquoi Duchamp qui, ne l’oublions pas, renonça à son œuvre pour se consacrer aux échecs, écrivit : « J’aime mieux vivre, respirer, que travailler. […] Donc, si vous voulez, mon art serait de vivre ; chaque seconde, chaque respiration est une œuvre qui n’est inscrite nulle part, qui n’est ni visuelle ni cérébrale. C’est une sorte d’euphorie constante. » Site paperblog.fr ci-dessous
— Duchamp et son œuvre… Publié le 22 juin 2009 par Bartleby Le Scribe. (Site modifié: recherchez-le sur ce site…)
Biographie partielle de Jean-Baptiste André Godin (extrait de Wikipedia): "Fils d'artisan serrurier, Jean-Baptiste Godin est formé très jeune au travail des métaux et entame son tour de France à 17 ans. De retour à Esquéhéries, sa ville natale, en 1837, il ouvre un petit atelier de fabrication de poêles en fonte de fer pour lesquels il dépose un brevet en 1840. En 1842, il découvre les théories de Charles Fourier. En 1846, il transfère à Guise sa manufacture d'appareils domestiques. En 1854, il en crée une autre près de Bruxelles. En 1855, il participe financièrement à l'expérience du phalanstère de La Réunion de Victor Considerant, au Texas."
— Ascendance de Jean-Baptiste André Godin - Wikipedia
33-11.-↑ Selon Wikipedia: Bibliographie: (Lien ci-dessus)
— Solutions sociales (1871)
— les Socialistes et les Droits du travail (1874)
— Mutualité sociale et association du capital et du travail (1880)
— Le gouvernement : ce qu'il a été, ce qu'il doit être et le vrai socialisme en action (1883)
33-12.-↑ LesSept Épées de Mélancholie
La sixième métal de gloire
C'est l'ami aux si douces mains
Dont chaque matin nous sépare
Adieu! voici votre chemin
Les coqs s'épuisaient en fanfare
Guillaume Apollinaire "La romance du Mal Aimé"
33-13.-↑  Par référence à la valeur adjectivale attribuée au mot par Raymon Queneau dans: « Le concert terminé sur un ultime rappel du nom de la nouille ou de la moutarde mécène, un nouveau radiophonant personnage se mit à causer biologie (Queneau, Enf. du limon, 1938, p.182)( Raymond Queneau, Les Enfants du limon dans Œuvres complètes , Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade») » 
33-14.-↑  Paul Verlaine:

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.
Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent, comme avant
Les grands lis orgueilleux se balancent au vent.
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.
Même, j'ai retrouvé debout la Velléda
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.
"La Velléda est dans ce poème une statue. Elle représente la prophétesse germanique qui fut livrée aux Romains parce qu'elle soutint en 69-70 la révolte des Bataves (peuple germanique qui habitait la Hollande méridionale actuelle) contre l'empereur romain TitusFlavius Vespasien (9-79). Velléda apparait dans les "Martyrs" de Chateaubriand sous la forme d'une druidesse gauloise amoureuse d'un romain Eudore et qui se tranchera la gorge. Avec cette figure, Chateaubriand met en scène, encore une fois, la tentation qui rapproche deux amants de cultures différentes et, pour une fois, la transgression de l'interdit." Ensemble de l'analyse du poème:
— Verlaine expliqué… Michel Esnault; esnault-m@wanadoo.fr; Verlaine 20 poèmes expliqués
33-15.-↑ Les citations sont approximativement tirées d'une page bien plus intellectuelle que la mienne et que vous gagneriez à connaître:
— Arte Povera au Centre Pompidou; grossissez les images en les cliquant.

33-16.-↑ Psychopompe, adj. Myth. gr. et rom. Qui conduit les âmes des morts dans l'autre monde. Synon. psychagogue (v. ce mot A). Divinité psychopompe. Hermès psychopompe (Littré). Ici, déf. du très précieux dictionnaire du CNRTL:
— Page utile du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

33-17.-↑  Page intéressante sur le "ready made" (d'où est tiré l'extrait de commentaire ci-dessus):
— Installation ready-made sans titre hors galerie de Jean-Pascal Goudounesque
33-18.-↑  (Delacroix, Journal, 1857, p.3).
33-19.-↑ — Histoire d'Audubon. Ci-dessous, un extrait:
"WH Fries s'est penché également sur la cotation des planches double-éléphant-folio. Le prix de vente est remonté vers 1900 aux mille dollars de la souscription initiale, pour s'envoler ensuite avec des cotations à 2.500 dollars en 1920, 14.000 dollars vers 1940, 18.000 dollars en 1945, 36.400 dollars en 1959, 216.600 dollars en 1969, 400.000 dollars en 1977. Les prix des planches isolées varient suivant le sujet : une planche originale du dindon, vendue 200 dollars à Boston en 1905 a été adjugée 8.500 dollars chez Sothesby's en 1980 et 20.000 dollars ailleurs la même année. Le record, certainement provisoire, est détenu par un Grand Héron Bleu : 30.000 dollars."
33-20.-↑ Manzoni et la "Merde d'Artiste"
— Manzoni, Artiste majeur de l'Art conceptuel.

33-21.-↑ Louis Jouvet dans "Knock". Film de Guy Lefranc et Louis Jouvet (1950), d'après la pièce de Jules Romains, "Knock ou le triomphe de la Médecine". C'est la troisième version, après celle de 1925 (en muet!) et celle de 1933. Louis Jouvet meurt l'année suivante. Jean Brochard interprète le rôle du docteur Parpalaid. ; cliquez un de ces liens:
— Louis Jouvet dans "Knock".
— Louis Jouvet dans "Knock" - 2.
— Louis Jouvet dans "Knock - 3".
— Louis Jouvet dans "Knock"(comme ci-dessus, autre URL).
33-22.-↑ — "Physiologie du goût" dans Wikipedia; ci-dessous, extrait:
"Physiologie du goût, ou méditations de gastronomie transcendante", est le titre du plus célèbre des ouvrages littéraires du gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin. Il fut publié en 1825, deux mois avant sa mort, de façon anonyme, chez Sautelet, en deux volumes. Ce texte est considéré comme l'un des textes fondateurs de la gastronomie.
— Chez Gallica: "Physiologie du goût" de Brillat-Savarin

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Nathalia de retour à El Halia…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Rentrée maussade.

Quoiqu'il fût, à dire vrai, heureux de voir arriver la rentrée scolaire, laquelle devrait le laisser enfin poser la truelle et lâcher les mancherons de la brouettée de béton, Jean-Loup la redoutait. Il allait falloir recommencer à mener Philou aux aurores dans une boîte-à-curés payante et ça lui tordait les boyaux… Lui, le dernier hussard noir de la république, ne pas profiter de l'école publique pour l'éducation de son fils chéri: insupportable ! Jamais il ne pardonnerait ça à cette société…… Z'étaient sympas pour lui, les hiérarques cathos, et bien attentifs aux humeurs du gamin, connaissant les abjectes tribulations dont l'avaient rendu victime les cancres de La Villeneuve… Ça n'était plus "le même monde". Le gamin expérimentait à ses dépens qu'il vaut mieux toujours être moyen chez les petits que petit chez les gros… Au moins, toutefois, l'éloignement le protégeait-il ! Mais l'insti  Or cette rentrée devait être la plus sinistre de sa carrière…

Et pourtant la vie eût pu offrir quelque agréable compensation. Madame la Censeure, par exemple, toujours grimpant l'escalier comme une chamoise (34-6↓ ) , toujours giguant comme si elle grimpait septième ciel, courant porter vive nouvelle à l'agrégée de sciences nat, embaumant les couloirs de son Chanel numéro cinq et offrant au regard des garçons de terminale le gracieux spectacle de ses bas à résille sous une jupe stricte mais tendance "mini" laissant deviner son jupon… De quoi les faire rêver pendant le cours de philo sur le fameux: "Somme théologique, de Thomas d'Aquin"… Sinon le "somme", ayons au moins le rêve… quoique le sachant vain ! Le Moualc'h était toujours là. Jean-Loup fit ouf! sachant que son supérieur préféré ambitionnait un gros lycée parisien. Marie-Lou la Douce était revenue; revenu Magloire ! Lui manquait Vital encore; il en était inconsolable…

Note fraîche: Fée Mélusine et son trouvère Adam de la Halle étaient là, main dans la ma main. La Censeure, remontée contre les couples hétéros dans un premier temps, était redescendue d'un étage en découvrant leur discrétion et, sentimentale, les avait pris à la bonne et les avait montés ensemble dans la même classe supérieure. Le Jardin Courtois survivait et l'écologisme reposait sur les épaules des deux jeunes gens. Attristante constatation, Nathalia avait disparu du lycée… Son troubadour andalou avait filé à l'anglaise ! On ne le regrettait guère !

Au jardin du Pédago, l'Élisée s'activait doucement, suant, soufflant, sifflant son Beaujolais quotidien, supplément syndical exigé vu la fatigabilité… Il nageait encore dans l'enchantement de sa visite à Guise, chez Godin ! Il disait fréquemment en y songeant: « Il est encore plus grand mort que vivant !» Bien entendu, c'était de Godin qu'il parlait ! (34-1↓ )  Immanquablement, jusqu'à la nuit parfois, s'éternisaient leurs discussions sur l'art moderne et l'art futur, et davantage bâtissant la Cité d'Utopie, nouvelle République de Platon mais, cette fois, sans esclaves… C'était devant une omelette battue par Jean-Loup et arrosée d'un verre d'Aloxe-Corton à faire pleurer de jalousie l'empereur Domitien. L'instit en sortait rarement de sa cave et, à cette heure, le versait parcimonieusement (34-2↓ ) .

Nathalia, qu'est-elle devenue ?

Ce matin-là, c'est Marie-Lou le Douce qui, accrochant son bras, questionna Jean-Loup: « As-tu des nouvelles de Nathalia ?» Le prof, débordé par ses cours, ses corrections, les voyages à Senlis aux petites aubes, la distribution de tracts au crépuscule, les travaux du dimanche aux "Gais Combats" s'essoufflait… Il avoua qu'il ne s'en était pas préoccupé depuis longtemps. Ils questionnèrent Le Moualc'h et "l'Ascenseure" ("du Septième Ciel" ajoutait Marie-Lou avec une perfidie bien féminine qu'on n'attendait pas d'elle), mais rien… Ils décidèrent, la trouille aux fesses, d'aller voir la famille qui, depuis Malville, ne les tenait pas en estime. Mauvaise pioche… Les braves gens, des pieds-noirs réchappés des massacres d'Oran et qui avaient recueilli l'orpheline, l'avaient aimée comme une fille, protégée des méchants et du sort, n'en savaient guère plus. Un jour de juillet, Nathalia avait annoncé, sa pauvre valise à la main, qu'elle partait se mettre en ménage avec Nadir ben Hazm, le héros de Malville… Les pleurs des Oranais ne l'avaient pas arrêtée, prétendant qu'elle était majeure puisque son état-civil avait brûlé à El Halia et qu'on n'en savait pas plus sur sa date de naissance. Depuis, ils n'avaient reçu qu'un ou deux appels médiocrement rassurants. Ils ne connaissaient ni l'adresse ni téléphone.

  Les deux profs décidèrent de confier leurs craintes à l'adjudant Brunoy dont Jean-Loup avait tant apprécié le déplacement des Brandes à bicyclette, au bon vieux temps de "La Carotte" (les rats aient son âme damnée!…). Il promit de lancer une recherche se basant sur l'incertitude de l'âge, pour détournement de mineure; et tint parole. En deux ou trois semaines, on connut l'histoire…

Nathalia vit sa Saison en Enfer…

Alors on connut l'atrocité… L'adjudant Brunoy les convoqua en gendarmerie de Villeneuve pour les tenir au courant des révélations de l'enquête. Tout d'abord, il s'avéra que l'occurence du nom d'Hazm du célèbre poète andalou était rarissime en France. À peine notait-on une naissance sous ce patronyme en région parisienne depuis les années 1960. Par contre, ayant relu la fiche d'inscription du lycéen, on s'aperçut que le troubadour cher à Nathalia s'appelait en réalité Nadir Batekh dit Nadir ben Batekh. Il était originaire d'El Assa, à dix kilomètres de la frontière, face à la ville marocaine d'Ahfir.

La région se trouve entre un contrefort oriental du Rif, les Beni-Snassèn et, en Algérie, la petite chaîne côtière des Traras. Le père algérien avait travaillé en France, bénéficié d'un regroupement familial, et Nadir était né français par droit du sol. Mais lorsqu'il projetait d'aller en vacances "au pays", c'était de l'Algérie qu'il parlait. La micro-région était idéale pour toutes sortes de trafics de contrebande opposant les GGF (Groupement des gardes-frontières) et les garde-côtes à des groupes multiples allant des pilleurs de fuel au passeurs de kif ou de pommes de terre et mandarines… Les mulets y pourvoyaient, surchargés, bien éduqués, reconnaissant leur chemin tout seuls sur des pistes rayonnant comme des toiles d'araignées et surveillés de loin par les jumelles des propriétaires… Braves petites brêles ! Le paysage pouvait être par endroit superbe. La côte marocaine, par exemple, qui recélait de pittoresques petites criques du côté de Nador; c'était le point de chargement de ces super-Zodiac de 16 mètres propulsés par 4 moteurs de 250 chevaux chacun et pilotés par des caïds du kif. On pouvait toujours y aller mais il fallait savoir tenir sa langue quand on s'y plongeait… Nadir rêvait de ces engins lancés comme des flèches irrattrapables. La presse marocaine, faussement culpabilisée, en avait montré pourvus de 8 moteurs "partant conquérir l'Europe". Alors qu'entre 500 et 800 kg de cannabis passaient dangereusement, avec des risques infinis, chaque semaine par des dizaines de voitures, un seul hors-bord en une seule traversée pouvait en porter 700 kilos, voire davantage… Ça faisait gamberger le Nadir…

 Au Maroc, c'était la région du Rif qui produisait la plus grande part des cent mille tonnes annuelles de cannabis brut dont la commercialisation rapportait deux milliards de dollars l'an. Les services des drogues de différents pays s'accordaient à dire que ça couvrait 75.000 hectares de cultures et que ça faisait vivre 800.000 personnes. Ça pouvait aussi pervertir des millions de gosses européens pour lesquels ça servait souvent de portail d'initiation aux drogues dures. Le kif des mômes d'Europe était à quatre-vingts pour cent du marocain. Les autorités chérifiennes avaient une politique ambiguë: au sommet, on tirait des plans sur la comète pour renforcer la répression, rêvant de remplacer les champs de cannabis par d'autres de blé là où la résine chocolat rapportait cent fois plus… Elles ne manquaient pas de faire savoir qu'elles ne pouvaient espérer venir à bout du fléau sans une aide massive de l'Europe… Aux niveaux inférieurs, étant plus près de l'indigence paysanne, on avait tendance à dire, fataliste: « Fumer l'herbe ne tue pas; être privé de nourriture fait mourir !» Les plus cyniques faisaient un calcul sordide arguant: « L'Espagne, la Hollande déculpabilisent cette drogue. Les autres pays vont suivre. Pourquoi risquer de priver le Maroc, notre pays, de cette manne providentielle qui pourrait faire vivre un million de personnes et rapporter l'impôt ?» Et de s'empresser de traiter de "mauvais citoyens" ceux que la honte de voir leur pays premier producteur mondial du poison poussaient à l'interdire !
 Toute cette richesse, si facile à cueillir, faisait mijoter Nadir…

Ali el Sifr, "fourmi" d'onze ans…

Le jeune couple avait trouvé refuge dans une HLM du Neuf-Trois taguée des sous-sols au grenier: une chambre sous-louée en douce par Badreddine, un coffreur Algérien au chômage dont la nombreuse progéniture s'entassait dans les trois pièces libres. Nathalia s'était épouvantée de cette condition dès le premier jour mais l'amour était lors le plus fort. Chaque fois, elle devait demander la permission d'user des toilettes à la première épouse, Camila la ¨Parfaite", une femme vieillie, bréhaigne avant l'âge qui, sans cesse lui reprochait de sortir sans foulard. La jeune fille finit par se soumettre. Elle déjeunait le soir d'un sandwich, assise au bord d'un grabat qui leur servait de nid d'amour tandis que Nadir, après une journée de recherche de travail infructueuse, fumait son pétard dans la cage d'escalier avec les jeunes de l'immeuble. Ensuite, il se couchait tard, montant par l'escalier tant l'ascenseur, en panne souvent, sentait l'urine… Il s'était lié d'amitié avec Ali, le second fils de famille du sous-loueur, un mec d'onze ans, déjà fourmi de la drogue pour tout le pâté d'HLM. La nuit d'amour était vite expédiée, le garçon avait toujours de nouvelles fantaisies à satisfaire; dès qu'il avait pris son pied, il s'endormait en oubliant la tendresse… Nathalia, aveuglée par la beauté de son héros de Malville, se contentait de ça…

Ali était une abominable petite gouape drivée par l'aîné de la famille, Charafeddine, un dealer de second rang qui roulait déjà dans une BMW de troisième main, assez bon fils pour soutenir parfois son père dans la misère. Encore qu'il n'habitât plus dans sa famille, Charafeddine se flattait d'être bon musulman, pratiquant envers son père la zakat d'argent et envers sa mère la Zakat El-Fitr "à raison d'un Saa' de pain, de fromage ou de pruneaux secs pour chaque membre de la famille, grand ou petit, selon le hadith authentique d'Al-Boukhari" (34-3↓ ) … Il était riche à vingt ans ayant trafiqué jeune le bon kif marocain qu'il se procurait près d'un gros revendeur des cités, lui-même en relation avec un spécialiste du go-fast venant presto de la Costa del Sol. Peut-être faisait-il à l'occasion dans la "dure" mais, ne voulant pas que son frère y touchât, il ne l'affranchit pas quand il s'en servait de "fourmi" pour l'herbe. Mais le cadet roulait l'aîné, offrant presqu'à découvert des boulettes d'héroïne procurées ailleurs, à la sortie du métro Porte de la Chapelle dégueulant son flot de travailleurs harassés. Il s'était fait arrêter dix fois en compagnie de fripouilles de son acabit par la police. La juge "pour enfants" le relâchait après quelques bonnes paroles: « Et maintenant, si je te libère, qu'est-ce que tu vas faire, mon petit ?» « D'main matin j'recommence m'dame; j'sais faire que ça !» Aussitôt sorti, dès le quai du métro, il interpellait sur la ligne d'en face, à grand ramdam, les policiers qui l'avaient arrêté quelque moments plus tôt, les traitant de "pourris !" parachevant la provo d'un doigt d'honneur. Les gardiens de l'ordre qui lui avaient sorti de la bouche deux heures avant une demi-douzaine de boulettes de schnouf ne décoléraient pas. Mais de toute façon, nos crapules se savaient invulnérables étant mineures. Ainsi la loi protégeait-elle des pseudo-mineurs qui étaient en fait, des majeurs prématurés de la vermine la plus perverse… Tellement qu'Ali n'avait plus peur de la police; il avait même trouvé un truc pour rentrer gratos à la maison, dans son HLM du Neuf-Trois. Quand, au crépuscule, il avait amassé assez de pognon, porte de La Chapelle, il se jetait délibérément dans les pattes de la patrouille. On l'arrêtait. On l'emmenait au poste. On n'avait pas le droit de le toucher, de le fouiller, de l'interroger en l'absence de son avocat: « Qu'est-ce qu'on en fait, Madame la Juge?
— Ramenez-le à son domicile » Les gendarmes n'avaient plus qu'à mettre un véhicule de service à disposition du délinquant qui se pavanait triomphalement en arrivant dans sa cour d'immeuble: « Assalam’alaikoum Ali. Tu frimes ? T'as ton chauffeur de maître, ce soir ?
— Inshaallah ! Allah est grand !»
 Puis se tournant vers les policiers: « Victor, vous pouvez ranger ma voiture au garage. N'oubliez pas de la laver pour demain soir; je l'ai trouvée poussiéreuse !» Alors la joyeuse petite bande ramassait qui des bouteilles vides de Coca, qui des cailloux et canardait le véhicule bleu-blanc-rouge qui ne demandait pas son reste… À cette heure, les braves couillons de Français se vomissaient du métro après des journées de travail crevantes, humiliés et rageurs, frustrés de se trouver un PV sur le pare-brise et courant retrouver leurs lardons saturés des pétards de l'infâmie… Ils pouvaient toujours s'honorer d'avoir bon cœur, se disant que le petit salopard qui voulait leur dealer sa came à la sortie de l'usine était le numéro trois des allocs et qu'il fallait décidément augmenter celles-ci pour arrêter ça ! Il était vraiment trop indigne de la France de laisser des enfants s'humilier dans la mendicité…

Nadir était au plus bas… question finance…

Il avait bien chouré les éconocroques à sa mère en partant tout pimpant, chevalier qui enlevait prestement sa princesse aux yeux bleus pour l'emmener sur son blanc palefroi (un scooter essoufflé de cinquante centimètres cubes) au plus haut de son donjon (une piaule minable en haut d'une tour du Neuf-Trois taguée des pieds à la tête et dont l'ascenseur puait la pisse à plein nez); la thune s'épuisait… Et la princesse aux yeux bleus, pauvre tendronne, commençait à comprendre sa misère. La crise se déclara lorsque Nadir fut incapable de régler la mensualié de loyer à Camila la Parfaite; laquelle jura par tous les versets du Coran qu'elle allait cafeter à son maître. Elle s'en garda bien pendant la première quinzaine, espérant toujours le paiement qu'elle comptait bien mettre en sa poche. Enfin, un soir que Badreddine, en pleine frénésie de chômage, rentrait au logis couvert d'un étonnant attirail de scies, de truelles, de taloches et de fil à plomb tintinabulant dans l'ascenseur odorant, elle vendit la mèche. Le bon père de famille, soucieux des intérêts familiaux, fit brutalement irruption dans la chambre à coucher des tourtereaux, tirant par la crinière le Nadir au zénith et lui mettant le fil d'un couteau très effilé sous la gorge. Beuglant du sixième au sous-sol, il lui fit comprendre en cinq sec qu'il lui fallait mouiller sa chemise pour gagner le prix du garni…

Sans que Badreddine le sache, c'est son fils cadet qui aller redorer la pilule au Nadir. Ali mit l'amoureux devant un marché picaresque. Ayant côtoyé la fille aux yeux bleus, il s'était épris d'elle. Il fit donc au jeune amant une proposition tellement malhonnête qu'il n'en imaginait récolter qu'injures et taloches. La première réaction du jeune homme fut en effet violente. Puis, la filiation arabe de Nadir prit le dessus: « Embrasse la main que tu ne peux couper !» se souvint-il et contre mauvaise fortune fit bonne mine. Un soir, Ali et trois saligauds de son acabit le coincèrent dans la cage d'escalier: « Ahlan oua sahlan, akhy ! Salut, mon frère, toujours au chômdu ? Oui ? Tu sais ç'que mon dab t'a promis ? Paraît qu'c'est pour bientôt à c'qu'on dit au taouila !
— Zut, pas d'chance; j'allais dégotter un boulot…
— Un bon job ? Du fric ?
— Pas sûr !
— Si tu veux, nous on t'dépanne… Nous quatre on a b'soin d'une meuf. Tu nous prête la tienne: on t'donne quat'mois d'loyer ?»

Le Nadir se sentir rougir de honte et de colère et, par défi comme pour ne pas écraser ce moucheron qui pour détestable qu'il fût n'en était pas moins le fils de son hôte, lui répondit qu'elle en valait dix fois plus…

Là-haut, il tomba sur Camila la ¨Parfaite" qui le tira dans le couloir, le poussa vers la chambre où l'attendait la pauvrette, ce qui avait été Nathalia. « Te montre pas. Badreddine fou mukhthar… Cache-toi, la ramène pas !» Vers onze heure, comme le sommier commençait à grincer, le chômeur fatigué de sa journée de maçonnerie se réveilla et vint taper formidablement la porte du gourbi. « Sors de là sale klebs ! J'te f'rai la peau, putain de halouf, si tu paies pas cette semaine !»
 Le lendemain matin, Ali ricannait au bas de l'escalier, tirant sur son premièr pétard. Il la lui tendit disant d'une voix de miel: « Bonne nuit ? T'as réfléchi ? On l'aime ta meuf; elle est trop belle ! On t'en donnera six mois de loyer, juré, avec mes trois potes…
— On verra, concéda Nadir en aspirant une bouffée qui consuma la moitié restante du kif ». Il était évident que déjà, il affichait profil bas et que le fruit serait bientôt mûr et bon à cueillir; l'expérience d'Ali dans les fanges de la pourriture lui disait que ç'allait marcher. Il jubilait d'impatience tant il sentait que l'échéance était proche…

Quelques jours après, on mettait au point les modalité de l'affaire. « Ça peut pas s'passer dans not'chambre; où ça s'passera-t-il ?
— T'inquiète… Viens voir !» Les quatre salopards le tiraient au sous-sol, entr'ouvraient la porte d'une cave avec une clé de cadenas sortie d'une poche… Là ! Il y avait un grabat, un vieux divan éventré arraché aux éboueurs le "jour des monstres". Un effort avait été fait pour y tirer une couverture. « T'as pigé, maintenant; c'est toujours là qu'ça s'passe. Le luxe, hein; t'as visé l'sofa ?» Mais Nadir n'avait pas le courage de mettre Nathalia au courant de la tractation. Il fut convenu qu'il lui ferait incidemment visiter la cave, comme une simple curiosité touristique. Alors, le couloir serait plongé dans le noir. S'ensuivrait une bagarre où les portes des cagibis prendraient des coups violents. Nadir pousserait des cris de souffrance et perdrait connaissance. Alors, les quatre salopards entraînerait Nathalia dans la garçonnière…
 Ce qui fut fait. Ils jouèrent la scène à merveille; on se serait cru au cinoche. Ainsi Nathalia servit-elle d'objet sexuel à une "tournante" où l'avait entraînée son bien-aimé troubadour… Ibn Hazm le Jaloux était bien loin de toutes ces turpitudes ! Où était-il passé le "Collier de la Colombe" !

L'œuf de la colombe était en chocolat !

Le viol collectif de l'innocente colombe Nathalia, organisé avec la complicité de son conjoint, allait être le point de départ d'une entente commerciale somme toute banale dans ce milieu. Les "fourmis de la drogue", au cours de leur bavardages crépusculaires baignés de subtils effluves, avaient appris les accointances de Nadir avec la région d'Oujda. Or ce nom les faisait rêver. Oujda est la grande ville du nord-est du Rif qui s'est trouvée dès l'antiquité sur la frontière entre Numidie et Maurétanie. Du coup, encore qu'elle soit peuplée surtout de Rifains, les Riyafa, la ville qui compte des diasporas importantes en Belgique, en France, a bénéficié d'apports ethniques multiples qui l'ont enrichie et diversifiée. Sa rivière d'Isly a donné son nom à des rues de Paris et d'Alger. Les environs comportent encore des montagnes verdies de forêts et le climat y est doux. Mais ça n'était pas le tourisme qui passionnait les deux lascars, Ali et Nadir. Ça n'était pas la famille, les cousins du "pays" dont certains avaient construit leur séjour au milieu du Kiss pour être dans un no man's land intouchable et propice au trabendo : la vente de carburant frauduleux, un tiers moins cher qu'à la pompe. C'était une situation idéale pour le passage du haschisch descendant du Rif voisin. C'est ce qui les décida d'organiser, avec l'aide du grand frère, un voyage d'approvisionnement au paradis de l'herbe de rêve…

Nathalia, la Vaginera…

 L'adjudant Brunoy s'arrêtait à la sous-location illégale, la trace n'allant pas plus loin; cependant que la police du Neuf-Trois s'était mise sur les dents, attentive à épier la suite. Celle-ci fut tout d'abord amusante pour Nadir. Le Grand Frère avait décidé de lui apprendre à piloter sa tire et de lui procurer, si besoin, un faux permis de conduire. Mais après une initiation poursuivie aux aurores dans les chemins forestiers de la forêt d'Ermenonville et les chemins ruraux d'alentour, Nadir fut si doué qu'il réussit son permis du premier coup. Comme il disait à l'examinateur: « J'en ai b'soin pour trouver un travail… » C'était vrai ! On prépara de fameuses vacances "au pays" qui déchaînèrent les convoitises dans la famille Badreddine. Annie, la plus âgée des sœurs supplia qu'on l'emmenât et l'aîné dit non. Plus tard, on comprit son empressement à refuser… Lui-même, roulant BM et crèchant dans un deux pièces potable, y avait recueilli une jeune musulmane d'une quinzaine d'années ayant fui sa famille qui l'avait mariée à un vieil oncle cacochyme qui avait déjà deux épouses (34-4↓ ) … Les potes spécialistes de Charafeddine s'activèrent à fournir les faux passeports et cartes d'identité nécessaires au passage du détroit… On voyagerait à cinq, Nadir et le Grand Frère devant, se relayant pour conduire; Ali se pavanerait derrière, entre les deux filles. Nathalia l'Innocente, impatiente de sortir du galetas, se croyait toute heureuse d'aller voir enfin la Méditerranée, le Maroc et les confins de son Algérie natale… Elle supporta donc Ali pendant tout le voyage; et d'ailleurs, celui-ci lui témoignait certaine courtoisie…

La visite aux cousins du Kiss fut sans histoire, mis à part le port du voile qu'on solda par celui d'un foulard. Charafeddine fut rencardé sur les bons fournisseurs du Rif qui l'accueillirent amicalement. Restait le plus difficile à faire: passer la douane marocaine de Tanger, la douane espagnole d'Algesiras sans se faire piquer. À l'aller, ils choisirent une traversée d'Almeria à Melilla l'une des deux enclaves jalousement conservées — avec Ceuta — par l'Espagne sur la côte algéro-marocaine. Les deux adultes avaient un plan d'importation fagoté depuis la première heure. Le réservoir trafiqué: un mécanicien marocain très spécialisé courait le risque d'une périlleuse opération consistant à faire dessouder par un tâcheron sacrifié la bombe constituée par un réservoir vidé, rincé, dégazé, mis sous azote… mais sait-on jamais ! Ainsi compartimenté, le réservoir pouvait servir plusieurs fois moyennant quelques arrêts supplémentaires à la pompe (fallait doser le rapport fric/temps) sans que les paquets de résine ne risquent d'être imbibés de fuel. Fallait le temps de le faire et l'on put, en attendant, entreprendre quelques excursions dans les Beni-Snassèn.

Un jeune cousin les mena dans une vieille Peugeot dans ces confins du Rif. Ils y cotoyèrent des Iznassen au parler berberophone, un dialecte amazigh présent jusque dans les Aurès. Le regard noir et perçant, et d'un abord austère, les vieux ne semblaient pas apprécier les touristes étrangers qui, cependant, leur apportait un peu de ressources. C'est qu'il songeaient sans doute à la vieille civilisation rurale que leurs ancêtres avait développée dans ces montagnes. Lorsque la pluie avait été abondante, des cultures en terrasses avaient donné une petite aisance à cette ancienne population; mais des sécheresses répétées du début du XXème siècle avait sonné l'exil et les villages s'étaient vidés. Les vagues successives avaient fondé Ahfir, sur la frontière; elles avaient grossi Berkane puis Oujda. Du coup, on avait profité d'une diminution de la pression humaine pour en faire un parc naturel. Les eaux qui étaient revenues sortaient à flot bleu de la grotte du Chameau, de la caverne des Pigeons. La verdure des anciennes forêts qui avaient un temps régressé revenait. Les pics élevés jusqu'à quinze cents mètres émerveillaient Nathalia qui s'exclamait de bonheur à chaque découverte… La pauvrette retrouvant la nature recouvrait un peu de sa fraîcheur virginale. Elle s'enthousiasma de tremper ses pieds menus dans l'eau glacée des gorges du Zegzel. Elle s'intéressa de découvrir au détour des routes sinueuses, la localité de Tafouralt où les Oujdis et Berkanais aimaient échapper aux chaleurs estivales des plaines: la Trifa au nord et l'Angad au sud. Assise à la terrasse d'un gîte de la ville d'estive, elle retrouva sa joie de vivre l'instant de siroter un thé à la menthe. Tout à coup elle bondit, criant: « Mohamed ! Mohamed !» Elle s'était précipitée vers un vieil homme enveloppé d'une djellabah et d'un chech qui la regardait interloqué, lui faisant comprendre qu'il s'appelait Al Mamoun. Elle s'excusa mais dut expliquer sa méprise au petit groupe. Sans trop s'étendre, elle fit allusion aux évènements d'El Halia auxquels elle avait réchappé parce qu'un vieux garde-champêtre avait risqué sa vie pour la dissimuler. Le vieillard qui passait en était l'exact sosie… L'histoire avait jeté un léger froid et elle babilla de tout autre chose pour faire diversion.
 Deux jours après, le petit groupe grignotait des sardines grillées dans une halte d'un minuscule village de pêcheurs, Ras-El-Mâ, face aux Islas Chafarinas. Alors la jeune fille connut la mer, ses criques, ses plages de sable fin parsemées d'innombrables bidons d'essence vides mais malgré tout très pittoresques. Elle connut la joie sensuelle de plonger dans l'eau tiède son jeune corps déjà éprouvé…

Alors vint le temps du retour. Alors vint l'instant de l'horreur…

La dernière nuit avant le départ devait se passer au refuge du Kiss, intouchable par les gendarmes marocains non plus que par les GGF d'en face parce que construit sur la ligne frontière. C'est là que la grosse affaire s'accomplissait: la prise en charge du trésor qui devait, moyennant un faible changement de latitude, rapporter gros aux machos de la petite équipe. Le bricolage du réservoir repeint, empoussiéré, indétectable car le procédé était peu usité, s'effectua par priorité. Ensuite, on s'attaqua aux femmes. Nathalia devait s'exécuter la première. On la mena dans une pièce où, sur une table, étaient disposés de gros œufs de résine "chocolat" de cannabis. Elle apprit qu'elle les transporteraient en France… dans son vagin ! Elle hurla de détresse, tenta de s'enfuir, se débattit, cogna, griffa: rien n'y fit. Deux cousins étaient là qui se chargeraient de la besogne: ils lui assénèrent une volée de giffles à lui décrocher la tête, la saisirent l'un aux bras, l'autre par les jambes, l'attachèrent sur la table et le supplice commença… Ali et Nadir avaient pris la porte. Charafeddine, en spécialiste soucieux de documentation, assista au martyr mains dans les poches. Dehors, les deux "couilles-molles" allumèrent un pétard de kif qu'ils pompèrent en rythme, dans l'angoisse des cris de douleur. Ils n'intervinrent à aucun moment. Déjà Nathalia sentait l'horreur froide la pénétrer: elle s'évanouit.

Lorsqu'elle se réveilla sous une douche glacée du Kiss, elle était devenue une "vaginera", une de ces femmes spécialisées dans le passage à la douane espagnole, de drogues dissimulées dans leur vagin . Sa compagne avait subi le même sort et, sans s'évanouir, avait encaissé en hurlant de douleur le viol glacé des paradis artificiels de Messieurs les Machos…

Les garçons n'étaient pas pour autant épargnés. Ali et Charafeddine se soumirent de mauvais gré à l'introduction de boulettes rectales de résine et Ali, dont c'était la spécialité, devait en plus passer une dizaine de boulettes d'héroïne dans sa bouche. Nadir s'était enfui, terrifié, mais les quatre salopards, lancés à sa poursuite par crainte d'un lâchage ou d'une dénonciation eurent tôt fait de le retrouver, tremblant, sur la rive algérienne de l'oued. Le Grand Frère lui fit un marché: pas de boulettes mais il conduirait et dirait que le véhicule lui appartenait; ainsi acceptait-il tous les risques en cas de découverte du "pot aux roses". Comprenant d'un éclair pourquoi Charafeddine avait fait preuve de tant de sollicitude et de diligence à lui apprendre à conduire, le Nadir, tout péteux de s'être enfui après avoir laissé sa "dame" aux bourreaux, accepta. On se pointa à Tanger à l'heure de la plus grande affluence et de la plus forte température. Le conducteur ayant à dessein d'attirer sur lui l'opprobre et l'attention du douanier, avait mis au coin des lèvres un pétard. Le douanier le fit sortir en lui arrachant la cigarette avec rage, réclamant les papiers d'introduction du véhicule. Le bourrant de coups dans le dos, il le dirigea vers la salle de fouille. Là, mis à poil à coups de lanière, il dut s'accroupir à quatre pattes dans une position humiliante et subir une fouille anale douloureuse. Les douaniers se contentèrent de cet agréable dérivatif, le moquant en disant que ça lui apprendrait à leur fumer au nez un pétard. Tout était en règle et la file grossissait tellement que la fatigue des fonctionnaires fut la plus forte…

Aussi "go-fast" que le permettait la BM de troisième main, on fut le lendemain rendu au Neuf-Trois.

Nathalia revient au bercail

Dans les jours suivant, Nathalia profita d'une absence des machos pour se faire la malle… Elle n'eut que l'argent d'un billet économisé sur les dépenses qu'on lui avait confiées en voyage. Juste le nécessaire pour retrouver le logis des parents adoptifs qui la reçurent à bras ouverts. C'est à sa mère qu'elle préféra se confier. Celle-ci fut horrifiée tellement qu'elle dut se faire violence pour décrire au père la déréliction dans quoi était tombée la pitoyable Nathalia. Le père piqua une vraie colère de pied noir et tira la fille au pas de sa porte pour l'emmener faire une déposition en gendarmerie. Cependant, la mère s'accrochait à sa manche, lui criant qu'il allait mettre toute la famille en danger de représaille face à des voyous capables de toutes les outrances. C'est cette reculade qui devait apporter un dernier malheur à Nathalia.

Dans les jours qui suivirent, Nathalia crut apercevoir par la fenêtre, la sihouette d'Ali. Elle n'en parla pas pour ne pas effrayer davantage sa famille. Cependant, celle-ci s'étonnait de l'épouvante qu'elle manifestait à l'évocation de sortir du pavillon. Comme la jeune fille n'avait pas eu ses règles, la mère crut bon de l'emmener à l'hôpital pour faire un test de grossesse. Il s'avéra que la gamine était enceinte. Elle ignorait lequel, de Nadir ou du quatuor des violeurs lui avait laissé une carte de visite: "avec mes bons souvenirs de la tournante !". Il fut décidé qu'on la ferait avorter. C'est la mère qui l'accompagna.

Cependant, l'adjudant Brunoy qui avait appris le retour de la colombe en avait informé la police du Neuf-Trois qui suivait l'affaire. Il s'entendit répondre que, justement, on avait repéré le voyage au Maroc et qu'il était projeté de perquisitionner par surprise au logis de Badreddine. De fait, vingt-quatre heures après, vers six heures du matin, la police débarquait et mettait l'appartement à sac, au grand dam de Camila la ¨Parfaite" qui les injuria copieusement les maudissant par Allah et leur jura qu'ils finiraient égorgés comme halouf ! Mais l'on ne trouva pas le pire avorton de la famille, Ali, qui, depuis quelque temps, avec une prémonition lumineuse, avait anticipé l'évènement et s'était planqué dans la "cave au sofa" pour y dormir. Les boulettes de schnouf étaient sauves ! Quant à Nadir, il dormait à poings fermés et l'on ne trouva rien à redire dans son galetas. Mais l'officier de police jura qu'on y reviendrait et que, cette fois, ça ne serait pas pour des prunes.

C'est Camila qui, furieuse d'avoir à remettre de l'ordre avant l'arrivée de Badreddine, prit l'initiative d'apostropher Nadir violemment: « C'est toi qui nous amène la police avec ta pouf qui s'est tirée. Nous, on est des braves travailleurs ! Jamais on n'a rien eu à se reprocher !» Le jeune homme qui était bien au courant des méfaits du père, tricheur de l'ANPE, et des deux frères dealers tous azimuts, préféra s'écraser; mais il rumina l'assertion de la vieille pomme ridée. Il avait déjà diligenté Ali à la Villeneuve pour y repérer le retour éventuel de Nathalia. Il lui fit confirmer. Dans les jours qui suivirent, Nathalia cru voir passer devant le pavillon, au ralenti, la BMW de troisième main… Elle se recroquevilla dans son coin de chambrette; mais un jour plus tard, les deux femmes devaient se rendre en taxi médicalisé à la clinique où devait se faire l'opération. Elles durent attendre sur le trottoir. Leur chauffeur était à peine en retard et démarra vite. Voulant emprunter un raccourci, il s'engagea sur une route secondaire du Val Grisette. Il constata qu'il était suivi par une BM noire mais ne s'en inquiéta pas. D'ailleurs, devant la clinique, le véhicule continua son chemin.

Les deux femmes sortirent à la nuit tombante. Le taxi n'était pas arrivé. Elles l'attendirent sur les marches de la clinique.Tout à coup, une BM sortie du parking s'arrêta doucement devant le perron. Il en sortit deux inconnus qui gravirent l'escalier. Ils dépassèrent les femmes assises sur les marches puis firent volte-face: « Allez ouste, on s'embarque et on ne crie pas !» La mère était violemment repoussée… Nathalia, saisie par deux gorilles fut enfournée comme lettre à la poste dans le véhicule qui démarra doucement mais sûrement. Elle reconnut tout de suite Ali et Nadir, le premier près d'elle, l'autre sur le siège du passager. Elle était retombée dans leurs griffes. Charafeddine était absent mais il était aisé de voir qu'il avait délégué deux sicaires pour le rapt. « Nathalia, tu vas apprendre que chez nous, c'est l'homme qui répudie la femme, pas le contraire. En outre, va falloir payer pour ta trahison à la police !» Terrorisée par Nadir, la pauvrette restait prostrée, ce que les salopards pouvaient prendre pour un aveu de culpabilité.

Elle fut jetée dans la cave du sofa et bouclée au cadenas. Elle resta longtemps dans le noir, terrorisée et mourant de soif. Alors on vint la voir et c'était Ali qui lui apportait une bouteille de Vittel, un morceau de pain et un fromage de chèvre. Il repartit sans dire un mot mais, cependant, se penchant vers elle à la faveur de l'obscurité, il lui vola un baiser sur la joue… Au cours de la nuit, ses tortionnaires vinrent la retrouver: « Nathalia, tu as dit qu'à El Halia tu avais réchappé au massacre ! Pute de toi ! Tu nous a vendus aux flics et maintenant on les a dans les pattes ! Et bien moi, le travail bâclé d'El Halia, moi j'vais l'finir !». La tendre Nathalia était terrifiée, elle n'eut la force que de bredouiller: « Je n'ai rien fait, pitié !» Mais Nadir avait déjà débouclé son ceinturon et les coups commençaient à pleuvoir. Son supplice dura des heures. Il fut aidé dans son sale boulot par la fille aînée de Badreddine qui n'avait jamais décoléré de voir la Française partir à Oujda à sa place. Seul, Ali s'apitoya: c'est lui qui, après des heures de l'écœurant spectacle arrêta le bras du tortionnaire au moment où la frêle jeune fille allait agoniser. Il se jeta sur le bras du bourreau, lui fit une clé qui le surprit, une manchette qui lui coupa le sifflet un instant et lui dit: « Je te l'ai livrée pour qu'elle revienne; mais je ne te l'ai pas ramenée pour que tu la massacres; alors arrête ou j'appelle au secours !»

Ce ne fut pas nécessaire, le dément avait été douché par la manchette qui lui avait coupé le souffle au bon moment. Ils abandonnèrent la jeune fille à son triste sort. Ce fut la police qui la sortit à demi-morte de sa prison le matin suivant. Cette fois, lorsque la mère avait donné l'alarme, le père avait tout déballé à l'adjudant Brunoy qui avait mis en branle ses collègues du Neuf-Trois. Nathalia fut sauvée de justesse.

  Lors du jugement de Nadir, le procureur Malesherbes lut son réquisitoire, il était à vomir: « Il l'a frappée à coups de bâton sur la tête, à coups de ceinture sur tout le corps; il l'a brûlée avec des cigarettes, notamment au niveau des seins et du pubis; il a introduit un bâton dans son sexe et dans son anus, l'obligeant ensuite à sucer le bâton. Comme elle réclamait à boire, il a uriné dans un verre et lui en a fait absorber le contenu. Il a envoyé Annie chercher dans sa voiture un bidon d'essence, en a versé une partie sur le ventre de sa victime et y a mis le feu avec des allumettes (34-5↓ ) .
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 34:   ( Sauter les notes de section 34 )
34-1.-↑ Henri III: « Il est plus grand mort que vivant !»
Extrait: "Cet épisode advint dans un contexte de guerres de religion qui opposaient en France les protestants menés par Henri, roi de Navarre, et les catholiques menés par le Duc de Guise, chef des Ligueux: le Balafré. Henri III décide de se rapprocher de Navarre et de le reconnaître comme son successeur. Le 12 mai 1588, le Duc de Guise, surnommé le Balafré, vit à Paris "la journée des barricades", durant laquelle il manque de peu d'accéder au trône de France. Peu après, Henri III convoque les Etats-Généraux à Blois, pour régler le désaccord avec le Balafré. Devant les fortes suspicions de complot entre le Duc de Guise et la maison d'Espagne, Henri III décide d'en finir de manière expéditive, le 23 décembre 1588. Dans les poches du cadavre, on découvre un billet écrit par le Duc de Guise où étaient écrits les mots "pour entretenir la guerre civile en France, il faut 700 000 livres par mois", sûrement destinés aux envoyés du Roi d'Espagne. « "Il est plus grand mort que vivant" »; Henri III n'aurait en réalité jamais prononcé ces mots. La phrase aurait été inventée par ses ennemis pour lui nuire et encenser un peu plus encore le chef de la Ligue." Valentin Daucourt
— Des petites phrases pour une grande Histoire, site de Valentin Daucourt. Cliquez…
Bien sûr, Élisée évoque indirectement le château des ducs du même nom dont subsiste une vague motte à Guise; il parodie la parole d'Henri III mais c'est en pensant à Godin…
34-2.-↑ Extrait de Wikipedia: "L’édit de l'empereur romain Domitien, en 92, interdisait la plantation de nouvelles vignes hors d’Italie ; il fit arracher partiellement les vignes en Bourgogne afin d’éviter la concurrence. Le vignoble résultant suffisait aux besoins locaux. Mais Probus annula cet édit en 2803. En 312, un disciple d'Eumène rédigea la première description du vignoble de la Côte d'Or. Dès le début du VIe siècle, l’implantation du christianisme avait favorisé l’extension de la vigne par la création d’importants domaines rattachés aux abbayes. Ainsi l'abbaye de Cîteaux (créée en 1098) avec des plantations en Côte-d'Or. En l'an 1395, Philippe le Hardi décida d’améliorer la qualité des vins et interdit la culture du gamay au profit du pinot noir dans ses terres. Enfin en 1416, Charles VI fixa par un édit les limites de production du vin de Bourgogne. À la mort de Charles le Téméraire, le vignoble de Bourgogne fut rattaché à la France, sous le règne de Louis XI." L'article Wikipedia dans le site:
— Aloxe-Corton, cru de Bourgogne; Wikipedia site: Cliquez…
34-3.-↑ Le Saa' est la contenance des deux mains (environ 2,10 livres) de la nourriture la plus généralement en usage dans la région…
34-4.-↑ La loi française interdit la polygamie alors que celle-ci est autorisée par le Coran, notamment pour éviter que les orphelins ne soient délaissés sans ressources par la société. Disparité qui crée fatalement des problèmes lors de l'immigration en France… Voyez l'intéressant site suivant. Un bref extrait: « Tout d’abord le verset qui a fait couler beaucoup d’encre à propos de la polygamie est le suivant : « Si vous craignez d’être injustes pour les orphelins , épousez des femmes qui vous plaisent. Ayez-en deux , trois ou quatre, mais si vous craignez d’être injustes, une seule ou bien des esclaves de peur d’être injustes. » (sourate 4 verset 3). »
— Verset évoquant la polygamie.
34-5.-↑  Non Mesdames, ce n'est pas une horreur sortie de ma tête malade ! L'histoire d'Ali peut se trouver dans le Figaro du samedi 24 juillet 2010. Les paroles du réquisitoire énoncées ci-dessus sont exactes à une virgule près. Elles peuvent être retrouvées par les amateurs d'horreur dans Le Monde du 11 septembre 1977. Par ailleurs, je mets à la disposition des curieux une copie caviardée en fichier PDF de cet article. Cliquez ci-dessous. Vous remarquerez que j'ai biffé tous les noms propres. Histoire de ne pas réactiver la douleur des vrais protagonistes ou de leurs descendants. Garanti conforme à ce détail près. C.J.
Pour importer le PDF, cliquez ci-dessous:
— Extrait caviardé: Le Monde, 11 septembre 1977; moyenne définition
34-6.-↑ Conclusion de recherches sur "Chamoise": le mot existe en pratique: lieu géographique (Tunnel de la Chamoise, "Nantua La Chamoise ", "Les falaises du plateau de Chamoise" ,…); commercial (La Chamoise de Boulangerie); comme nom vulgaire: "Annonces chevre alpine chamoise", "chévre naine chamoise - Vente Terminée". Il y a une demande de "féminisation" du nom (le nom de la femelle du chamois étant pour l'instant "chèvre"): sur Internet, un blog: "La femelle du chamois, c'est la chamoiselle ?" ou bien: "Chamoisine = femelle du chamois ?". De toute façon, ces dames exigeant la féminisation des noms, "chamoise" convient bien à Madame la Censeure… Nb: On trouve une couleur, in english: "As autumn advances, citrine tends towards its orange hues (teintes), including the colours termed aurora, chamoise, and others before enumerated under the head of yellow. — Fields

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Diatribe d'Élisée contre les Écologistes…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.

« Je ne connais qu'un seul devoir, et c'est celui d'aimer. »
Albert Camus (Carnets)
Erato: la muse au pavillon des folles…

Elle était là; assise dans un coin du lit, immobile et muette, plongée dans une insondable mélancolie… Pour sûr, elle souffrait douloureusement des conséquences physiques des tortures de la cave au sofa. Sûrement en était-elle consciente et son tourment moral n'était-il que le reflet de son lancinant malaise physique. Elle portait encore au visage la trace des sévices, coups et brûlures de cigarettes. Elle avait perdu des cheveux, poignées arrachées ou coups portés au crâne… Son beau regard bleu que jadis guettait Jean-Loup, au travers des mèches brunes soigneusement lissées, faisait place à un regard torve, hagard et dévasté où passaient des lueurs d'angoisse. La chevelure raccourcie, ramenée sur les oreilles, comme elle baissait souvent la tête, retombait sur ce regard louche, inquiet, où semblait sourdre comme un sentiment de culpabilité excessive. Se sentait-elle alors responsable des erreurs qu'elle avait commises et honteuse de l'état de déréliction où ses fautes l'avaient précipitée? Ou bien n'était-ce qu'un état transitoire d'une déchéance intellectuelle rapide qui finirait dans l'idiotie ou la catatonie (35-1↓ ) 

Repliés au fond de la salle, rendus aussi stupéfaits et glacés que la folle, Magloire et l'Élisée semblaient figés dans la même hébétude que la jeune fille et frappés d'aboulie, n'osant ni s'approcher ni parler comme dans la veillée funèbre d'une enfant perdue qu'on aurait tant aimée…

Jean-Loup ne put supporter l'écrasement que lui procurait cette scène, envahi par un sentiment de révolte devant le spectacle de cette radieuse adolescente réduite à l'état de loque chiffonnée, prostrée dans l'aphasie par la perte totale d'intérêt pour la vie comme pour les personnes, même celles qu'elle avait appréciées. Il sentait en lui monter la révolte contre cette flagrante injustice du sort, de la providence. Il eût voulu croire en Dieu, toujours, pour lui imputer avec colère la disgrâce de l'innocente beauté; pour le maudire. Mais son ciel était vide et son ire justifiée se gonflait en haine belliqueuse devant l'évidence qu'il avait suffit de quelques semaines à une poignée de singes mal dégénérés pour précipiter cette fleur dans la flétrissure…

Une larme coula sur la joue de l'instit…

Il approcha une chaise, s'assit tout près de son Erato déchue et lui tendit la main. Elle sursauta légèrement, esquissant un geste imprécis d'approcher son bras. Elle gémit et lui glissa une œillade apeurée… Il s'aperçut qu'elle respirait avec peine, comme une personne angoissée retenant son souffle dans l'attente d'un évènement redouté. Ses lèvres remuèrent à plusieurs reprises, sans qu'il en sortît un murmure comme si elle n'osait émettre un son et cherchait ses mots sans les trouver. Il lui parla doucement; elle réagit un peu favorablement. Alors il lui murmura quelques vers qu'elle avait prononcés une autre année dans l'enchantement de la clairière du Morval:


« Écoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d'eau sur de la mousse !

La voix vous fut connue (et chère !),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière (35-2↓ ) 
Cette fois, la jeune fille avait tourné la tête; elle le dévisageait avec étonnement, comme si elle cherchait à se souvenir, murmurant quelques monosyllabes qu'il ne distingua qu'en approchant son visage du sien: « Peur!… Sont là!… Revenus!… Peur! » Il s'était rapproché d'elle au plus près et leurs visages se touchaient presque… Alors, il eut une pulsion irrépressible. Le cœur fendu par la détresse infinie de cette petite loque qui avait été une si jolie personne;… le cœur déchiré d'avoir pu la chérir avec une tendresse qu'il ne mesurait qu'à cet instant, lui qui l'avait aimé comme sa fille ou peut-être comme une jeune fille qu'il avait tant respectée… il se pencha vers sa joue, guettant au coin de l'œil un petit pli qui était resté non défloré à un doigt d'une brulûre de cigarette. Il y posa, du bout des lèvres, un baiser.

Du coup le visage aimé s'anima. Écarquillant les yeux elle le regarda comme si elle s'efforçait de le reconnaître. Brusquement, elle jeta ses bras à son cou, blottissant sa tête contre son épaule. Elle suppliait: « Mohamed! Mohamed! Mohamed! » Jean-Loup sentit son propre visage se baigner de larmes… Il était bouleversé de réaliser au plus fort de son être à quel point il avait désiré, jadis, sentir l'adorable tête brune aux cheveux longs soyeux se musser dans son cou… Et voilà que c'était arrivé; mais ça n'était plus Nathalia. C'était une pauvre épave dont les bras menus, meurtris d'échaudures sadiques, s'accrochaient à lui… C'était la tête d'une démente hallucinée qui se rencognait au creux de son épaule et dont il découvrait le cuir chevelu clairsemé de mèches raréfiées… Un temps passa pendant quoi, toujours sussurant le nom du vieux Berbère qui lui avait sauvé la vie dans l'enfer d'El Halia (35-3↓ ) , elle parut retrouver la paix… Sa respiration devint régulière et s'apaisa.

  Une infirmière entra, tenant un plateau-repas. Elle vint à la folle murmurant doucement: « Mademoiselle! Mademoiselle! Nathalia! » Elle lui toucha l'épaule en vain: la jeune fille s'était endormie. Les trois hommes s'esquivèrent tandis que l'aide soignante bordait doucement la jeune fille sous les couvertures.

Golgotha d'une muse déchue…

Dans un couloir sombre, abasourdis par ce qu'ils venaient de voir, les trois copains restèrent cois. Puis l'Élisée brisa le silence à mezza-voce. Il étouffait d'avoir réprimé sa stupéfaction, sa révolte, son chagrin… « À mort les ordures qui ont fait ça !» Les autres ne répondirent pas comme s'il était inutile d'ajouter commentaire à telle sentence… La douleur d'Élisée, c'était pareillement "leur" désarroi.

  Rapidement, l'infirmière était sortie et il la serrèrent de près pour l'accabler de questions à mi-voix: « Depuis quand était-elle ainsi? Combien de temps serait-elle comme ça ?» L'aide soignante qui n'était pas pressée de retourner à ses corvées, ayant gagné du temps près de Nathalia, en leur allongeant quelques bourrades dans les côtes les poussa dans une lingerie: « Par là, je pourrai vous parler !» En fait, il s'avéra que la fille arrivait en fin de service éreintée, sans avoir eu grand chose dans l'estomac. Elle dit: « Nathalia fait une crise d'anorexie provoquée, selon le médecin-chef, par des troubles de l'appareil digestif…» Elle se jeta donc sur la côte de porc entourée d'épinards, laissant à l'Élisée le bol de soupe tandis que Magloire se délectait de la banane au rhum du dessert… Jean-Loup, le cœur toujours serré d'émotion ne leur disputa guère la pitance et la conversation reprit d'une voix peu contrainte.

« Quand est-elle arrivée ?» Depuis plus de quatre mois. Elle avait d'abord été placée en chambre aseptique pour grands brûlés. Elle était très angoissée. Il avait fallu lui administrer douces paroles et calmants. Puis l'installer sur un lit fluidisé (35-4↓ ) . En assistante de chirurgien, elle avait des termes qui faisaient froid dans le dos: « Il a fallu lui enfiler une sonde endotrachéale pour contrôler sa détresse respiratoire… Elle était gravement brûlée sur le torse et le ventre. Le praticien a dû la placer sous anesthésie générale. Il a excisé les phlyctènes puis pansé à la Flammazine. Il l'a laissée sous coma artificiel vingt-quatre heures puis réveillée. Elle souffrait atrocement. Il a fallu lui perfuser de la morphine et des benzodiazépines . La pauvrette, qu'est-ce qu'elle a enduré ! Un martyre, un calvaire, un Golgotha… Quelle pitié ! Pauvre petite Jeanne d'Arc du Neuf-Trois !»

Jean-Loup crut qu'Élisée allait vomir de dégoût car il hoqueta, éructa bruyamment et jura: « Nom de Dieu! Pitié! Mais qu'est-ce qu'on a fait des salauds qui l'ont arrangée comme ça ?
— Ça, M'sieu, j'ignore. Mais ses parents adoptifs sont venus la voir souvent et je pense, tant ils ont pleuré qu'ils ont dû porter plainte…»

 L'aide-soignante sortit suivie des trois hommes; elle s'enfila dans une salle de garde où siégeait son infirmière-chef. Les visiteurs saisirent la conversation: « Tiens! Nathalia a retrouvé son appétit ! — Oui !», surenchérissait l'infirmière en glissant par-dessus l'épaule un regard rapide aux copains, un doigt sur les lèvres… Retour à Villeneuve, ils projetèrent de rencontrer la famille de la jeune fille. Il se quittèrent amers et bouleversés…

Les trois amis décidèrent de rendre visite aux parents pour savoir quelle vengeance pouvait être tirée d'une telle ignominie… Mais on se savait mal-aimés des pieds-noirs rescapés d'Oran, déjà victimes de l'exode ethnique de 1962 et qui en avaient gros sur la pastèque d'avoir retrouvé leur fille adoptive dans un pitoyable état, sortant des mains du Maghrébin qui l'avait enlevée. Les trois acolytes se sentaient fautifs d'avoir entraîné Nathalia et Nadir dans le dérapage de Malville et d'avoir été ainsi les accordeurs de leur idylle tragique…
 « J'y vais pas seul, dit Cuisance !

— Moi non plus ! reprit en chœur Magloire Saint-Jacques.
— Allons-y ensemble  ! conclut Élisée Fleurie »
L'agrégé de français, un peu moins compromis, servirait de démarcheur.

Baissant le nez, profil bas, ils frappèrent à la porte du pavillon du Hautmoncel. L'accueil n'était pas exubérant mais on sentit que les parents adoptifs éprouvait un réconfort à n'être pas solitaires, abandonnés à leur accablement… Ils racontèrent comment Nathalia avait fait un premier séjour à l'hôpital pour soigner les séquelles des tortures… Ils dirent son retour, sa dépression, sa faiblesse, son renfermement… Elle resta prostrée de longues semaines, comme si la douleur physique qui l'habitait jour et nuit servait désormais de toile de fond à son psychisme… Elle mangeait peu, dormait beaucoup, passant ses journées dans un fauteuil qu'on lui avait placé près de la fenêtre, dans une chambre de l'étage. Sa distraction consistait à regarder la rue, la mer des toits de tuiles mécaniques rouges des lotissements, et à l'horizon, la broderie des houppiers de la forêt… Elle était apathique.

Les chers parents contèrent les circonstances terribles dans lesquelles ils avaient dû, là-bas, recueillir Nathalia. Comment ils avaient reporté sur la fille tout l'amour qu'ils avaient eu, au pays, pour leurs aimés disparus dans l'horreur…

  Lors des massacres des pieds-noirs et des harkis d'Oran, le 5 juillet 1962, Nathalia avait une douzaine d'années environ. Elle gardait du drame un vif souvenir. Sa famille d'accueil tenait une épicerie dans le centre-ville. Elle aimait son cousin germain de quinze ans pour qui elle s'était éprise de tendresse: Alejo. Le garçon avait pour ami un employé du père, Djamel Fahd. Celui-ci avait trouvé à s'engager, peu avant l'évènement, dans les ATO, ces policiers algériens nés des accords d'Evian du 18 mars 62. Ces Forces armées de l’Exécutif provisoire, censées capables de maintenir l'ordre, la sécurité, en remplacement de la police française écartée après le cessez-le-feu, étaient mal formées à leur tâche. Le général de Gaulle, excédé par la guerre d'Algérie, avait, à cette époque, répondu aux inquiétudes de Louis Joxe qui évoquait la terreur des harkis et des Européens: « La France ne doit plus avoir aucune responsabilité dans le maintien de l’ordre après l’autodétermination. Elle aura le devoir d’assister les autorités algériennes ; mais ce sera de l’assistance technique. Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des nouvelles autorités ! » Document INA

Les ATO ! On les reconnaissait à leur uniforme clair: Djamel était superbe et fier. Lorsque le cinq juillet vers onze heures une fusillade avait éclaté Place d'Armes, il réglait la circulation sur le boulevard de Mascara. La mitraille ne ressemblait pas aux coups de feu tirés en l'air depuis quelque temps par des indépendantistes euphoriques. Djamel et son remplaçant se précipitèrent vers la place, brandissant un 7,65 dont il savaient encore à peine se servir. La première personne qu'il virent était Alejo dépassant la foule de sa haute taille mais entouré d'un groupe hurlant de civils armés de couteaux. Il revenait de la Préfecture où il avait cherché des papiers nécessaires à un éventuel exil en métropole et regagnait la place Karguentah où se trouvait la boutique. Il leur fit un signe, comme un appel de détresse. Djamel bondit dans la foule; il buta sur un corps inanimé dont les vêtements avaient été lacérés. C'était un européen. Le ventre était dénudé: le type avait été châtré et baignait dans son sang… Le jeune algérien comprit ce qui attendait Alejo: brandissant son pistolet automatique, il tira deux coups en l'air en écartant une foule satanisée par un meneur. Il leur cria: « C'est mon ami, laissez-le partir; c'est un "bon" Français !» La foule s'écartait déjà et Djamel pensait avoir gagné quand arrivèrent deux autres ATO accompagnés d'hommes de l’ALN reconnaissables à l'uniforme et aux insignes, et porteurs de mitraillettes. Ils tirèrent des rafales en l'air, la gueule haineuse, menaçante et lui braillèrent: « Arrière, toi ! Retourne à la circulation  Çui-là, on l'veut; tu nous l'laisses » Courageusement, Djamel s'interposa, protégeant Alejo de son corps. Mais il fut bousculé par deux brutes. La rafale partit: le pied-noir s'abattit; déjà des civils en djellabas maculées de sang se jetaient sur le corps du garçon, lacéraient ses vêtements et sous les yeux exorbités du courageux algérien qui tentait encore vainement de les repousser, l'émasculaient…

Le soir, tandis que le Général avait proclamé l'indépendance de l'Algérie, alors que le commandant d'arme français d'Oran avait enfin lancé ses troupes dans les rues et que le calme était revenu, on vint chercher les parents d'Alejo. Des voisins avaient reconnu son corps affreusement meurtri dans un charnier du Petit-Lac. Des bulldozers creusaient une dizaine de fosses… Les parents voulurent reprendre le corps de l'être aimé. Mais ils furent violemment dispersés par une katiba diligenté par le commandant FLN de la place. Même l'armée française, paralysée par le traité d'Évian qu'elle avait ordre de subir, ne put s'approcher ni obtenir connaissance des victimes.. Alors les enlèvements de milliers de Français commencèrent pour jeter la terreur parmi les pieds-noirs d'Algérie: "la valise ou le cercueil". Fin 1962, il ne restaient plus dans la colonie fondée, construite, agrandie jusqu'aux fin fond du Sahara par la France qui lui avait donné jusqu'à son nom d'Algérie, que cent mille Français. L'année suivante, le chiffre était divisé par deux pour descendre ensuite à quelques milliers d'individus contraints d'abandonner jusqu'à la nationalité française… C'était ce que l'OTAN appellerait quelques années plus tard, dans ses équipées yougoslaves, une "épuration ethnique"… La première subie, en 62, c(était le calvaire d'un million de nos concitoyens (35-5↓ ) . Quant au massacre des harkis, lesquels avaient choisis la France en toute légitimité, on le dénombrerait encore des années plus tard…

Quelque temps après sa première sortie de l'hôpital, la muse Erato avait eu sa première crise de folie circulaire. Comme elle guettait la rue, machinalement, elle vit la fameuse BM d'occase au volant de laquelle elle crut reconnaître Nadir. On sut quelques jours plus tard qu'un voisin s'était acheté une nouvelle voiture… Cependant, Nathalia s'était fixée obstinément sur cette hallucination. Désormais changée, elle allait et venait dans la chambre dans tous les sens, virevoltant, pirouettant, s'emmêlant les pinceaux dans les carpettes avec des jurons inattendus dans cette bouche encore si jolie, tourbillonnant en faisant valser les chaises, jetant au plafond les revues qu'on lui avait apportées sans qu'elle y prêtât d'attention… Surexcitée, elle juraient « qu'ils étaient revenus pour la reprendre !». Elle ne supportait pas qu'on cherche à la détromper, haussant violemment le ton si l'on insistait, frappant du poing sur la table et même dans un miroir qui lui renvoyait d'elle une image qui, quoique réaliste, lui avait déplu car trop échevelée… Elle allait même jusqu'à injurier les êtres chers qui, la voyant souffrir, la prenaient en pitié et persévéraient dans leurs intentions rassérénantes…

C'est à ce stade qu'elle en vint à un délire agressif qui commença de la rendre dangereuse pour le voisinage. Incapable désormais de s'endormir le soir, elle continuait de déambuler dans sa chambre à des heures incompatibles avec la santé de ses parents. Une nuit, on sonna à la porte du pavillon… le père descendit parlementer. Un voisin qui faisait le trois-huit et rentrait tardivement avait surpris la jeune fille dans la rue, vêtue d'une seule robe de chambre ouverte sur son corps gracile, et jetant sur la chaussée par kilos, avec le "geste auguste du semeur", des poignées de clous sur lesquels le pauvre ouvrier, brisé par sa journée de labeur, s'était empressé de crever un pneu… Et par malchance, ce n'était pas le pneu d'une BM… ! On eut du mal à convaincre la jeune fille d'aller au lit tant elle se justifiait avec une logique protectionniste implacable ! Les pauvres pieds-noirs, balais en mains, s'exténuèrent longtemps, à la lueur d'un projecteur, pour rendre la rue de nouveau fréquentable; tout ça pour le salaire d'une poignée de clous remis, désormais sous double tour, à l'atelier ! Mais ils n'étaient pas au bout de leurs peines…

Une nuit, elle criait, trépignait et menait un sabbat de sorcière autour du mobilier, criant qu'elle les entendaient revenir et marcher dans la maison… La mère qui, ce jour-là, s'était payé quelque grosse lessive, délégua ses pouvoirs au mari. Celui-ci rajusta sa mise, boutonnant pudiquement son pyjama, et s'en alla cogner à la porte de la muse ensorcelée. Toc, toc, toc ! La clé tourna dans la serrure; il poussa doucement le battant. Ça résistait: elle venait de se claquemurer ! « Allez-vous en ! Partez où je vais hurler par la fenêtre ! Cette fois, vous ne m'aurez pas ! Partez ou je téléphone à la gendarmerie, au 17 !
— Non, Nathalia, je t'en prie, par pitié, ne fais pas ça; c'est moi ton père !» s'appliquait l'homme, de la voix la plus adoucie qu'il pût prendre…
  Cric, crac ! La clé tourna dans la serrure et la jeune fille apparut: elle était vêtue d'une nuisette ouverte sur deux mandarines bien fermes et d'une culotte de bayadère aux gazes roses brochées de dentelles noires d'un effet saisissant. Malgré les meurtrissures dont elle restait marquée, elle avait conservée les proportions ravissantes de son corps juvénile. Elle l'invita à rentrer: « Mais, vous n'êtes pas mon papa ! Je le sais, mon papa est mort à El Halia; j'ai vu les fellouzes lui trancher la gorge… Mais vous êtes qui ? J'y suis: peut-être êtes-vous mon cousin Alejo. Je le croyais disparu à Oran; mais oui, je vous reconnais, vous êtes mon adorable, mon immense cousin que j'aimais tant !» Elle venait se frotter à lui et il sentit qu'elle était embaumée d'un parfum de chypre qui lui monta si fort à la tête qu'il en frissonna… « C'est vous petit coquin, je vous reconnais ! C'est vous qui, déguisé en Ouled Naïl des monts d'Amour dansiez si bien sur les tables les soirs de fête. Ah oui ! Vous êtiez si beau, déguisé en danseuse de Ghardaia, que vous en étiez plus féminin qu'elles vêtu de ces robes plissées qui accusaient si gracieusement votre cambrure ! Ah ! Comme je vous aimais mon cousin !» Elle esquissait quelques déhanchements suggestifs, puis quelques secousses du ventre de bas en haut en s'approchant si près que le brave homme en était troublé… Alors elle s'agenouilla et commença à le déboutonner… L'homme sentit qu'il perdait la tête tant elle était encore belle malgré ses balafres… Il était près de succomber lorsque la porte s'ouvrit doucement. L'épouse entra: elle n'entendait plus de sabbat et, ne voyant pas redescendre son mâle, venait en reprendre possession avec un instinct typiquement féminin… Elle fut douce avec Nathalia: « Relève-toi, ma chérie. C'est le moment de dormir !» Elle la baisait au front doucement et la jeune fille paraissait retrouver son calme.

 Le lendemain matin, c'est la mère qui, dès la première heure, avait appelé le médecin pour lui décrire les sympômes. L'homme de l'art déclara qu'il reconnaissait la folie à formes alternes à cette succession d'épisodes de mélancolie et de manie trépidante. Nathalia prit la direction du pavillon des agitées…

Le miracle de la douceur féminine…

Il s'écoula quelques semaines avant que Jean-Loup, accablé de corvées, ne puisse songer à visiter encore son Erato… Magloire ni l'Élisée ne le pressaient d'y retourner. L'initiative vint d'une direction inattendue.

Jean-Loup, souvent, se souvenait d'un prof d'École normale dont il avait souffert les persiflages… Il était grand, l'autre nabot. Au décours d'une dissertation, il avait essuyé ses sarcasmes pour avoir émis l'idée que, "lorsque les femmes participeraient davantage au pouvoir politique, le monde, adouci, connaîtrait moins de guerres". Mais l'autre était mysogine au point que l'élève-instit le soupçonna d'avoir mal digéré son "Sodome et Gomorrhe"… L'idée du "Jean-Loup d'alors", c'était que le chromosome Y portait à lui seul toute la méchanceté de la lignée anthropoïde… Inutile de préciser qu'il avait, depuis, amendé sa doctrine… Cependant, il se souvenait du jour où, peu après la Libération, sa mère avait, toute émue, couru aux urnes pour la première fois que les femmes, en France, avaient gagné le droit de voter. C'était bon de voir sa fierté… C'est qu'au temps du Tigre, l'idée de leur ouvrir le suffrage n'avait pas la cote ! Clémenceau pensait qu'au sortir de la séparation de l'Église et de l'État, donner un bulletin de vote aux femmes c'était retomber dans les jupes du curé… Le p'tit prof de littérature qui en était resté au Onze-Novembre avait démoli l'élève à grand coup de citations mythologiques et historiques, désillusionnant impitoyablement les tendresses enfantines de toute une promotion…


Rase-Bitume massacre les Grandes Égéries de l'Histoire…

Attaquant "l'Epithumia" au gras de la Grèce antique, le Farfadet Savant avait cité les Érinyes: Tisiphone et Alecto, sa préférée étant Mégère; dont le nom était passé aux "mots communs" du Larousse. Toutes trois, les Furies, étaient obsédées de vengeance et pourchassaient les mâles pour les persécuter…

 Le Farfadet vous prenait aux tripes avec les Harpies, filles de Thaumas et d'Électre… « Ou, peut-être, de Typhon. Sait-on jamais chez les Grecs, pourquoi pas les deux en enfilade !», disait-il. Telles étaient Nicothoé z'aux Pieds rapides, Podarge aux Pieds légers et Ocypète qui Vole-vite, qui pue qui pète avec ses sœurs, dévorant en caquetant tout ce qui traîne sur leur passage, et chiant partout leurs excréments…

 Le Bouffon foudroyait à bout portant les Moires grecques et les Parques latines, les trois sœurs filles de Nyx: la Nuit. C'étaient Clotho, Lachésis et Atropos; lesquelles avaient pour fonction de couper "le fil de la vie" des hommes sans que rien ne pût les fléchir. Le korrigan somnifère les rendait responsables du taux de mortalité infantile dans les classes de normaliens !…

Le Kobold chevauchait présomptueusement les Valkyries, ces vierges guerrières en armure soumises à Odin; lesquelles survolaient les champs de bataille pour y sélectionner les plus beaux jeunes hommes qu'elles choisissaient pour les faire mourir, convaincues qu'elles leur procuraient la Joie puisqu'elle leur donnaient du même coup la gloriole du martyr !

Rase-mottes dégainait les Amazones: ces guerrières des bords de la Mer Noire, déesses des peuples scythes et sauromates. Ces vouivres meurtrières assassinaient, à la naissance, leurs rejetons mâles, s'en réservant quelques uns (dont par commisération elle se contentaient de crever les yeux…) afin de s'en servir de larbins. L'étymologie même du mot faisait frémir, amazone étant formé du radical grec "mazos": le sein, préfixé du célèbre "a privatif"; ce qui donnait, mot à mot: "celles qui sont dépourvues de sein". Pas fameux pour une femelle, d'autant plus que l'amputation était volontaire et asymétrique. Les guivres tueuses d'enfants se brûlaient le sein droit pour mieux bander leur arc… Dans l'urgence, elles se choisissaient parmi les peuplades voisines les plus jolis garçons pour s'en forniquer une fois l'an et reproduire la race ! Notre avorton, bref Résidu de Fausse-couche, se sentait particulièrement turlupiné pas les aiguilles à tricoter des matrones guérillières…

À peine accouché d'une Oiorpata d'Hérodote, l'Homonculus vous prenait la tête, dans votre "Noûs" encore somnolent malgré l'entrée en matière roborative ! Médée! Ah, la belle légende que cette femme délaissée par Jason qui, pour s'en venger le laisse sans descendance, assassinant ses propres enfants. Ô mon Euripide ! Quelle recette, quel filon ! Combien l'infanticide en fit-elle débander ? Pindare, Sénèque, Caldéron, Corneille, Grillparzer, Hans Henny Jahnn, Anouilh, Marie Goudot, Pasolini, Lars von Trier, Laurent Gaudé, Christa Wolf (encore que, cette Médée-là soit plutôt, disait-il, une a-Médée…), Charpentier, Cherubini, Milhaud… Delacroix, Gustave Moreau… Combien de mâles atterrés la magicienne infanticide de la mythologie aura-t-elle stérilisés sur la pierre glacée des amphitéâtres gréco-romains jusqu'aux fauteuils rembourés du Gaumont Palace ! Et sur les spartiates banquettes de fayard des élèves-maîtres suant de trouille sous la férule d'un Myrmidon à talonnettes…

Mauviette présomptueuse, Pot-à-tabac enfourchait prestement la rondelette Clytemnestre, épouse d'Agamemnon qu'elle trompa — salope iconoclaste: faire ça au héros d'Homère !— avec Egisthe. Après quoi la donzelle alléguait procédurièrement le sacrifice d'Iphigénie à une méchante déesse du Vent… Imaginant donc, en toute ingénuité, pour divorcer de son époux, de le faire occire par son gigolo… « Comme la plume au vent…» fredonnait le Chétif Turlupin avec une tessiture de haute-contre qui déchaînait dans la classe un ban d'applaudissements…

Sur ce, l'Embryon, citait François de Montcorbier ! Et là, miracle ! Gigotant pour se monter au plus haut de ses hauts-talons, le petit prof déclamait d'un trait la ballade par quoi s'inaugurait au XVème siècle la poésie française… C'était si beau que Tom-Pouce gagna dans la considération unierselle, même de Jean-Loup qui souffrait pourtant d'être la cible du procès !

  Toujours teigneux comme un pou sur la vulve d'une neige d'antan, l'insecte aptère dégommait les brus de Philippe-le-Bel, Marguerite de Bourgogne et ses belle-soeurs, toutes trois débauchées lubriques de la tour de Nesles. Il jura contre vents et marées qu'il tenait de bonne source que les amants d'une nuit finissaient noyés en Seine et que Marguerite y jeta Buridan, "en un sac ficelé", sans respect qu'il fût sorbonicole et mêmement homme de l'art… et père de l'âne le plus célèbre de la race:

 Semblablement, où est la reine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d'antan ?

Il ajoutait, heureux de baiser la Bourguignonne, qu'avec la complicité de quelques joyeux sorbonagres qui l'attendirent dans une barque chargée de foin sous le donjon, Buridan « fut sauvé par ses élèves !» Cette bonne nouvelle dans laquelle les futurs magisters feignirent de se reconnaître déclancha un chahut dans lequel on cria: « Vive Buridan ! À bas Marguerite !» et même « Vive les ânes !…»

  Après quoi, l'Infinitésimal s'en prit à l'Empire d'Orient, et à l'épouse de Justinien. Théodora, l'impératrice de Constantinople en 532. L'ancienne gourgandine désaffectée avait fait massacrer quatre-vingt mille personnes du menu peuple: petits artisans, marchands des rues, pêcheurs et jardiniers, tous ses anciens compères de trottoir. Lesquels protestaient contre le favoritisme impérial qui bénéficiait, faut-il s'en étonner, aux riches.

Dans la foulée des vouivres anthropophages, notre marmouset se régalait des frasques de Messaline. Avec la mère de Britannicus, épouse de Claude qui succédait en 41 à Caligula, on nageait dans la bonne littérature… Cette fille mariée à treize ans — l'âge légal à Rome… rien à redire et "que j'vous entende pas traiter Pépé Claude de pédophile !" — barbottait dans l'orgie comme une professionnelle. C'était une dévoreuse de jolis mecs que fort à propos elle faisait égorger lorsqu'ils ne voulaient plus lui servir de micheton. Poubelle: aux murènes les minets ! L'avorton exultait…

Gringalet ne pouvait oublier les égéries chéries des Mérovingiens: Frédégonde et Brunehaut… Il conta le mariage, en 566, du roi d’Austrasie Sigebert Ier avec Brunehaut; celui de son frère et donc beau-frère, roi de Neustrie, Chilpéric Ier, avec Galwinthe, sœur de sa belle-sœur et réciproquement… Et comment Frédégonde, servante maîtresse du neustrien, chassée de son plumard par la légitime, avait fomenté de la refroidir. Courroux de Brunehaut — sa frangine, Palsambleu ! Longue suite de meurtres provoqués par les deux "matriarches" dans les deux clans fraternels qu'elles mirent à feu et à sang pendant un demi-siècle. Finalement, le fils de la servante couronnée, morte en paix dans son paddock douillet, Clotaire II captura Brunehaut, la fit torturer, lier sur un chameau puis attacher par un bras, une jambe et par sa tignasse à la queue d'un cheval indompté lancé au galop… Imaginant d'être le leude qui frappait la croupe de l'étalon, « Tchac! tchac! tchac! »… le Microbe Éducatoire mimait à coup de règle et se gargarisait du sang versé…

Encore qu'il eût un faible pour Marie Stuart amie de la poésie française, le Râblé Turlupin la méprisait d'avoir d'étranglé son royal époux écossais, Henry Stuart avec un comte de Bothwell qu'elle épousait aussi sec, dans la foulée, piétinant la tripaille… Et dans le fond, si après dix-huit ans d'emprisonnement la conciliante autant qu'illégitime Elisabeth Ière lui faisait trancher la tête d'un bon coup de hache, c'était une affaire de femmes entre elles s'employant à policer doucement notre civilisation… Ce disant, la demi-portion avait, en direction de Jean-Loup, un sourire en coin qui amusait la galerie et faisait bouillir le normalien qui comprenait que l'Animalcule érectait à rêver d'avoir un jour puissance de le raccourcir, lui aussi, en hauteur, d'un simple claquement de doigt…

C'est alors que rageusement le Lilliputien Dérisoire frappait au "Thumos", le cœur des jeunes gens pleins encore d'émerveillements féminins pour désigner à leur opprobre celle qui, voulant empoisonner le futur Henri IV — monarque le plus tendrement chéri des purs républicains français — avait empoisonné par inadvertance son propre fils, le roi de France, Charles IX…

  Maintenant, le Bout d'Homme Pédagogique était rayonnant: il avait déniché une impératrice de Russie pas sympa… Il savourait une nuit de noce de février 1740, dans un palais de glace construit à cette seule fin sur ordre de la tsarine, où le noble Galitzine, bouffon favori d'Anna Ivanovna fourrageait légitimement une vieille difforme d'une laideur repoussante… Survoler une cour des miracles de femmes culs-de-jatte ou bossues et de nains estropiés était le divertissement quotidien d'Anne Première de Russie… Mariée à un palefrenier qu'elle fit régent de Russie, leur règne fut une période de gâchis, de profits personnels pendant lequel ils régnèrent par la terreur et la délation. Et firent une guerre peu frutueuse contre les Turcs, laissant dans leur armée des pertes humaines calamiteuses.

Pressé par le temps, l'Avorton Savant bâcla l'exposé en apostrophant sa tête de turc du jour: « Monsieur Cuisance, vous êtes semble-t-il adepte du pouvoir clitorocrate; eh bien ! Si vous n'êtes pas dégoûté du matriarcat après ce que je viens de vous conter, je vous promets de vous détailler, lors d'un prochain cours, la mort de la plus célèbre des tsarines: Catherine II, la "Grande Catherine" !»… Un instant après, il citait la phrase de Clémenceau lors de la mort si spécieuse (35-6↓ )  de Félix Faure, président de la République Française: « En entrant dans le néant, il a dû se sentir chez lui ». Il en rajouta même avec la phrase rigolarde des chansonniers de l'époque, nous promettant de disserter de la responsabilité des grandes courtisanes dans la mort des hommes célèbres: « Il voulait être César, il ne fut que Pompée !» Il ajouta: « À propos de la pompe funèbre de Félix, je vous en reparlerai en parallèle du cuirassé de la Grande Catherine; et puis non; je vous ferai un cours sur l'art pamphlétaire et son utilitité politique !»… Déception des normaliens qui n'eurent jamais l'un ni l'autre… Sans doute sa charge furieuse contre cette grande gigue de Cuisance avait-elle suffisamment tari la micro-spermatorrhée de ce cuistre irrétrécissable…

L'approche de la sonnerie l'obligeait d'abréger et c'est à regret que, laissant respirer son souffre-douleur, le Micro-Organisme lâcha comme un pet une bordée de lazzis contre l'Anne Bonny, l'Irlandaise fulminante acoquinée à sa Mary Read pour estourbir et piller par piraterie tous les marins mâles de l'Atlantique… Il lui adjoignait Jeanne de Belleville qui, voulant venger son époux Clisson décapité par Montfort en 1330 obtint trois vaisseaux du roi d'Angleterre et poursuivit, "Lionne sanglante", les navires français qu'elle capturait dans la Manche… Pareillement Anne de Dieuleveut qui devint flibustière à Saint-Domingue… Encore leur accolait-il peu glorieusement Marion du Faouët, pendue à Quimper en 1755 pour avoir été chef d'une horde de brigands…

Enfin, le Rase-mottes présomptueux pressé par la sonnette, se rêvant en Kléber, Hoche ou Marceau, vitupérait les Chouannes. Il épinglait Renée Bordereau qui s'habilla en homme pour combattre chez les Vendéens; et Céleste Bulkeley qui prit le sabre et commanda en amazone une troupe d'élite qui exterminait les frimoussets républicains… Coupé par la sonnerie, il eut la prestesse de leur associer Charlotte Corday la normande qui, le 13 juillet 1793, avait assassiné Marat dans sa baignoire. Il jeta sa morve une dernière fois: « Ce soir, rêvez donc de la belle Marie Charlotte de Corday d’Armont en prenant votre bain, monsieur Cuisance !» glissait-il comme le brouhaha de la ruée au réfectoire commençait à noyer sa voix…

Les victimes ornées de fleurs sont agréables aux dieux…

 L'initiative d'une deuxième visite à Nathalia vint de l'agrégée de sciences nat. « Paraît que t'as rendu visite à ton Erato avec Saint-Jacques; vous auriez dû me prévenir. La prochaine fois, j'aimerais y aller avec toi. » C'était une des rares collègues qui s'était questionnée sur le devenir de la Muse. Ça n'étonna pas Jean-Loup qui se rappelait le jour où la lesbienne lui avait dit qu'elle voulait faire de Nathalia sa "soumise"… C'était le moment de tester l'effet thérapeutique de la tendresse féminine !

  Il la conduisit donc à l'asile où ils trouvèrent Nathalia dans une phase dépressive modérée. L'infirmière indiqua que suite à la visite des trois amis, elle avait eu un mieux, recommençant à manger, prenant soin d'elle-même et s'intéressant même à la vie de la clinique. Poussant la desserte de la lingère dans le couloir, elle avait aidé à plier du linge et rangé ses affaires personnelles; mais cette amélioration n'avait été que passagère; elle retombait dans la morosité. Elle dévisagea les visiteurs et parut les reconnaître. L'agrégée lui avait apporté divers cadeaux dont un bouquet de roses blanches et rouges. Elle le respira longuement, enfouissant son minois écorché dans les pétales… La prof eut un moment de recul en constatant les stigmates des mauvais traitements subis par la jeune fille et s'appliqua à lui parler avec douceur. Nathalia sembla s'attendrir; elle se laissa embrasser. La larme à l'œil, bouleversée de la sentir si frêle, si désarmée, la femme la prit dans ses bras. Elle la couvrit de baisers sur son front et ses joues meurtries. La jeune fille se laissa faire avec abandon, gémissant comme un chiot qu'on apaise. Puis elle passa les bras au cou de sa visiteuse et se rencogna longuement contre son épaule. L'autre lui récitait quelques vers, caressant doucement la pauvre petite tête encore meurtrie et dolente…

Heureux! qui près de toi, pour toi seule soupire,
Qui jouit du plaisir de t'entendre parler,
Qui te voit quelquefois doucement lui sourire.
Les Dieux dans son bonheur peuvent-ils l'égaler ?

Je sens de veine en veine une subtile flamme
Courir par tout mon corps, sitôt que je te vois
Et dans les doux transports où s'égare mon âme.
Je ne saurais trouver de langue ni de voix.

Un nuage confus se répand sur ma vue.
Je n'entends plus: je tombe en de douces langueurs;
Et pâle, sans haleine, interdite, éperdue,
Un frisson me saisit, je tremble, je me meurs (35-7↓ ) 


L'agrégée lui lut un passage d'un récit à la mode qu'elle avait apporté pour la salle d'attente: « Malédiction, c'est par la ruse qu'il t'a chassée du paradis de la terre, en rampant il s'est insinué auprès de toi, il t’a dérobé la passion de connaître dont il est écrit qu'elle a les ailes de l'aigle les yeux de la chouette les pieds du dragon. Il t'a faite esclave par la ruse, toi qui a été grande, forte, vaillante. Il t'a dérobé ton savoir, il a fermé ta mémoire à ce que tu as été, il a fait de toi celle qui n'est pas celle qui ne parle pas celle qui ne possède pas celle qui n'écrit pas, il a fait de toi une créature vile et déchue, il t'a bâillonnée abusée trompée. Usant de stratagèmes, il a fermé ton entendement (35-9↓ )  » Ensuite elle restèrent longtemps à parler, Nathalia reprenant goût à l'échange. La jeune fille raconta comment, jadis, elle avait créé un club de poésie où parmi les neufs muses, elle était Erato, la muse de la poésie amoureuse… Et comme elle retombait dans une sorte de rêverie profonde, la "dixième muse" lui baisa encore affectueusement les mains, lui caressa encore ses pauvres cheveux ternis et lui promit à voix très douce de revenir; et Nathalia s'accrochait à ses mains comme si elle ne voulait pas la laisser s'enfuir…

  La prof revint effectivement la voir à plusieurs reprises. Elle se passait de son chauffeur, connaissant désormais le chemin. On apprit que la jeune folle avait eu plusieurs périodes de rémission et que le corps médical ne désespérait pas de lui donner son billet de sortie

Arrivé là de ses réflexions sur la femme, Jean-Loup pensa que si Janus était masculin, on pouvait céder aux volontés de féminisation de ces dames et lui accoler une Januse aux deux faces, l'une souriante, l'autre grimaçante. Ce pauv' minus de chromosome Y n'était pas le seul fauteur de guerre. Le "farfadet savant" n'avait pas tort, hélas… Mais cependant se convainquit-il que la douceur féminine avait une réelle vertu thérapeutique. C'était bien là le fameux "repos du guerrier"; on allait dire le "repos des guérillières"… ! Justement, il rentrait aux "Gais Combats" vers sa Louisette aux tendres bras…

Diatribe d'Élisée contre les écologistes

 Jean-Loup avait besoin d'obtenir d'Élisée un chef-d'oeuvre de confiance: tendre un fil à sécher le linge dans son potager entre deux piquets, où faire sécher "ses chemises, ses caleçons qui font les singes"… S'en étant déjà entretenu avec l'ermite, celui-ci lui avait dit qu'il saurait bien se procurer un jeune acacia ( en fait, foi de prof: un Robinier pseudacacia ) qu'il refendrait en deux puis équarrirait à l'herminette, outil très convivial ! Il montait donc à la caverne d'Ali-Baba pour lui rappeler sa promesse. S'il avait su que le robinier proviendrait d'une remise à gibier de Booseveld, il se fût abstenu…

  Il eut la surprise de trouver le Troglodyte en grand ergotage avec Magloire, l'agrégé de français, venu faire provision de vieilles éditions. Il comprit tout de suite que les compères s'accordaient, une fois n'étant pas coutume, sur les bienfaits de l'immigration… Ils avaient étalé devant eux un journal d'extrême gauche où ils avaient épinglé un paragraphe qui les "interpellait quelque part". Magloire lisait :
  "Après la réélection de Silvio Mascarpioni, qui a usé de xénophobie à l'égard des maghrébins et n'a pas oublié que le fait de parler d'eux en bien ou en mal offrait une occasion de se mettre en scène, et après la proposition de ficher les ressortissants de ces communautés par le biais des empreintes digitales, un mouvement de protestation s'est mis en place qui a assimilé ces méthodes à celles du nazisme et du fascisme."
 L'agrégé commentait: « Parler de fascisme pour Mascarpioni est faux ( il ne s'appuie pas sur un pouvoir militaire violent ni omniprésent; seulement sur un pouvoir policier qui, chez nous et comme partout dans le monde de la "démocratie occidentale" est servilement à la botte du plus fort: le capitalisme ). Cette outrance contre un grand d'ce beau monde ne m'gêne guère. Je ne l'aime pas: c'est un bonhomme de la caste des Bo…, des Mu…, des So…, des J4M, des Ma… (35-8↓ )  et bien d'autres qui profitent de la "société du spectacle" dans laquelle ils nous font vivre pour y faire leur "One Man Show". Se mettre en scène pour faire règner l'injustice sociale du capitalisme extrêmiste… Briser l'élan socialiste pour y parvenir…

 Le libraire à la grotte ronchonnait:
— Remarque, ça fait des siècles que ça dure: on a simplement remplacé, dans la formule des empereurs romains: "Du pain et des jeux", le mot "cirque" par "mon nombril"… Règnons en circonvenant les citoyens par " La grande bouffe et ma p'tite gueule tous les soirs au vingt-heures! ".
—  J'te suis. Cependant, comparer un simple fichage des maghrébins par empreinte digitale ( aurais-tu songé à refuser tes propres empreintes pour ta carte d'identité ou ton passeport ?) avec une brimade nazie est une exagération qui montre que le problème actuel de l'immigration échappe totalement à ceux qui, partant de réactions honorables de "bon cœur" déraillent dans la systématisation de l'angélisme.

 Élisée lui coupa la parole:
— Le problème des maghrébins, qu'est un phénomène marginal de l'immigration, est réel. C'est même, en raccourci, le problème numéro Un de l'Humanité. Certains peuples explosent démographiquement. Tiens, l'Algérie en 1962, quand le peuple français, par referendum, a voté pour leur donner l'indépendance… les Berbéro-Arabes étaient alors 8 millions. En quarante ans, ils ont quadruplé leur population… Les exemples sont innombrables en Afrique et ailleurs. Tiens: le Niger, sur un Sahel en voie de désertification, qui croule sous les naissances d'enfants faméliques… Tiens, l'Inde qui explose en milliard d'hommes. La Chine communiste, dénigrée en ça par les bourgeoises du XVIème, c'est la seule qui ait affronté le problème avec réalisme par la politique de l'enfant unique. Eh ben ! Z'en comptent pas moins la plus forte population mondiale. La France? Minuscule à côté ? Voire ! La France, c'était "ma" France au sortir de la guerre, quand on m'apprenait en classe les "quarante millions d'habitants". On passe maintenant les soixante; sur quoi l'augmentation imputable aux immigrés est difficile à comptabiliser compte-tenu du "droit du sol" qui "noie le poisson" dès la seconde génération… Résultat: chômage, pauvreté, charge financière supplémentaire participant d'une façon déterminante au déficit budgétaire actuel. On importe des immigrés pour faire baisser le "prix des salariés" (avoué par Pompidou pour les années 70: "à la demande du patronat qui désirait faire baisser le coût des salaires"); on récolte des chômeurs à indemniser maintenant et des retraités qu'il va falloir "mettre au pas" et brimer plus tard: pensions diminuées, sécu rabotée, asiles bondés…»

« A qui la responsabilité ? À l'explosion démographique humaine. Au capitalisme avide d'esclaves bon marché et de goinfres abrutis de publicité… Au machisme de certains peuples, voire de certaines religions qui, en dépit de l'évidence, continuent à prôner la multiplication des lapins, - la "monte lapiniste" engendrant derechef la "montée lepéniste". Tout ça pour posséder chacun la plus grosse tribu, le plus grand troupeau, le harem le mieux fourni, la plus grosse famille, le plus gros contingent d'viande à canon, de main d'œuvre bon marché et d'bouffeurs de merde ! Et les immigrés, quand y z'arrivent chez nous, les plus grosses alloc… et la vie de pacha démocratique ! À qui la faute ? Aux chefs d'états ou de partis — gauche droite même combat, même blabla ! — qui n'ont jamais d'électorat assez pléthorique!

À qui la faute ? À Louis Pasteur, la charge d'avoir changé la face de la médecine en passant des clystères de Diafoirus au microscope, et à ceux ( la France dans ses anciennes colonies…!) qui ont vulgarisé la révolution scientifique ! Aux "Droits-de-l'Hommistes" — Seizième et Neuf-Trois confondus ! — qui, par angélisme, veulent rétablir les familles nombreuses en Chine pour restituer aux Chinois opprimés par le goulag leur "Droit de Pullulation Explosive" ! Aux machos occidentaux qui vivent dans une libération soixante-huitarde débridée leurs dernières années de baise sidaïque et qui se sentent atteints dans leur Moi intime par les grands ciseaux des Néo-Malthusiens et qui bandent leur glaive quand on stigmatise: "l'explosion démographique humaine"!

Tous ces généreux "Laissez faire, laissez baiser!", sont — gauche droite: même combat — vestiges et avatar du "libéralisme" d'Adam Smith. Notre Quesnay, lui, constatait: "Toute richesse vient de la terre"; Smith clamait: "Toute richesse vient du travail des hommes" (sous-entendu: "de ceux qui bossent et qui sont faits pour ça, les cons !: nos esclaves…"). On a donc fait multiplier les parias pour piller en deux siècles la planète Terre ! Et pour accumuler des fortunes colossales aboutissant à remplacer la caste dominante des aristos ferrailleurs par celle des margoulins. Lesquels bretailleurs avaient vite fait de retourner leurs armes légitimées par la défense nationale contre leurs esclaves… Les mercantis, eux, les ont transformés en clients, en larbins et en chair à canon… Progrès ! Remplacés les bretteurs par la classe des camelots "milliardaires en deux coups d'téléphone. Un: j'commande en Chine. Deux: je r'vends en Europe"… Remplacée la caste des sabreurs ? Par celle, égoïste et arrogante des bonimenteurs et des spéculateurs financiers fauteurs de conquêtes coloniales, du macro-pillage de la biosphère, des crises économiques et des guerres mondiales… Passées et à venir ! »

« Maintenant, nos généreux illusionnistes du "Laissez faire, laissez baiser!" se sont faits les meilleurs serviteurs des Adam-Smithards russes et chinois (et de partout ailleurs!) qui, après avoir démoli la patrie du socialisme sont en train de piller les richesses de l'ex-Union Soviétique — et de toute la planète — pour nourrir leur insatiabilité nombriliste… »

« Tiens, Magloire, combien de fois tes instits t'ont-ils fait tracer, au tableau et sur ton cahier d'écolier, la courbe de la démographie de l'homme ?
— Jamais !
— Bon, suis moi…
- Primo: Quatre-cent mille ans à ramper sur l'axe des X… (200 fois l'ère chrétienne!; d'aucuns disent plus…). Quelques tribus si peu nombreuses dans la savane que le "singe nu" n'a guère laissé d'os à ronger à nos paléontologues. Rareté d'os à ronger implique faible nombre de ceux qui les ont engendrés…
- Jésus, An Zéro: 300 millions d'hommes; un tiers de milliard; le quart des Chinois actuels.
- 1830: premier milliard après des millénaires de "reptation de la courbe" au ras de l'axe des X…
 (Tiens, au fait: 1798: Malthus… Un bonhomme qu'avait tout pigé: l'intuition créatrice de "l'écologisme" vrai, réaliste, arithmétique )!
- 1930: deuxième milliard: cette fois, un siècle a suffi.
- 1960: troisième: cette fois, un tiers de siècle a suffi
- 1976 : quatrième… Tiens, v'là-t'y-pas qu'la courbe de démographie qui rampait sur l'axe des X se met à ramper sur l'axe des Y ! Allez les Cons ! Vous rendez pas compte de ce que ça signifie. Un raisonnement mathématique par l'absurde montre que si elle devenait verticale, l'espace d'un milliardième de seconde après, l'humanité aurait bouffé toute sa planète, la Voie Lactée et l'Univers? Froid dans le dos! Non, même pas; l'inconscience la plus parfaite! C'est que le raisonnement par l'absurde prouve qu'il va bien falloir que l'Humanité mette un frein à sa croissance exponentielle sur une planète déjà usée par deux siècles de capitalisme. Capitalisme servilement conforté par la voracité populaire ! Alors ? Quand est-ce qu'on s'y met à l'effort volontaire ?»

L'agrégé tenta de l'interrompre en pressentant qu'il devait avoir déjà la gorge sèche: « À l'écologisme ?
— Ah ! M'en parle pas de l'écologisme actuel ! Gnangnan !… À bas les papiers gras devant ma porte et les éoliennes dans mon vaste horizon! À bas les cocos, même les écocologistes: on est des libéraux; on n'a pas d'Auschwitz nous ! Euh! pardon, pas de Guantanamo ! euh! pardon, j'ai fourché: j'voulais dire "on n'a pas d'goulag" ! Des Kurdes ont échoué leur rafiot sur notre superbe Estérel ? Je prends, j'achète, j'en veux chez moi, j'accours! Des vieux pédés ont piqué l'carnet d'chèque d'une vioque pour se payer les dragées du mariage ? Je prends, j'en veux, j'les marie larme à l'œil ! Des médecins veulent expérimenter sur des cellules d'embryon humain: à bas les docteurs Faust, les Mengele français! À bas l'aspartam, vive la stévia du XVIème arrondissement ! Des capitalistes veulent nourrir l'explosion démographique — et se payer là-dessus la plus grosse fortune du XXIème siècle — : j'veux pas d'OGM ! Qu'on leur jette un fromage de chèvre biologique à ces cons d'faméliques!…»

« Rien pigé ces écolos-là. J'les aime bien quand même ! J'étais près d'eux, à Malville. Là, on frôlait la compréhension du "vrai problème": la nuit, vue de l'univers, la planète est devenue une "pseudo-étoile" brillant de tous les feux de ses centrales nucléaires. À bas le nucléaire et son corollaire: le gaspillage! Vive une "frugalité raisonnable" ! »

À nouveau, l'agrégé tentait de briser la logorrhée: « T'imagines quoi, avec ta "frugalité raisonnable" ? Tu crois enthousiasmer quels électeurs ? C'est toi qui va t'faire une fringale de voix aux prochaines élections. Qu'est-ce que t'imagines, que les paumés de la terre ont envie d'vivre comme des moines ? Que nenni ! C'qu'ils veulent, c'est vivre comme les riches: se goinfrer d'bouffe et d'gadgets. La démocratie est incapable d'engendrer la "frugalité raisonnable" »…

   « J'y songe, j'y songe, dit Élisée, on a glissé sur le "vrai problème": l'explosion d'une humanité de goinfres jamais rassasiés… Lorsque leur pullulation aura tout grillé dans une troisième guerre mondiale (la "Grande nettoyeuse nucléaire"), tu verras qu'ils tendront des guirlandes de Noël sur les ruines calcinées d'leur pavillon d'banlieue! »

   Magloire: « En plus, tu n'envisage que l'immigration extra-européenne, comme celle des anciens colonisés anglais qui rappliquent sur Albion par le tunnel; ceux de l'empire colonial français qui traversent Gibraltar à la nage ou qui prennent le frais dans les trains d'atterrissage de l'Airbus… Et les Romanichels qui envoient leurs mômes vider nos fouilles dans l'métro en les battant comme plâtre quand ils ramènent moins de cent balles ?
— Le problème des Roms orientaux ? Bof ! un épiphénomène: tu l'as montré quand tu les as chiffrés (et, au passage, sous-estimé) à quelques milliers. Une goutte d'eau dans le problème général de l'immigration. Face à l'explosion démographique humaine, gentils "Droits-de-l'Hommistes", vous êtes des inconscients qui gonflez la douleur des problèmes localisés actuels pour montrer votre "grande et belle âme". D'accord, vous êtes réellement "généreux". C'est beau et je vous admire. Mais c'est aussi flatter votre "Moi" d'idéaliste aux dépens de ceux qui sont "tristement réalistes". Et, le problème qui se prépare — que "vous" préparez !— pour vos enfants, vos petits enfants, ce sont les "Grandes Invasion du XXIème siècle". Un fait d'Histoire de France qui plantera son arête en travers de la gorge de vos descendants… Qui changeront d'refrain… Changeront de ritournelle quand déferlera, bien pire qu'au Vème siècle, le tsunami humain débordant des pays en cours d'explosion: Chine, Inde, Afrique, Amérique du Sud ! Mais trop tard !… Vous aurez été les "généreux gogos du XXème siècle". Une seule vérité: "Peuples qui pullulez, vous êtes les futurs fauteurs de troisième Guerre mondiale: la Nucléaire!" »

« Que faire? Freiner volontairement l'explosion démographique mondiale: arrêter de faire pulluler les ouvriers bon marché, futurs chômeurs et retraités… Stop l'explosion des consommateurs jamais finis d's'empiffrer: où allez-vous trouver de l'essence quand chaque famille chinoise aura, comme vous, deux bagnoles par foyer. La pénurie de planète est là! Elle vous pend au nez, ça goutte ! Et à quelle vitesse! Mouchoir, torchez moi cet orgueil ! Et réfléchissez encore à ça:
— Comme un Français dès sa naissance bouffe trois-cent fois plus de Planète-Terre qu'un sous développé, on peut compter que pour la planète, 65 millions de Français vont compter pour: 65.106 multiplé par trois cents; soit: 195.108 bonshommes soit dix-neuf milliards et d'mi d'gugusses ou près de vingt milliards d'habitants… Tel est l'encombrement actuel des Français sur la planète Terre: en "impact écologique", bientôt quinze fois plus qu'les Chinetocs… Conclusion? Y a pas qu'les autres qui doivent s'y mettre un bouchon!… »

« Tu causes, tu causes, dit Magloire… mais, fallait déjà qu'y s'contentent de ta "frugalité supportable", va falloir que tu te fasses élire pour leur mettre une ficelle à la quêquête et t'imagines qu'y vont voter pour toi et ta grande paire de ciseaux ? »

 Élisée soupira, réléchis un instant, puis se lança pour un dernier round:
 « Rien compris, élève-agrégé Magloire. Un: la "frugalité supportable" c'est pas la diète. Comprends ça: pour faire un kilo d'cochon; faut dix kilos d'céréales. Les Chinois sont en plein boom économique et vont prendre bientôt la place des occidentaux. S'ils veulent bouffer autant d'bidoche que nous — soit une ou deux fois par jour — va falloir qu'ils rafflent, sur le marché mondial, toutes les céréales qu'ils seront les seuls à pouvoir payer au prix fort ! Famines sur tous les continents, surtout chez les paumés ! Guerres de conquêtes des survivants ! Joli nom: la "Guerre du Blé". Et si on convenait, entre tous les peuples, d'être raisonnablement frugaux, disons: bidoche trois fois par semaine ? Non seulement c'est supportable — la preuve: bien au-dessus du régime qu'on suivait en 39/45 — mais, prouvé, c'est bon pour la santé.

— Même chose pour les 10 bagnoles, les 10 machines à laver, les 10 ordinateurs, les 10 aspirateurs, etc… etc… qu'on vous fait acheter toute vot'vie et qui cassent en moins d'deux parce qu'y faut qu'le patron capitaliste se paie sa collection d'Ferrari et sa collection d'poupées… Et si on s'contentait, parce que ça serait "Fait robuste, fait pour durer", comme disait ma grand mère, de 3 bagnoles, de 2 machines à laver, de 4 ordinateurs, de 5 aspirateurs, etc… pour la vie… On réparerait grâce à l'interchangeabilité universelle, à la récup et au recyclage… Ralenti ! le gaspillage de la planète. C'est ça la frugalité supportable. De toute façon, avec la pullulation d'humains toujours plus goinfres, vous y passerez ou vous crèverez !…

— Deux: Vous n'avez pas à craindre le Grand Coup-de-Ciseaux des Néo-Malthusiens: calmez les spasmes angoissés de votre "Moi secret"! Désormais, vous avez la pillule de Pincus, celle du lendemain de Leroy-Beaulieu, les préservatifs, stérilets et tous les gadgets de votre sex-shop favorite… Et pour la joie (légitime) de la paternité, elle vous est accordée pour un ou deux mioches; mais pas plus; désormais le troisième rapportera "Zéro" en allocations familiales. Quand aux deux "Petits Empereurs", faudra qu'ils bossent à l'école et soient bien sages dans leur coin: à moins de huit de moyenne, au deuxième blâme de conduite, on supprime ses allocs pour le mois en cours! Fini l'bordel de l'école soixante-huitarde! Ç'qu'il est "permis d'interdire": c'est une humanité qui s'marche dessus et s'entr'écrabouille!".
Alors, «Enjoy !» Prenez ça du bon côté: de toute façon, c'est un sens obligatoire…

— Faites l'effort d'y penser. La mort de l'humanité est incrite dans l'écologie de la planète. Alors, magnez-vous d'adopter le réalisme! Gentils "Droits-de-l'Hommistes", faisant fi de l'angélisme et de l'autosatisfaction (finalement très égoïste!) de votre Ego, adoptez l'écologisme, mais le "vrai", "l'écolo-réalisme": la seule manière d'agir pour sauver l'Humanité sur sa planète devenue trop petite et déjà trop massacrée, tellement pillée pour être utile à vos générations futures… »

Déréliction de la pédagogie face aux rossards…

 Les deux copains s'arrêtèrent en s'apercevant qu'un visiteur les écoutait depuis un moment. Ils avisèrent la bouteille de Beaujolais nouveau qui dépassait du sac à dos. Jean-Loup eut juste le temps de leur donner des nouvelles de Nathalia. Ils dirent qu'ils parlaient d'elle lorsque leur entretien avait dévié sur l'immigration en évoquant son maudit Nadir… L'escapade au gourbi de Badreddine, le maçon chômeur avec sa Camila voilée; l'expédition folle à Oujda et Gibraltar… Les abominations du trafic de drogue dans les banlieues d'immigrés…

Élisée, en pédagogue improvisé mais qui avait tout compris — à contre-pied de bien des professionnels — dit: « La jeune fille quittant le cours moyen pour le lycée est condamnée comme le rosier qu'on plante sur du fumier: à pourrir !» Magloire ajouta: « Désormais, ce ne sont plus les profs qui sont les maîtres du collège: ce sont les rossards. On ne vient plus au collège pour apprendre en classe à être un citoyen; on vient se mettre au parfum des cancres… À la récré la fripouille tient le haut du pavé… C'est elle qu'on écoute pour devenir au plus vite un adulte prématuré. Apprendre avant l'heure le cynisme et les vices des vieux… »

L'instit expliqua qu'il avait emmené l'agrégée de sciences nat visiter la jeune fille et comment sa douceur si féminine avait rasséréné la malade. Loin d'en plaisanter, c'est Élisée qui tira la conclusion; il prononça: « Je ne connais qu'un seul devoir, et c'est celui d'aimer. !». Il se garda bien de citer l'auteur, savourant l'intime satisfaction de constater que ni l'instit ni l'agrégé ne relevaient le "manque" (35-10↓ ) 

  Mais déjà le doux blop! du bouchon qui saute avait retenti !

© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 35:   ( Sauter les notes de section 35 )
35-1.-↑  Catatonie, subst. fém.: Psych. Forme de schizophrénie caractérisée par des périodes de passivité et de négativisme alternant avec des excitations soudaines. Tendance à la catatonie (cf. May [F. Widal, P.-J. Teissier, G.-H. Roger, Nouv. traité de méd., fasc. 4, 1920-24, p. 59]). Dans CNRTL:
— Catatonie, dictionnaire du CNRTL.

<-/a>35-2.-↑  Paul Verlaine: " Écoutez la chanson bien douce " est le 16ème poème du recueil I de Sagesse: intégrale, cliquez ci-dessous
— " Écoutez la chanson bien douce " (poème intégral)

35-3.-↑ EL halia: documents croisés. Cliquez les deux lignes ci-dessous.
— Vision des Français d'Algérie.
— Wikipedia: Massacres du Constantinois en 1955

35-4.-↑  Le "lit fluidisé médical" est une application des "lits fluidisés ou fluidifiés" de physique: « Extrait de Wikipedia (...) le concept de lit fluidisé (ou de lit fluidifié) permet de donner à une catégorie de solides - dits matériaux granulaires - certaines propriétés des fluides - liquides ou gaz. Son invention est attribuée au chimiste allemand Fritz Winkler, qui l'avait appliqué en 1926 à la combustion de charbon réduit en poudre. (...) on peut réaliser un tel dispositif pour du sable. Le principe est d'injecter un gaz ou un liquide par dessous, qui va « soulever » les grains. On observe des propriétés caractéristiques des fluides : ondes, bulles, viscosité (...) » L'ensemble de l'article: cliquez ci-dessous…
— Wikioedia: Lit fluidisé (physique)
Extrait de EM-Consulte: le lit fluidisé médical: « Les mesures de prévention continuent à s'appliquer, un support adapté doit être systématiquement utilisé. Il peut s'agir d'un support statique ou dynamique (lit à coussins d'air, lit fluidisé). Le lit fluidisé est utile chez des patients avec escarre constituée ou après chirurgie. Il s'agit d'une cuve remplie de microsphères de céramique qui sont sans cesse brassées par un courant d'air chaud, qui permet une répartition harmonieuse et utile de l'appui. L'air chaud assèche les lésions suintantes et a aussi un effet antiseptique. Ce lit fluidisé est difficilement adaptable à la prévention de l'escarre à domicile, mais sa location permet une utilisation plus large. » Aller dans ce site: cliquez ci-dessous…
— Site EM-Consulte
Information professionnelle et image:— Le lit ClinitronTM: image

35-5.-↑ Huguenots: 300.000 exilés du fait des guerres de religion et notamment après les dragonnades et la révocation de l’édit de Nantes le 18 octobre 1685 par Louis XIV.
— Exil des Huguenots (Protestants)français
Juifs de France déportés pendant la seconde guerre mondiale:
— Le site d-d.natanson cite 83.000 personnes dont environ 14.000 enfants !
— Le Figaro du 1er décembre 2010 qui indiquait que les Américains faisaient un procès à la SNCF qui a transporté 76.000 déportés Juifs(selon AFP): "Extrait: La SNCF, qui a transporté quelque 76.000 juifs déportés pendant la Deuxième Guerre mondiale, est sommée de s'expliquer par des élus américains, qui veulent lier tout contrat des futurs TGV aux Etats-Unis à une repentance publique, voire à une indemnisation des descendants des déportés. 22.453 prisonniers retenus à Drancy sont partis de la gare de Bobigny vers les camps de la mort."

35-6.-↑  CNRTL: extrait: Spécieux, -euse, adj.1er sens: Vieilli. (En parlant d'un inanimé) Qui a une belle apparence, qui est plein d'attrait. Synon. attrayant, séduisant. L'huile de Macassar se défendra ! Elle est spécieuse, elle a un nom séduisant (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 90).

35-7.-↑ Le poème est de Sappho; ("A l’aimée") Sappho est une poétesse grecque de l'Antiquité qui a vécu au viie siècle av. J.-C. à Mytilène, sur l'île de Lesbos. Elle serait née vers 650 av. J-C et morte vers 580 av. J-C .
— Wikipedia: Sappho
Le vers hendécasyllabe est un vers de onze pieds. La strophe sapphique passe pour avoir été inventée par Sappho et continuée par Catulle et Horace (I siècle av. J.-C.), elle a été ensuite utilisée pour des hymnes chrétiennes médiévales, par exemple le célèbre Ut queant laxis dont se sert Guido d'Arezzo pour dénommer les notes de l'hexacorde (ut, ré, mi, fa, sol, la).
— Wikipedia: Strophe sapphique (ou saphique)
La strophe saphique se compose de trois vers hendécasyllabes de onze pieds suivis d'un vers de cinq pieds. Exemple approximatif (selon traduction):

Aphrodite au trône diapré, déesse
Née de Zeus, j'implore, immortelle fourbe,
Fais que ni tourments ni dégoûts ne dompte,
Reine, mon âme...
(Sappho, Hymne à Aphrodite)
35-8.-↑ Un bon agrégé de français n'écrit pas les gros mots en toutes lettres !
35-9.-↑  "Les Guérillères" Monique Wittig; Les Éditions de Minuit 1969 212 pages 16 € ISBN : 2.7073.0042.X - EAN13 : 9782707300423
— "Les Guérillères" Monique Wittig; Article critique.
35-10.-↑ Joseph S. Nye, ancien vice-secrétaire américain à la Défense, aujourd’hui professeur à Harvard, met en garde contre les stéréotypes classiques à propos de la façon dont les hommes et les femmes agissent dans les fonctions de direction. Dans un article paru dans Le Figaro du 11 févr. 2012: "Le "style féminin" et l'exercice du pouvoir" (traduit de l’anglais par Frédérique Destribats, ©Project Syndicate, 2012.www. project-syndicate.org) il développe l'idée que « La question de la pertinence du style – savoir quand utiliser les compétences dures ou souples – s’applique autant aux hommes qu’aux femmes, et ne devrait pas être occultée par les stéréotypes classiques liés au genre. Dans certaines circonstances, il serait bon que les hommes agissent d’une manière « plus féminine » ; dans d’autres, les femmes devraient adopter une position « plus masculine ». Bref extrait de cet article (voyez "Débats & Opinions" dans Le Figaro du 11 févr. 2012, page « Le "style féminin" et l'exercice du pouvoir".(…) Le monde serait-il plus pacifique si les femmes étaient aux responsabilités ? Un nouveau livre stimulant de Steven Pinker, psychologue à l’université de Harvard, prétend que « oui ». Dans "The Better Angels of Our Nature", Pinker cite des chiffres qui montrent que même si la violence humaine est en baisse progressive, elle reste encore très présente aujourd’hui. Il déclare en outre : « Tout au long de l’histoire, les femmes ont été et continueront d’être des forces pacificatrices. La guerre traditionnelle est un jeu d’hommes : les femmes de tribus ne se réunissent jamais en bande pour attaquer les villages voisins. » En tant que mères, les femmes visent, en effet, à élever leur progéniture et à assurer la survie de leurs gènes dans la génération suivante. Les sceptiques rétorquent immédiatement que les femmes n’ont pas fait la guerre simplement parce qu’elles ont rarement été au pouvoir. Si elles avaient ce pouvoir de diriger, les conditions d’un monde anarchique les obligeraient à prendre des décisions belliqueuses identiques à celles des hommes. Margaret Thatcher, Golda Meir et Indira Gandhi étaient des femmes puissantes ; elles ont chacune mené leurs pays à la guerre. Mais il est aussi vrai que ces femmes se sont hissées au pouvoir en jouant selon les règles politiques « d’un monde d’hommes ». Dans un monde dans lequel les femmes partageraient une part proportionnelle (la moitié) des postes de direction, elles se comporteraient différemment au pouvoir. D’où, logiquement, la question qui suit : le genre est-il d’une réelle importance en matière de pouvoir ? (…) Les femmes (…) n’occupent que 5 % des plus hauts postes dans les entreprises et ne représentent qu’une minorité dans les législatures élues (à peine 16 % aux États-unis,(…) 45 % en Suède). D’après une étude, parmi les 1 941 dirigeants de pays indépendants au XXe siècle, 27 seulement étaient des femmes, dont à peu près la moitié sont parvenues au pouvoir en tant que veuves ou filles d’un dirigeant homme. Et seulement 1 % d’entre elles sont parvenues à leur poste par elles-mêmes. (…) » L'auteur, Steven Pinker, conclut donc: « La question de la pertinence du style – savoir quand utiliser les compétences dures ou souples – s’applique autant aux hommes qu’aux femmes, et ne devrait pas être occultée par les stéréotypes classiques liés au genre. (…) »
— Au fait, comme moi, vous aurez vu au premier coup d'œil que la citation: « Je ne connais qu'un seul devoir, et c'est celui d'aimer. !» était d'Albert Camus…

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- "La Forte en T'Aime" - Dernier feuillet écrit:
Mon beau navire ô ma mémoire…
Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Mon beau navire ô ma mémoire
Avons-nous assez navigué
Dans une onde mauvaise à boire
Avons-nous assez divagué
De la belle aube au triste soir…

Le Chant du Merle.

Sous la fenêtre était un frêne. Les plus mauvais jours passés, la rétine humaine ne percevait encore pas les premières lueurs de l'aube qu'un merle chantait. L'ariette commençait par une modulation flûtée jaillissant des profondeurs du gosier; l'oiseau répétait inlassablement ses motifs. Il ne semblait pas que de jour en jour sa chanson se perfectionnât. Cependant, de l'avis des savants, les oiseaux pouvaient changer de chant l'hiver, lors d'une régénération des neurones… On l'avait prouvé pour le canari (36-1↓ ) . Lorsqu'il se taisait, un autre merle au loin lui faisait un répons. Poliment, l'oiseau ne reprenait jamais sans que l'autre eût achevé. Chacun marquait ainsi son territoire et le chant délimitait les compétences. On restait correct avec le voisin… Chacun chez soi ! Tel était le chant du merle dans tous les printemps de la planète, depuis des dizaines de millions d'années, perfectible et toujours pareil.

Jean-Loup avait l'habitude de se faire éveiller par un magnétophone. Il dormait la fenêtre ouverte quand retentissaient les premiers accords du concerto. Il palpa la place à côté de lui pour savoir si toute cette écrasante pesanteur, cette infinie tristesse qui désormais l'envahissait à l'aube, n'était qu'un cauchemar.… Mais non, il n'avait pas rêvé ! La place à côté de lui était glaciale, vide. Louisette ne s'était pas, comme autrefois certains jours de labeur, levée avant lui. Louisette n'était plus là. La fille aux doux bras était partie. C'était fini d'elle et lui. Les "Gais Combats" ne retentiraient plus de ses chansons préférées. Tout ce travail qu'il avait consenti dans ce logis, c'était pour eux, ceux qu'en son cœur il appelait "Mes-Deux", tendre hypocoristique de: "Mes Deux Amours" (36-2↓ ) p;. Tout ce sacrifice était rendu vain car désormais chaque matin serait solitaire et glacé…

Il se leva et se pencha pour observer l'oiseau. Le merle s'était tu. Il inclinait la tête comme avec intérêt. On aurait dit qu'il comprenait le sens du chant humain… Que dans un monde sans finalité, venant de rien et n'allant nulle part, la seule justification de l'Homme - conscient aboutissement de l'Evolution - ne pouvait être que de jeter un cri de beauté, superbe et inutile… La phrase musicale s'écrivait dans le silence du matin comme un ultime effort de complexification de la vie livrant à l'entropie cosmique un combat perdu d'avance. L'angoisse mozartienne sanglotait à tue-tête dans l'air encore gelé par une mort venue des confins de l'univers. Le soleil était apparu. L'oiseau s'était envolé. Jean-Loup pensa maintenant que la bête avait pris Mozart pour un concurrent territorial. Pas flatteur pour elle… encore moins pour Amadeus. Il fut déçu par la mentalité de la bestiole mais lui conserva le bénéfice du doute.

Mais il fallait se lever et marcher, peut-être même vivre dans ce monde transi de froid, de haine et de solitude…

Énervement sur le zinc

Soubrette essayait en vain de calmer sa clientèle; ils en redemandaient contre le Pédé et sa bande d'écolos.
« Ces salopards disent qu'ils aiment les arbres mais ils coupent des arbres !» bramait le Tartuflette.
« Et en plus, dans mon bois du Jolivent !» surenchérissait Booseveld, qui, grand seigneur, était prêt à rire de la babiole, n'eût été la vindicte populaire…
Tartuflette en rajoutait, cafetant comment il avait surpris l'Élisée abattant un acacia dans la remise à gibier du président de la chasse… Benoît, cauteleux, chafoin, doucereux, circonvenant son boss par ses efforts de persuasion, le cancrelat lui rapportait comment, discret et rusé, il avait pisté, dans l'aube fraîche, l'Anarchiste jusqu'à son destinataire: le Pédago ! S'introduisant (— Non, j'avais pas l'autorisation !…) dans le jardin d'un voisin, il épiait le travail du chemineau qui débitait, refendait, équarrissait, peinturlurait, plantait, tendait des fils… C'était pour pendre les calebards du Pédé que Monsieur le Maire avait été spolié… Interrogateur, impatient d'entendre le patron réagir violemment, le cafard était pendu à sa lippe, espérant un déchaînement de violence contre le cuistre haï… Mais le Booseveld était plus fin que ça et n'avait guère envie de se confronter directement aux écologistes qui, en ce moment, négligeaient de le poursuivre pour ses empiètements et chapardages de chemins ruraux où il gagnait indûment ses quintaux supplémentaires… Il tempéra: « Merci Tartuflette; j'me rappelerai c'que t'as fait pour moi ! J'suis pas à un fagot près; mais j'les rattraperai au tournant; n't'inquiète… !»

À deux tables du zinc étaient affalés deux ou trois feignants qui venaient là pour se rincer la dalle et attraper au vol une occase: job facile mal rétribué ou mauvais coup bien payé ! Il y avait là le Di Tonta "de Cinquième" qui, en mai 68, se dressait et les mains en cornet hurlait "Fayote !" aux gamines qui collaboraient avec l'occupant: Cuisance qui faisait la classe et n'en finissait pas de se voir interdit d'interdire… Y'avait un des aînés de la portée, Agostinho qui, numéro trois de la tribu ayant épuisé sa corne d'abondance, avait fini de faire juter les assedics dans le porte-monnaie familial et devait, pour sa punition, travailler. Ses compétences l'avaient donc conduit auprès du maire des Brandes. Le Laerez lui avait dégotté un place de technicien de surface à la DDE locale. Il y excellait, ayant une forte aptitude à s'appuyer sur les manches de pelle, de balais et, dans les cas extrêmes, sur les manches de pioche… Il avait donc gagné de quoi s'acheter — La mama le nourrissait encore !— la bagnole de ses rêves, une vieille deuche si vermoulue qu'on aurait passé les ribouis au travers du plancher pour la faire avancer dans les côtes; mais il la bricolait lui même… Y avait l'Gégène, l'idiot de village récemment promu à cette nouvelle dignité, grâce à l'autodestruction de "la Carotte". C'était donc par fidélité dynastique que l'Gégène s'était dévoué à Drekveld, le maire des Broues…

Ce joli monde devisait à mi-voix, la hiérarchie interdisant au bistrot, de parler fort quand on était les plus jeunes et derniers arrivés. Mais on ouvrait grand ses esgourdes et l'on n'avait pas les "portugaises ensablées" dans la phratrie Di Tonta (36-3↓ )  !

C'est le Gégène, empressé de se montrer aussi compétent que son valeureux précurseur, qui eut une idée de génie; mais peut-être la fallait-il taire à cet aréopage de grandes personnes qui paraissaient un tantinet mollassonnes. Le trio se poussa dans un coin de la salle pour discuter plus à l'aise, espérant en outre que Soubrette oublierait de compter les bouteilles sur leur table abandonnée ou mieux, les facturerait au couillon qui, naïvement, viendrait s'y coller… C'était pas si fréquent que l'Gégène ait une idée: y avait urgence de l'écouter ! Comme l'œuf de Colomb, l'idée était d'autant plus maligne qu'elle était simple ! Punir comme le Bon Dieu: faire payer au fils les péchés du père !

L'escalade de la violence…

Tout d'abord, on ne pensait pas faire vraiment mal… Seulement foutre une sacré trouille à cette famille de pédés voleurs d'arbres, d'écolos pour dire en abrégé ! C'est en jouant que la passion vint…

Depuis que Philou allait en classe chez les Jésuites de Senlis, Jean-Loup se levait une heure plus tôt pour l'emmener. Lorsqu'il sortait, harassé par ses six ou huit heures de cours, l'hiver parfois dans le givre, le verglas et la neige, aller chercher son Philou au loin était une peine supplémentaire qu'il ressentait durement, la rage au cœur… Quand au garçon, d'avoir été mis à la porte du lycée de Villeneuve parce qu'il était victime d'un gang de salopards, ça ne passait pas du tout. Il avait donc nourri une rancoeur vengeresse contre l'injustice sociale qui, sans doute, le turlupinerait toute sa vie…

Dès que les jours s'allongeaient un peu, les horaires de sortie du père et du fils ne coïncidant pas toujours, Philou réclamait qu'on attachât son vélo sur la galerie pour rentrer plus tôt. Ils passait alors par une petite route départementale, délaissant la RN17 déjà très encombrée et trop "roulante" à l'époque. Il était déjà grand; on faisait confiance à son instinct d'orientation. Muni de la carte IGN de la forêt de Chantilly, il ne s'égarerait jamais.

  Un soir, il rentra en retard. Il avait fait une mauvaise rencontre: une voiture l'avait suivi alors qu'il descendait le flanc nord de la Grisette, pare-choc contre roue arrière et klaxonnant agressivement… Comme il avait trouvé refuge sur l'élargissement d'une banquette gazonnée, il s'était rangé. Une vitre s'était baissée pour l'injurier et le menacer et comme ça redémarrait, Philou reconnut la deuche pourrie du Di Tonta.

Dès lors, cette rencontre fâcheuse survint à plusieurs reprises. Au début il se laissa surprendre. Plus tard il apprit à surveiller la plaine dans laquelle débouchaient les itinéraires variés qu'il s'était trouvés dans les grands bois. Au débucher de l'immense forêt, il s'arrêtait sur la lisière. Il respirait à pleins poumons l'air arrivé tout droit de l'océan balayant les plaines sans arbres. Il scrutait d'ore en autre le Val Grisette, guettant la deuche. Puis s'élançant rapidement, il se faisait un itinéraire dissimulé par les lisières ou les haies maigrichonnes réchappées des mains des paysans rapaces… Il profitait du havre offert par un bois appartenant aux écologistes. À l'orée de celui-ci, il était rendu aux premières masures de Tréfontaines qui le protégeaient.

Dès la première alerte, Jean-Loup était allé vers les gendarmes de Fesses-la-Jolie, pleins de bonne volonté depuis qu'ils avaient laissé brûler, sur le trottoir d'en face de la superbe caserne qu'on venait de leur bâtir, tout une batterie de conteneurs à bouteilles, à papier, à vieux vêtements… Ils le reçurent avec compréhension en la personne d'une gracieuse gendarmette; on n'eut jamais de nouvelle et l'on pensa qu'ils avaient trouvé suffisamment d'occupations à courir après leurs drogués incendaires et surtout, à pénaliser d'excellents citoyens pour de menus excès de vitesse fort utiles à remplir les carnets à souches. Alors on avait doté Philou d'un des premiers téléphones portables du marché. Mais quand il ne l'avait pas oublié, il était déchargé… Alors, à tour de rôle et selon leurs horaires, Louisette et Jean-Loup parcoururent les chemins ruraux pour aller au devant de l'adolescent. La farce des dégénérés fonctionnait à pleine efficacité…

Le gang des tarés l'avaient rapidement compris, mesurant leur réussite au mal que se donnaient les parents à les évincer. Le jeu de cache-cache commençait à les exciter au plus haut point. Ils jubilaient… Jean-Loup avait songé à se plaindre à Booseveld qui aurait pu intervenir auprès de son Di Tonta "de tracteur"… mais il se sentait en état de faiblesse depuis qu'Élisée lui avait avoué la provenance de ses poteaux d'étendoir. Et il se demandait à quoi se mesurait le regain d'hostilité des peigne-cul des Brandes… Mais comment le maire du bled voisin aurait-il pu savoir ces détails ? Voilà pourquoi Jean-Loup évitait de se mettre en faute devant ses antagonistes… Ne jamais être en tort en face d'un imbécile: le con, ça ne pardonne pas !

"Il arrive que les décors s'écroulent."

« Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux; il faut d'abord répondre. Et s'il est vrai, comme le veut Nietzsche, qu'un philosophe, pour être estimable, doive prêcher d'exemple, on saisit l'importance de cette réponse puisqu'elle va précéder le geste définitif. (...) »

« Il arrive que les décors s'écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d'usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le «pourquoi» s'élève et tout commence dans cette lassitude teintée d'étonnement. «Commence», ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d'une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l'éveille et elle provoque la suite. La suite, c'est le retour inconscient dans la chaîne, ou c'est l'éveil définitif. Au bout de l'éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement.(...) »

« L'esquive mortelle (...) c'est l'espoir. Espoir d'une autre vie qu'il faut "mériter", ou tricherie de ceux qui vivent non pour la vie elle-même, mais pour quelque grande idée qui la dépasse, la sublime, lui donne un sens et la trahit. » (36-4↓ ) 


Terrifiant comme un coup de tonnerre…

Comme Jean-Loup achevait la lecture un peu ardue d'un auteur qu'il préférait dans ses "Actuelles" où il avait défini un journalisme tellement différent du rabâchage politique dispensé par les médias soldés aux grands capitalistes du siècle, quand il reçut un coup terrible et définitif au cœur. La nuit tombait et Philou n'était pas arrivé. Louisette s'affolait déjà. On courut à la voiture. Le garde forestier ayant prêté une clé des cadenas de barrières pour bûcheronner quelque chablis, ils s'engouffrèrent dans tous les layons forestiers que l'adolescent avait pu suivre. En vain. Ils alertèrent alors les gendarmes qui, cette fois, mirent en route une procédure de recherche.

Les pauvres parents furent incapables de se rendre au travail le matin. Dring ! Un coup de téléphone d'espoir et d'anxiété retentit: le corps de Philou avait été retrouvé inerte dans une touffe de fougères au bord d'une des laies signalées à la maréchaussée… Ô Dies ire ! Tonnerre de Dieu ! Il arrive que les décors s'écroulent. Tout s'écroulait pour le couple. Jean-Loup n'avait plus désormais de raison de vivre C'était pour son enfant qu'il se tuait au travail tant en classe que dans une association de sauvegarde de l'environnement et dans la restauration des "Gais Combats"… Les Moires étaient passées dans leur vie. Elles avaient fauché la chair de leur chair ce qu'ils avaient de plus cher sur cette planète égarée ! La reconnaissance du corps de l'enfant adoré fut un terrifiant déchirement. La tête s'était fracassée sur un arbre et le corps avait roulé dans les fougères.

 La trace des pneus d'un véhicule automobile fut relevée sur les lieux et les gendarmes prenaient enfin au sérieux la plainte que les parents leur avait adressée en temps utile… Trop tard…

Jean-Loup ne se croyait pas si fragile. Il tomba dans une profonde dépression qui le conduisit à l'hôpital où l'interne décida de sa mise en sommeil artificiel. Lorsqu'il se réveilla, l'enfant était enseveli et Louisette avait quitté les "Gais Combats". Elle avait laissé une lettre où elle expliquait qu'elle l'avait aimé très fort « L'esquive mortelle c'est l'espoir. Espoir d'une autre vie qu'il faut "mériter", ou tricherie de ceux qui vivent non pour la vie elle-même, mais pour quelque grande idée qui la dépasse…» Il comprenait cette phrase absconse comme: "l'esquive de la mort, c'est d'espérer"… Pour échapper à la mort, il lui fallait s'accrocher à un espoir mais lequel ! Quel espoir dans une planète qui ne va nulle part, pour un être qui n'est qu'un chaînon ouvert sur le vide sans vie du néant, désormais que son enfant était mort ?

La cavée de Crèvecœur

À présent, dans la cavée de Crèvecœur, l'homme solitaire montait lentement, sous les frimas et soufflant un peu car le lieu justifiait son nom. Dans sa poche, l'objet battait lourdement la cuisse. De longues fulgurations d'anxiété le déchiraient par instant, quand il revivait les évènements passés. Il les connaissait, ces angoisses, depuis les bombardements de la seconde guerre mondiale sous lesquels, enfant, il avait senti le monde s'écrouler autour de lui. Mais cette fois, l'enfant était mort; il n'y avait plus de jaillissement de la cave, plus de survie possible. Il était mort, l'enfant ! Son enfant...

 Il vida la fiasque, gravit la dernière pente et s'affala au pied d'un vieux poirier. Il se revit encore, conduisant un bambin tendre et "frêle comme un papillon de mai" (36-5↓ ) , et qui voulait chercher à la sablière les dents de requin qu'il appelait naïvement "des clous": c'était fini ! Pour toujours! A jamais il ne reverrait son enfant: il était mort son fils, son amour, son tendron... Il sortit le 7,65 de sa poche, l'arma, décliqua la sûreté, et pointa vers sa tempe. Un coup de feu formidable ébranla l'air glacé. Terrifiant comme un coup de tonnerre…

  Alors tout devint noir.

Épilogue

Un matin, on sonna à sa porte. C'était Magloire et l'Élisée qui lui rendaient visite. Il eut une petite lueur de feu de bois dans son cœur. Il ralluma la cheminée. Les frimas n'étaient pas terminés. Mars avait ramené les Pâquettes, parsemant les sous-bois des étoiles blanches des sylvies. Avril avait ramené les neiges d'avril aux buissons d'épine noire; mais sur les pruniers épineux, une vraie neige tardive était en bourrasque tombée. Le retour de ses deux amis apaisait un peu son anxiété. La chaleur des flammes, mêlées à la voix lénifiante des copains lui ramenait comme un frisson d'espoir à l'être…

Lorsqu'il avait voulu presser la gâchette, il avait entendu un bruit formidable et une douleur intense au crâne l'avait saisi et plongé dans le noir… Le chevreuil ayant débuché du bois des écologistes, toute la cohorte des chiens et des porteurs de fusils lui avait courre sus, mais du haut de son mirador où il était juché avec son pote le Pisse-Goudron, le Pousse-Cailloux avait tiré prestement le cul blanc… Comme la bête bondissait vers la cavée de Crèvecœur, y disparaissant, le coup de la 22 avait claqué. La meute se jetait à la curée d'un daguet mais c'est l'hallali de l'Écologiste qu'ils firent… Tartuflette qui était mieux placé ayant coupé dans un champ de maïs pour être premier au chemin creux était tombé sur le Pédago portant une large plaie à la tête, baignant dans le sang que son chien déjà lèchait sur la main pendante d'où s'échappait le sept soixante cinq…

  L'enquête des gendarmes de Villeneuve démontra que le pistolet n'avait pas tiré un seul coup mais qu'une balle de vingt-deux long riffle, plantée dans le tronc du vieux poirier était reponsable de la blessure. Ils ne firent guère de zèle pour incriminer les chasseurs et le Pousse-Cailloux fut seulement inquiété pour avoir utilisé son arme de trop loin; le reste n'était qu'un accident de chasse banal.

L'instit qui n'était que blessé connut à nouveau l'hôpital et la convalescence. Un malheur chassant l'autre, il avait un moment perdu la mémoire. Celle-ci revint cependant avec sa charge de désepoir… Mais ce matin-là, les amis étaient revenus. Ils lui apprenaient que Nathalia avait regagné le Hautmoncel. Que l'Agostinho Di Tonta avait été arrêté par les gendarmes de Vaysse-la-Jolie et qu'il comparaîtrait libre d'ici un an sous le chef d'accusation de "mise en danger de la vie d'autrui sans intention de donner la mort"…

Ça n'étonnait personne puisqu'on écrasait bien des petites filles tous les jours dans le Paris-Dakar… Ou chez nous… Pour le sport ! Le sept soixante cinq avait mystérieusement disparu; les gendarmes dirent à Jean-Loup que ça lui éviterait d'avoir des mauvaises pensées… Jean-Loup leur demanda pourquoi ils ne le collaient pas plutôt lui-même en tôle illico puisqu'on l'incriminait, lui, de vouloir donner la mort… Mais il s'entendit répondre que les insultes à fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions était châtiées. Il se tut, fort aigri, songeant à Philou qui se faisait traiter de "fils de pédé" dans les couloirs du collège par les gouapes de La Villeneuve, impunément…; même que c'était son tendron qu'on avait exclu ! L'humanité ne valait pas cher…

Comme il exprimait sa rancœur, son amertume, sa haine et son ressentiment à ses amis, Élisée avait dégotté sur un guéridon, le Sisyphe de Camus resté ouvert depuis la nuit du drame… Il lut une phrase qui "l'interpellait quelque part": « L'esquive mortelle (...) c'est l'espoir. Espoir d'une autre vie qu'il faut "mériter", ou tricherie de ceux qui vivent non pour la vie elle-même, mais pour quelque grande idée qui la dépasse… » Puis pensif il dit: « Est-ce que ça veut dire que vous et moi nous aurions, avec l'écologisme, cette grande idée qui dépasse la vie ? Alors, nous n'avons plus à songer au suicide: même si nous n'avons pas, ni l'un ni l'autre, de descendance, trichons gaiement, battons-nous pour sauver l'humanité qui va s'étouffer de son explosion de goinfrerie !»

Magloire, sortant de son sac à dos une bouteille de Côte-de-Brouilly et s'attaquant à la capsule de surbouchage, allégua qu'ils se faisaient encore des illusions sur le choix démocratique de la frugalité supportable et de la limitation des allocs…

Le Troglodyte dit alors: « Il y a trois hommes sur qui l'humanité ne fera pas l'impasse: Malthus, Marx et Jésus. Et que le bon dieu me pardonne le blasphème… S'il existe…!». Sur ce, il montra qu'il mettait sa philosophie à exécution, conformément à Nietzsche qui voulait qu'un philosophe, pour être estimable, prêchât d'exemple. Il sortit lui aussi une bouteille de sa musette ! Et c'était… un Saint-Amour !
— Fin —
© Christian Jodon - La Forte en T'Aime
© Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - Déposé à la S.G.D.L.

Notes section 36:   ( Sauter les notes de section 36 )
36-1.-↑  "Dès 1985, des chercheurs montrent que le canari perd un certain nombre de neurones à l'automne et qu'il les renouvelle au printemps. Avantage : c'est ce qui lui permet d'apprendre de nouveaux chants chaque année." (Extrait du site: Science Actualités)
— Régénération des neurones: la fin d'un dogme ?
— Figaro: Cerveau: la bataille de la jeunesse
— Autre source pour le même article
— Autre source: Neurobiologie de la pensée; Julien Barry-1995-Medical - 363 pages
 — Bref extrait grâce à Google Books: " Les phénomènes de régénération des neurones semblent très limités. Dans la presque totalité des cas les cellules nerveuses détruites ne sont pas remplacées. Toutefois des pertes de substance par destruction ou section d'axones peuvent être réparées dans certaines conditions lorsque les péricaryons, centres trophiques des neurones, sont restés intacts. Des ramifications axoniques nouvelles et parfois des axones surnuméraires peuvent être alors observés (Hawton et Kellerth, Nature 1987 et ci.dessus n° 2). Exceptionnellement des cellules souches nerveuses peuvent permettre le remplacement de neurones détruits, e.g. pour les neurones olfactifs de Vertébrés, après transsection du tractus olfactif (Graziadei et Monte-Graziadei 1979, Farbman 1986), ou bien à l'état normal dans les centres cérébraux de commande du chant chez des Canaris adultes (Patton et Notebohm, Science 1984 et sq., Fine PLS 1986). Par ailleurs, le SNC ne possédant pas de défenses immunitaires efficaces, des transplantations de neurones embryonnaires peuvent y être pratiquées avec succès (Wallace et Dace 1983, Björklund et Steinerr 1985, Aguayo 1985, Oison 1985). Sans doute permettront-elles un jour de porter remède à certaines atteintes actuellement incurables. (SNC: système nerveux central nb CJ) Neurobiologie de la pensée Par Julien Barry avec http://books.google.fr/books/ etc…
36-2.-↑ hypocoristique (Cf ci-dessous: CNRTL); en bref: diminutif, surnom affectueux comme "Toto" ou "Fifille"… Vient du grec: «caressant» et «propre à atténuer»; cf. l'angl. hypocoristic (1796)
— Hypocoristique dans CNRTL
36-3.-↑ Phratrie ou fratrie: Dico du CNRTL. Accès à cette entrée: cliquer ci-dessous.
— Phratrie ou fratrie: Dictionnaire du CNRTL
36-4.-↑ Albert Camus. "Le mythe de Sisyphe". Essai sur l’absurde. (1942)

36-5.-↑ Extrait du site http://abardel.free.fr/index.htm: "Dans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, Rimbaud expose son programme poétique : "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens". Ainsi, "il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues". Le Bateau ivre, écrit la même année, apparaît comme la transposition allégorique de ce programme."
La strophe citée du "Bateau Ivre":

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Arthur Rimbaud, "Le Bateau Ivre"
Le site abardel.free.fr: cliquez ci-dessous.
— Site abardel.free.fr
Arthur Rimbaud: "frêle comme un papillon de Mai" Mais… peut-être l'aviez vous découvert lors de la première citation que j'en avais faite au début du roman. Si c'était le cas: « Un bonne note, élève Lecteur !»

— Fin des Notes —

Christian Jodon - "La Forte en T'Aime" - déposé à la S.D.G.L.
Fin de la Deuxième Partie: "Histoire de Nathalia"
En projet:La Forte en T'Aime: 1.- Histoire de Yasmina
La Forte en T'Aime: 3.- Histoire d'Alyssa.

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La Forte En T'Aime
Sommaire: liste des chapitres
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Le Pré Hue 1968



Le Pré Hue 1968 ©CJ

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Le vallon du Pré Hue au Plessis Luzarches avant le golf. Il y avait encore deux fermes au Plessis ; on allait y chercher le lait des bébés chaque soir. L'une des fermes a été vendue avec les terres pour construire un golf ; l'autre s'est d'abord "désenclavée" dans le Pré-Hue (rue de Jagny). Puis l'exploitant a jugé qu'il était préférable de se "désenclaver " en province (en touchant un petit Pactole... du golf.)
				
 Zoomez l'image: Placez l'image en haut, à gauche de votre écran (par l'ascenseur, à droite) et survolez-la avec la  "souris"; elle est "zoomée". Après une seconde, elle affiche sa légende qui s'efface quelques instants après. Ensuite, bougez-la avec les flèches.
Toucher F11 (bascule) peut améliorer.
Mise à Jour: 030212
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Le Pré Hue 1980
Le Pré Hue en 1980. Il y a eu un projet de dépôt d'ordures dans ce site, durant les années 70; et une cavée y a été comblée avec des tonnes de plâtras (Le chemin de Bellefontaine à Jagny dans le flanc Nord du vallon: maintenant c'est plat, mais jusqu'au comblement -illégal- c'était une adorable cavée, abritée des vents, ensoleillée en hiver, où se chauffaient les premières violettes du printemps... et les randonneurs).

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Le Pré Hue en 2009
Le Pré Hue en 2009: il a été joliment ré-arboré par le golf du Plessis-Bellefontaine. Un golf, s'il reste un lieu de sport, peut être une sorte de Jardin d'Arnheim bénéfique au paysage; d'autant plus qu'ici, n'étant pas clôturé, il reste perméable à la faune sauvage qui peut y migrer. Le Directeur déplore d'ailleurs (à côté de dégradations provoquées par les quads et motos) les ravages des laies qui aiment apprendre aux marcassins la façon de vermiller.
Malheureusement, on sait bien que "l'épidémie de golfs" qui a sévi en France dans les années 70 n'étaient pas provoquée pour le plaisir de vos beaux yeux Madame ! Juste pour détourner la loi sur les lotissements en fondant d'immenses réserves foncières pour les spéculations foncières du XXIème siècle.
Ici vous voyez, au premier plan, les trois poiriers traditionnels mis là, par les Amis de la Terre du Val d'Ysieux  , pour remplacer celui détruit par le péquenot du poème... Mais l'un d'eux est mort, déjà.
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Le Pré Hue en 2009
Le Pré Hue dans un cadre resté champêtre et, pour l'instant, protégé par la loi du 2 mai 1930 sur les paysages (protection gagnée par les Amis de la Terre du Val d'Ysieux du temps d'Yves Cochet ministre) et par le Parc Naturel Régional Oise Pays de France. Mais ça sera-t-il pour toujours ? Incroyables sont les magouilles qui se trament à votre insu pour détruire la protection de votre région: le Val d'Ysieux de vos enfants et petits-enfants. Vous allez bientôt perdre, dans vos communes pourtant si jalouses de leurs prérogatives, la principale: celle de disposer de vos terres comme bon vous semble: garder la nature, l'air pur, la liberté pour n'y pas chier du béton, le bêton à fric de la spéculation foncière... Vous allez vous retrouver, un de ces quatre, au retour des vacances - bien sûr, ça s'décide toujours pendant que vous bronzez vos agréables rondeurs, Mesdames -, vous vous confronterez au fait accompli: finie la Communauté de communes du Pays de France: vous serez annexés à celle de Roissy; ainsi perdrez-vous pour toujours votre maîtrise des sols, et de la nature, l'espace de liberté de vos descendants.
Sachez que pour que ce golf qui, dans les "buts" de ses statuts, comporte l'urbanisation (ce que savaient les municipalités qui l'ont autorisé), pour qu'il reste un golf sportif - mis a part la trop grande construction du Club House et son parking _ les Amis de la Terre du Val d'Ysieux on dû batailler ferme: quatre procès.
Le premier? Empiètement sur un chemin rural: perdu par l'Écologiste; la justice aime bien défendre la propriété privée.
Second procès: le permis de construire avait, en toute discrétion et fantaisie, "effacé" un chemin rural, propriété collective, pour y bâtir le Club House: Gagné cette fois: permis de construire annulé (il semble qu'en 2009 il n'ait toujours pas été réinstruit !!).
Troisième conflit: contre la construction de deux bâtiments à étage, l'un pour 50 studios à vendre, l'autre pour des dizaines de chambres d'un hôtel de tourisme. Non mais ? vous imaginez le va-et-vient sur nos petites routes, les exigences des nouveaux habitants et de leurs enfants devenus majoritaires dans les Mairies ? Gagné cette fois encore; pour vous servir M'sieus Dames. Et vous ignorerez toujours la quantité de travail, de déplacements, d'argent, de stress éprouvés par les défenseurs de l'environnement pour vos générations futures. Ils n'ont d'ailleurs jamais eu vos remerciements…
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Le Pré Hue en 2009
Bouleau sur le golf du Plessis; derrière, la Cavée du Plessis.
Cadeau: l'image dans une meilleure définition: Chatons mâles du Bouleau. Cliquez ici
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Le Pré Hue en 2009
Le Chemin du Pommier Sauvage (de Bellefontaine à Châtenay-en-France).
Cadeau: l'image dans une meilleure définition: Le Pommier Sauvage. Cliquez ici

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Ecran FETA 3

Comment lire un roman à l'écran...
- Le Langage d'Internet: l'HTML, permet de créer, dans le texte, des "liens"; c'est ce qui change de couleur sous la souris et vous envoie ailleurs. Liens internes: vous restez dans la page. Liens externes, vous voilà partis sur un autre site... Le problème, c'est pour revenir là d'où l'on vient ! Deux manières:
-1.- La touche BackSpace ou RetourArrière (flèche Gauche du haut, au-dessus du $) suffit souvent à nous ramener au point de départ;
-2- Quand on est envoyé dans un autre site, « Surprise! Comment j'fais pour retourner? ». En général, la touche BackSpace suffit; mais si le navigateur a ouvert une nouvelle fenêtre (ça se voit à l'apparition d'un nouvel "onglet"), alors, il faut effacer l'onglet nouveau ou cliquer l'onglet d'où l'on vient. On peut simplement cliquer la "flèche gauche" qui apparaît en haut à gauche de l'écran du navigateur Internet; elle varie d'un navigateur à l'autre: exemples: FFF  la mienne, dans mes textes: F vous dit: « Cliquez en haut à gauche... »
-3- Dans certains textes, on trouve une "indication de retour": par exemple la mention "Retour" ou une petite icône à cliquer. Ce sera le cas dans ce roman où, si vous allez à une note, il vous suffira de cliquer la petite icône: F ou ↑. Non! pas celle-ci, la prochaine.
C'est magique, plus besoin de courir au bout du bouquin et de feuilleter quinze pages pour trouver la note: «Clic!» Zut, j'ai perdu ma page de départ... « Ah! Décourageant! J'pose le bouquin! Vive la télé! ». Maintenant, c'est facile; avec l'hypertexte html, on clique une petite flèche et on retrouve sa ligne de lecture... Tiens, essayez la prochaine; mais avant, une idée à moi (vous étonnez pas si c'est farfelu...): les grandes personnes sachant tout de naissance, elles n'ont pas besoin de lire les notes: elles ont donc la facilité de "sauter par-dessus: suffit de cliquer: Sauter les notes"
. Tiens, cliquez donc Retour
  ou la petite flèche:F ou ↑


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Ecran FETA 3
La Chasse à l'Écologiste... Le Bois Goujon
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BG 1987 ©CJ
Provocation des chasseurs au Bois de la Garenne en 1987
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BG 1987 ©CJ
Cerf du Bois Alix le 27 avril 2009
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Cerf Bois Alix 031011
Cerf du Bois Alix le 3 octobre 2011
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Chemin au Pommier
Le Pommier Sauvage
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BG 1987 ©CJ
Retour du Jardin Courtois


	Mise à Jour: 3 février 2012

Roman relu et modifié en janvier 2012. Beaucoup de pages dont le style exécrable m'agaçait ont été réécrites… sans me donner toujours satisfaction !
Le code xHTML (W3C//DTD XHTML 1.0 Transitional) a été totalement réécrit (pour toutes les pages du site) selon les directives du W3C (Web Content Accessibility Guidelines 1.0) et passé au crible du Total Validator pour l'accélérer en éliminant la plupart des fautes. Les interprèteurs (navigateurs Internet) ne donnent pas tous la même image. Sur mon écran plat LCD (1024x768px), le meilleur rendu des couleurs est donné par "Safari". J'ai réglé les espaces en travaillant principalement avec "Chrome de Google" très réactif et pratique pour les modifications. Par exemple, contrairement aux autres, lorsqu'on revient vers lui après une modif, on tombe à l'endroit laissé sans avoir à rechercher le passage retravaillé à l'éditeur de texte (Scite ou Notepad++)… Gain de temps ! J'ai trouvé, ensuite, que le plus fidèle navigateur est "Firefox". J'observe des différences d'interprétation avec deux autres navigateurs répandus. Comme j'ai criblé mon script au validateur, je pense que, malgré leur très grande tolérance, les interpèteurs ont chacun leur caractère. On peut charger et activer en quelques minutes les trois premiers cités, entre autres sur "www.01Net/telecharger". Merci de m'excuser pour les Liens externes (vers d'autres sites) qui ne marchent plus. Les sites se ferment à tout moment sans laisser de trace, ou modifient leur structure. Impossible de suivre leur mouvement…
 (Retour Table des Matières)↑ ) 
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Louise Brooks
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La mèche Louise Brooks.
Louise Brooks est une actrice américaine, née le 14 novembre 1906 à Cherryvale (Kansas), et morte le 8 août 1985 d'une crise cardiaque à Rochester. Connue pour ses cheveux d'un noir d'ébène, à la coupe typée. Au cinéma: rôles dans les films muets des années 20 aux États-Unis et trois films en Europe en 1929 et 1930. Davantage de renseignements:
- Aller à: monsieur-biographie.com - Cliquez ici.

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Villon b

				
Ballade des dames du temps jadis


par Georges Brassens

Dites moy ou, n'en quel pays
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, né Thaïs
Qui fut sa cousine germaine,
Echo parlant quand bruyt on maine
Dessus rivière ou sus estan
Qui beaulté ot trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qui beaulté ot trop plus qu'humaine.
Mais ou sont les neiges d'antan?

Ou est très sage Hélloïs,
Pour qui chastré fut et puis moyne
Pierre Esbaillart a Saint Denis?
Pour son amour ot ceste essoyne.
Semblablement, ou est royne
Qui commanda que Buridan
Fut geté en ung sac en Saine?
Mais ou sont les neiges d'antan?
Fut geté en ung sac en Saine?
Mais ou sont les neiges d'antan?

La royne blanche comme lis
Qui chantoit a voix de seraine,
Berte au grand pié, Bietris, Alis
Haremburgis qui tient le Maine,
Et Jehanne la bonne Lorraine
Qu'Englois brûlèrent a Rouen;
Où sont ils, Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?
Où sont ils Vierge souveraine?
Mais où sont les neiges d'antan?

Prince, n'enquérez de sepmaine
Ou elles sont, ne de cest an,
Qu'a ce refrain ne vous remaine:
Mais ou sont les neiges d'antan?
Qu'a ce refrain en vous remaine;
Mais ou sont les neiges d'antan?

François de Montcorbier dit Villon
Né en 1431 à Paris, disparu en 1463


Villon b
François Villon b
Verlaine b
Paul Verlaine b

Georges Brassens
L'enterrement de Verlaine
Poème de Paul Fort

Le revois-tu mon âme, ce Boule Miche d'autrefois
Et dont le plus beau jour fut un jour de beau froid:
Dieu: s'ouvrit-il jamais une voie aussi pure
Au convoi d'un grand mort suivi de miniatures?

Tous les grognards - petits - de Verlaine étaient là,
Toussotant, Frissonnant, Glissant sur le verglas,
Mais qui suivaient ce mort et la désespérance,
Morte enfin, du Premier Rossignol de la France.

Ou plutôt du second (François de Montcorbier,
Voici belle lurette en fut le vrai premier)
N'importe! Lélian, je vous suivrai toujours!
Premier? Second? vous seul. En ce plus froid des jours.

N'importe! Je suivrai toujours, l'âme enivrée
Ah! Folle d'une espérance désespérée
Montesquiou-Fezensac et Bibi-la-Purée
Vos deux gardes du corps, - entre tous moi dernier.

Jules Jean Paul Fort, né à Reims 1er février 1872 et mort le 20 avril 1960 à Montlhéry
Poète et dramaturge français.
Sous-Bois2.gif

"Le vrai génie sans cœur est un non-sens."
"Amour! Amour! Amour! Voilà l'âme du génie".
Wolfgang Amadeus Mozart, le 11 avril 1787.
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SOS-Sylvies - SOS-Val d'Ysieux
Pas d'amour? Pas d'humour? On ne se fâche pas: on change de site; merci de votre visite.

Le Val d'Ysieux, c'est quoi?

Une petite région sans nom jusqu'à ce que quelques personnes créent les Amis de la Terre du "Val d'Ysieux". Ainsi a été reconnue l'individualité de cette micro-région, si fragilisée à l'heure actuelle, et qui, pourtant, est un "écotone" utile et encore plus "vulnérable". Les Ecologues nomment "écotone" une zone de transition entre deux écosystèmes; ici, la Forêt de Chantilly et la Plaine de France. Les écotones sont riches des deux biocénoses en contact. Mais s'ils sont ainsi attirants pour les bâtisseurs, leur atteinte est fatale aux écosystèmes qui s'interpénètrent. C'est ainsi que notre région a vite atteint, à huit kilomètres au bout des pistes de R-CDG, un degré de saturation démographique dangereusement dépassable. Il incombe donc aux habitants  des lieux d'assumer courageusement la défense des micro-espaces naturels qui subsistent face à la folie rageuse des chieurs de béton. Soyez les "défenseurs". Pas pour moi qui suis vieux et n'en profiterai pas. Pour nos successeurs: vos enfants que nous aimons et qui ont besoin de "vivre" autre chose que l'enfermement dans la banlieue atroce, laide et criminogène, où l'on veut toujours davantage les parquer. Pour eux, sauvons, sauvez le Val d'Ysieux…

Nb. - Ce site n'est pas le site officiel des "Amis de la Terre du Val d'Ysieux" que pourtant j'ai créés. Les opinions exprimées n'engagent donc que l'association "SOS Val d'Ysieux -
— "SOS Val d'Ysieux" - 12, Rue de l'Eglise, 95270 Plessis Luzarches


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